Les exploits de Bilz (4)
Le pâté de lièvre
Armanel _ conteur
Bilz avait dit à sa mère, le matin, en se levant :
— Le seigneur du Kerouez viendra aujourd’hui et il sera en colère, parce que je lui ai enlevé sa jument blanche, qu’il aime tant. Je me cacherai dans la barrique, comme l’autre fois, et quoiqu’il demande, si vous voyez mon doigt, au trou de la bonde, dites hardiment oui.
— C’est bien, répondit la vieille ; mais prends garde, mon pauvre fils, ou tu finiras pour sûr par te faire pendre.
— Soyez donc tranquille à ce sujet, ma mère, car, comme je vous l’ai déjà dit, bien fin sera celui qui me pendra, et ce ne sera certainement pas le seigneur du Kerouez.
Le seigneur arriva, comme l’avait dit Bilz. Il entra brusquement et l’air mécontent.
— Bilz est-il à la maison ? demanda-t-il à la vieille.
— Non vraiment, mon bon seigneur ; il est sorti, ce matin, de bonne heure, et ne m’a pas dit où il allait.
— Le mauvais drôle ! Malheur à lui, si je le trouve !
— Jésus mon Dieu ! Mon bon seigneur, que vous a-t-il donc fait, le mauvais garnement ?
— Il m’a volé, la nuit dernière, ma jument blanche de mon écurie.
— Voyez donc le mauvais sujet ! Si vous saviez, mon bon seigneur, le mal que j’ai eu à élever cet enfant-là, et comme j’ai prié le bon Dieu et le bienheureux saint Gily de faire de lui un bon chrétien et un honnête homme !
— Eh ! bien, la mère, vous avez joliment perdu votre temps, car c’est le plus méchant polisson de tout le pays ; si je mets la main sur lui, je le ferai pendre devant la porte de mon château.
— Ah ! Mon bon seigneur, qu’une mère est malheureuse d’avoir un tel enfant ! Mais, ayez pitié de moi et ne soyez pas tant en colère contre lui tout de même. Je vous assure qu’il a bon cœur, après tout, et qu’il ne vous veut pas de mal.
— C’est bon, c’est bon. Dites-lui que je lui pardonne, à la condition qu’il vole, avant demain matin, un pâté de lièvre que l’on doit faire cuire, cette nuit, dans le four du château.
La bonne femme regarda la barrique. Le doigt de Bilz était dans le trou de la bonde, et elle répondit :
— Je le lui dirai, mon bon seigneur, et soyez sûr qu’il le fera, puisque vous le lui demandez.
_ C’est ce que nous verrons bien, — répondit le seigneur. Et il partit.
Dès qu’il fut hors de la maison, Bilz sortit aussi de sa barrique et, prenant un panier, il se rendit au Vieux-Marché et acheta deux bouteilles d’eau-de-vie et des liqueurs, se munit d’un chien de chasse et d’un lapin et retourna avec tout cela à Penn-an-Menez. Puis, vers le soir, il alla rôder autour du château et, quand il en trouva l’occasion, il pénétra dans le fournil, y déposa son panier de liqueurs et sortit ensuite.
Vers les huit ou neuf heures, on mit le pâté au four, et deux valets armés de bâtons et de fusils furent chargés de monter la garde dans le fournil. Il faisait un beau clair de lune. Bilz se tenait caché derrière une haie, ayant avec lui son chien de chasse et son lapin. Les valets commencèrent bientôt à parler haut et à chanter, ce qui indiquait qu’ils avaient visité le contenu du panier. Quand Bilz jugea le moment favorable, il lâcha le lapin. Et le chien de courir après, en aboyant, et lui de crier :
Au lièvre ! Au lièvre !...
Les deux hommes, qui étaient des chasseurs passionnés, sortirent précipitamment et poursuivirent le lapin, sans songer au pâté.
Bilz, qui guettait ce moment, entra aussitôt dans le fournil, ouvrit le four, enleva le pâté et déposa à sa place, dans la terrine, un autre pâté de sa façon et qui ne sentait pas la rose.
Quand les deux valets, fatigués de poursuivre le lapin, revinrent au fournil, ils burent d’abord un coup, puis, ils songèrent à s’assurer si Bilz n’était pas venu, pendant leur absence. Mais, voyant la bouche du four bien close, avec la pierre qui la fermait garnie d’argile sur les bords, pour empêcher l’air de pénétrer (car Bilz avait tout remis en l’état où il se trouvait auparavant), ils se dirent :
— Nous avons de la chance que Bilz n’ait pas profité de notre absence, pour enlever le pâté ; à présent, il peut venir, quand il voudra, c’est trop tard.
Et ils burent encore un coup.
Le lendemain matin, le seigneur et sa dame vinrent ensemble au fournil, pour avoir des nouvelles du pâté.
— Eh ! bien, dirent-ils aux valets, Bilz n’est pas venu ?
— Non certainement, monseigneur, et il a bien fait, car nous l’eussions reçu comme il le méritait.
— C’est bien. Alors, le pâté est dans le four ?
— Oui, il est dans le four.
— Voyons-le, car il doit être assez cuit.
Et l’on ouvrit le four. Il y avait bien un pâté, mais non de lièvre, dans la terrine.
— Mon pâté était beaucoup plus grand que cela, dit la dame, en le voyant.
— Il aura diminué, en cuisant, comme toujours, madame, dirent les valets ; c’est l’effet de la chaleur.
La dame y porta la main, et ses doigts y pénétrèrent aussi facilement que dans du beurre frais.
— Il n’est pas cuit, dit-elle. Puis, ayant porté un doigt à sa bouche, elle fit une horrible grimace et se mit à cracher, en criant : — Kaoc’h ! kaoc’h !(M ... ! M...!)
_ Ah ! Ce gredin de Bilz m’a encore joué ! s’écria le seigneur, en jurant ; mais, je me vengerai !...