POINT-DU-JOUR

 Saint Cast

Armanel - conteur

Il était une fois un veuf qui avait trois enfants : deux filles et un petit garçon ; il aimait bien ses deux filles. Il leur achetait des beaux habits et tout ce qu’il leur plaisait ; mais souvent il frappait son petit garçon qui se nommait Point-du-Jour et parfois il l’envoyait se coucher sans lui donner à souper ; ses sœurs, aussi, étaient méchantes avec lui. Il avait beau faire tout le travail à la maison, il ne recevait que des coups de pied pour récompense.

Un matin Point-du-Jour se dit :

— « Je suis trop malheureux ici, je veux partir chercher des aventures. »

Le voilà parti ; Point-du-Jour marcha toute la journée, et, quand arriva le soir, il se trouvait au milieu d’une grande forêt. Tout à coup un orage terrible éclata, la pluie tombait à torrents, le vent soufflait en tempête, les éclairs ne s’arrêtaient pas ; Point-du-Jour se cacha dans le creux d’un rocher, mourant de peur. Le vent était si violent qu’il déracinait les arbres ; il y a un arbre qui est tombé près de lui, et un nid de fauvettes, qui était construit sur une branche, roula par terre avec les petits qui étaient dedans et n’avaient pas encore de plumes ; le père et la mère fauvettes volaient autour d’eux en poussant de petits cris, et ils essayaient en vain de leur porter secours.

Point-du-Jour eut pitié des oisillons et se dit :

— « Voilà de pauvres petits oisillons qui sont perdus s’ils restent à terre ; leurs parents les abandonneront, et ils seront mangés par les renards. »

Point-du-Jour sortit de son rocher, et, avec un peu de ficelle qu’il avait au fond de sa poche, il refit le nid de son mieux, puis il ramassa les oisillons, les essuya délicatement et les mit tout doucement dans leur nid. Les deux fauvettes étaient si contentes, qu’en signe de joie, elles venaient se frotter contre sa figure comme si elles avaient voulu l’embrasser. Il monta dans un arbre et plaça le nid entre deux branches où il était bien caché.

La maman fauvette lui dit :

— « Mon pauvre petit Point-du-Jour, tu as vraiment bon cœur ; sans toi mes oisillons seraient morts ou auraient été mangés par les renards ; prends une des plumes de ma queue et garde-la, elle te portera chance. »

Point-du-Jour arracha une des plumes de la fauvette, et la rangea soigneusement, puis il se remit en route. Au bout de quelque temps, Point-du-Jour vit un lézard qui était coincé sous une pierre, et qui faisait de gros efforts pour s’en sortir ; auprès de lui un autre lézard allait et venait et essayait aussi de le dégager.

— « Ah ! Pauvre bête, » dit Point-du-Jour, « comme tu dois souffrir ! »

Point-du-Jour ôta la pierre qui écrasait le lézard ; mais celui-ci ne pouvait se traîner, tellement il était épuisé. Point-du-Jour avait une petite bouteille de jus de sureau : il en mit une goutte dans la bouche du lézard qui aussitôt commença à marcher.

— « Au revoir, Point-du-Jour, » lui dit-il, « ton bon cœur sera récompensé. »

Point-du-Jour est repartit à l’aventure ; après avoir marché toute la journée, il monta dans un arbre pour essayer de trouver un endroit pour passer la nuit ; droit devant lui, il vit une lumière qui brillait, et se mit à marcher de ce côté. Il arriva près d’une maison, et frappa à la porte.

—«  Qui est là ? » Lui demanda une voix.

— « C’est un pauvre petit malheureux qui ne sait où coucher ; ma bonne mère, ayez le bon cœur de me loger. » Répondit Point-du-Jour.

Il leva les yeux sur la femme qui était venue lui ouvrir : elle faisait peur à voir, ses yeux étaient de travers, et elle avait des dents longues comme la main.

— « Mon pauvre petit gars, » lui dit-elle,  « ne restes pas ici ; ceux qui sont entrés dans cette maison n’en sont jamais sortis vivants. »

— « Tant pis, » répondit Point-du-Jour, « je ne sais où aller ; autant mourir ici qu’ailleurs. »

La vieille femme fit entrer Point-du-Jour et le cacha sous un lit. Peu après on entendit un grand bruit, c’était l’ogre qui rentrait et qui cria :

— « Je sens la chair fraîche. »

— « Non, » répondit la femme, « c’est une tête de veau qui cuit dans la marmite. »

— « Je sens la chair fraîche, te dis-je ; si tu ne me dis pas ce que c’est, c’est toi que je vais manger. »

— « Eh bien ! » répondit la vieille servante, « j’ai fait entrer un petit garçon qui est venu demander à coucher ; il est mignon comme tout, mais si maigre, si maigre qu’avant de le manger, il faudrait le mettre à engraisser. Il est caché sous le lit. »

L’ogre se baissa et prit Point-du-Jour dans le creux de sa main :

— « Le joli petit oiseau, » dit-il ;  « il a des plumes dorées sur la tête (c’étaient les cheveux blonds de Point-du-Jour). »

Point-du-Jour se mit à crier, car il avait peur.

—«  Comme il chante bien ! » dit l’ogre ;  « j’en ferai tout de même un joli civet. »

Pour mieux l’entendre, l’ogre approcha Point-du-Jour de son oreille ; elle était si grande que Point-du-Jour crut voir la gueule d’un puits.

L’ogre le posa sur un lit, et lui dit :

— « Dors bien, petit oiseau. »

Et pour l’engraisser il ordonna à sa servante de lui donner de la nourriture autant qu’il demanderait.

Point-du-Jour devait être mangé  le huitième jour. Ce matin-là Point-du-Jour était couché, et il pleurait en pensant qu’avant la fin de la journée il allait être dévoré. Un lézard vint lui chatouiller l’oreille et lui dit :

— « Te souviens-tu du jour où tu m’as retiré de dessous la pierre qui m’écrasait ? »

— « Oui, » répondit Point-du-Jour.

— « Eh bien, » dit le lézard ; « si tu fais ce que je te dis, tu seras sauvé : L’ogre va te porter auprès de son puits merveilleux car c’est là qu’il lave ceux qu’il mange après les avoir saignés ; tu y jetteras la plume de l’oiseau, et tu lui diras ; « Avant de mourir, laissez-moi, regarder votre merveilleux puits. » Il y consentira ; tu te laisseras tomber dedans, et, quand tu auras touché le fond, tu pourras t’échapper. »

L’ogre vint prendre Point-du-Jour, et le porta auprès du puits ; alors le petit gars lui cria :

— « Avant de mourir, permettez-moi de regarder votre merveilleux puits. »

— « Tu as raison, Point-du-Jour, » répondit l’ogre ;  « je n’avais pas pensé à te le montrer. Viens voir mon merveilleux puits ; c’est avec son eau que tu seras lavé quand je t’aurai saigné et écorché. »

L’ogre posa Point-du-Jour sur le bord du puits ; mais Point-du-Jour jeta la plume de l’oiseau et se laissa tomber dessus; il voleta dessus, et, quand il toucha le fond, il se trouva dans un monde nouveau, où il y avait de belles prairies, des montagnes et des villages.

L’ogre était en colère ; et il s’écriait :

— « Il faut que j’aie un ennemi qui ait raconté à Point-du-Jour comment s’échapper. Des soixante-dix hommes que j’ai attrapés, c’est le seul qui a réussi à m’échapper. » « C’est toi, qui le lui as dit !» cria-t-il à sa servante, « Je vais te manger à sa place. »

Et il montrait les dents en criant qu’il allait la dévorer ; mais je pense qu’il ne le fit pas, parce qu’elle était trop vieille et trop laide.

Point-du-Jour errait à l’aventure ; il ne savait pas trop où il se trouvait, mais il lui semblait qu’il n’était pas loin de la maison de son père. Il vit venir un lézard qui lui dit :

— « Tu te rappelles que je t’ai délivré de l’ogre parce que tu m’avais tiré de sous la pierre qui m’écrasait ? Prends aussi cette petite boîte ; elle contient des bonbons. Il ne faudra pas l’ouvrir avant d’être chez toi . »

À peine Point-du-Jour s’était remit en route qu’il vit une fauvette qui volait auprès de lui :

— « Te souviens-tu, » lui dit-elle, « du jour où tu as ramassé mes petits qui étaient tombés par terre ? »

— « Oui, » répondit Point-du-Jour.

— « Prends cet œuf que je te donne ; quand tu auras besoin de vêtements, tu n’auras qu’à le casser, tu y trouveras les plus beaux habits que tu aies jamais vu. »

Un peu plus loin Point-du-Jour vit une colombe blanche.

— « Point-du-Jour, » lui dit-elle, « j’ai appris que tu as aidé un lézard et des fauvettes. »

— « Oui, » répondit-il.

— « C’étaient mes cousins ; pour te récompenser, voici un petit talisman ; tout ce que tu lui demanderas te sera accordé. »

Point-du-Jour remercia la colombe et se remit en route. Il arriva à la maison de son père. Quand ses deux sœurs le virent, elles s’écrièrent :

—«  Ah ! Voici ce petit propre à rien qui revient ; il aurait mieux fait de rester où il s’était enfui. »

Elles se mirent à le frapper, et il leur disait :

— « Laissez-moi tranquille, mes sœurs, j’ai faim. »

— « Est-ce que tu n’as pas trouvé à manger dans ton voyage ? » lui répondirent-elles en continuant de le battre.

— « Tenez, » leur dit Point-du-Jour, « voici une petite boîte qu’on m’a donnée ; je vous en fais cadeau, à condition que vous me donnez un morceau de pain et que vous ne me battrez plus. »

Les deux soers ouvrirent la petite boîte ; mais il en sortit de gros crapauds qui sautaient autour des méchantes sœurs et ouvraient la gueule pour les manger.

Elles supplièrent Point-du-Jour de les faire rentrer dans la boîte ; mais, quand ils y furent, elles se mirent à le frapper de plus belle.

— « Coquin, » lui disaient-elles, « c’est toi qui est allé chercher ces vilains crapauds pour nous faire peur. »

— « Tenez, » leur dit-il en montrant l’œuf, « voici un œuf qu’on m’a donné, et qui contient de belles toilettes. Je vous en fais cadeau si voulez être bonnes avec moi. »

Les deux soeurs cassèrent l’œuf ; mais il en sortit un serpent qui s’élança sur les méchantes sœurs pour les dévorer.

Elles supplièrent Point-du-Jour de faire rentrer le serpent dans l’œuf ; mais, dès qu’il y fut, elles voulurent tuer Point-du-Jour.

Point-du-Jour leur dit :

— « Laissez-moi essayer mon talisman. »

Point-du-Jour le mit sur la table, et aussitôt elle fut couverte d’or.

Alors les sœurs se mirent à l’embrasser, et elles lui disaient :

— « Ah ! Mon petit Point-du-Jour, comme tu es gentil ! »

Peu de temps après les deux méchantes sœurs moururent : Point-du-Jour resta seul, et vécut toujours heureux.

Et ni, ni, ni,
Mon conte est fini.



Conté en 1880 par Joseph Macé, de Saint-Cast, mousse, âgé de 13 ans.