ROZ VRAS
L’ÉCHAPPÉE DES MOINES

Lanmeur

Armanel-conteur

Comme vous le savez certainement, une des activités des moines était la rédaction de documents, et justement Frère Gurvan et frère Hoël étaient enfermés dans le scriptorium s’appliquant à reproduire à la plume d’oie les récits des moines navigateurs qui sont venus fonder leur abbaye au sud de la presqu’île de Rhuys. 

Les travaux d’écriture de ces moines Bénédictins avaient fait leur renommée bien au delà de la Bretagne car ils étaient passés maîtres dans les transcriptions, les enluminures et la connaissance des mondes. Leurs manuscrits et leurs portulans étaient conservés à l’abri de l’humidité maritime au chauffoir, dans des rouleaux de chanvre.

La communauté monastique, d’habitude si feutrée était en pleine ébullition car une grande fête se préparait à l’abbaye : Les plus hautes autorités de la nouvelles règle établie par Saint Benoît y étaient conviées en vue de baptiser le monastère.

Ce jour là une brise tiède poussait les vagues au pied du promontoire et les oiseaux s’égosillaient. Le soleil radieux réchauffait l’atmosphère du scriptorium et les deux moines penchés sur les grimoire, avaient retroussé leur robe de bure et entrouvert leur col afin de travailler plus à l’aise.

- Frère Hoël, dit Gurvan, mon bras est tout ankylosé, et j’ai des cals qui se forment sur mon auriculaire. J’ai besoin d’air, je vais finir par étouffer dans ce grenier...

Le frère Hoël, absorbé par son travail, relève la tête et comprend rapidement la situation: Gurvan n’est qu’un novice dans cette fonction de script. La tâche qui lui est révolue est plus manuelle ; se consacrer à l’entretien et aux essais en mer des canots et Pontos pour la plus grande satisfaction des moines explorateurs à la recherche de nouveaux sites à évangéliser.

Mas le père abbé, avait pour principe de faire alterner travail manuel et activité intellectuelle et venait d’affecter Gurvan au scriptorium.

_ « Les grands espaces, la brise océane, le travail en équipe et surtout la navigation devaient lui manquer cruellement. » Se dit frère Hoël, » et moi je ne serais pas contre une petite détente qui me ferait aussi bien plaisir.Mais pouvons-nous nous autoriser une pause en cette veille de fête alors que les invités ne manqueront pas de visiter ou plutôt d’inspecter le scriptorium? »

Mais la lassitude se lit sur le visage de Frère Gurvan et Frère Hoël doit en tenir compte.

- « Après la cérémonie on pourrait envisager de faire un tour en mer quand tout le monde sera réuni au réfectoire. Je te charge de tout préparer. Si quelqu’un nous questionne nous répondrons que nous faut vérifier l’exactitude de certaines de nos cartes. »


Gurvan n’en espérait pas tant. Il se met aux préparatifs et prévoit plus de provisions que nécessaire: il embarque bien sûr des cartes, mais aussi des vivres, des toiles huilées en cas de coup de vent, et quelques herbes pour soigner les bobos inévitables dans toute navigation.

Le lendemain nos deux moines s’éloignent de l’abbaye dans leur barque sans éveiller l’attention. Frère Gurvan est à la manœuvre tandis que frère Hoël vérifie que l’alerte n’est pas donnée sur terre. Ils savourent déjà cette promenade clandestine, quand tout à coup, le vent se lève et pousse leur embarcation vers le large.

Désemparés, balancés d’un bord à l’autre, effleurant les rochers, secoués et détrempés, nos deux moines se mettent à prier et à chanter des psaumes pour quémander la protection divine.


Nos moines sont restés des heures et des heures ballottés i entre ciel et mer accrochés à leur esquif. Ils avaient évité de justesse un énorme rocher et se signaient quand ils entendent un gémissement qui semblait venir des profondeurs de l’océan et aperçurent une petite créature étonnante qui ne ressemblait pas à un être humain mêlée à l’écume qui leur dit:

-_ « Aidez-moi qui que vous soyez je suis blessé et fatigué et je ne peux plus remuer les bras ».

Frère Hoël le hisse à bord et lui applique un baume que frère Gurvan avait mis à bord de l’embarcation.

_ «  Laisse-moi t’appliquer cette pommade pour soulager le bras meurtri. »

La créature le remercia et lui dit :

-_ « La tempête va bientôt se calmer et vous pourrez vous mettre à l’abri. Je vais vous guider vers une petite crique protégée. »


Les moines n’en reviennent pas. Depuis leur départ tout se chamboule dans leur tête. Pensez ; les voici, eux, deux moines instruits des réalités de ce monde et des promesses de l’au-delà à la merci de cette créature étrange qui prétend les guider Est-ce un cauchemar ou la réalité?

_ « Mais qui es-tu donc, et que fais-tu au milieu des vagues en colère? » demande Gurvan.

_ « Je suis Yannig an Aod, (Petit-Jean de la grève), je suis un Morgan et j’habite près de l’île d’Ouessant. Mais je me suis perdu en venant explorer les grottes marines, puis le vent s’est levé et m’a jeté contre un rocher, coinçant mon bras. Et vous, qui êtes-vous? »

- « Nous nous sommes des moines de la presqu’île de Ruys et nous avons juste voulu faire un petit tour et nous voilà égarés au milieu de l’océan!

_ «  Pas complètement égarés, coupe Yannig an Aod, rassurez-vous. Ici, vous êtes dans l’archipel des Glénans. Des moines y sont déjà venus mais ne sont pas restés car il ne s’entendaient pas avec les korrigans qui y habitent à ce qu’on m’a dit. »

_ « Il serait dangereux de nous attarder dans les parages et il est hors de question de retourner à l’abbaye, coupe Hoël. Nous l’avons quittée sans autorisation. Peut-être vaudrait-il mieux s’installer sur une terre défricher.

_ « Je connais un passage dit Yannig an Aod, un bras de mer abrité des vents d’ouest. L’air y est doux et mes cousins les korrigans y prospèrent. Si vous voulez, je peux vous y conduire pour vous remercier de m’avoir soigné.

Les voilà tous les trois voguant vers un nouvel horizon et une nouvelle vie. Le korrigan se réjouit du voyage et de ses nouveaux compagnons.

Ils débarquent dans l’anse d’une rivière au point de mi-marée, et Yannig an Aod ne pouvant pas mettre le pied sur la terre ferme s’assied sur un rocher.

Nos deux moines explorent les landes les taillis et les fourrés et se fraient un passage vers le plateau boisé. Seules quelques huttes habitées par des pêcheurs se détachent du paysage.

C’est là qu’ils décident de s’installer.


Tous les matins Gurvan part à la pêche. Et tous les matins il embarque Yannig qui l’attend impatient de découvrir le mode de vie des humains. Ils deviennent amis et complices. Yannig s’initie à la pêche et commence à apprécier la soupe de congre, la chair souple des étrilles, celle plus moelleuse des Stoubied (palourdes) et autres Rigadelles (coques).


Les années ont passé, et bien des souvenirs remontent des mémoires de nos deux moines .

Que de changements, de travaux accomplis: défrichage, écobuage, plantations, constructions, apprentissages divers, échanges de bons procédés. Gurvan se plaît à rappeler les bons moments passés en compagnie de Yannig an Aod, qui lui a appris à repérer des coins précis comme la Basse profonde, la Basse de la Jument, la Roche de la fontaine, le Trépied, Kerauden et tant d’autres sites ...

Puis un jour, Yannick an Aod, le Morgan, riche de cette expérience et de l’amitié partagée mais envahi par la nostalgie, est parti rejoindre son peuple près de l’île d’Ouessant.

C’est au passage le plus étroit de la rivière, la Roz-Vras (grande colline), que nos deux moines redevenus simples villageois ont re-baptisé Lanmeur qu’ils ont défriché, parcellisé et cultivé.