Santig Du
Si vous évoquez le nom de Santig Du dans le Finistère, votre
interlocuteur vous parlera certainement de Jean Discalceat (Jean
le Déchaussé) né à Saint-Vougay vers 1279 et
mort à Quimper en 1349, également connu sous le nom
de Santig Du (le petit saint noir). C’est
un franciscain breton, considéré comme saint par
la tradition populaire. Discalceat n'est pas son nom, mais
un qualificatif qui veut dire « déchaussé » car il
marchait pieds nus. En breton on l'appelle Yann
Divoutou ou Yann Diarc'hen, c’est-à-dire Jean sans
sabots.
Il se consacre totalement aux pauvres de Quimper.
Lorsqu’en 1349, la peste s'installe à Quimper. Il
organise les secours aux malades qu'il soigne sans répit, et
ensevelit les morts. Il contracte lui-même la peste et en meurt
le 15 décembre 1349. Enterré en son couvent quimpérois,
sa tombe devient un lieu de pèlerinage.
Mais il y a un autre
Santig Du,
dont je vais vous raconter la légende.
Il y a très longtemps, un roi de Bretagne a été vaincu parles anglais lors d’une guerre aujourd’hui oubliée.
- Son château fut envahi par les troupes victorieuses qui le mirent à sac. Un des officiers se chargea de récupérer tous les parchemins et écrits qui s’y trouvaient et de les ramener en Angleterre car il n’avait pas le temps de les étudier sur place .
- Ces documents, arrivés en Angleterre, ont été lus et classés selon leurs importances. Il y avait un vieux grimoire, assez épais, qui résistait à toute tentative de traduction jusqu’à ce qu’un savant anglais réussisse à le déchiffrer. Et voici ce qu’il lut :
« Une fois par siècle, dans les Monts d’Arrée de la petite Bretagne, le sommet du mont Roc’h Trevezel s’ouvre pendant un quart d’heure, le jour de la lune de Mars, à Midi. Celui qui sera assez courageux pour pénétrer dans la faille pourra y trouve un trésor inestimable. Mais le trésor ne sera visible que par un jeune garçon qui sera à la veille de ses seize ans, et il ne devra pas traîner car le Roc’h se refermera brusquement à l’issue du quart d’heure. »
Intrigué, mais aussi très intéressé, le savant anglais continua sa lecture et arriva à la conclusion que le Roc’h Trevezel cette année-là justement. Nous étions en février, et il se dit qu’il ne risquait rien à tenter sa chance et qu’il avait le temps nécessaire pour préparer son expédition.
Le savant s’embarqua dans un bateau pour Brest, où il racontait qu’il était venu pour visiter la Bretagne et désirait un compagnon de route jeune et vigoureux pour le seconder. Le savant se rendait dans tous les endroits où les jeunes gens de l’époque aimaient se rencontrer et demandait à tout un chacun sa date de naissance. Trouver quelqu’un qui correspondait exactement à ce qui était écrit dans le grimoire n’était pas chose facile. De plus les brestois commençaient à s’interroger sur ses questions. Mais finalement, il finit par trouver la perle rare; un certain Laurent qui habitait à Recouvrance. C’était le fils d’une pauvre veuve qui vendait quelques légumes sur un étal du marché.
Le savant anglais
sentant la réticence de la mère à voir son fils partir avec un
étranger proposa une somme d’argent que la veuve ne pouvait pas
refuser, tout en lui affirmant que Laurent serait de retour chez elle
avant la fin du mois.
Voici donc nos deux compères partis en route
vers le Roc’h Trevezel. Ils remontèrent l’Elorn jusqu’à
Landerneau puis cheminèrent par La Martyre, Sizun et Commana où ils
attendirent le jour de la lune de mars. Le jour-dit ils montèrent au
sommet tant convoité par notre anglais. Les deux voyageurs prirent
une collation en attendant l’heure de midi. Il faut reconnaître que
l’endroit est propice car du sommet le regard embrasse tout le Léon
de Saint Pôl à Brest.
Une fois reposés, le vieil homme expliqua à
Laurent ce qu’il aurait à faire et qui n’était somme toute pas
très difficile ; il suffisait d’entrer dans la caverne une
fois celle-ci ouverte et de ramasser tout ce qu’il pourrait trouver
en moins d’un quart d’heure. Mais l’anglais, qui craignait un
refus de dernière minute, avait volontairement omis de dire qu’une
fois le délai passé Laurent serait enfermé à jamais. Ce qui fait
que Laurent, tout excité, ne porta pas vraiment attention à tout ce
qu’on lui disait.
Le vent venait du
nord-ouest et à midi les deux hommes entendirent le clocher de
Commana sonner. Au même moment un fracas épouvantable résonna sous
leurs pieds tandis que la terre tremblait et qu’un trou béant
apparaissait. Il ne restait plus qu’à s’y jeter ; Laurent
n’hésita pas une seconde et c’est plein de fierté et de courage
qu’il pénétra dans la grotte.
Au début, ses yeux eurent du mal à
s’habituer à l’obscurité et il ne voyait pas où il mettait les
pieds. Mais petit à petit il s’habitua à la pénombre et,
fouillant la grotte des yeux, il aperçut un tas de pommes sur sa
gauche. Il s’approcha du tas, goûta une pomme, puis deux, puis
trois. Laurent s’aperçut qu’il y avait une autre salle sur sa
droite ; il y pénétra et se trouva face à un tas de poires ;
en goûta une, puis deux, puis trois. Et il se rappela qu’il était
entré pour chercher un trésor ; en regardant bien au fond il
vit une dernière salle au moment où la roche se refermait derrière
lui dans un bruit assourdissant : Le quart d’heure était
terminé, et Laurent se retrouvait enfermé pour les cent prochaines
années au moins.
Mais le plus dépité des deux était certainement l’anglais qui avait dépensé une petite fortune pour monter cette expédition. Il avait beau rager, maudire ces stupides bretons, crier contre l’insouciance de la jeunesse, il ne lui restait qu’à rentrer chez lui les poches vides. Arrivé à Landerneau, il remonta sur son navire, mais ne s’arrêta pas à Recouvrance pour annoncer à la veuve la mort de son fils.
Pendant ce temps, le
pauvre Laurent était seul, enfermé dans une prison d’où il ne
pouvait pas sortir. Il avait beau rager, crier, appeler à l’aide,
il ne changerai rien à son sort. Mais, au moins, il ne mourrait pas
de faim, enfin pas tout de suite ; il avait un grand tas de
pommes et un grand tas de poires, et s’il faisait bien attention,
il pouvait le faire tenir un long moment.
_ « peut-être
que quelqu’un passera et viendra m’aider : » se
disait-il.
Laurent fit durer
les provisions le plus longtemps qu’il put, mais hélas tout a une
fin. Le jeune garçon contemplait sa dernière poire qu’il n’osait
pas manger car après il n’aurait plus rien. Il la regarda
longtemps, la lécha un peu, puis la reposa derrière lui, loin de
ses yeux et s’allongea. Quand il se réveilla la faim le
tenaillait, et Laurent se résolut à croquer dans le dernier fruit ;
en tâtonnant pour le retrouver dans l’obscurité, sa main heurta
un morceau de bois noirci. Laurent tâta ce bout de bois et se dit :
_ « Tiens, on
dirait une statuette. »
Puis il caressa la
statuette et crut reconnaître une forme humaine :
_ « C’est
peut-être la statue d’un saint ! » se dit-il.
Et, alors qu’il
caressait ce qui lui semblait être la tête de la statuette, il
entendit une voix qui disait :
_ « Que
veux-tu ? »
_ « Je veux
sortir d’ici. » répondit Laurent.
Aussitôt il se
retrouva dehors, assis à l’endroit même ou il avait pique-niqué
avec le vieil anglais, aveuglé par la lumière du soleil, mais
tenant toujours la statue du saint dans sa main. Et, comme quand on
te donne le petit doigt tu veux obtenir le bras tout entier, Laurent
lança une deuxième supplique en caressant la tête du saint:
_ « S’il te
plaît, toi qui m’as sorti de cette grotte, ne peux-tu pas me
ramener près de ma mère ? »
Et le voici aussitôt
sur le marché de Recouvrance devant l’étal d’oignons roses de
sa mère. Il salue bien bas sa mère étonnée et rentre chez lui
cacher son « trésor ».
Sa mère, qui croyait avoir vu un
fantôme, ramasse ses oignons et le suit en boitillant. Arrivée à la
maison elle le touche ; le buste, les bras, les cheveux, les
yeux, afin de s’assurer que c’est bien. Puis elle éclate en
sanglots submergée par l’émotion. Quand, enfin, elle se calme
Laurent lui raconte tout ce qui lui est arrivé, ravivant ainsi la
haine de la Vieille femme pour l’ennemi anglais : le Saxon,
comme elle disait..
Laurent la cajole un
peu et lui dit :
_ « Maudit
Saxon en effet. Mais sans le faire exprès il nous a rendu un fier
service : Sans lui je n’aurais pas fait une découverte
fantastique qui vaut cent fois les malheurs que j’ai enduré. »
Et en même temps
qu’il parlait, il s’empara de la statue du saint, lui caressa la
tête et dit :
_ « ö
puissant saint, j’aimerais vivre avec ma mère dans une nouvelle
maison, moins insalubre que celle-ci. »
Aussitôt, la veille
maison se transforma en poussières, et quand toutes les poussières
touchèrent le sol, elles remontèrent dans l’air et se
transformèrent en une nouvelle demeure flambant neuve, avec des
grandes fenêtres à travers lesquelles la mère et le fils pouvaient
admirer la forêt de mâts qui se balançait dans la rade.
_ « Tu vois,
maman, grâce au Saxon et surtout grâce à ce prit saint nous voila
riches. »
La veuve regardait autour d’elle ; son fils - la maison, la maison – son fils … Mais je ne suis pas certain qu’elle arrivait vraiment à réaliser.
_ « Tu n’auras plus besoin de travailler, maman. Et moi, je sui désormais un Monsieur. J’ai décidé de faire venir des professeurs pour me donner une éducation de mon rang ; je veux être aussi instruit que n’importe quel noble de la région. »
Et Laurent, qui avait bon cœur, décida de « faire travailler » le saint pour aider tous ses amis et les gens dans le besoin. Le saint fut rapidement appelé « Santig Du » (Petit saint noir) à cause se taille et de sa couleur. Il suffisait de lui caresser la tête de de faire un vœu, et le tour était joué.
Laurent apprenait
vite et bien et quand il eut dix-huit ans il voulut profiter
pleinement de ses nouveaux savoirs. Il voulait aussi donner à sa
mère une place enviable dans la société. Aussi, se rappelant que
tout avait commencé au Roc’h Trevezel, il caressa une fois de plus
la tête de la statue et demanda :
_ « Cher
saint, je t ‘en prie, construit-moi un château aussi beau que
celui de Roc’h Morvan en face de Roc’h Trevezel. »
Et sans attendre une confirmation quelconque, il fit monter sa mère dans un carrosse et ils se dirigèrent vers leur nouvelle demeure qui avait été construite dans la nuit. Laurent et sa mère y vécurent dans le luxe et la splendeur. Mais ils étaient bons et accueillants et bientôt ce sont eux qui eurent une réputation de sainteté dans la région. Aussi, quand Laurent décida de se marier il n’eut aucune peine à trouver une jeune fille pleine de qualités pour partager sa vie.
Le mariage eut lieu à Plounéour ; un mariage comme il n’y en eut jamais avant, et comme il n’y en eut plus depuis. Les chiffres sont astronomiques : Cinq cent barriques de vin de très grande qualité, cent charrettes de viandes de toutes sortes toutes cuites sur des broches posées à même la tourbe, les meilleurs sonneurs de toute la Bretagne et les lutteurs les plus fameux.
La jeune châtelaine
était une femme vertueuse, généreuse, polie, travailleuse et
courageuse. Son seul défaut (s’il faut appeler cela un défaut)
était qu’elle ne pouvait pas supporter la poussière ou le
désordre ; une place pour chaque chose et chaque chose à sa
place.
Laurent, quand à lui, ne lui avait pas révélé le secret du
Santig Du. Aussi, quand elle découvrit la vieille statuette en bois
noir à moitié pourri au fond d‘une armoire, elle donna l’ordre
de s’en débarrasser et de la remplacer par une autre toute neuve .
Quand elle voulut faire la surprise à Laurent, celui-ci fut bouleversé ; il voulut récupérer immédiatement sa statue. Heureusement le Pilhaouer à qui on l’avait donné était encore au château ; Ce Pilhaouer était en fait un Klasker Bara et après avoir mis la statue dans sa besace il s’était dirigé vers les cuisines pour quémander un peu de lard et de pain.
Laurent fut heureux
de récupérer son bien et le rangea soigneusement dans un endroit
tenu secret. Mais quand, quelques jours plus tard, Laurent voulut lui
demander une faveur, il lui répondit :
_ « Cela fait
maintenant sept ans que je suis à votre service. Je ne vous ai
jamais rien refusé, mais mon pouvoir est épuisé car vous en avez
usé et usé. Je dois reconnaître que c’était le plus souvent
pour faire le bien autour de vous plutôt que pour vous enrichir.
Mais je dois retourner dans mon rocher pour permettre à quelqu’un
d’autre de me découvrir à son tour. Mais je ne peux pas repartir
les mains vides ; je dois reprendre toutes les richesses que
je vous ai donné. Il ne vous restera que vos mérites, les résultats
de vos bonnes actions et tout le bonheur que vous avez semé autour
de vous. Et je sais que quand tout disparaîtra, vous saurez ne pas
pleurer, mais travailler de bon cœur, et vous serez plus heureux
que jamais. »
Le lendemain matin, il ne restait plus trace du château et de son beau domaine. La nature avait repris la place qui était la sienne. Laurent se réveilla dans un penty et travailla la terre sans jamais se plaindre. Il réconforta sa femme et sa mère et ils vécurent heureux. Plus tard plusieurs enfants vinrent égayer le foyer, et jamais on entendit qui que soit se plaindre de son sort.