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SAINT GUIGNER

Armanel - conteur

Martyr Patron de Gwinear, en Cornwall, et de Pluvigner,· en Bretagne



Le nom et la tradition de la paroisse de Pluvigner - diocèse de Vannes – semblent prouver qu'il y avait des échanges (commerciaux et culturels) entre le Pays Vannetais et les Cornouailles Anglaises (Cornwall).

Pluvigner est le Plou (paroisse) de Guigner, et le nom de saint Guigner se retrouve aussi, à Gwinear, paroisse rurale à l'est de la ville de Hayle. dans l'ouest du Cornwall

Le nom de cette paroisse de Gwinear est des plus intéressants car c’est celui d'un saint qui faisait partie d'un groupe de pieux Irlandais dont le souvenir est resté dans toutes les paroisses situées entre Saint-Ives et Porthleven.

La légende de saint Gwinear soulève donc la question de l'influence religieuse de l'Irlande en Cornouailles.

D'autre part, on rencontre également le culte de saint Gwinear en Bretagne, où sa légende a été transplantée en prenant une forme un peu différente.

Enfin la vie de saint Gwinear offre un intérêt particulier car, écrite au Moyen-Age, elle se trouve être (avec la vie de saint Petroc et de celle de saint Ké), la seule vie complète d'un saint de Cornouailles, écrite en Cornique, qui nous soit parvenue.



Saint Fingar (Guigner), Sainte Piala - vierge
et leurs compagnons martyrs en Grande-Bretagne.


Saint Patrice (Patrick), alors qu'il vivait en solitaire en Cornouailles, se livrant à la prière et à la méditation, fut gratifié d'une vision angélique et reçut l'ordre d'aller prêcher l’Évangile en Irlande. Il Obéit.

Apprenant son arrivée, sept rois Irlandais sont venus l'écouter et ont rejeté avec mépris son enseignement. L'un des plus réputés parmi ces rois s'appelait Clito. Son fils Fingar s’est levé et a offert son siège à l’étranger, ce qui a mis Clito en fureur. Il accusait son fils de vouloir abolir le culte des anciens dieux et le força à s’exiler.

Fingar a quitté sa patrie accompagné de nombreux jeunes nobles irlandais et a fait voile vers la petite Bretagne, où ils ont été accueillis par un duc qui leur a octroyé un territoire.


Un jour qu’ils chassaient, les chiens ont lancé un cerf, et Fingar (Gwinear?), en le poursuivant, a distancé ses compagnons. Fingar a tué et dépecé le cerf, puis il a cherché une mare pour laver ses mains et ses vêtements, mais en vain. Désappointé, Fingar a planté sa lance en terre et une fontaine a jailli. En se penchant pour puiser de l’eau, la pensée de Dieu lui est venue, et il a pris la résolution de se vouer complètement à son service. Fingar a laissé là son cheval, et, sans rejoindre ses amis, s’est réfugié dans une grotte, au milieu des rochers, commençant a y vivre en ermite sans autre nourriture que des glands.

Cependant le duc, étonné de sa disparition et pensant que ses compagnons s'étaient débarrassés de lui en lui donnant la mort, a fait mettre ceux-ci au cachot. Ils ont clamé leur innocence et offert de le rechercher.

Une fois retrouvé, Fingar a raconté son aventure au Duc et a dit sa résolution de quitter le monde et de mener une vie solitaire. Et il a demandé qu'on lui fasse don du lieu choisi par lui pour sa retraite et où il s'était déjà construit un petit oratoire. C’est ainsi qu’il a reçu « à perpétuité et sans rente féodale à payer », tout le territoire qu'on lui avait donné, ainsi qu'à ses compagnons, à leur arrivée pour s'établir.


A quelque temps de là; un ange lui a ordonné de rentrer dans sa patrie. L'Irlande s'étant convertie, ses compatriotes l'accueillirent avec joie.

Clito, son père, étant mort, on a demandé à Gwinear de lui succéder sur le trône, mais il a refusé en disant que « du moment qu'il avait mis la main à la charrue, il ne regarderait plus en arrière » (Saint Luc, IX-62)

Guicner ( Gwinear) proposa sa sœur Piala. Mais elle avait fait vœu de se retirer du monde, et proposa qu’un des seigneurs du pays prenne sa place.

Guigner quitta l'Irlande pour la seconde fois, accompagné de 770 hommes et de 7 évêques, tous convertis par saint Patrice. Piala se joignit à eux, et on fit voile.


Hya*, une jeune fille de noble naissance, est accourue pour s'embarquer avec Guigner. Hélas ! Le bateau était déjà loin à l’horizon. Hya s'est agenouillée, en pleurs et elle a vu une petite feuille qui se balançait doucement sur l’eau. Hya a touché la petite feuille à l’aide d'une baguette qu'elle tenait en main, et la feuille s’est transformée en une barque où Hya est montée·et a traversé la mer d'Irlande si rapidement qu'elle est parvenue en Cornouailles avant Guigner et ses compagnons.

Ces derniers débarquèrent où Hya les attendait. Mais le lieu était aride, alors Guigner a frappé le sol de son bâton : Aussitôt une source a jailli et tous ont pu étancher leur soif.

Le repas terminé, ils se sont remis en route jusqu’à une ville nommée Conetconia*. Là, une femme nommée Coruria, a témoigné aux voyageurs une bonté sans pareille. Après avoir dépouillé les toits de ses chaumières de leur paille pour leur donner de quoi se reposer, elle a tué la seule vache qu'elle avait pour pourvoir à leur repas. Après le repas Guigner a fait réunir les ossement et la peau de l'animal, et s’est mis en prière. Sa prière achevée, la vache est revenue à la vie plus belle que jamais. On la fit traire, on but de son lait, et le saint a demandé à Dieu qu'à l'avenir elle donne trois fois plus de lait que les autres vaches.

Le lendemain, en prenant congé de la bonne Coruria, ils s'aperçurent que les toits dépouillés s'étaient recouverts pendant la nuit.



Théodoric*, roi de Cornwall, avait appris que de nombreux chrétiens avaient débarqué dans son royaume. Craignant qu’ils convertissent ses sujets, il marcha avec ses soldats vers le lieu où ils s'étaient retirés. Sans sommation, il les attaqua furieusement par derrière, et tous furent égorgés, décapités, massacrés, mis en pièces. C'est ainsi qu' ils tombèrent tous martyrs du Christ.

Guigner s'était retiré au fond d’une vallée isolée et il échappa au martyre. Là, il avait encore planté en terre son bâton de sureau, et une fontaine miraculeuse avait jailli. (Cette fontaine a été redécouverte à Roseworthy: elle porte le nom de Venton Winear).

Entendant un bruit épouvantable, Guigner s’est rendu à l'endroit du carnage et n'y a découvert que des cadavres mutilés. Désespéré, il s’est retourna vers ceux qui l’avaient suivi dans la vallée isolée:

_ «  Oh mes frères, c'est ici qu'il faut nous arrêter ; c'est ici que Dieu met un terme à nos labeurs et qu'il nous donne le repos. Sacrifions joyeusement nos vies à Celui qui a donné la sienne pour sauver le monde. Ne craignons pas les méchants qui en veulent à notre corps; craignons seulement Celui qui seul peut jeter les corps et les âmes dans les flammes de l'enfer. »

Et, s'adressant au tyran :

_ «  Enfant du Démon, ce sont les œuvres de ton père que tu accomplis. »

_ «  Tu ne m'échapperas pas, et tu vas tomber sous mon glaive. » a crié Théodoric.

Le Saint, voyant son heure venue, planta son bâton à ses côtés et tendit son cou : le tyran le trancha d'un seul coup.

A la stupéfaction générale, Guigner se releva, ramassa sa tête, la prit dans ses mains et se dirigea vers une colline qui se dressait aux environs.


Sur la pente de cette colline il y avait un village où les femmes se querellaient en faisant un tapage infernal.  
En passant, comme punition, le martyr demanda à Dieu qu'en ce village les disputes ne prennent jamais fin ( c'est ainsi que cette terre pourtant riche et fertile, est restée abandonnée et déserte.) Guigner ne voulant pas y rester à cause de ce bruit a repris sa tête et l’a purifiée dans un ruisseau.

Après, il l’a portée jusqu'à un autre endroit séparé de celui dans lequel les saints martyrs avaient souffert par un petit bois. (On montre toujours une source où son sang avait coulé.)

Après le carnage, un soldat avait voulu s'emparer du bâton que le saint avait fixé dans la terre : mais il resta terrifié ; le bâton, était devenu un arbre qui portait deux branches couvertes de feuilles »( selon la Vita : «  Cet arbre existe toujours , sa hauteur est considérable, mais personne n'a jamais pu en déterminer l'essence. » )

Cependant les corps des martyrs étaient demeurés sans sépulture.

Une nuit, Guigner est apparu trois fois en songe a un homme nommé Gur (Gur est le mot cornique qui signifie homme. ), en lui donnant l'ordre de rendre les derniers devoirs à son corps. A son réveil, Gur a tout raconté à sa femme, mais celle-ci lui a conseillé de n'en rien faire, par crainte du tyran Théodoric. Cependant, le lendemain, les chiens de Gur ont lancé un cerf qui s’est réfugié sur « la terre du Martyr » comme s'il cherchait à obtenir la protection du saint. Les chiens se sont couchés aux pieds du cerf. Gur s’est rappelé son rêve et a donné une sépulture à saint Guigner et à ses compagnons martyrs à l'endroit même où ils étaient tombés.


Plus tard, on éleva une basilique sur la tombe de saint Guigner.

Les ouvriers qui y travaillaient se trouvèrent un jour sans vivres, mais le saint apparut à quelques voisins et leur suggéra l'idée d'aller porter aux maçons ce qui leur manquait.

Parmi ces voisins, il y en avait un qui possédait un taureau très dangereux et que le saint réclamait pourtant. Le pauvre homme se demandait comment il se rendrait maître de l'animal. Quelle ne fut pas sa surprise, le lendemain, en voyant le taureau qui l'attendait à sa porte, doux comme un mouton ! Rien ne fut plus facile que de le conduire au chantier, où il a été abattu et a fourni un grand repas.

Ce miracle redoubla le zèle des ouvriers.

L'un d'eux a brisé sa hache en deux en fendant une pièce de charpente. Furieux, il s’est mis à jurer et a déclaré qu'il ne voulait plus travailler. Le contremaître a ramassé les deux morceaux de la hache qui se rejoignirent parfaitement de sorte que l'ouvrier s’est remis au travail avec un zèle décuplé.


On dit que la terre ramassée avec foi et dévotion sur le tombeau de saint Guigner guérit les maladies. Or, on sait qu'en Bretagne, il était d’usage de ramasser la poussière sur les tombes; près des autels, ou devant les statues des saints bretons pour guérir les maux.


L'intérêt que présente cette Vie est d'autant plus grand qu'elle offre un exemple typique des vies anciennes des vieux saints de Cornouailles,qui toutes ont été détruites au moment de la Réforme.

De plus, elle apporte une contribution importante pour étudier le folklore car elle rapporte les traditions qui couraient en Cornouailles sur saint Guigner au moyen-âge. Comme elle abonde en détails très pittoresques et on peu en conclure qu'Anselme (le rapporteur de cette VIE) était un clerc de Cornouailles, tellement amoureux de sa petite patrie qu'il déclare que c'est de Cornouailles que Saint Patrick est parti pour évangéliser l'Irlande, (ce qui est totalement faux).

Et comme Anselme emploie constamment le nom breton (Guigner) pour parler de Gwinear, on pourrait penser qu'il était un Breton venu en Cornouailles pour y faire ses recherches.

Ceci pourrait expliquer les questions qui se posent cette « VIE ».

Le premier écueil est pourquoi dans la première partie, il parle de Fingar, et que dans la seconde, il·parle de Guigner. (Aurait-il mélangé deux légendes ?)

Deuxième écueil : Si Anselme n'était pas né en Cornouailles, il connaissait le pays mais a pu manquer de précision dans la toponymie.

_ Heul doit être Hayle.

_ *  Conecton doit être Conerton, capitale administrative du Hundred de Panwith au Moyen – Age. .
L'oratoire de la vierge solitaire de Hayle a du être bâti sur le rocher, appelée «  Chapel Aanjer Rock », qui se trouve, au milieu des sables à l'embouchure de la rivière de Hayle près de Lelant.
La vierge dont parle. Anselme doit être sainte Anna. Le nom Lelant vient du cornique lann et Anta , qui signifie site de l'église d'Anta.

_ *  Hya est sûrement la sainte patronne de la ville·de Saint Ives, (anciennement Porthia)

_ *  Theodoric serait le tyran Teudar des traditions corniques du Moyen-Age.
ll·apparaît dans le fameux mystère cornique « Beunans Meriasek » comme un païen ennemi de saint Meriadec et cherchant à le massacrer. La « Vita Petroci » nous dit qu'il possédait un étang rempli de serpents et qu'il y jetait les criminels dont il voulait se débarrasser.
Dans la Vie de saint Ké (vie écrite en cornique et traduite en français par Albert Le Grand) Teudar est présenté comme un seigneur « perdu et déterminé», habitant le château de Gudrun (Goodern dans la paroisse de Kea, près de Truro en Cornouailles), voleur des bœufs de saint Ké et brisant une à une les dents du saint pour répondre à ses protestations.

Écrite au XIV° siècle, cette VIE rapporte une tradition tardive d'un événement qui s'est passé près de 1.000 ans auparavant. Elle est pleine de détails forgés par une pieuse imagination, tel le nombre symbolique des 777 compagnons de Guigner, dont 7 évêques.


Voyons maintenant la version bretonne 
de la légende de saint Guigner.


Saint Guigner est le patron de Pluvigner (en 1259 Pleguinner), située à quelques kilomètres au nord d'Auray. Pluvigner dépend du diocèse de Vannes, et le culte du saint y était servi à la Cathédrale, dont une chapelle (actuellement chapelle du Sacré-Cœur) portait son nom.

Albert Le Grand à écrit une courte· « Vie de saint Guiner, ou Eguiner, martyr, le 14° jour de décembre » jour de sa fête en Bretagne. Il dit avoir tiré cette vie des anciens légendaires manuscrits de la Cathédrale de Vannes et de la Collégiale du Folgoet " (Le Folgoët), et identifie notre saint avec le patron de Loc-Eguiner, près du Folgoët.

Il raconte que saint Guiner débarqua en Cornouaille, et en parle comme d’un gentilhomme de la Maison du prince Fingar (qu'il désigne comme maître de Guiner et non Guiner lui-même}.

L'anecdote de la conversion de Fingar par saint Patrice est la même que chez Anselme. Mais on peut remarquer bien des différences entre les deux vies, Par exemple, Albert Le Grand raconte que Clito, furieux de la conduite de son fils, fit savoir à Théodoric, prince de la Cornouaille armoricaine, que son fils avait passé la mer pour l'attaquer les armes à la main; et que Theodoric, « homme cruel, sanguinaire et sans religion", marcha à sa rencontre et le massacra ainsi que Guiner et tous ses compagnons.

Le récit de la mort de Guiner est à peu près le même chez les deux auteurs.

A Pluvigner notre saint est représenté sur une verrière chassant un cerf portant une croix entre ses bois, (confusion avec la légende de saint Hubert ?).

Près de l'entrée du bourg on voit trois fontaines. Les fidèles croient que pris de soif pendant sa chasse, il frappa le sol de sa lance et que trois sources jaillirent, une pour lui, une autre pour son cheval et la troisième pour son chien.


LA VIE DE SAINT GUINER, OU EGUINER, ( Par Albert Le Grand )

Martyr, le 14. jour de Decembre.

SAINT Guiner estoit gentil-homme Hybernois, lequel, estant de la Maison du prince Fingar (fils aisné d'un Roy de l'une des Provinces de ladite Isle, nommé Clyto), fut converty à la Foy, avec son maistre & grand nombre d'autres seigneurs, par la Predication de l'Abbé Princius (1), lequel, par com- mandement exprés du Ciel, à luy notifié par un Ange, avoit passé de la province de Cambrie en la grande Bretagne, dans l'Isle d'Hybernie, pour y prescher l'Evangile.

Le Roy Clyto, qui estoit opiniastrement affectionné à sa fausse Religion, assistant un jour avec d'autres princes, en une assemblée où l'Abbé Princius arriva, s'apperceut que son fils Fingar se leva par honneur, de son siège et le salua, dont il fut extremément troublé; &, l'Assemblée levée, il le tira à part, le reprit rudement d'avoir rendu cét honneur à un insigne imposteur, qui n'estoit venu en ce Pays à autre fin que pour aneantir le Culte des Dieux immortels, & ruïner tout à fait la Religion en laquelle ses ancestres avoient si religieusement vescu & glorieusement regné.

Le prince répondit qu'il s'estonnoit plûtost, que ce saint Personnage preschant la verité, il demeuroit obstiné en son erreur & aveuglement quant à luy, qu'il avoit renoncé au Culte des idoles & receu la Foy de Jesus-Christ, pour la deffense de laquelle il estoit prest de rendre le dernier soûpir.

II.

Le Roy, ayant ouy ces paroles, pensa mourir de regret &, tournant l'amour qu'il luy avoit porté, en haine, il luy dit mille injures, le mit prisonnier en une tour de son château, &, après l'avoir en vain tenté plusieurs fois, le voyant ferme & resolu en sa Religion, il convoqua les grands seigneurs de son royaume, &, en leur presence, fit amener le prince & le desherita, le declarant décheu & privé de toutes ses prétentions â la couronne, dont il saisit & investit son Cadet.

Le prince Fingar, d'un visage gay & content, renonça franchement au sceptre terrien, pour s'asseurer du royaume céleste &, voyant que le Roy son pere se disposoit à le persecuter, & tous ceux de sa maison, qui, à son exemple, avoient receu le Baptesme, il se resolut de suivre le conseil de nostre Seigneur, qui avisoit ses Disciples de fuir de ville en autre, quand on les persecutoit.

Il amassa sa famille en son cabinet & y fit venir aussi plusieurs jeunes seigneurs nouvellement convertis à la Foy, à tous lesquels il proposa que son pere, se disposant à persecuter, à toute outrance, tous ceux de ses sujets qui ne voudroient renoncer à la Foy de JESUS-CRHIST, & embrasser le Culte des idoles, il estoit resolu de ceder au temps & quitter son Pays pour se retirer en quelque province Catholique, où il pourroit servir Dieu en tranquillité; tous furent de son avis, & promirent l'accompagner en la Bretagne Armorique, que tous jugerent propre à leur retraite, comme terre Sainte & amie de Dieu.

III.

Cette resolution prise, ils firent leurs preparatifs & ayans avictuaillé un vaisseau, ils monterent sur mer et cinglerent vers la Bretagne.

Toutefois, ils ne pûrent faire si secretement leur affaire, que le Roy n'en sceust des nouvelles, lequel en fut extrêmément courroucé &, comme il est croyable, en écrivit à Theodoric, prince de Cornoûaille Armorique, és termes que sa rage & sa passion luy pûrent suggerer, luy faisant croire que son fils, le prince Guiner, avec trois cents autres, passoient la mer, pour luy aller faire la guerre, en faveur de son oncle Maxence, qu'il avoit vaincu & contraint de luy rendre ces terres qu'il avoit recouvertes.

Theodoric, homme cruel, sanguinaire & sans Religion, qui estoit dans la mefiance de ses propres sujets, & craignoit qu'ils remuassent quelque chose contre son Estat, prit l'allarme de cette lettre & fit faire garde par toutes les costes maritimes pour attraper cette flotte, laquelle, en peu de temps, aborda à Cornoûaille et y prit terre.

Theodoric en fut incontinent averty, qui, sans autre information, mena son armée vers eux, & ayant aperceu le prince Fingar, avec 200. de ses gens, se rua sur eux, & les tailla en pieces. S. Guiner qui, avec le reste, suivoit de loin, voyant ce massacre, & que l'ennemy venoit à toute bride vers eux, exhorta ses compagnons à endurer patiemment la mort pour l'amour de Jesus-Christ; & voyant venir Theodoric, l'épée sanglante en main, criant « A mort, à mort, ces hypocrites! » il le reprit de sa cruauté; mais, ne gagnant rien, il se mit à genoux, exhortant ses compagnons à la patience, &, s'appuyant sur son baston, tendit le col au tyran, qui d'un coup d'épée, luy enleva la teste & fit massacrer ses compagnons.

Leurs corps furent recueillis par les Chrestiens & honorablement ensevelis, & Dieu manifesta la gloire de saint Guiner par plusieurs miracles qui furent faits à son Tombeau. Il est Patron de la trêve de Loc-Eguiner, Paroisse de Plou-Diri, en Leon (1).

Cette Vie a esté par nous recueillie des anciens Legendaires manuscrits des Eglises

Cathedrales de Vennes et Collegiale du Fol-Coët. Le Proprium Sanctorum de Vennes en fait Office le 14. Decembre, et il y a en la Cathedrale une Chapelle fondée en son honneur.


(1) D'après Dom Lobineau et M. de Kerdanet, il faudrait lire ici le nom du grand saint Patrice singulièrement altéré par Albert Le Grand.