Talwinn et Vivela
et le méchant seigneur
de Coat-Canton
Armanel - conteur
Le vieux château de Coat-Canton. est situé sur une colline qui surplombe l’Aven à un kilomètre au sud de Rosporden,
Autrefois le château de Coat-Canton. était habité par un vieux seigneur avare et acariâtre qui faisait asperger d’eau bouillante les mendiants qui venaient demander la charité et il lançait ses chiens sur les pauvres gens qui osaient venir ramasser un peu de bois mort dans ses futaies. Malgré tout cela, il été choisi pour tuteur de VIVELA une nièce nantie d'un bel héritage et il se mit en tête de l’épouser quand le temps serait venu afin d’accroître encore sa propre fortune.
Mais pour se marier il faut être deux et comme VIVELA refusait obstinément un mariage aussi mal assorti, le vieux seigneur se vengea en l’enfermant à double tour dans une chambre haute qui ne recevait la lumière que par une fenêtre fermée par d’épais barreaux de fer. L'odieux vieux seigneur se disait que cette punition finirait par décider la jeune fille à l'accepter pour mari.
Dans le bourg de La Trinité il y avait un paysan qui avait un fils appelé TALWINN qui avait entendu la triste histoire de la jeune fille et qui jura de tout faire pour la délivrer.
Quand le seigneur partait à Quimper ou à Concarneau, TALWINN venait rôder autour du manoir et campait sous la fenêtre de la prisonnière et essayait d’attirer l’attention de VIVELA .
VIVELA ne tarda guère à remarquer le manège du jeune TALWINN et elle sentit réconfortée en sachant que quelqu’un s’intéressait à son malheur.
Mais VIVELA et TALWINN ne pouvaient s’entretenir de vive voix de crainte de donner l’éveil aux serviteurs du château et ils mirent au point un code par signes pour correspondre. Désormais VIVELA attendait le cœur battant chaque nouvelle de TALWIIN et espérait pouvoir fuir rapidement de la pièce ou elle était prisonnière.
TALWINN cherchait par tous les moyens à pénétrer jusqu'à la chambre de labelle VIVELA. Mais le château était bien gardé car le seigneur se méfiait de tous les visiteurs et les domestiques redoutaient trop leur maître pour aider à l’évasion de la captive. Un jour, le jeune homme entendit dire que le châtelain de Coat-Canton. était mécontent de son barbier et qu’il cherchait quelqu’un qui n’écorcherait pas les boutons qui poussaient partout sur son visage. TALWINN sauta sur l’occasion et acheta tout le matériel nécessaire pour exercer la profession de barbier puis il passa devant le château pour avertir VIVELA de se tenir prête car il tenterait de la faire sortir de sa prison dès le lendemain.
Le lendemain matin TALWINN déguisé en barbier se présenta au portail de Coat-Canton.. Le portier lui demanda son nom:
_« Me ma-unan » (je suis moi-même) lui a répondu TALWINN
.Et le portier a désigné la gouvernante à TALWINN.
Quand la gouvernante lui a demandé qui il était, TALWINN déclara :
_ « Den-ebet » (mon nom est personne)
La gouvernante a montré à TALWINN où trouver le seigneur.
TALWINN se présenta devant le seigneur comme étant le premier commis de maître Jean Siouffre, chirurgien et barbier sur le parvis Saint-Corentin à Quimper.
_ « Parfait ! Voyons ce que tu sais faire, dit le châtelain, mais attention; si tu m’écorches, tu es un homme mort. Mon pistolet, chargé de deux balles est sur la table et tu ne serais pas le premier drôle qu'il aura envoyé au paradis! »
Sans prononcer un seul mot TALWINN savonna vigoureusement le vieux châtelain. Il prenait bien son temps et savonnait consciencieusement parce qu'’il n'avait pas l’intention de’aller jusqu’au bout de l’opération. Il fit mousser le savon en abondance puis il en fourra tant qu'’il put à coups de blaireau dans les yeux et la bouche de M. de Coat-Canton.
Tandis que le châtelain aveuglé et suffoquant se débattait comme un beau diable, TALWINN s’empara du pistolet et se précipita vers la chambre de VIVELA.
La gouvernante lui barrait la roiute et la menaçant de son arme il l’obligea à ouvrir la chambre où VIVELA l'attendait qu’il entraîna au-dehors après avoir donné un vigoureux coup de poing à l’affreuse mégère qui se cramponnait à lui en appelant au secours.
Le portier voulut aussi lui barrer le passage, mais TALWINN l’envoya piquer une tête dans l’eau croupie de la douve.
Deux minutes plus tard, les fugitifs avaient disparu.
Et il était temps car le seigneur qui avait réussi à essuyer la mousse de savon de ses yeux et à cracher celle de sa bouche courait dans tous les sens en constatant la disparition de sa nièce. Quand il réveilla la gouvernante qui était assommée sous la table il lui demanda :
_ « Mais que t’arrive-t-il ? Qui t’a fait cela ? »
— Den-ebet (personne) », répondit la gouvernante, encore étourdie de sa chute, ce qui la fit traiter de vieille idiote par son maître.
Lorsqu’il vit son portier qui se débattait au fond de la douve, il lui posa la même question:
_ « Mais que t’arrive-t-il ? Qui t’a fait cela ? »
_ « Me-ma-unan (moi-même) » répondit le portier et le seigneur se dit que tous ses serviteurs avaient perdu l’esprit.
Alors il sortit son meilleur cheval de l’écurie, le sella, siffla son chien le plus féroce et s’élança sur les traces des deux jeunes gens.
VIVELA avait des parents à Quimper aussi TALWINN avait suivi la vieille voie du Tro Breiz qui file droit entre Cadol et Saint-Cado de Coat an Poudou car là-bas elle pensait qu’elle n’aurait plus rien à craindre de son persécuteur.
Il fallait fuir à tout prix car la terrible colère du châtelain de Coat-Canton et VIVELA marchait courageusement au bras de TALWINN et ils avaient dépassé Locmaria-an-Hent et ses chaumières et voyaient le clocher de Sainte- Anne-de-Guélen quand TALWINN dit :
_« J'entends le galop d’un cheval qui vient vers nous. D’ici un quart d’heure nous serons rejoints. C’est votre oncle qui nous donne la chasse. Il nous faut lui échapper et essayer de lui jouer un bon tour! »
En disant ces mots Ils passaient devant une maison en ruines qu’on avait commencé à réparer et une longue échelle était dressée contre le pignon.
_ « J’ai une idée! », dit TALWINN à VIVELA et il la cacha du mieux qu’il put dans la maison, puis il ôta sa veste, se frotta le visage et les bras avec de la poussière, grimpa sur le toît et se mit à jeter les vieilles ardoises, comme s’il était un couvreur.
Le seigneur de Coatcanton arriva peu de temps après accompagné par son molosse qui s’arrêta devant la maison etcommença à aboyer furieusement après le couvreur, ce qui donna des soupçons à son maître. Après avoir examiné TALWINN d’un œil méfiant, il lui demanda:
— « Dis-moi, Fanch an Toer,(François le couvreur) y a-t-il longtemps que tu travailles sur cette maison ? »
— « Que dites-vous? Je n’entends rien à cause de votre chien. »
— « Je te demande s’il y a longtemps que tu travailles sur ce toit. »
— « Je ne comprends rien. Faites donc taire ce sale cabot! »
— « Paix, Fri-du (museau noir). Tais-toi ! Est-ce qu’il y a longtemps que tu travailles ici »
— « Décidément, je n'entends rien. Je suis un peu sourd, et ce maudit bâtard mène un tel vacarme! Attends un peu, je vais te calmer, vilaine bête ! »
Et TALWINN lança une pierre de la cheminée qui assomma le molosse.
_ «Misérable!, hurla le seigneur hors de lui, tu as tué mon meilleur chien ! Tu me le payeras cher. Mais dis-moi as-tu vu passer un jeune homme et une jeune fille. Ce sont des voleurs et je veux récupérer mon bien.
— « Un jeune homme et une jeune fille ? Cela fait un quart d’heure qu’ils sont passé et je les ai entendus dire :
_ « je crois que c’est gagné, nous avons roulé ce vieil imbécile! »
— « Et par où sont-ils partis! Ont-ils continué tout droit? »
— « Tout droit ? Pas du tout. Ils ont pris ce sentier que vous voyez là, à main gauche comme s’ils voulaient prendre un raccourci à travers champs.
— « Et comment vais-je pouvoir les retrouver puisque tu m'as tué mon chien qui suivait si bien leur piste? Tu es une canaille, tu ne vaux pas mieux qu’eux! »
— « Mille excuses pour tout à l(heure Ce qui est fait est fait. Mais regardez je les vois tous deux là-bas. Ils sont en train de traverser une garenne et ils se dirigent vers le petit bois. Montez donc avec moi et vous les verrez vous aussi. Ainsi vous verrez quelle direction prendre. »
Le seigneur monta à l’échelle et se hissa sur le toit, et regarda, à demi ébloui par le soleil couchant.
_ « Où dis-tu qu'ils sont? Je ne vois rien. »
« — Comment, vous ne les voyez pas? Là-bas tout contre le grand talus planté de genêts. Regardez vite ils vont disparaître. »
Et, tandis que le seigneur de Coat-Canton scrutait en vain la campagne TALWINN se hâta de descendre, d’enlever l’échelle, de faire sortir VIVELA de sa cachette et de grimper tous les deux sur le dos du cheval.
VIVELA fut reçue à bras ouverts par sa famille. TALWINN alla dormir chez un cousin. Le lendemain nos deux amoureux accompagnés d’un oncle de la jeune fille se rendirent chez le procureur du roi pour que VIVELA puisse porter plainte de sa captivité. Pendant que le magistrat l’écoutait, on lui remit une lettre urgente. Il en prit connaissance et dit à VIVELA:
_ « Mademoiselle, j'aurais bien volontiers pourchassé ce mauvais tuteur. Mais désormais il ne relève plus de la justice humaine. Dans cette lettre, le recteur du Petit-Ergué m'’écrit qu’on a ramassé son corps au bord du chemin de Locmaria, devant une maison abandonnée. Il est certainement du toit et il s’est tué dans sa chute. Je pense que cette nouvelle ne vous affligera pas outre mesure.»
Deux mois plus tard, les cloches de Melgven sonnaient pour un grand mariage qui mit tout le pays en fête. Devant le maître-autel de La Trinité, Aotrou Mathurin Rouillé, recteur de Melgven et de Cado, chanoine de Cornouaille, bénissait l’union du paysan avisé et de la riche héritière.
En guise d’ex-voto, la jeune mariée offrit à la chapelle de La Trinité la grille de fer qui avait barricadé la fenêtre de sa prison. On plaça cette grille sur « la chambre du trésor », et elle y est toujours.