Sainte Anne est honorée de longue date en Bretagne : depuis le VI° siècle, mais son culte était tombé dans l'oubli à la suite de la destruction de l'unique chapelle bâtie en l'honneur de la mère de la Sainte Vierge, soit la grand-mère du Christ (en 699) en Armorique. Cette chapelle se trouvait sur un arpent de terre appelé « le Bocenno », près du village de Keranna, dans la paroisse de Pluneret, à quatre kilomètres d'Auray, dans le diocèse de Vannes.


C’était là qu’habitait un paysan appelé Nicolazic. Il s'était servi des pierres de l'oratoire abandonné pour se construire une grange. Et c’est un de ses descendants, Yves Nicolazic ( né le 3 avril 1591) qui, au XVII° siècle découvrit, par hasard dans un de ses champs, la statue miraculeuse de sainte Anne. Et c’est le point de départ d’une aventure extraordinaire qui réveilla dévotion abandonnée depuis près de mille ans. Cette dévotion qui perdure toujours en ce début de XXI° siècle.


D’après ses contemporains, Yves Nicolazic était « un homme de bien, pieux, charitable, de bon sens et qui était l'exemple et l'arbitre de tout le voisinage ».


Dès son enfance, il avait été intrigué par le nom même du village de Keranna, dont dépendait la ferme qu’il habitait. Et il s’était, très tôt, senti attiré par la Mère de la Vierge. Et, en 1623, quand il eut des visions et des apparitions, il se sentit confirmé dans la rectitude de sa dévotion. Sa maison s'illuminait, régulièrement, la nuit, d'une vive lumière provenant d’une chandelle de cire tenue par une main invisible. D'autres fois, quand il rentrait tard chez lui, cette même chandelle allumée l’accompagnait et lui éclairait le chemin sans que la flamme vacille. Un matin, à l’aube, accompagné de son beau-frère, il conduisait ses bœufs à la source et il aperçut une « dame d'un aspect vénérable, habillée d'une robe de toile de fin lin très blanche, environnée d'une si grande clarté que l'on voyait tout le paysage environnant, comme en plein jour », qui venait vers eux.

On a, depuis, bâti une belle fontaine dédiée à sainte Anne sur cette source.


A partir de ce jour, les apparitions se multiplièrent, soit devant la fontaine, soit dans la maison, soit dans la grange. Sainte Anne se présentait toujours « majestueuse et magnifiquement vêtue, un flambeau à la main et donnant l'impression de se tenir sur un nuage ».

Une nuit qu'il dormait dans sa grange, Nicolazic revit l'aïeule et elle lui parla en breton local de ce « pays » :

-Je m’appelle Anne, et je suis la mère de Marie. Va voir ton recteur de ma part et dis-lui que, dans le lopin de terre que vous appelé il y avait autrefois une chapelle qui m'était dédiée. Cela fait neuf cent vingt quatre ans et six mais qu'elle est ruinée. Je désire qu'elle soit rebâtie et je te charge de mener à bien cette mission.

Nicolazic n’avait pas attendu les directives de la sainte pour parler à son recteur des apparitions. Le recteur s’était ouvertement moqué de lui et l’avait traité soit de fou soit de visionnaire. Echaudé par ce premier accueil et par crainte d'être de nouveau envoyé balader par son recteur, Nicolazic n'osa pas aller au presbytère pour rapporter les paroles de la sainte. Alors, a sainte lui apparut de nouveau, le consola, et lui renouvela son commandement en essayant de dissiper ses craintes.

Intimidé, Nicolazic ne put qu’obéir. Mais cette fois-ci, c’est en se confessant qu’i dit tout ce qu’il avait vu et entendu.

Malgré la solennité de la démarche entreprise par Nicolazic, le recteur ne voulut pas plus le croire que les autres fois. Encore une fois, Il Ie soit de mentir, soit de fanfaronner. Il alla jusqu’à lui faire comprendre que les saints ne font pas ce genre de révélations à des gens de sa sorte

La nuit suivante Nicolazic, désespéré, n’arriva pas à fermer les yeux, encore moins à trouver le sommeil. Anne se présenta encore à lui et, le trouvant abattu, elle décida de ranimer son courage, l'avertissant de ne rien craindre et qu'il verrait avant peu les marques de sa protection. Le pauvre laboureur s'enhardit à répondre :

-Bonne maîtresse, comment pourrais-je être cru, quand je dirai qu'il y a eu, autrefois, une chapelle en ce lieu où je n'en ai jamais vu, et où il n'en reste pas de trace ou de vestige ? Et puis, si je vous écoute et que je me décide à reconstruire cette chapelle ou trouverais-je l’argent pour les frais de ce bâtiment ?

La sainte le rassura :

-Ne te pose pas de questions inutiles, lui répondit-elle. Fais seulement ce que je te demande. Tu trouveras ce qu’il faut pour commencer le travail et tu auras, ce qu’il faut pour l'achever, ainsi que bien d'autres choses ce qui étonnera tout le monde.


Sur ces belles paroles qui lui faisaient reprendre confiance, Nicolazic, n'hésita plus et retourna voir son recteur. Ce dernier, apparemment excédé, le reçut plus mal que les autres fois, le menaçant même, s'il continuait à l’enquiquiner avec ses fantasmes dus à son imagination ridicule de lui interdire l'entrée de l'église et l'usage des sacrements et même, s'il venait à mourir, la sépulture dans la terre bénite du cimetière.

Découragé, Nicolazic confia ses tracas à son ami et voisin Lazulit et à au gentilhomme, M. de Kermadiou-Liscoet, qui résidait peu loin de là. Tous les deux lui dirent de passer outre le recteur et d’aller raconter son histoire directement aux capucins d'Auray. Ces derniers, après l’avoir entendu, sans mettre ouvertement sa parole en doute, restèrent sur une prudente réserve diplomatique.


Une fois encore, Anne apparut à Nicolazic afin de le réconforter.

-Ne crains rien, lui répéta-t-elle, tu triompheras bientôt de tes adversaires. Rends-toi dans la parcelle de Bocenno, demain soir. Là, tu verras le sol s'illuminer au milieu du champ. C’est là qu’il faudra creuser la terre. Et là, tu trouveras, enterrée, une statue de moi, qui est celle qui trônait dans la chapelle qui a disparu. Si, malgré cela, personne ne veut t'aider, entreprends toi-même de construire les fondations de la nouvelle église. Rien ne te manquera. Aie confiance. D'ici peu, tu verras venir en ces lieux affluence de monde qui viendra m'honorer.

Mais le lendemain matin, en se levant, la femme de Nicolazic, Guillemette (née Le Roux), vit elle aussi sur la table de la maison, là où son mari l’avait vu plusieurs fois auparavant une main tenant un cierge allumé, douze quarts d'écu, monnaie de France, dont quelques-uns portaient la date 1615 et d'autres de date inconnue, marqués à divers endroits, avec des lettres que personne ne pouvait expliquer.


M. de Kermadiou-Liscoët, mis au courant de ces évènements et intrigué par tout ce qu’on lui raconta, conseilla à Nicolazic de ne pas se rendre seul, le soir, à Bocenno, pour y découvrir la statue de la sainte. Il l'encouragea à montrer d’abord aux capucins d'Auray l'argent que sa femme avait trouvé sur la table. Intrigués par l’apparition de ce trésor, ils interrogèrent Nicolazic pendant plus de deux heures avec tant d’insistance que le pauvre Nicolazic sortit épuisé de l’entrevue. En revenant chez lui, il passa chez M. de Kerloguen, seigneur propriétaire de Bocenno, pour demander l’autorisation de creuser, puis de construire une église. M de Kerloguen, apprenant les projets du laboureur, promit de lui donner l'emplacement nécessaire à la construction de la chapelle, si, toutefois, c'était vraiment la volonté de sainte Anne.


La nuit venue, c'était le 7 mars1625, Anne se présenta encore devant Nicolazic.

-Viens, lui dit-elle, appelle tous tes amis et rends-toi avec eux à Bocenno.

Quelques instants plus tard, Louis Le Roux le beau-frère de Nicolazic, Julien Lazulit son ami, Jean Tangui et François Lucas, Jean Le Bloënnec et d'autres encore, parmi lesquels le seigneur de Bocenno et M. de Kermadiou, marchaient sur la route qui mène à Bocenno.

La chandelle de cire allumée marchait devant eux, leur montrant la route, et ne s'arrêta qu'à l'endroit où la statue était cachée. C'était dans un champ de seigle, déjà tout vert, puisqu'on approchait du printemps. Louis Le Roux, à la demande de Nicolazic, donna dans le sol quatre ou cinq coups de houe. Il sentit bientôt une résistance dans le sol sous son outil. L'un des assistants alla chercher un tison enflammé pour allumer un cierge bénit. A la lueur du cierge, Nicolazic tira du sol une statue de bois, toute boueuse et rongée par l'humidité. Elle mesurait environ trois pieds de haut. Bien que ses traits fussent grossiers, toutes les personnes présentes reconnurent l'image de sainte Anne. .

Le recteur n'était pas encore convaincu du miracle de l’extraction d la statue. Il dit tout net à Nicolazic, que pour lui, il n'était qu'un simulateur, ou pire un homme envoyé par le démon. Les capucins d'Auray eux-mêmes déclarèrent qu'avant de songer à construire des chapelles neuves, mieux vaudrait réparer celles qui étaient en mauvais état, faute d'entretien.

Or, le lendemain de cette découverte, un fâcheux accident laissa la population locale stupéfaite et inquiète : la grange que l'ancêtre de Nicolazic avait construite avec les pierres de la vieille chapelle fut dévorée par le feu. Malgré tous les efforts déployés, on ne put l’éteindre, et elle diparut dans les flammes. Toutefois, un fait surprenant interrogea toutes les personnes présentes sur le lieu de l’incendie : le feu n’avait pas endommagé les récoltes qui se trouvaient dans la grange.

Dans l’assemblée on entendait fuser toute sorte de suppositions, jusqu’à évoquer une vengeance céleste. Le bruit de ces divers événements se répandit rapidement dans toute la région d'Auray.

Mais cela ne fit pas du bruit que dans la région, la nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre très au loin en Bretagne, la nuit même de la découverte de la statue. Autre chose curieuse, les gens de Pluneret entendirent, pendant plusieurs jours, comme le bruit d'une grande foule de gens qui allait et venait sans que l’on put voir personne. Beaucoup ont supposé que ces visiteurs invisibles étaient des pèlerins défunts, qui, de leur vivant, malgré leur désir, n'avaient pu venir

Se prosterner devant sainte Anne.

Mais trois ou quatre jours après des centaines pèlerins bien vivants ceux-la arrivèrent en affluence à Bocenno. Puis, il y en eut des milliers et des milliers.

Alors, Jean Le Bloênnec, un de ceux qui avaient participé à la découverte de la statue, décida qu’il serait vraiment bête de ne pas organiser quelque chose de mieux autour de cette statue. Il alla chez lui chercher un escabeau pour y déposer la statue bien en évidence et un plat d’étain, pour recueillir les offrandes que les pèlerins, à profusion, jetaient aux pieds de la statue retrouvée. Evidemment cela ne fût pas au goût du recteur qui dépêcha Dom Jean Tominec, son vicaire, avec des directives précises et formelles : Faire arrêter tout de suite ce manège. Le vicaire, obéissant, renversa donc la statue qu'on avait recouverte d’un drap blanc, donna un violent coup de pied à l’escabeau, fit tomber à terre le plat contenant les offrandes, et tança violemment Nicolazic. Puis, dans un prêche enflammé, il défendit aux pèlerins d'ajouter foi a ces impostures et les exhorta à s'en retourner chez eux pratiquer la vraie foi. Il ordonna aussi à ses paroissiens présents de rentrer dans le droit chemin, sous peine d'être excommuniés.

Les pèlerins n’en continuèrent pas moins de venir en foule au Bocenno et d'y apporter des offrandes que Nicolazic ramassa et garda précieusement, mais sans enrichissement personnel ; toutes les sommes récoltées étaient dépensées en matériaux de construction.

La statue de sainte Anne demeura ainsi exposée à l'air jusqu'au 28 juillet 1625.Date à laquelle, les paysans de Keranna lui dressèrent une première cabane couverte de genets afin de l'abriter.

Quelque temps auparavant, le recteur de Pluneret et les capucins d'Auray commencèrent à regarder et analyser tous ces évènements d’un autre œil. Ils se dirent que Nicolazic n'avait pas menti et firent un long rapport à l'évêque de Vannes pour lui demander l’autorisation d’utiliser les offrandes recueillies pour la construction d'une chapelle qui serait dédiée à l'aïeule du Christ

Alors en 1625, l'Evêque de Vannes, demanda à un conseiller au Parlement de Bretagne, son beau-frère ,de mener une enquête dans son manoir de Saint Jean Brévelay. Il interroge Nicolazic. Notre magistrat a l'expérience des instructions civiles par auditions de témoins, et il procède donc avec prudence. Mais le cas n'est pas ordinaire : Nicolazic a vu une pluie d'étoiles tomber sur son champ du Bocenno et sainte Anne lui est apparue pour lui faire retrouver une statue millénaire, et construire une chapelle.
L'évêque et le conseiller au Parlement sont finalement convaincus de la véracité du récit de Nicolazic. Il est d'ailleurs confirmé par des témoins dans ses parties essentielles, et la statue annoncée a été retrouvée. Tous les éléments de l'enquête préalable que l'évêque avait fait effectuer concordent avec les déclarations du voyant.
Alors, estimant les faits établis, Mgr de Rosmadec ordonne une seconde enquête sur les aspects théologiques et spirituels des apparitions de sainte Anne, et sur la personnalité de Nicolazic. Cette seconde enquête, confiée aux Pères Capucins, est également favorable, et l'évêque autorise pour le 26 juillet 1625, la première messe du pèlerinage. Une foule immense, évaluée à 100.00 personnes, y participe.

: Cette chapelle fut inaugurée le 4 juillet 1628, jour de la fête de sainte Anne et ce fut le recteur de Pluneret en personne qui y célébra la messe. En 1633 les capucins décidèrent de construire autour d'elle un grand monastère dont certaines parties existent encore. En 1639, louis XIII, roi de France, leur fit don d'une relique très réputée de sainte Anne. Elle fut amenée processionnellement depuis Auray, et c’est Nicolazic qui marchait en tête de la procession en portant une bannière.

Nicolazic mourut, le 12 mai 1645, à l'âge de soixante-trois ans, Sur son lit de mort, il confirma que tout ce qu'il avait dit était vrai et il expira après avoir baisé une dernière fois les pieds de la statue qu'il avait découverte.. On l'enterra au lieu même où il l'avait déterrée


Le pèlerinage de sainte Anne d’Auray est devenu l'un des plus important de Bretagne. On s'y rendait de tous les coins du monde entier jusqu’à la Révolution française qui désaffecta la chapelle et la vendit. Le culte de Sainte Anne fut, bien évidemment, défendu par les autorités révolutionnaires, mais se poursuivit clandestinement. La statue miraculeuse avait été dérobée et cachée à Auray pour éviter sa destruction pendant la Terreur. On a bien plus tard finit par la découvrir brisée et brûlée. Mais un morceau de la figure échappa à la destruction. On le voit encore dans le piédestal de la nouvelle statue.


L'église, saccagée en 1794, fut miraculeusement préservée pendant cette période révolutionnaire, fut rachetée à l'époque du Concordat et recommença à revoir la foule des pèlerins en 1802. La basilique actuelle, de plus vastes proportions a été reconstruite de 1866 à 1877.


Mais qui est Sainte Anne ?

Sainte Anne est l'épouse de saint Joachim, mère de la sainte Vierge Marie, aïeule de Jésus le Christ. C’est une juive ayant vécu à Séphoris près de Nazareth en Galilée puis à Jérusalem en Judée.

La Bible ne nous apprend rien sur les parents de la Vierge Marie. Le plus ancien document qui en parle est le «Protévangile de Jacques» apocryphe qui nous transmet une tradition judéenne remontant à la première moitié du second siècle.


Le culte de sainte Anne  a grandi en Orient d'abord, dans le rayonnement de celui de la Vierge Marie, spécialement dans le mystère de sa Conception Immaculée, de sa Nativité et de sa présentation au Temple.

Le  26 juillet marque l'anniversaire de la dédicace d'une basilique à Constantinople élevée en l'honneur de sainte Anne  au VIème siècle. Les Franciscains l'ont inscrite à leur calendrier le 26 juillet 1263.

A travers le monde, sainte Anne est vénérée et priée dans un nombre important de lieux de culte, basiliques, églises et chapelles. Entre autres à Rome, dans l'église paroissiale Sainte-Anne du Vatican, à Jérusalem, dans  la basilique Sainte-Anne de Beaupré au Québec, au Congo, dans l'église Sainte-Anne de Brazzaville, en Asie, en Birmanie et à Ceylan.

En France, le premier sanctuaire dédié à sainte Anne fut l'ancienne cathédrale d'Apt en Vaucluse, au 11ème siècle.

En Bretagne, le culte de sainte Anne, et notoirement en ce pays d'Auray, est lié historiquement à la première évangélisation de l'Armorique, aux 7ème et 8ème siècles. Selon certaines hypothèses, "Ana" était le nom d'une divinité celtique vénérée auparavant dans ces régions, ce qui aurait, semble-t-il favorisé l'extension du culte de la Mère de Marie.

Quand on parle du village de Saint Anne, on parle d'un ancien hameau d'une quarantaine d'habitations situé dans la paroisse de Pluneret qui portait le nom de Ker Anna, et qui en breton signifie village d'Anne. Une tradition orale, diffusée par les fidèles chrétiens de cette région, voulait que Ker Anna fût appelé ainsi en référence à sainte Anne mais cette toponymie résulte d'un syncrétisme entre le vieux fond païen de la déesse Dana et le culte des saints chrétiens.

Le diocèse de Vannes fête Sainte Anne au moins depuis le début du 15ème siècle. Le Pape Grégoire XIII a étendu cette fête à toute l'Eglise latine en 1584.

Sainte Anne est donc devenue patronne de la Bretagne. Presque toutes les églises bretonnes ont leurs statues de sainte Anne et bon nombre de chapelles, de villages et de lieux-dits sont placés sous son vocable. Les Bretons, au fil des siècles, ont instaurés de nombreux pardons (pèlerinages) dont le plus important est celui de Sainte-Anne d'Auray.