La Jument endiablée
Coat
Méal
Armanel - conteur
Cette histoire se passe à Coat-Méal, petite paroisse du Nord Finistère où, il n'y pas si longtemps de cela, il valait mieux savoir nager si on voulait être enterré dans le cimetière local. Heureusement la petite commune est encadrée par l'Ascoët, le Benouig et le Garo et il était facile d'y apprendre à patauger.
Vous êtes sans doute intrigués par cette introduction. Alors laissez-moi vous expliquer plus en détail:
Si vous passez par Coat Méal arrêtez vous devant la façade sud de l'église qui domine le cimetière. Vous remarquerez que l'église, contrairement à ses voisines, est basse sous toiture (elle ressemble plus à une chapelle voire une grange agricole). Mais il y a une raison à cela: Autrefois le cimetière était au niveau de la rue et comme il est situé sur une zone marécageuse alimentée par le petit cours d'eau qui traverse l'église et alimentait deux lavoirs (le premier près de l'emplacement du transformateur électrique de la rue de la fontaine et le deuxième près de l'aire de covoiturage au lieu-dit Prat Ar C'Heff près de la départementale).
Donc quand on creusait une tombe dans le cimetière on arrivait vite à "creuser un trou dans l'eau" (d'où la petite introduction de cette page).
Cette situation a perduré longtemps jusqu'à ce que la décision soit prise de relever le cimetière afin que nos trépassés reposent bien en TERRE chrétienne.
Le cimetière a donc été rehaussé mais pas l'église ni le presbytère qui la jouxte.
_ Traversez le cimetière et rendez vous sous le porche Sud; vous remarquerez, de chaque côté, au sol, de grandes pierres plates; ce sont les sièges des bancs sur lesquels se réunissait le conseil de paroisse.
_ Entrez maintenant dans l'église et observez les piliers qui la soutiennent; les voutes sont extrêmement basses.
_ Asseyez vous devant un de ces piliers; votre nuque heurtera les chapiteaux.
Si un doute subsiste allez dans le presbytère et vous vous apercevrez que vous descendrez dans la petite véranda, puis que vous descendez à nouveau pour passer le seuil de la maison.
Mais pourquoi rehausser le cimetière si pendant des années la population s'était accommodée à cet état de fait ?
Tout simplement parce que la chair ne pourrit pas dans l'eau et lorsqu'on ouvrait une tombe pour y placer un deuxième cercueil on avait parfois de drôles de surprises.
Coat Méal n'était pas un cas isolé. Pour preuve lisez la page consacrée à Yann 'Dargent
Mais revenons à notre jument endiablée
Jean-Marie était cultivateur à Coat-Méal, au début du siècle dernier. Si tous ses voisins s’étaient convertis au modernisme agricole et conduisaient des chevaux vapeurs, Jean-Marie, lui n’a jamais voulu abandonner ses juments ; jusqu’à la fin, il est resté fidèle à la traction animale. Mais, attention, cela ne veut pas dire que Jean-Marie était réfractaire au progrès ; il y avait l’électricité et l’eau courante dans sa ferme. De plus Jean-Marie était un des premiers habitants de la commune _ après (ou avant?) le député _ à avoir fait l’acquisition d’une voiture automobile (une Berliet Type VIRP2) avec laquelle il conduisait fièrement Soize, son épouse, à l’église le dimanche.
A l'époque Jean Marie passait, sans doute, un peu pour un original et était surnommé (à voix basse et dans son dos) l'homme-cheval moitié par dérision car il semblait refuser le progrès, moitié par respect pour ses convictions, moitié par envie et jalousie car, s'il ne s'asseyait pas au premier rang dans la petite église de Coat-Méal, vous ne pouviez pas aller assister au culte sans passer devant sa voiture fièrement campée sur la place du village.
Jean-Marie,
donc, continuait à travailler « à l’ancienne » sur sa
petite ferme située à flanc de colline au dessus d’un petit cours
d’eau dans lequel il allait régulièrement abreuver ses deux
juments. Cet été-là s’était bien passé ; la moisson avait
été abondante et, après la venue de la batteuse dans la cour de la
ferme, les greniers à blé étaient pleins à dégorger. Jean-Marie
avait donc toutes les raisons d’être satisfait et pourtant une
grande ride barrait son front : Il était soucieux de l’état
de santé de Rosette, une de ses juments.
La jument était la préférée de Jean-marie: Chaque matin quand il se rendait à l'écurie pour sortir ses bêtes il se rappelait le jour où il était allé l'acheter. Cette nuit-là, après quelques petites heures de sommeil il avait chaussé ses boutous-coat bien avant que le jour se lève, s'était rendu à pied à Landivisiau (43 km aller) sous une pluie battante et était rentré à la nuit tombante bercé par son amble confortable malgré une colonne vertébrale saillante. Rosette n'avait pas la robe alezane de la plupart des individus de sa race mais une robe qui tirait sur le rose pâle ( d'où son nom). Rosette avait mis bas au printemps, mais son poulain n'avait vécu que quelques jours et elle semblait ne pas se remettre de cette perte.
Compréhensif, Jean-Marie avait fait tout ce qu’il pouvait pour la
ménager durant l’été. Mais maintenant, alors qu’il n’y avait
plus de grandes journées de travail à la ferme, Jean-marie
retrouvait, tous les matins, sa jument couverte d’écume comme si
un plaisantin s’était amusé à la faire courir toute la nuit.
Ce soir-là, Jean-Marie décida donc de veiller un peu plus tard que d’habitude dans sa cuisine en espérant prendre le gredin sur le fait. Pour cela il comptait aussi sur l’aide de Fridu, le chien attaché à l’entrée de la cour près de la faneuse. Mais le chien n’aboya pas et Jean-marie somnola, puis dormit le reste de la nuit sur sa chaise sans être réveillé. Au matin, Rosette était de nouveau couverte d’écume.
La petite exploitation de Jean-Marie était ce que l’on appelle, de nos jours, une longère ; il y avait la grande pièce de vie (dans laquelle, on avait fini par faire deux petites chambres), puis les celliers et enfin l’écurie. La crèche, la porcherie et le four à pain étaient bâtis à l’écart de la maison près du puits.
L’écurie, petite disposait de trois ouvertures ; à l’avant une porte donnait sur la cour, à l’arrière une autre porte donnait sur la cour arrière en accès direct avec le tas de fumier (aujourd'hui on dirait pudiquement Compost), enfin une petite fenêtre de 20 cm par 30 cm située dans le coin gauche de la façade avant prétendait éclairer le local.
Jean-Marie était agacé d’avoir raté son malandrin et il déclara à Soize, après le repas du soir ;
_ « Je veux savoir qui se joue de moi, ce soir, j’irai dormir dans l’écurie ».
Soize, elle aussi inquiète de l’état de santé de la jument, ne répondit rien et Jean-Marie décida donc de passer sa nuit dans l’écurie. Il mit un peu de paille propre dans un recoin et s’assit pour passer la nuit. Mais Jean-Marie s’endormit et, au réveil, il s’aperçut que Rosette était couverte d’écume.
Toute la journée Jean-Marie pesta contre son infortune et la ruse du malicieux qui avait réussi à faire sortir la jument sans le réveiller. Aussi le soir venu il retourna dormir dans l’écurie ; mais cette fois-ci il avait pris ses précautions et imaginé un plan.
Je vous ai dit que l’écurie possédait deux portes, mais aucune ne fermait « à clef ». Le système de fermeture des portes était le suivant : Dans le mur de l’écurie, à droite de chaque porte, il y avait un fer à cheval usagé enfoncé à coups de masse entre les pierres du mur. De ce fer à cheval pendait un bout de chaîne qui, une fois passé dans deux trous réalisés dans la porte ressortait à l’extérieur et empêchait la porte de battre à tous vents grâce à l’inertie de son propre poids. Jean-Marie passa les bouts de chaînes à l’intérieur et ne les fit pas ressortir, bien au contrarie, il les immobilisa à l’aide d’un clou passé dans une maille et fiché dans les portes. Puis il fit son lit en travers, juste derrière les juments et se prépara pour une longue nuit.
Soize était seule dans son lit et n’arrivait pas à trouver le sommeil, car elle craignait que si Jean-Marie attrape son « voleur » comme elle disait, ils échangent des coups et que son mari revienne blessé.
Vers Minuit, alors qu’elle commençait à somnoler, elle entendit Fridu hurler à la mort dans la cour.
_ « Enfin », se dit-elle, « cette fois-ci nous saurons le fin mot de l’histoire ».
Soize avait à peine fini de parler qu’elle entendit un hurlement inhumain, qu’elle ne pouvait comparer à rien de ce qu’elle avait entendu jusque là. Et ce qui l’effraya le plus c’est qu’elle avait l’impression que c’est Jean-Marie qui avait hurlé. Puis elle entendit un grand bruit de vent comme si une tornade était passée sur la ferme. Apeurée, Soize se leva, s’habilla et sortit dans la cour où elle vit Jean-Marie allongé, inanimé au milieu de la cour, près du hangar à 20 mètres de l’écurie. Le chien huait toujours à la mort tandis que Soize essayait de ranimer son mari ; ce qui lui prit quelques minutes.
Quand Jean-Marie reprit connaissance, il fit taire le chien, entra dans la cuisine, se servit une verre de Lambig et alla se coucher.
Le lendemain matin, Jean-Marie se rendit à l’écurie, arracha un des fers à cheval fiché dans le mur pour déverrouiller la porte avant, déverrouilla la porte arrière de l’intérieur, sortit ses juments et les mena boire à la rivière.
De
ce jour, la jument ne fut plus jamais en sueur le matin et Jean-Marie
reprit sa vie « comme avant » sans jamais vouloir dire ce
qui s’était passé cette nuit-là.
Quand l’heure de
Jean-Marie arriva, je fus le dernier à le voir vivant, mais même à
l’article de la mort, il ne dit rien ; il emportait son secret
dans la tombe.