Trégont-de-Paris
Bégard
Armanel - conteur
En
ces temps_là, notre
Seigneur le Bon Dieu
voyageait dans la Basse-Bretagne, accompagné de saint Pierre et de
saint Jean. Un
jour qu’ils cheminaient, parlant
de la pluie et du beau temps,
il leur sembla entendre les vagissements d’un bébé,
au
fond d’une
douve située
au bord de la route. Ils descendirent tous les trois dans la douve
et y trouvèrent,caché
parmi les fougères, un petit enfant abandonné. Ils l’emportèrent
et
continuèrent leur voyage avec ce doux fardeau.
Alors
que le bébé pleurait de faim, une
vieille femme, qui n’avait pas d’enfant, se présenta
à eux déclara vouloir se charger du nourrisson,
et l’éleva comme s’il était
son propre fils.
L’enfant grandissait
bien. A quinze ans, c’était déjà un gars vigoureux et de bonne
mine. Il voulut voyager. La vieille eut beau le sermonner et le
supplier de ne pas la quitter, il fallut le laisser partir. Elle lui
donna quelques
pièces
de monnaie,
et il prit la route de Paris.
En arrivant à Paris, il alla tout
droit demander du travail au palais du Roi. On le reçut poliment,
parce qu’il était un garçon de bonne mine, et même un joli
garçon. Il ne lui
fallut
pas longtemps pour
être remarqué du Roi, qui le prit en affection. Si bien que les
autres valets, qui
l’avaient surnommé Trégont–de-Paris
devinrent jaloux de lui, et cherchèrent tous
les
moyens de le perdre.
Un jour, qu’ils causaient entre eux de
leurs affaires, quelqu’un dit :
— Je voudrais bien savoir
pourquoi
le Soleil est si rouge, quand il se lève, le matin.
— Ce
n’est pas aisé à savoir, répondirent les autres.
— Et
si
nous disions au Roi que Trégont–de-Paris,
s’est vanté d’être capable d’aller demander au
Soleil pourquoi il est si rouge, quand il se lève, le matin ?
—
Oui, disons
cela au
roi.
Le
premier garçon d’écurie alla donc trouver le Roi, et lui dit :
—
Si vous saviez, Sire, ce qu’a dit Trégont–de-Paris
?
— Et qu’a-t-il donc dit ? demanda le Roi.
— Il a
dit qu’il était capable d’aller demander au Soleil pourquoi il
est si rouge, le matin, quand il se lève.
— Il n’est pas
possible qu’il ait dit cela.
— Il l’a dit ; je vous
l’affirme, Sire.
— Eh bien ! dites-lui de venir me voir
sur le champ.
Trégont–de-Paris
se rendit donc
auprès
du Roi.
— Alors
! Trégont–de-Paris,
vous avez dit que vous êtes capable d’aller demander au Soleil
pourquoi il est si rouge, le matin, quand il se lève ?
— Moi,
Sire ? Je n’ai jamais dit rien de semblable.
— Vous l’avez
dit, mon garçon, on me l’a affirmé, et il faut que vous fassiez
ce dont vous vous êtes vanté, ou il n’y a que la mort pour vous.
Allez.
Voilà le pauvre Trégont–de-Paris
bien embarrassé, je vous prie de le croire.
— C’en est
fait de moi ! se disait-il à lui-même. Il se mit pourtant en route,
à la grâce de Dieu.
En
sortant de la cour, il vit une magnifique jument blanche, qui vint à
lui, et lui parla ainsi :
—
Monte
sur mon dos, et je te conduirai jusqu’au Soleil. Nous avons mille
lieues à faire pour arriver, avant le coucher du Soleil, au premier
château où nous passerons la nuit.
Trégont–de-Paris
monta sur le dos de la belle jument blanche, et aussitôt celle-ci
s’éleva en l’air avec lui. Le
soir venu, ils
arrivèrent près d’un château, au moment où le Soleil allait se
coucher. Trégont-à-Baris descendit de la jument, et frappa à la
porte du château : Toc
! Toc
!
— Qui est là ? demanda une voix de l’intérieur.
—
Trégont–de-Paris
! Ma jument
et moi sommes très fatigué
!
On lui ouvrit la
porte et
il entra.
Puis
Trégont–de-Paris
soupa
avec la fille du maître du château.
— Où allez-vous comme
cela ? lui demanda celle-ci.
— Ma foi, Princesse, je ne sais
pas trop. On m’a commandé d’aller demander au Soleil pourquoi il
est si rouge, le matin, quand il se lève, et je ne sais de quel côté
me diriger.
— Eh bien ! si jamais vous arrivez au but de votre
voyage, chez le Soleil, demandez-lui aussi, je vous prie, pourquoi
mon père est malade, depuis si longtemps, et ce qu’il faudrait
faire pour lui rendre la santé.
— Je le lui demanderai,
Princesse.
Le lendemain matin, dès que le Soleil se
leva,
Trégont–de-Paris
remonta sur sa jument blanche. Celle-ci s’éleva en l’air
aussitôt, et les voilà repartis,
plus rapides que le vent.
Au coucher du Soleil, ils arrivèrent
devant un second château, qui était à mille lieues du premier.
Trégont–de-Paris
fut bien reçu par le maître du château, qui l’invita, comme le
premier, à souper à sa table.
— Et où allez-vous ainsi ?
lui demanda-t-il.
— Ma foi, on m’a ordonné d’aller
demander au Soleil pourquoi il est si rouge, le matin, quand il se
lève, et j’y vais ; mais, je ne sais trop quel chemin prendre.
—
Eh bien, si jamais vous arrivez chez le Soleil, demandez-lui aussi,
je vous prie, pourquoi
le
poirier que j’ai dans mon jardin est desséché et stérile, d’un
côté, tandis que de l’autre côté, il produit des fruits, tous
les ans.
— Je le lui demanderai, volontiers.
Le lendemain
matin, Trégont–de-Paris
repartit,
de bonne heure, sur
sa jument blanche.
— Chère
jument
! ne sommes-nous pas encore près d’arriver ? demanda
Trégont–de-Paris.
—
Si, répondit-elle, nous n’avons plus que mille lieues à faire.
Bientôt, nous arriverons près d’un bras de mer, où il nous
faudra nous séparer, et tu me laisseras de ce côté de l’eau. Un
passeur qui
se trouvera là, te passera dans sa barque, pour franchir le bras de
mer. Il te demandera où tu vas ; mais, ne le lui dis surtout
pas,
et, en revenant, ne lui dis pas non
plus
où tu seras
allé,tant
qu’il ne
t’auras pas
déposé de ce côté de l’eau.
Ils continuèrent leur route,
et arrivèrent bientôt au bras de mer. Trégont–de-Paris
mit sa jument
au
pâturage, dans un pré, et s’avança vers le passeur qui
se tenait
sur sa barque.
— Si je ne suis pas indiscret, où allez-vous
ainsi, seigneur ? lui demanda le
passeur,
pendant qu’il lui faisait passer le
bras de mer.
—
Je
ne puis vous le dire. Passez-moi
d’abord,
et, au retour, je vous dirai où j’aurai été.
Dès
qu’il fut de l’autre
côté, Trégont–de-Paris
aperçut devant lui le château du Soleil, la plus belle merveille
qu’eussent jamais contemplée ses yeux. Il s’en approcha, pour
entrer. Le Soleil allait se lever, et, en voyant venir Trégont, il
lui cria :
— Éloigne-toi ! Éloigne-toi, vite, ou je vais te
brûler ! Qu’es-tu venu faire ici ?
— Je suis venu,
Monseigneur le Soleil, vous demander pourquoi vous êtes si rouge,
quand vous vous levez, le matin.
— C’est
très simple
En
me levant,
je passe sur le château de la Princesse au Château d’Or. Pars
vite, maintenant, pour que je me lève. Va-t’en, ou je te
brûlerai.
— Il faut que vous me disiez encore, auparavant, ce
qu’il faut faire pour rendre la santé à un prince malade, qui
demeure dans le premier château où j’ai passé la nuit, en venant
ici, et que les médecins ne peuvent pas guérir.
— Il y a un
crapaud sous le pied droit de son lit ; qu’on tue ce crapaud, et
aussitôt le malade recouvrera la santé. Pars vite, à présent.
—
Une dernière question, Monseigneur le Soleil. Je ne partirai pas que
vous ne m’ayez encore dit ce qui est cause qu’un poirier, qui est
dans le jardin du château où j’ai passé la seconde nuit, en
venant ici, est tout sec et mort d’un côté, tandis que l’autre
côté, il donne des fruits en abondance, tous les ans.
—
C’est que, sous ce poirier, il y a une barrique d’argent, et le
côté où se trouve l’argent est desséché et stérile, pendant
que l’autre est vert et plein de vie. Pars vite, à présent, car
je suis en retard.
Trégont–de-Paris
salua le
soleil et
partit, ayant appris ce qu’il voulait apprendre.
Alors
le Soleil se leva, plus
rouge que jamais.
Arrivé
auprès du bras de mer, le passeur prit Trégont–de-Paris
sur sa barque, et, au milieu du passage, il lui demanda :
— Eh
bien ! que vous a dit le Soleil?
— Je vous le dirai, quand je
serai de l’autre côté de l’eau.
— Dites-le-moi tout de
suite, ou je vous jette
dans l’eau.
— C’est le plus
sûr
moyen de ne rien savoir. Ce
que vous avez de mieux à faire, c’est de me conduire de l’autre
côté.
Et le passeur le conduisit de l’autre côté de
l’eau.
— Dites-le-moi, maintenant que vous êtes passé, lui
demanda-t-il encore.
— Je vous le dirai, une autre fois, si je
repasse par ici.
— Hélas ! me voilà encore pris ! s’écria
le passeur.Malédiction
à
toi ! Il y a cinq cents ans que je suis passeur ici, et tu pouvais me
délivrer en répondant à ma question !…
— Oui, pour
prendre ta place et rester là aussi longtemps que toi, plus
longtemps peut-être… Non
Merci
! Et il partit.
Trégont–de-Paris
retrouva sa jument
où il l’avait laissée.
— Eh bien ! lui demanda-t-elle,
t’en es-tu bien tiré ?
— Très bien.
— Alors,
monte
sur mon dos, et partons.
Au coucher du Soleil, ils étaient
devant le château où ils avaient passé la seconde nuit, à
l’aller.
Trégont–de-Paris
y fut bien accueilli et il soupa encore avec le maître du château,
qui lui demanda :
— Eh bien ! avez-vous fait ma commission
auprès du Soleil ?
— Oui, je l’ai faite.
— Et que
vous a-t-il dit ?
— Il m’a dit que, sous votre poirier, il y
a une barrique d’argent, et que c’est le côté de l’arbre où
se trouve l’argent qui est desséché et stérile, tandis que
l’autre est vert et fertile.
On abattit aussitôt le poirier,
et l’on reconnut que le Soleil avait dit vrai.
Le
lendemain matin, Trégont–de-Paris
et sa jument
se remirent en route, de bonne heure, et, au coucher du Soleil, ils
étaient devant le château où ils avaient passé leur
première
nuit. Trégont–de-Paris
y fut encore bien reçu, et il soupa avec la fille du maître, car
celui-ci était toujours malade sur son lit.
— Eh bien ! lui
demanda-t-elle, avez-vous fait ma commission auprès du Soleil ?
—
Oui, je l’ai faite, Princesse.
— Et que vous a-t-il répondu
?
— Il m’a dit que, sous le pied droit du lit de votre père,
il y a un crapaud, et que votre père ne recouvrera la santé que
lorsque le crapaud en aura été enlevé et tué.
On fouilla
sous le lit et on trouva le crapaud, à l’endroit indiqué ; il fut
tué, et aussitôt le maître du château recouvra la santé.
Le
lendemain matin, aussitôt le Soleil levé, Trégont–de-Paris
et sa jument
se remirent en route, et, vers le soir, ils étaient de retour à
Paris, devant le palais du Roi.
— Eh bien ! Trégont–de-Paris,
lui demanda le Roi, dès qu’il parut en sa présence, avez-vous
réussi dans votre
voyage ?
— Parfaitement, Sire.
—
Et que vous a répondu le Soleil ?
— Le Soleil, Sire, m’a
répondu que ce qui fait qu’il est si rouge, le matin, quand il se
lève, c’est qu’il
passe sur le
château de la Princesse au Château d’Or,.
—
Et
bien. Elle doit être bien belle, cette Princesse-là, pour
que le soleil se fasse si beau quand il passe sur sa maison !
Répondit le roi
Trégont–de-Paris
retourna à son travail, et, pendant quelque temps, ses camarades le
laissèrent en paix. Cependant, ils cherchaient toujours quelque
moyen de se débarrasser de lui. Peu
après, un
d’entre eux alla encore trouver le Roi,, et lui dit :
— Si
vous saviez, Sire, de quoi s’est vanté peu après ?
— De
quoi donc s’est-il vanté encore ?
— De quoi ? De vous
amener ici, dans votre palais, la Princesse au Château d’Or !
—
Vraiment ? Dites-lui de venir me parler sur-le-champ, car je suis
bien désireux de voir cette Princesse-là.
On avertit peu
après qu’il fallait se rendre immédiatement auprès du Roi.
—
Comment ! peu après lui dit le vieux monarque, vous vous êtes
vanté de pouvoir m’amener ici, dans mon palais, la Princesse au
Château d’Or ?
— Moi ? mon Dieu ! Je n’ai jamais rien dit
de semblable, Sire.
— Vous l’avez dit, et il faut que vous
le fassiez, ou il n’y a que la mort pour vous. Partez
immédiatement.
Voilà notre pauvre peu après bien embarrassé
de nouveau.
— Que faire ? se disait-il à lui-même. Si
encore ma bonne jument
blanche venait, comme l’autre fois, à mon secours !
Il
partit, le lendemain matin, de bonne heure. A peine fut-il sorti de
la cour, qu’il vit venir â lui sa jument
blanche, qui parla ainsi :
— Monte vite sur mon dos, et
partons, car nous avons un long voyage à faire.
Trégont–de-Paris
l’embrassa
de joie, puis monta sur son dos, et les voilà partis.
Ils
arrivèrent au bord de la mer. En marchant sur la grève, ils virent
un petit poisson, hors de l’eau, la bouche ouverte et près de
mourir.
— Prends vite ce poisson et remets-le dans l’eau,
dit la jument
blanche.
Trégont–de-Paris
s’empressa d’obéir, et le petit poisson, sortant sa tête de
l’eau, dit :
— Ma bénédiction soit avec toi,
Trégont–de-Paris
s!
Je suis le Roi des poissons, et si jamais tu as besoin de moi ou des
miens, appelle, et j’arriverai aussitôt.
Trégont–de-Paris
entra alors dans une embarcation, traversa le bras de mer et se
trouva devant le château de la Princesse, qui était tout en or. Il
frappa à la porte, et la Princesse elle-même vint ouvrir.
—
Bonjour à toi, Trégont–de-Paris
! lui dit-elle, en le faisant entrer. Tu viens ici me chercher pour
aller avec toi à la cour du Roi de France.
— C’est ma foi
vrai, Princesse.
— J’irai avec toi ; mais, tu vas passer la
nuit ici, et nous partirons demain matin,.
Trégont–de-Paris
s
passa la nuit dans le château, et le lendemain matin, ils partirent.
La Princesse emporta la clé de son château ; mais, en passant la
mer, elle la jeta au fond de l’abîme. Ils retrouvèrent la jument
blanche sur le rivage, ils montèrent tous les deux dessus, et
prirent la route de Paris.
Quand le vieux Roi vit la Princesse
au
Château d’Or, il en fut si transporté de joie et de bonheur,
qu’il faillit en perdre la tête. Tous les jours, c’étaient des
festins et des jeux, à la cour, et il voulait se marier sur-le-champ
avec
la Princesse. Celle-ci lui disait qu’elle ne demandait pas mieux,
mais, à une condition, c’est qu’on lui apporte son Château
d’Or, auprès de celui du Roi, car elle ne voulait pas en habiter
un
autre.
Le
Roi était
bien embarrassé.
Comment apporter à Paris le château de la Princesse ? Était-ce
possible ?
— Bah ! lui dit un de ses courtisans, celui qui
vous a apporté la Princesse vous apportera bien son château
aussi.
Trégont–de-Paris
fut encore averti d’aller trouver le Roi.
— Ah !
Trégont–de-Paris
il faut que
tu ailles me chercher
le Château d’or de la Princesse, et me l’apporter ici, car la
Princesse ne veut pas en habiter d’autre.
— Et comment
voulez-vous, Sire ; que je fasse cela ?
— Tu t’y prendras
comme tu l’entendras, mais, il faut que tu m’apportes ici, ce
château merveilleux, ou il n’y a que la mort pour toi.
Voilà
notre pauvre Trégont–de-Paris
plus embarrassé que jamais.
— Si ma jument
me vient en aide, peut-être me tirerai-je encore d’affaire, se
disait-il à lui-même.
Le
lendemain matin, en sortant de la cour du palais, Trégont–de-Paris
vit encore sa jument
blanche,
qui l’attendait, et il lui raconta
tout.
— Retourne vers le Roi, lui dit-elle, et dis-lui
qu’avant de te mettre en route, il te faut
un cheval chargé d’or et un autre chargé de
viande.
Trégont–de-Paris
demanda au Roi un cheval chargé d’or et un autre chargé de
viande. On les lui donna, et aussitôt il se mit en route avec sa
jument
blanche. Ils arrivèrent sur le rivage de la mer. Trégont–de-Paris
chargea la viande dans un bateau, puis il partit, en laissant sur le
rivage sa jument
et les deux chevaux. Il aborda sans tarder dans une île, où il vit
quatre lions furieux qui se battaient et cherchaient à
s’entre-dévorer, car ils mouraient de faim.
— Ne vous
battez pas de la sorte, mes pauvres bêtes, leur cria-t-il ;
suivez-moi, et je vous donnerai à manger.
Les quatre lions le
suivirent jusqu’au bateau, et là il leur jeta de la viande à
manger, à discrétion.
— Notre bénédiction soit avec toi,
lui dirent alors les quatre lions, quand ils furent bien repus ; nous
allions nous entre-dévorer, si tu n’étais pas arrivé, car la
plus affreuse famine règne dans notre île. Si jamais tu as besoin
de nous, appelle, et nous nous empresserons d’aller à ton
secours.
— Ma foi, mes pauvres bêtes, j’ai grand besoin de
secours, dès à présent.
— Que pouvons-nous faire pour toi
?
— Le Roi de France m’a ordonné de lui apporter à Paris
le château de la Princesse au Château d’Or, et si je ne le fais
pas, il n’y a que la mort pour moi.
— Si ce n’est que
cela, ce sera bientôt fait.
Et les quatre lions coururent au
Château d’Or, le déracinèrent du rocher sur lequel il se
trouvait et le portèrent sur le bateau. Puis, avant de s’en aller,
ils dirent à Trégont–de-Paris
:
— Tu auras certainement
encore
besoin de nous, Trégont–de-Paris,
mais, où
que tu sois, appelle-nous, et nous arriverons.
Le lendemain
matin, quand le Roi ouvrit les yeux, il fut bien étonné de voir
comme sa chambre était éclairée plus que d’ordinaire.
—
Que
se passe t il
? Ditle
roil.
Et
il sauta hors de son lit et mit la tête à la fenêtre.
—
Holà ! s’écria-t-il aussitôt, mais
c’est
le Château d’Or qui est arrivé ! Et il courut à la chambre de la
Princesse, et lui dit :
— Votre château est arrivé,
Princesse ; venez voir.
— C’est vrai, dit la Princesse,
quand elle le vit ; c’est bien lui, je ne puis le nier. Allons le
visiter.
Et ils allèrent pour visiter le Château d’Or, et
toute la cour les suivit.
— Mais, où est la clé ? demanda la
Princesse, en trouvant la porte fermée. Ah ! je me souviens à
présent qu’elle est
tombée de ma
main et est
tombée dans
la mer, quand
je me rendais
ici.
— On fera une autre clé, dit le Roi, et nous pouvons
nous marier, sans attendre.
—
Oh ! il n’y a pas d’ouvrier au monde qui puisse fabriquer une clé
capable d’ouvrir la porte de mon château ; il me faut absolument
mon ancienne clé, e, il ne faut pas me parler de mariage tant
qu’on ne l’a pas retrouvée,
car c’est dans mon château que je veux me marier.
— Mais,
comment faire pour retrouver cette clé, au fond de la mer ?
—
Si Trégont–de-Paris
n’en vient pas à bout, il faut y renoncer, disait tout le
monde.
Trégont–de-Paris
fut encore chargé par le Roi d’aller à la recherche de la clé du
château, et de la rapporter, sous peine de mort.
Sa
fidèle jument
et lui se remirent en route, le lendemain matin. Parvenus au bord de
la mer, la jument lui
dit :
— Te rappelles-tu le petit poisson à qui tu as sauvé
la vie, en le remettant dans l’eau ?
— Je me le rappelle
très bien.
— Eh bien ! tu sais que c’était le Roi des
poissons et qu’il te promit de te venir en aide, quand tu en aurais
besoin. Appelle-le.
Et Trégont–de-Paris
alla au bord de l’eau, et appela le Roi des poissons. Celui-ci
accourut aussitôt, et dit, en sortant sa petite tête hors de l’eau
:
— Qu’y a-t-il pour votre service, Trégont–de-Paris
?
— Il me faut, Sire, la clé du Château d’Or, que la
Princesse a
laissé
tomber au fond de la mer, quand elle passa par ici en se rendant avec
moi à Paris.
— Si ce n’est que cela, ce sera bientôt fait.
Aussitôt, le Roi des poissons appela tous ses sujets, chacun
par son nom, petits et grands, et, à mesure qu’ils passaient, il
leur demandait s’ils n’avaient pas vu la clé du Château d’Or.
Aucun n’avait vu la clé. Tous avaient répondu à l’appel, à
l’exception de la vieille, qui était toujours en retard. Elle
arriva aussi, à la fin, tenant la clé dans la bouche. Le Roi des
poissons la prit, la remit à Trégont–de-Paris,
et celui-ci reprit aussitôt la route de Paris, avec sajument.
—
Désormais
,
dit le Roi, en remettant la clé à la Princesse, vous n’avez plus
de motif de retarder notre union, puisque j’ai réalisé tous vos
désirs.
— C’est vrai, répondit-elle, à présent il faut
faire les noces. Pourtant, il me faut encore une petite chose
auparavant ; cela ne vous sera pas difficile, après tout ce que vous
avez déjà fait pour moi.
— Parlez, Princesse, et vous serez
obéie.
— Vous n’êtes plus jeune, Sire, et, avant de vous
épouser, je voudrais vous voir revenir à l’âge de vingt-cinq
ans.
— Et comment cela pourrait-il se faire ?
— Rien
n’est plus facile ; vous avez fait des choses bien plus difficiles.
Il suffit tout simplement d’avoir de l’eau de mort et de l’eau
de vie.
— Mais où trouver ces eaux-là ?
— Cela vous
regarde ; mais, je ne vous épouserai pas avant de les avoir.
Le
vieux roi fit encore appeler Trégont–de-Paris,
et lui dit qu’il lui fallait, pour dernière épreuve, de l’eau
de mort et de l’eau de vie, et que, s’il ne les lui procurait, il
devait se préparer à mourir.
Le
lendemain matin, Trégont–de-Paris
trouva encore sa jument
qui l’attendait, à la porte de la cour, et il lui dit ce que le
Roi exigeait, comme dernière épreuve.
— Hélas ! dit la
jument,
ce sera notre plus difficile épreuve ; mais, si nous y réussissons,
ce sera fini, et on te laissera enfin en paix. Partons donc, car nous
avons bien du chemin à faire.
Après avoir passé au-dessus
d’un grand nombre de royaumes et de pays différents (car ils
voyageaient toujours par les airs), ils arrivèrent enfin à leur
destination, au milieu d’un bois où jamais aucun
être humain
n’était venu.
—
Voilà là-bas les deux fontaines, au pied de ces grands rochers que
tu vois, dit la jument
à son compagnon. Une seule, goutte par heure, tombe de chaque rocher
dans chaque fontaine.
— Oui, je vois bien les deux fontaines ;
mais, je vois aussi deux lions qui gardent chacune d’elles, et, si
j’approche, sûrement ils me mettront en pièces.
— Appelle
le Roi des lions à ton secours.
Trégont–de-Paris
appela le Roi des lions, et celui-ci arriva aussitôt.
— Qu’y
a-t-il pour ton service, Trégont–de-Paris
? demanda-t-il.
— Le Roi de France m’a envoyé lui quérir
une boouteille
de l’eau de mort et une autre bouteille
de l’eau de vie ; mais, les quatre lions que je vois là-bas,
auprès des fontaines, me mettront sûrement en pièces, si
j’approche.
— Sois sans crainte, je vais dire un mot à ces
camarades.
Le Roi des lions marcha vers les quatre lions qui
gardaient les deux fontaines et leur ordonna de ne pas
faire de mal à Trégont–de-Paris.
Celui-ci emplit tranquillement ses deux bouteilles,
une de chaque fontaine, puis il remercia le Roi des lions et retourna
à Paris, monté sur sa jument
blanche.
Le voyage avait duré trois ans, et si le Roi était
vieux
à son départ, à présent il l’était bien plus encore, et
pourtant il n’en était pas plus sage, et il ne parlait que de se
marier, et ne cessait d’importuner la Princesse.
Quand
il vit revenir Trégont–de-Paris,
avec les deux bouteilles
d’eaux, il se mit à chanter et à danser de joie, comme un
véritable enfant. Il demanda à être rajeuni sur-le-champ, afin de
se marier plus vite.
On le déshabilla, on l’étendit sur le
dos, mais
on versa sur son corps quelques gouttes de l’eau de mort. Il mourut
instantanément. La Princesse au Château d’Or, dit alors :
—
C’est
celui
qui a eu toute la peine doit recevoir aussi la récompense. C’est
Trégont–de-Paris
qui sera mon mari.
On
fit comme elle dit : Trégont–de-Paris
épousa la Princesse au Château d’Or.
Il y eut des fêtes et
des festins magnifiques. Vers la fin du repas, Trégont–de-Paris
dit :
— Je n’ai qu’un regret.
— Lequel donc ?
demanda la Princesse.
— C’est de ne pas voir ici, au milieu
de nous, ma fidèle jument
blanche,
qui m’a conseillé et accompagné, dans toutes mes
épreuves.
Aussitôt, on vit paraître dans la salle, une femme
d’une beauté extraordinaire, bien plus belle que la Princesse au
Château d’Or, qui était pourtant bien belle, et elle prononça
ces paroles :
— C’est moi qui t’ai accompagné,
Trégont–de-Paris,
sous la forme d’une jument
blanche, dans tes épreuves ; j’ai
été,
envoyée pour te protéger. Maintenant
ma mission est finie, sois heureux avec ta femme.
Ayant ainsi parlé, elle disparut, on ne sut comment.