TALIESIN
Texte traduit par le conteur Armanel
Tegid
Voel : Tegid Foel (Le Chauve de Tegid) vit au Pays de
Galles sous le règne d’Arthur.
Sa femme s’appelle Ceridwenn,
elle est experte en magie, divination et sorcellerie.
Ils ont un
fils hideux et au comportement odieux, nommé Morvran mais
que l’on surnomme Avangddu ( le Monstre Noir, à cause
de la couleur de sa peau).
Ils ont aussi une fille Creirwy, la
plus belle femme de cette époque.
Le
lac de Tegid s’appelle aujourd’hui: le lac Bala
1 _ Naissance de Taliesin
AUTREFOIS,
vivait à Penllyn un homme de haute lignée, nommé Tegid Voel. Il
vivait au milieu du lac Tegid et sa femme s’appelait Caridwen. Et
c’est là que leur furent donnés un fils nommé Morvran_ fils de
Tegid surnommé Avagddu (l'homme le plus laid du monde), et une fille
nommée Creirwy qui était la jeune fille la plus belle du monde.
Caridwen, la mère, se disait qu'Avagdu ne serai probablement
jamais admis parmi les hommes de naissance noble, en raison de sa
laideur, à moins qu'il possède quelques pouvoirs exceptionnels ou
des connaissances prophétiques.
Cela se passait au
commencement du règne d'Arthur et de la Table ronde.
Donc
Caridwen a décidé, conformément aux enseignement écrits dans les
livres du Fferyllt, de faire bouillir dans un chaudron un breuvage
magique, aux vertus d'Intelligence et de divination, pour Avagddu,
son fils,
afin que ce dernier puisse être accepté dans la haute société
grâce à sa connaissance prophétique concernant l’avenir du
monde.
Caridwen
a mis à bouillir un chaudron. Ce chaudron devrait bouillir pendant
une année et un jour afin de pouvoir produire trois gouttelettes
enchantées renfermant les vertus de l’inspiration (Intelligence et
Divination).
Caridwen
a demandé à Gwion Bach, le fils de Gwreang de Llanfair en
Caereinion, qui vivait dans les Powys, de remuer le chaudron et à
un aveugle nommé Morda d’allumer et de surveiller le feu sous le
chaudron et elle les a avertis qu'ils ne devraient pas s’arrêter
de faire bouillir le chaudron pendant un an et un jour.
Et
elle-même, a ramassé les herbes nécessaires à la création du
breuvage chaque jour aux heures propices selon les directives des
livres d’astronomie. Mais un jour, vers la fin de l'année, alors
que Caridwen sélectionnait des plantes et faisait des incantations,
il est arrivé que trois gouttes de l’élixir se sont échappées
du chaudron et sont tombées sur le doigt de Gwion Bach.
Et comme le liquide avait brûlé son doigt, Gwion Bach a mis celui-ci dans sa bouche. Et à l'instant où il a mis ces gouttes magiques dans sa bouche, il a pu prédire tout qui devait arriver et a su que la première chose qu’il devait faire était de se protéger des ruses de Caridwen, car ses connaissances en magie étaient énormes. Et c’est en proie à une grande panique qu’il s'est enfui vers son propre domaine.
Puis le chaudron se brisa en deux parties, parce que tout l’élixir qu’il contenait, à part les trois gouttes magiques, était toxique ; et c’est ainsi que les chevaux de Gwyddno Garanhir ont été empoisonnés par l'eau de la rivière dans laquelle l’élixir du chaudron a coulé et depuis ce temps la rivière a été appelée: Poison des Chevaux de Gwyddno.
Caridwen
est entrée à ce moment et a vu tout le labeur d’une année
entière perdu. De rage, elle a saisi une bûche de bois et a frappé
Morda l’aveugle sur la tête jusqu'à ce qu'un de ses yeux soit
tombé sur sa joue. Alors Morda a dit,
_
" C’est à tort que vous me défigurez, car je suis innocent.
Ce n’est pas moi la cause de toute cette perte."
_
"Si tu ne mens pas," dit Caridwen, "c'est Gwion Bach
qui m'a volé."
Et Caridwen s’est mise à courir à sa poursuite. Quand Gwion Bach l'a aperçue, il s'est changé en lièvre et s'est enfui. Mais Caridwen s'est changée en lévrier et l'a pourchassé. Alors Gwion Bach a couru vers une rivière et est devenu un poisson. Mais Caridwen a pris la forme d’une loutre et l'a poursuivi sous l'eau, jusqu'à ce qu'il se transformer en oiseau. Caridwen, sous la forme d’un faucon, l'a suivi et ne lui a laissé aucun repos dans le ciel.
Et comme elle était sur le point de plonger sur lui et qu’il pensait sa dernière heure venue, Gwion Bach a aperçu un tas de blé vanné sur le plancher d'une grange et il a plongé parmi le blé et s'est transformé en un des grains. Alors Caridwen s'est transformée en une poule noire à grande crête, s’est dirigée vers le tas de blé et l'a griffé de ses pieds. Elle y a découvert Gwion Bach et l'a avalé.
Et l'histoire dit qu’elle a porté ce grain pendant neuf mois en elle et que quand elle a été délivrée de lui, elle n’a pas trouvé dans son cœur la force de tuer le nouveau-né en raison de sa beauté. Elle l'a, donc, enveloppé dans un sac en cuir et l'a jeté à la mer, à la grâce de Dieu, le vingt-neuvième jour du mois d'avril.
2 _ Jeunesse de Taliesin
A cette époque-là, la pêcherie de Gwyddno était située sur la rive entre Dyvi et Aberystwyth, près de son propre château et chaque premier novembre on en ressortait la valeur de cent livres en saumon. Gwyddno avait un seul fils nommé Elphin, le plus malchanceux de jeunes et le plus indigent. Et cela désolait Gwyddno car il pensait que son fils était né sous une mauvaise étoile. Et suivant l’avis de son conseiller, cette année- là, Gwyddno accorda le profit du vivier à Elphin, afin de conjurer le mauvais sort et pour lui donner quelque chose avec quoi démarrer dans la vie.
Mais
le lendemain quand Elphin est allé chercher sa pêche, il n’y
avait rien dans le vivier. Alors qu’il faisait demi-tour, Elphin a
aperçu un sac en cuir coincé par un poteau à l’entrée du
vivier. Alors, un des gardes du vivier dit à Elphin,
_
"Elphin, vous êtes vraiment maudit ce soir car, voyez-vous,
vous avez détruit les vertus magiques d’un vivier qui rapportait
toujours la valeur de cent livres tous les ans, et ce soir il n'a
rien rapporté sinon ce vieux sac en cuir."
_
"Qui sait ?" Répondit Elphin, "il peut y avoir
là-dedans la valeur de cent livres."
Les
gardes ont pris le sac en cuir qui s'est ouvert et ils ont vu le
front d’un jeune garçon et dirent à Elphin,
_
"Contemplez le front de ce petit garçon et regardez comme il
est blanc »
_
«A cause de delà, nous l’appellerons Taliesin» a dit Elphin.
Et Elphin a soulevé le garçon dans ses bras en pleurant sur sa malchance, puis il l'a placé tristement derrière lui. Ensuite il a mis son cheval à l’amble, au lieu de le faire trotter comme à l’aller, et ainsi il a transporté Taliesin aussi confortablement que ce dernier avait été assis dans le fauteuil la plus confortable du monde.
En remerciement, le garçon a chanté une complainte élogieuse en l'honneur d’Elphin;
"Noble Elphin, cesse de
te lamenter!
Sur son sort personne ne doit pleurer,
Se
désespérer ne mène à rien.
Nul
ne voit celui qui le soutient;
Que ta prière à Cynllo jamais
ne cesse;
Dieu n’oublie pas ses promesses.
Jamais Gwyddno
dans sa pêcherie
N’a été aussi chanceux que toi cette nuit.
Sèche tes joues, noble
Elphin!
Combat la tristesse qui te domine.
Bien que tu
penses n’avoir rien gagné,
Trop de chagrin ne te fera pas
avancer;
Ne doutes pas des miracles du Tout-puissant :
Bien
que je sois petit, je suis très puissant.
De la montagne,de la
mer et des profondes rivières,
Dieu apporte la fortune à ceux
qui lui sont chers.
Elphin homme au grand
cœur
Ton comportement est une erreur;
Tu ne dois pas être
pessimiste :
Crois en Dieu, cesse d’être triste.
Je suis
faible et petit à présent
Sur la plage écumeuse de
l'océan,
Mais
quand grandes
seront tes préoccupations,
Je te serai plus utile que trois
cents saumons.
Elphin aux nobles
manières,
Ne sois pas assommé par ta misère;
Bien
qu'allongé et faible dans ce sac de cuir noir,
Mes paroles sont
chargées d’un grand pouvoir.
Tant
que je continuerai à te protéger
Tu n’auras rien à
redouter;
Mets-toi
sous la protection de la Trinité,
Et personne ne pourra te
ruiner. "
C’était le premier poème que Taliesin a chanté, et ceci afin de consoler Elphin dans son chagrin au sujet de la perte des gains à la pêcherie, et aussi parce que tout le monde considérait que tout était arrivé par sa faute et celle son mauvais œil.
Plus tard Gwyddno Garanhir a demandé à Taliesin qui il était, homme ou esprit. Ce à quoi Taliesin a répondu par les vers suivants :
Pour bien comprendre les vers suivants, il faut se rappeler que Taliésin est né d’un grain de blé (qui était en fait une ré-incarnation de Gwion Bach).
"Au
commencement, j’avais une grande prestance,
A la cour de Caridwen, je
brillais par ma présence;
Quoique peu vu et placidement
reçu,
J'étais grand sur le sol de
cet endroit où j'étais connu.
J'ai été une aide précieuse,
pour une tâche ensorcelée
Dont une loi muette m’a
magiquement libéré
D’une vieille sorcière
souriante. Mais quand elle est irritée
Sa vengeance terrible vous
poursuit pour l’éternité
Je me
suis enfui avec vigueur, comme une grenouille, comme un crapaud,
Je
me suis enfui semblable à une corneille, trouvant à peine le
repos.
Je me suis enfui avec véhémence, je me suis enfui quad
j’étais enchaîné,
Je me suis enfui comme un chevreuil
bondissant dans les fourrés;
Je me suis enfui comme un
louveteau apeuré,
je me suis enfui comme un loup dans un
désert asséché,
Je me suis enfui comme une grive à ailes
tachetées;
Je me suis enfui comme un renard expérimenté
Je
me suis enfui comme un Martin bleu et roux;
Je me suis enfui
comme un écureuil qui se cache partout,
Je me suis enfui comme
les bois d'un cerf blanc
Je me suis enfui comme le fer dans un
feu rayonnant,
Je
me suis enfui comme un fer de lance perforant
Je me suis enfui
comme un taureau féroce combattant,
Je me suis enfui comme un
sanglier au poil dur,
Je
me suis enfui comme un grain blanc de blé pur,
Sur
la jupe d'une feuille de chanvre tissée avec du lin,
Qui
était de la taille d’un jeune poulain,
Et qui a vogué comme
un bateau sur les eaux.
Dans un sac en cuir sombre, j'ai été
jeté
Et sur une mer immense j’ai dérivé
Là, j’ai
été tendrement bercé,
Et le Seigneur m’a rendu ma liberté.
"
Alors Elphin revint à la cour
de Gwyddno son père, accompagné de Taliesin. Et Gwyddno demanda à
Elphin si la pêche avait été bonne au déversoir de la pêcherie.
Ce à quoi Elphin a répondu que ce qu'il avait eu valait mieux que
du poisson.
_ "Et qu’était-ce donc?" a demandé
Gwyddno.
_ . « Un barde », répondit Elphin.
Gwyddno dit
alors :
_« Hélas mon fils, à quoi te servira un barde ?
Et
Taliesin lui-même répondit:
_ "Il lui profitera plus que
ton barrage ne t'a jamais profité."
Gwyddno demanda :
«
Toi le barde, es-tu capable de parler, de dire quelque chose de
sensé ? Toi qui es si petit »
Et Taliesin lui
répondit :
_ « Je suis plus apte à parler que toi à me
questionner »
_ « Laisse-moi juger par moi-même de ce
dont tu es capable »
Alors Tal-iésin s’est mis à
chanter :
« Porté par l'eau, j’ai
parfait mes jugements.
Et je sais qu’en Dieu, il
faut croire vraiment.
Oui, il convient de supplier
Dieu avec sérieux,
Car il nous récompensera dans
les cieux.
Trois fois je suis né, je le
sais, car c’était mon destin.
Et je ne connais personne qui
ne voudrait obtenir
Toutes les sciences du monde
réunies dans mon sein;
Car je sais ce qui est, ce qui
a été, et ce qui arrivera à l'avenir.
Je supplierai mon Seigneur en
le regardant en face
De m’obtenir le salut dans
sa grâce;
Le Fils de Marie a toute ma
confiance, grands pour lui sont mes sentiments,
Car grâce à lui le monde est
soutenu continuellement.
Dieu était présent pour
m'instruire et élever mon raisonnement,
Le vrai Créateur du ciel, qui
me jugera;
Il est juste que les saints le
prient quotidiennement,
Car Dieu, le rédempteur, les
récompensera."
Et aussitôt, Elphin confia le jeune Taliésin à sa femme, qui le soigna tendrement et avec amour. Dès lors, Elphin augmenta ses richesses jour après jour, ainsi que l’amitié et les faveurs du roi.
3 _ Taliesin et Maelgwn
Gwynnedd
Taliesin demeura là,
jusqu'à l'âge de treize ans, quand Elphin fils de Gwyddno alla chez
son oncle, Maelgwn Gwynedd, qui l’avait invité à venir passer
Noël dans le château de Dyganwy, lors d’une fête ouverte à tous
les seigneurs des deux ordres, à la fois spirituels et temporels,
ainsi qu’une vaste et nombreuse armée de chevaliers et d'écuyers.
Et dans cette assemblée
s'élevèrent un discours et une discussion. Et voici ce qui fut
dit.
_
"Y a-t-il de par le monde un roi aussi grand que Maelgwn
Gwynedd, ou quelqu'un à qui le Ciel ait accordé autant de dons
spirituels qu’à lui ? D'abord il a reçu, sa grande taille, la
beauté des traits, et la douceur de l’âme, mais aussi la force,
et en plus de tout cela les pouvoirs de l'esprit ! Et par-dessus
tout, n’oublions pas que le Ciel lui a fait un don qui surpasse
tous les autres ; la beauté, l’intelligence, la grâce, la
sagesse, et la modestie de sa reine. Reine, dont les vertus
surpassent celles de toutes les dames et demoiselles nobles de tout
le royaume. »
Et là-dessus ils se posaient
entre eux des questions supplémentaires :
_ « Qui
a des hommes plus braves que Maelgwn Gwynedd ? »
_
« Qui a des chevaux ou des lévriers plus beaux ou plus
rapides que Maelgwn Gwynedd ? »
_ « Qui
a des bardes plus habiles ou plus sages que Maelgwn Gwynedd ? »
Or,
à cette époque, les bardes étaient en grande faveur auprès des
puissants du royaume ; et personne n'accomplissait cet office parmi
ceux qu'on appelle aujourd'hui hérauts, à moins qu'ils n'aient été
des hommes savants, non seulement experts au service des rois et des
princes, mais instruits et versés dans l’art héraldique, les
armes, les exploits des princes et des rois, dans les débats
concernant les royaumes étrangers, et les choses anciennes de ce
royaume, principalement les annales des premiers nobles. Il fallait
également être capable de s’exprimer dans différentes langues;
latin, français, gallois et anglais. Et avec cela, il fallait être
grand chroniqueur, joueur de flûte à bec, habile à versifier, et
prêt à déclamer des poèmes dans chacune de ces langues.
Et,
il y avait pas moins de vingt-quatre hommes de ce rang, à cette
fête, dans le palais de Maelgwn. Et le plus grand de tous était un
nommé Heinin Vardd
Quand ils eurent tous fini de
louer le roi et égrener ses dons, il advint qu'Elphin parla ainsi.
_" En vérité, seul un roi peut se comparer à un roi et
j’ai bien écouté vos louanges envers Maelgwn Gwynedd; et si
Maelgwn Gwynedd n'était pas roi, j’oserais affirmer que ma femme
est plus vertueuse que n'importe quelle dame du royaume, et que j'ai
un barde qui est plus habile que tous les bardes du roi."
Et
peu de temps après, quelques-uns des nobles présents rapportèrent
à Maelgwn Gwynedd toutes les vantardises d'Elphin, et le roi fut
outragé de son insolence. Aussi, il ordonna de jeter Elphin dans un
cachot, et ce jusqu'à ce que la vérité soit établie sur les
vertus de sa femme et la sagesse de son barde.
Lorsqu'Elphin fut enfermé dans
une tour du château, avec une grosse chaîne autour de ses pieds (on
dit que c'était une chaîne d'argent, parce qu'il était de sang
royal), le roi, ainsi que le raconte l'histoire, envoya son fils Rhun
pour enquêter sur la femme d'Elphin.
Il faut que vous sachiez
que Rhun était l'homme le moins gracieux du monde, et il n'y avait
ni femme ni jeune fille avec qui il avait conversé, qui n’en ai
pas dit du mal.
Tandis que Rhun se dirigeait en hâte vers la
demeure d'Elphin, bien décidé à déshonorer sa femme, Taliesin
raconta à sa maîtresse comment le roi avait mis son maître en
prison, et comment Rhun venait en hâte afin de s'efforcer de
déshonorer sa femme. C'est pourquoi il proposa à sa maîtresse de
revêtir l'une des servantes de sa cuisine avec ses vêtements
personnels. Ce que la noble dame a fait volontiers; puis elle lui
donna les plus belles bagues qu'elle et son mari possédaient afin
qu’elle les porte à ses doigts
4 _ Taliesin et Rhun
C’est sous cette apparence
que Taliesin fit asseoir la servante à table dans la chambre de sa
maîtresse pour le souper. Et il la fit passer pour sa maîtresse, et
la maîtresse pour la servante. Et quand ils furent assis à leur
souper de la manière qui a été dite, Rhun arriva à la demeure
d'Elphin, où il fut reçu avec joie, car tous les serviteurs le
connaissaient parfaitement. Ils l'amenèrent immédiatement dans la
chambre de leur maîtresse, où la servante se leva de table et
l'accueillit avec joie.
Puis elle se
rassit pour souper avec Rhun. Alors Rhun se mit à plaisanter avec la
jeune fille, qui gardait toujours l'apparence de sa maîtresse.
Et
l’histoire raconte que la jeune fille devint si ivre qu'elle
s'endormit ; et l'histoire raconte aussi que c'était une poudre que
Rhun avait mis dans la boisson, qui la fit dormir si profondément
qu'elle ne sentit rien lorsqu'il lui coupa de la main son
auriculaire, sur lequel se trouvait la chevalière d'Elphin, qu'il
avait envoyée à sa femme en gage, peu de temps auparavant.
Puis
Rhun revint vers le roi avec le doigt et l'anneau comme preuve, afin
de montrer qu'il l'avait coupé de sa main, sans qu'elle se réveille
du sommeil causé par son intempérance.
Le roi se réjouit beaucoup de
cette nouvelle qui contredisait les vantardises d’Elphin, et il
envoya chercher ses conseillers, auxquels il raconta toute l'histoire
depuis le début. Puis il fit sortir Elphin de sa prison, et il le
réprimanda pour sa vantardise. Et il parla ainsi à Elphin :
_
« Elphin, il faut que tu saches que ce n'est que folie, pour un
homme, de se fier à la vertu de sa femme quand il n’a pas les yeux
sur elle. Voici la preuve de la l’infidélité de ta femme ;
vois son doigt, avec ta chevalière dessus, qui a été coupé de sa
main la nuit dernière, alors qu'elle dormait du sommeil profond de
l'ivresse. »
Alors parla Elphin ainsi :
_
« Avec ta permission, puissant roi, tu sais bien que je ne peux
pas renier ma bague, car elle est connue de beaucoup. Mais en vérité,
j'affirme avec force que le doigt autour duquel elle est, n'a jamais
appartenu à la main de ma femme. Car, en vérité, il y a trois
choses notables qui s'y rapportent, dont aucune n'a jamais appartenu
à l'un des doigts de ma femme :
La première des trois
est qu'il est certain, avec la permission de Votre Grâce, que où
que se trouve ma femme à l'heure actuelle, qu'elle soit assise,
debout ou couchée, cette bague ne tiendrait pas en place, même sur
son pouce, or vous voyez bien qu'il a été impossible de la retirer
de l'auriculaire de la main d'où elle était coupée ;
La
seconde chose est que mon femme n'a jamais laissé passer un samedi
depuis que je la connais sans se couper les ongles avant d'aller se
coucher, et vous voyez bien que l'ongle de ce petit doigt n'a pas été
coupé depuis un mois.
La troisième est qu’il est évident
que la main d'où est sorti ce doigt pétrissait de la pâte de
seigle avant que le doigt en soit coupé, et je puis assurer votre
bonté que ma femme n'a jamais pétri de pâte de seigle depuis
qu'elle est ma femme."
5 _ Elphin retourne en prison
Alors le roi fut très en colère contre Elphin qui lui avait si vigoureusement résisté, en défendant la fidélité de sa femme ; c'est pourquoi il l'envoya une seconde fois dans sa prison, disant qu'il ne devrait pas en être relâché avant d'avoir prouvé la vérité de sa vantardise, tant sur la sagesse de son barde que sur la vertu de sa femme.
Pendant ce temps, sa femme et le jeune Taliesin (âgé de treize ans) se reposaient dans la demeure d'Elphin. Et Taliesin expliqua à sa maîtresse qu'Elphin était en prison à cause d'eux, mais il lui ordonna de s'en réjouir, car il irait à la cour de Maelgwn pour libérer son maître. Elle lui demanda de quelle manière il le libérerait. Et il lui répondit :
Un grand voyage,
j'effectuerai,
Et à la porte, je me
présenterai.
Dans la grande salle,
j'entrerai.
Et là, ma chanson je
chanterai
Mon discours je déclamerai.
Les bardes royaux, je vaincrai
En présence de leur chef
hébété.
Je les saluerai pour me
moquer,
Par le ridicule, je les
briserai
Et le tendre Elphin, je
libérerai.
Que l’heure de la joute
évince,
En présence du prince,
Tous ces bardes choisis
Pour leur connaissance en
sorcellerie,
Leurs qualités allégoriques
Et leur sagesse Druidique,
Au tribunal des enfants du
créateur,
Certains n’auront pour eux
Que l'utilisation de
stratagèmes tortueux.
Et par des moyens sordides et
trompeurs,
Ils feront appel aux bons
sentiments
Pour faire du tort à
l'innocent,
Les fous, le silence
garderont,
Comme autrefois après la
bataille du mont Badon
Arthur était à la tête de
son armée
Aux longues épées
ensanglantées.
Et grâce aux exploits de ses
hommes, il a soumis
Ses deux grands chefs
ennemis.
Les fous, malheur à eux,
Quand la vengeance s'abattra
sur eux.
Le plus grand des bardes c’est
moi, Taliesin,
Et avec les mots d'un druide
malin,
Je libérerai le tendre Elphin
Des liens du tyran hautain.
Alors viendront les cris
glaçants :
Car un coursier fringuant,
Venant du nord lointain,
Annoncera la fin.
Finie la grâce et finie la
beauté
Maelgwn, lui-même, ne sera
pas épargné :
A cause de sa méchanceté,
Il sera le premier touché.
Et la mort est assurée
A Rhun, et à sa race avec
lui.
Bref sera le cours de sa vie,
Et toutes ses terres seront
dévastées.
Et Maelgwn Gwynedd se verra
assigné
Et un long exil d’éternité !
6 _ Taliesin et Heinin Vardd
Après avoir dit cela,
Taliésin prit congé de sa maîtresse et arriva à la cour de
Maelgwn. Le roi alla s'asseoir en tenue de grand apparat dans la
grande salle pour dîner comme son rang lui permettait, selon la
coutume de cette époque pour les rois et les princes à chaque fête
importante.
Dès que le jeune Taliesin entra dans la salle, il
se plaça dans un coin tranquille, près de l'endroit où les bardes
et les ménestrels avaient l'habitude de venir faire leur service et
leur devoir envers le roi, comme c'est la coutume aux grandes fêtes
où les largesses royales sont proclamées.
Et quand les bardes
et les hérauts vinrent crier les largesses du roi, et proclamer sa
puissance et sa force, au moment où ils passèrent près du coin où
il était accroupi, Taliesin leur fit la moue, et se moqua d’eux en
faisant "Blerwm, blerwm," avec son doigt qui pianotait sur
ses lèvres.
Les bardes ne le remarquèrent pas, mais
s’avancèrent jusqu'à ce qu'ils arrivent devant le roi et se
prosternèrent, comme le voulait l’étiquette de la cour. Mais
quand ils voulurent s’adresser au roi, ils ne purent prononcer un
seul mot, sinon faire "Blerwm, blerwm," avec leurs doigts
sur leurs lèvres, comme l’enfant avait fait sur leur passage.
Voyant cela, le roi s'étonna
et se demanda s’ils s’étaient enivrés en ayant abusé des
liqueurs. C'est pourquoi il ordonna à l'un de ses seigneurs, qui
siégeait au conseil, d'aller vers eux, de leur demander de
rassembler leurs esprits et de bien prendre conscience de l’endroit
où ils se trouvaient et de ce qu'il convenait qu'ils fassent.
Et
ce seigneur l'a fait avec joie. Mais ils n'ont pas cessé leur folie
plus qu'auparavant.
Sur quoi le roi leur envoya le seigneur une
seconde fois, puis une troisième fois, les priant de sortir de la
salle.
A la fin, le roi ordonna à l'un de ses écuyers de
fouetter leur chef qui s’appelait Heinin Vardd. L'écuyer prit un
balai et frappa la tête d’Heinin Vardd qui fut déséquilibré et
tomba sur ses fesses. Alors Heinin Vardd se releva puis s’inclina
devant le roi en lui demandant la permission de prouver que ce qui
s’était passé n'était pas de leur faute, qu’ils ne voulaient
cacher un manque de connaissance, ou un état d’ivresse, mais
qu’ils étaient sous l'influence d'un esprit puissant présent dans
la salle. Heinin a parlé ainsi de cet esprit puissant :
_
"Honneur à vous, mon roi ! Sachez, Votre Grâce, que ce
n'est pas à cause de la boisson que nous sommes privés de la parole
comme des hommes ivres, mais à cause de l'influence d'un esprit qui
siège dans le coin là-bas sous la forme d'un enfant."
Aussitôt le roi ordonna à l'écuyer d'aller chercher l’enfant
; l'écuyer alla au coin où était assis Taliesin, et l'amena devant
le roi, qui lui demanda qui il était et d'où il venait. Et Taliesin
répondit au roi en vers.
"Je suis le premier barde
d'Elphin,
Au pays des étoiles d'été,
j’ai mon origine.
Idno et Heinin m'appelaient
Merddin,
Mais tous les rois
m'appelleront Tal-iésin.
J'étais avec le Seigneur dans
la plus haute sphère,
Et j’ai vu la chute de
Lucifer dans les profondeurs de l'enfer
J'ai porté une bannière
devant Alexandre et son armée;
Le nom de toutes les étoiles
du nord au sud, je le connais
Au sommet de la galaxie,
j’étais sur le trône du créateur ;
J'étais en Canaan quand
Absalon a connu le malheur ;
J'ai transporté l'Esprit
Divin dans la vallée d'Hébron ;
J'étais à la cour de Don
avant la naissance de Gwdion.
J'étais l'instructeur d'Eli
et d'Enoch ;
J'ai reçu des ailes du génie
de la splendide crosse ;
J'ai suis très loquace mais
jamais verbeux;
J’ai assisté à la
crucifixion du Fils miséricordieux ;
J'ai été trois fois enfermé
dans la prison d'Arianrod ;
J'ai dirigé l’érection de
la tour de Nimrod ;
Je suis une merveille dont
l'origine n'est pas connue.
J'étais en Asie, dans
l'arche, avec Noé,
J'ai vu Sodome et Gomorre
s’écrouler;
J'étais en Inde quand Rome a
été élevée,
Et de Troie, j’ai secouru
les rescapés.
J'étais dans la crèche avec
le bébé divin :
J'ai fortifié Moïse par
l'eau du Jourdain;
J'ai été au firmament avec
Marie-Madeleine ;
J'ai obtenu la muse du
chaudron de Caridwen ;
J'étais le barde à la harpe
de Lleon of Lochlin.
J'étais sur la Colline
Blanche, à la cour de Cynvelyn,
Pendant un jour et un an dans
les fers enchaîné.
J'ai eu faim du Fils de la
Vierge immaculée,
J'ai été élevé dans le
pays de la divinité,
Toutes les intelligences, j’ai
maîtrisé,
Je suis capable d'instruire
l'univers entier.
Je vivrai jusqu'au jour du
jugement dernier;
De chair ou de poisson, nul ne
sait de quoi je suis fait.
Pendant neuf mois, j’ai subi
ma peine
Dans le ventre de la sorcière
Caridwen.
A l'origine, j’étais le
petit Gwion,
En résumé ; je suis
Tal-iésin."
Et quand le roi et ses nobles
entendirent la chanson, ils s'étonnèrent beaucoup, car ils
n'avaient jamais entendu une telle chose de la part d'un garçon
aussi jeune que lui. Et quand le roi sut qu'il était le barde
d'Elphin, il ordonna à Heinin, son premier et plus sage barde, de
répondre à Taliesin et de lutter avec lui.
Mais quand Heinin
s’est avancé, il n'a pu faire autre chose que « blerwm » sur ses
lèvres ; Furieux, le roi envoya chercher les vingt-quatre autres
bardes, ils ne purent faire autre chose. Alors Maelgwn a demandé au
garçon quelle était sa mission, et Taliesin a répondu en chanson :
« Bardes stupides, je me suis
avancé
Pour sauver le cher trophée;
Grâce à mon don en
prophéties
Je m'efforce de récupérer
La perte de mon ami;
Puisse ma tentative triompher.
Depuis qu'Elphin endure ses
soucis
Dans la forteresse de Teganwy,
Est-on certain d’avoir sur
lui posé
Assez de chaînes pour
l’entraver ?
La Chair de la forteresse de
Teganwy
Je dois une fois encore la
sauver.
Fortifié par ma muse je suis
puissant ;
Et celui que je cherche, aussi
est puissant.
Aussi, trois cents chansons,
voire plus
Sont combinées dans mon
rondeau.
Et là où je suis, il ne
restera plus
Ni pierre, ni anneau;
Et il ne devrait autour de moi
Aucun barde qui soit impur,
Car Elphin fils de Gwyddno
Est dans le pays d'Artro,
Enfermé derrière treize
verrous,
Pour avoir loué son roi;
Et c’est moi Taliesin,
Des bardes de l'ouest, le
premier,
Qui délivrerai Elphin
De sa chaîne dorée."
* * * *
"Si vous êtes des bardes
de haut rang
Il faut qu’immédiatement,
Vous déclamiez les mystères
Qui attendent les habitants de
la terre.
Il existe une créature
déchaînée,
Que Satan, lui-même, a créé,
Qui a victorieusement surmonté
L’abîme et l’obscurité
Ses mâchoires possèdent des
canines
Aussi grandes que les
montagnes alpines.
La mort ne pourra lui être
donnée
Ni par la main ni par l’épée
On pourrait charger neuf cents
wagons
Avec les poils de sa toison ;
Elle possède un œil au
milieu du front
Froid comme la surface limpide
du glaçon.
Trois sources jaillissent en
torrents
De son cou puissant
Et se jettent en
tourbillonnant
Dans un gouffre au milieu de
l’océan.
C’est là que disparurent
les taureaux
De
Deivrdonwy le béni des eaux.
Et voici le nom des trois
rivières
Du milieu de la mer;
Grâce à la mer enfantée
Par celle appelée Corina,
Le déluge sera régénéré
Pour sauver les océans
asséchés
La seconde, sans nous blesser,
Sur nos épaules va tomber,
Alors que la pluie, à
l'étranger,
Tombera d’un ciel outragé.
Le troisième va réveiller
Les veines de la montagne
vénérée,
Comme un banquet de joie ;
Œuvre du Roi des rois,
Vous êtes des bardes
brouillons.
Avec vos vers alambiqués
Vous ne pouvez pas célébrer
Le royaume des Bretons ;
Et c’est moi Taliesin,
Des bardes de l'ouest, le
premier,
Qui délivrerai Elphin
De sa chaîne dorée."
* * * *
« Taisez-vous donc, bardes
aux rimes dépravées,
Car vous ne savez pas juger
entre mensonge et vérité.
Si vous êtes des bardes
formés à tous les secrets,
Dites à votre roi quel est le
sort qui lui est réservé.
Moi, je suis un devin et un
barde reconnu,
Et je connais chaque route du
pays de votre roi.
Je délivrerai Elphin de la
tour où il est retenu
Et j’annoncerai à votre roi
ce qui lui arrivera.
Une créature étrange viendra
du marais de Rhianedd
Elle punira Maelgwn Gwynedd
pour tous ses torts.
Ses cheveux, ses dents et ses
yeux brilleront comme de l'or,
Et elle amènera la
destruction de Maelgwn Gwynedd."
* * * * *
« Apprenez ici qui
elle est, avant qu’on la juge
La puissante créature d'avant
le déluge,
Sans chair, sans os apparents,
Sans veine, mais aussi sans
sang,
Sans tête, sans pieds ;
Elle ne sera ni plus jeune ni
plus âgée
Qu'au début de
l’humanité;
For
fear of a denial,
There are no rude wants
With creatures.
Mon Dieu! Comme la mer se
déchaînait
Quand la première fois, elle
est arrivée !
Grands sont ses ouragans
maudits
Quand elle vient du midi
Immense est son carnage
Quand elle frappe nos rivages.
Elle erre dans les champs,
dans les forêts,
Sans main et sans pied,
Sans signes de sénilité
Bien qu’elle soit aussi âgée
Que les cinq ères de
l’humanité;
Et plus vieille qu’on puisse
imaginer,
Car innombrables sont ses
années.
Elle est aussi très étendue
Autant que la surface de la
terre;
Elle n'est pas, soudain,
apparue,
Et sa substance n’a jamais
été vue.
Elle provoque le désespoir
Partout où Dieu le tolère.
Elle est partout, sur mer et
sur terre,
Mais personne ne peut la voir.
Son cours est tortueux,
Et ne vient pas quand on le
veut;
Sur terre et sur mer,
Elle est primordiale.
Elle est sans égal,
Elle est à quatre côtés;
Elle n'est pas confinée,
Elle est extraordinaire;
Elle vient des quatre côtés;
Elle ne se laisse pas
conseiller,
Ce n’est certes pas sans
bagages.
Qu’elle a commencé son
voyage
Au-delà de l’autel de
majesté.
Elle est sonore, elle sait se
taire,
Elle est doucereuse,
Elle est forte, Elle est
audacieuse,
Quand elle jette un œil sur
la terre,
Elle est silencieuse, elle
vitupère,
Elle est hurlante,
Elle est la plus bruyante
Sur la face de la terre.
Elle est le bien, Elle est le
mal,
Elle est extrêmement
déloyale.
Elle vit cachée,
Pour ne pas être observée.
Elle est mauvaise, Elle est
gentille ;
Elle est au loin, Elle est
ici;
Elle va tout renverser,
Et ne rien réparer ;
De ses actes, elle ne
souffrira pas,
Car qui les lui reprochera ?
Elle est humide, Elle est
sèche,
Elle apparaît sans cesse,
Au soleil embrasé,
Ou à la lune glacée.
Mais la lune lui est moins
utile,
Car c’est un astre plus
fragile.
Un Être l'a engendré,
Du fond de l’humanité,
Par un souffle démesuré,
Pour nous venger
De Maelgwn Gwynedd,
Le roi malhonnête"
Et pendant qu'il chantait
ainsi ses vers près de la porte, une violente tempête se leva, le
vent était si fort que le roi et tous ses nobles crurent que le
château allait leur tomber sur la tête. Affolé, le roi fit
chercher en hâte Elphin dans son cachot, et le plaça devant
Taliesin. Et il est dit qu'aussitôt Taliésin chanta un poème qui
eut pour effet que les chaînes se détachèrent des pieds d’Elphin.
"J'adore le Suprême,
Seigneur de toute création,
Lui qui soutient les cieux,
Souverain de toutes les nations,
Lui qui a donné l'eau
nourricière à l’humanité,
Lui
qui bénit chaque don qu’il a accordé
Puisse
Maelgwn d'Anglesey être aspergé d'hydromel, lui qui nous obtient
De
simples chardons desséchés, le pur nectar divin.
Puisque
les abeilles collectent mais ne veulent pas consommer,
C’est
nous qui buvons cet 'hydromel universellement apprécié.
La multitude de créatures que
la terre nourrit
Dieu les a créées pour voir
l'homme réjoui.
Certaines sont violentes,
d’autres sont muettes, et l’homme se sait,
Sauvages ou pacifiques, telles
que le Seigneur les a fait;
Mais grâce à elles, l’homme
fabriquera ses vêtements;
Pour un peu de nourriture et
d’eau jusqu’à la fin des temps.
Je supplie le Suprême,
Souverain du pays de la paix,
Que, du bannissement, Elphin
soit libéré
L'homme qui m'a donné vin,
bière et hydromel en abondance,
Ainsi que de grands coursiers
racés, de belle apparence;
Puisse-t-il encore me combler;
et quand la fin viendra,
J’espère que Dieu, dans sa
grande bonté, m’accordera,
Dans son royaume, un repos
bienfaisant qui jamais ne s’arrêtera.
Elphin, chevalier de
l'hydromel, tarde ton trépas !"
7 _ L’exellence des bardes
Ensuite, Taliésin chanta une ode appelée « L’exellence des bardes. »
"Quel était le premier
marcheur
Que le Dieu du ciel créa;
Quel est le beau discours
flatteur
Que Jehova lui prépara;
Que mangeait-il, que buvait-il
Où s’abritait-il;
Quel fut le premier
raisonnement
Sorti de son cerveau naissant;
Que sont devenus ses
vêtements ;
Qu’il portait comme un
déguisement,
Pour se protéger des
éléments,
Au commencement?
Pourquoi la pierre est-elle
résistante
Pourquoi l’épine est elle
piquante ?
Qui est dur comme un silex
taillé;
Qui est, comme la mer, salé;
Qui est doux comme le
miel sucré;
Qui chevauche le vent
déchaîné;
Pourquoi le nez est-il percé ;
Pourquoi une roue peut-elle
rouler
Pourquoi la langue sait-elle
parler
Plutôt qu'un autre membre
animé ?
Si tes bardes sont
compétents, Heinin,
Qu'ils me répondent à moi,
Taliesin."
8 _ La réprimande des bardes
Et après cela, il a chanté l’adresse suivante qui s'appelle "La réprimande des bardes".
Même si tu es un barde
infatué
Qui ne peut maîtriser ses pensées
Je t’en
prie, contrôle toi
Quand tu es à la cour de ton roi.
Saches que tu
baragouines,
Garde le silence, Heinin,
Ne prononce aucun
verset,
Et arrête de te vanter;
Attends au moins que ta
postérité
Soit, un jour, baptisée.
Au nom de l’univers,
Et
au nom du firmament,
Et au nom de la langue de tes pères,
Et
au nom de ta terre.
Avancez, les soi-disant Haut
Bardes,
Avancez, vous les piteux bardes !
Celui que j’honore est
ici-bas,
A Arianrod enchaîné
Et vous, vous ne comprenez
pas.
Le sens des vers par moi prononcés
Et vous ne pouvez
pas clairement juger
Entre mensonge et vérité
Piteux bardes, pauvres
rimailleurs
Pourquoi ne fuyez vous pas ailleurs ?
Le barde
qui voudrait me faire taire,
N’arrivera pas à le faire,
Tant
qu’il ne sera pas qu'il soit recouvert
De pierres et de
terre;
Mais le barde qui m'écoutera,
Dieu, tout, lui
pardonnera. »
9 _ La malédiction des bardes
Puis il a chanté la pièce intitulée "La malédiction des bardes".
"Les faux bardes
persévèrent dans la facilité,
Par leurs chansonnettes
insipides ils sont comblés,
Ils récitent des louanges vaines
et serviles,
Ils profèrent toujours des vers futiles,
Les
âmes pures, ils les ridiculisent ;
Les femmes fidèles, ils les
méprisent ;
Les vierges consacrées à Marie, ils les
détruisent ;
Alors qu'ils passent leur vie dans la vanité,
Par
eux, les êtres innocents sont accablés;
La nuit, on les voit
s'enivrer,
Et ils cuvent pendant la journée ;
Ils ne jurent que par
l’oisiveté ;
Ils détestent les églises sacrées
et
fréquentent les tavernes dévoyées ;
Aux voleurs et aux
parjures ils sont associés;
Ils ne fréquentent les cours que
pour festoyer ;
Ils n’y prononcent que des rimes
insensées ;
Ils louent tout mortel péché
Qui règle
leurs vies dépravées;
Dans chaque village, ville ou
pays, chez eux ils se croient ;
La peur de la mort ne les
effleure pas ;
Ils n’offrent pas le logis, ne font pas
la charité,
Ne pensent qu’à boire et à manger.
Des
psaumes ou des prières,jamais ils n’ont prononcé,
De dîme
ou d'offrandes à Dieu,jamais ils ne se sont acquittés
Dimanches
et jours de fête on ne les voit pas prier ;
Ils ne se plient
pas à ce calendrier.
Les oiseaux doivent voler, les poissons
doivent nager,
Les abeilles récoltent le miel, les vers doivent
ramper,
Chaque chose peine à obtenir à manger,
Seul les
faux bardes,voleurs et paresseux, se contentent de chanter.
Je ne récuse ni les chants ni
les vers rimés:
Dieu nous ont été donnés pour exprimer nos
pensées;
Mais je réprouve celui qui ose en abuser,
Pour
blasphémer Jésus et le dénigrer
10 _ Le chaudron d’or
Taliesin ayant libéré son maître de prison, et défendu l'innocence de sa femme, ayant aussi fait taire les bardes, de sorte qu'aucun d'eux n'osa dire un mot, amena alors la femme d'Elphin devant eux, et montra qu'elle n'avait pas un seul doigt manquant. Elphin était très heureux, Taliesin l’était encore plus.
Puis Taliesin suggéra à
Elphin de parier avec le roi qu'il avait un cheval à la fois
meilleur et plus rapide que les chevaux du roi. Elphin proposa donc
une course à Maelgwn ; le jour, l'heure et le lieu furent
fixés, et ce lieu est désormais appelé Morva Rhiannedd.
Le
roi s’y rendit avec tout son peuple, et vingt-quatre des chevaux
les plus rapides qu'il possédât. Après de longues et âpres
discussions, le parcours a été balisé et les chevaux ont été
placés sur la ligne de départ. Alors Taliesin se présenta avec à
la main vingt-quatre brindilles de houx, qu'il avait noircies au feu,
les donna au jeune homme qui devait monter le cheval d’Elphin de
les mettre dans sa ceinture, en lui ordonnant de laisser tous les
chevaux du roi passer devant lui. Ensuite il devrait rattraper les
chevaux du roi l’un après l'autre. Chaque fois qu’il arriverait
à la hauteur d’un cheval, il devrai prendre une des brindilles et
frapper le cheval sur la croupe, puis laisser tomber cette brindille
à terre; et ensuite de prendre une autre brindille, et de faire de
même à chacun des chevaux, à mesure qu'il les dépasserait,
enjoignant strictement au jeune cavalier de bien repérer l’endroit
où son propre cheval trébucherait, et de jeter sa casquette à cet
endroit précis.
Le jeune cavalier accomplit
toutes ces choses, donnant un coup de baguette à chacun des chevaux
du roi, et jetant son bonnet à l'endroit où son cheval avait
trébuché. Et Taliesin a amené Elphin à cet endroit, après que
son cheval eut remporté la course. Et Taliesin dit à Elphin de
faire venir des ouvriers pour y creuser un trou; et quand ils eurent
creusé le sol assez profondément, ils trouvèrent un grand chaudron
rempli d'or. Et alors Taliesin dit:
_ "Elphin, acceptez
tout cet or comme récompense, pour m'avoir sauvé du barrage et pour
m'avoir élevé depuis tout ce temps."
Et à cet endroit
se dresse un bassin d'eau, qui s'appelle Pwllbair depuis cette
époque.
11 _ Un des quatre piliers du chant
Quelque temps après, le roi fit amener Taliesin devant lui, et il lui demanda de composer un poème concernant la création de l'homme depuis le commencement ; Taliesin a déclamé le poème qui s'appelle maintenant « un des quatre piliers du chant. ».
De ses mains, le
Tout-Puissant,
Dans la vallée d'Hébron,
A créé avec passion,
Le corps parfait de notre père
Adam :
Mais pendant cinq cents ans,
Laissé seul, le pauvre Adam,
Y a misérablement erré
Triste et sans volonté.
Dieu a alors formé,
Dans ce lieu de pureté,
D'une côte, à Adam enlevée,
Eve fascinante de beauté.
Durant sept heures ils ont
gardé
Consciencieusement le verger,
Mais Satan est venu les
tenter,
Avec ses propos rusés.
De là ils ont été chassés,
Frissonnant, et sans abri
Pour gagner leur vie,
Dans ce monde sans pitié.
C’est dans la douleur que
leur sont nés
Des fils et des filles,leurs
enfants
Afin de peupler
La terre
promise en Orient.
Dix fois, dix huit fois,
Eve porta esseulée,
Le fardeau et le poids
De l’humanité.
Et enfin, libérée,
Abel elle a enfanté,
Mais Caïn le désespéré,
Qui son frère a tué.
A Eve et Adam
Une bêche a été donnée
Pour travailler les champs,
Et
leur pain quotidien, gagner.
Le blé pur et blanc, ils
durent semer
En vue des labours d’été,
Afin de nourrir l’humanité,
Jusqu'à la grande fête de la
Nativité.
Une main angélique désignée
Par le Saint Père adoré,
Les graines de culture leur a
apporté
Pour
qu'Eve puisse semer;
Mais elle a, alors, caché
Le dixième du don sacré,
Et tout n'a pas semé
Dans le sillon creusé.
C’est du seigle noir qui a
poussé,
Au lieu du pur grain de blé,
Pour montrer la stupidité
De ce recel mal inspiré.
Pour expier ce vol odieux,
Il a été décidé,
Que les hommes doivent payer
la dîme à Dieu.
Du vin vermeil,
Planté aux jours de soleil,
Et les nuits de nouvelle lune;
Le vin blanc taciturne.
De blé riche en grain
Et de vin rouge de Jaffa
Est fait le corps pur du
Christ
Fils de l'Alpha.
L’hostie
c’est sa chair,
Le vin
son sang versé,
Les paroles de la Trinité
le
révèlent et le vénèrent.
Les livres cachés
De la main d'Emmanuel
A Adam, par Raphaël,
En cadeau ont été donnés
Alors qu’il était devenu
âgé,
Et jusqu’à son menton immergé
Dans l'eau du Jourdain,
Pendant un jeûne soutenu,
Moïse a obtenu
Dans l'eau du Jourdain,
L'aide Magique des trois
bâtons
Pour remplir sa mission.
Salomon a obtenu
Dans la tour de Babel,
Toutes les sciences connues
En terre d'Orient.
Et moi j’ai la connaissance,
Par mes livres bardiques,
De toutes les
sciences
Concernant l'Europe et l'Afrique.
Leurs origines, leurs
développements,
Leurs divers avenirs
autorisés,
Tout cela je le connais,
Jusqu'à leurs achèvements.
Oh! grande sera la douleur,
et extrêmes les malheurs,
Quand se réalisera
La prophétie qui planait sur
Troie!
Un serpent enroulé
Fier et sans merci,
Venant de Germanie
Sur ses ailes dorées
Mettra à terre
L’Écosse et l’Angleterre
Depuis la mer de Scandinavie
Jusqu’à la Severn Sea.
Alors les Britons
Seront prisonniers,
Leur culture sera étouffée
Par celle des Saxon.
Leur Dieu, ils loueront
Leur discours, ils écouteront,
Toutes leurs terres, ils
perdront,
Sauf la sauvage Galles et ses
vallons.
Jusqu'à ce que le changement
vienne,
Après une pénitence ardue ;
Et tout le sang répandu
Lors des deux crimes suprêmes.
Les Britons alors retrouveront
Leur couronne et leurs terres,
Et les troupes étrangères
seront
Repoussées au-delà des mers.
Alors seront révélées,
dit-on,
Quant la paix succédera à la
guerre,
Les prophéties de l'ange
ailé,
À la race des Britons."
Il a ensuite révélé au roi diverses prophéties sur les évènements qui se produiraient dans le monde.