Xavier Pustules-de-Crapaud

Galice

Traduit de l'espagnol par Armanel


Voici l’histoire de Xavier Pustules-de-Crapaud.


Il était une fois, un roi qui avait trois filles. Un jour ce roi voulut savoir combien ses trois filles l’aimaient. L’aînée lui dit qu’elle l’aimait comme la chèvre aime le couteau, la cadette lui dit qu’elle l’aimait comme le sang aime le pain et la benjamine lui dit qu’elle l’aimait comme le pain aime le sel. Le roi se déclara fort satisfait des propos de ses deux premières filles ; mais, irrité par ceux de la troisième, il ordonna à quatre domestiques de la faire tuer, et de lui rapporter ses yeux.


Les quatre domestiques s’emparèrent donc de la plus jeune des trois sœurs et l’amenèrent au fond d’un bois profond. Mais au moment de la tuer, les quatre compères eurent pitié de leur victime et lui permirent de s’échapper, après lui avoir demandé de quitter le pays car si le roi s’apercevait qu’ils l’avaient laissée en vie, ce serait la cause de leur propre mort, car ils savaient que le roi ne leur pardonnerait jamais de lui avoir désobéi. Ensuite, ils tuèrent une petite chèvre trouvée en chemin et rapportèrent ses yeux au roi, qui fut convaincu que sa fille était bien morte.

La pauvre enfant erra, erra sans but un grand moment, puis sur son chemin elle rencontra un berger vêtu de haillons. En voyant ce berger et ses pauvres vêtements, elle se dot que si elle restait habillée en princesse, elle serait facilement reconnue. Aussi elle proposa au berger de lui acheter ses vêtements ; ce qu’il accepta sans hésiter. Elle les enfila aussitôt et reprit sa marche, prenant bien soin d’emporter ses propres vêtements enfermés dans un petit baluchon. Elle arriva ainsi dans un palais où on cherchait un gardien de dindons. Comme elle avait revêtu les vêtements du berger, le roi du palais lui donna le poste sans aucune hésitation lorsqu’elle se proposa pour cet emploi.

Devenue gardienne de dindons, la benjamine conduisait le troupeau chaque jour aux champs, mais elle s’ennuyait à rester toujours toute seule, toute la journée. Un jour qu’elle s’ennuyait plus que d’habitude, elle s’était arrêtée avec son troupeau près d’un puits. Elle ne put résister au plaisir d’enfiler sa belle robe de princesse et de contempler son reflet dans l’eau du puits.

Les dindons furent éblouis par sa beauté et la regardaient fixement et comme ils étaient très bêtes, ils en oublient même de manger. La benjamine ayant trouvé son reflet très beau, recommença la même opération les jours suivants : Les dindons continuaient à ne rien manger si bien que chaque jour le plus vieux du troupeau mourait de faim et chaque soir notre héroïne revenait au palais un dindon mort dans les bras.

Le fils du roi était très étonné de voir qu’un dindon mourait chaque jour, et se dit que le gardien du troupeau était sûrement responsable. Il décida donc de l’épier. Un beau jour, sans rien dire à personne, il suivit le troupeau et se cacha derrière un arbre pour tout voir sans être découvert.

La princesse, qui ne se doutait de rien, changea de vêtements comme les autres jours en arrivant auprès du puits, et apparut aux yeux du prince dans toute sa splendeur et sa beauté. Le jeune prince en tomba éperdument amoureux et résolut sur-le-champ de l’épouser, persuadé qu’il était de ne pouvoir survivre si elle n’était pas à ses côtés.

Il retourna chez lui au comble de l’émoi. La nuit venue il monta se coucher, appela la cuisinière, lui dit qu’il ne se sentait pas bien, qu’il n’avait pas faim, qu’il voulait seulement une tasse de bouillon et qu’il voulait que ce soit Xavier Pustules-de-Crapaud – car c’est ainsi qu’on appelait le gardien de dindons – qui la lui montât. A cette idée, la cuisinière s’offusqua.

_ C’est pas possible que Xavier Pustules-de-Crapaud, qui est si sale, si lourdaud, mette les pieds dans votre chambre. Il grouille tellement de poux que nous sommes obligés, à la veillée, de le mettre à l’écart, pour qu’il ne nous passe pas sa vermine.


Il faut dire que chaque soir la princesse, qui craignait d’être reconnue si elle restait trop longtemps à la lumière, se mettait à se gratter furieusement dès qu’elle s’asseyait avec les autres autour de la cheminée, et jetait au feu une poignée de gros sel que tout le monde prenait pour des poux, si bien que chacun la repoussait avec dégoût en disant :

_Xavier Pustules-de-Crapaud, va dans ton coin !

Et elle allait dans son coin, où elle avait moins de risque qu’on découvre qu’elle n’était pas un homme.

La cuisinière eut beau lui raconter tout ça, le prince ne voulut pas céder, et la pauvre femme redescendit donc dans sa cuisine en ronchonnant et de fort méchante humeur. Elle trouva Xavier dans son coin, comme d’habitude. Elle lui demanda de s’ajuster un peu et de monter une tasse de bouillon au prince.

Xavier résista le plus longtemps possible, mais devant l’insistance de la cuisinière, il prit la tasse de bouillon et monta dans la chambre du prince. Celui-ci en la voyant se sentit beaucoup mieux, il la prit par la main, la fit asseoir auprès de lui, lui raconta qu’il l’avait démasquée, qu’il était tombé amoureux d’elle et qu’il voulait l’épouser.

Se voyant découverte, la jeune fille qui était sous le charme du jeune prince , lui raconta toute son histoire. Cette histoire enchanta le prince car il se disait que ses parents consentiraient plus facilement à son mariage quand ils sauraient qu’elle était fille de roi.

On célébra la noce quelques jours plus tard en présence de tous les rois des royaumes voisins, sans oublier bien sûr le père de la fiancée pour qu’il puisse être témoin de son bonheur. Il arriva donc au palais mais ne la reconnut pas, car elle avait beaucoup changé, et de plus il était persuadé qu’elle était morte.

La princesse le reçut avec plus d’égards que les autres invités et fit fabriquer pour lui seul une miche de pain sans sel. Comme le sel donne toute sa saveur au pain, le roi ne la mangea pas. Au jeune prince qui lui demandait pourquoi il ne mangeait pas le pain, le roi répondit qu’il n’aimait pas ce pain car il n’était pas salé.

_Alors, monsieur, lui dit le prince, comment se fait-il, à ce qu’on m’a dit, que vous ayez fait tuer une de vos filles qui avait dit vous aimer comme le pain aime le sel ?

_C’est vrai, monsieur, lui répondit le roi très triste, et c’est mon remords, car j’ai compris depuis combien elle m’aimait.

_Que donneriez-vous pour qu’elle ressuscite ?

_Je donnerais la moitié de mon royaume.

_La moitié de votre royaume, vraiment ?

_Oui, monsieur. Et même la totalité si elle réapparaissait aujourd’hui même !

_Alors monsieur, permettez-moi de vous présenter votre fille, la princesse, dit le prince fort réjoui, en montrant celle qu’il venait de prendre pour épouse.

Le roi se retourna, reconnut sa fille, et sa joie fut si grande qu’il en tomba raide mort. La princesse et le prince restèrent mariés et heureux pendant le reste de leur vie.