Morganed et Morganezed
Ouessant
Armanel - conteur
Morganed est le pluriel masculin de Morgan ;
Morganezed est le pluriel féminin de Morganès, en français Morgane.
« Les Morganed et Morganezed, étaient autrefois très communs à Ouessant ; aujourd’hui, on les voit encore quelquefois, mais rarement ; on les a trop souvent trompés.
On les remarquait, surtout au clair de la lune, jouant et folâtrant sur le sable fin et les goémons du rivage et peignant leurs cheveux blonds avec des peignes d’or et d’ivoire. Le jour, ils faisaient sécher au soleil, sur de beaux linceuls blancs, des trésors de toute sorte : or, perles fines, pierres précieuses et de riches tissus de soie.
On jouissait de leur vue, tout le temps qu’on restait sans battre les paupières, mais, au premier battement, tout disparaissait, comme par enchantement, Morganed et trésors.
Les Morganed et Morganezed sont de petits hommes et de petites femmes, aux joues roses, aux cheveux blonds et bouclés, aux grands yeux bleus et brillants ; ils sont gentils comme des anges. Malheureusement, ils n’ont pas reçu le baptême, et, pour cette raison, ils ne peuvent aller au ciel, ce qui est bien dommage, tant ils sont gentils et ont l’air bons !
Voici deux "preuves" de leur existence.
« J’ai entendu dire que la Sainte-Vierge étant un jour seule à la maison et ayant besoin de s’ absenter un moment, pour aller puiser de l’eau, se trouvait fort embarrassée, car elle ne voulait pas laisser seul son enfant nouveau-né, qui dormait dans son berceau.
— Comment faire ?... La fontaine est un peu loin et je ne puis laisser mon enfant seul... se disait-elle, assez haut.
« A ce moment, elle entendit une voix claire et fraîche comme une voix d’enfant, qui disait :
— Je vous le garderai bien, moi, si vous voulez me le confier.
« Elle s'est retournée et a vu, au seuil de la porte, un petit homme souriant et si gentil, qu’elle est restée quelque temps à le considérer, saisie d’étonnement et d’admiration. Elle n’hésita pas à lui confier la garde de son enfant, et est allée puiser de l’eau à la fontaine.
A son retour, pour récompenser le fidèle gardien, elle lui a dit de faire une demande, et elle la lui accorderait.
— Génet ha Morgéned (de la beauté et des petits Morgans), a répondu le petit homme.
« C’est pourquoi les Morgans sont si jolis et étaient si nombreux, au temps jadis. Mais, il aurait mieux fait de demander le baptême, car alors, lui et les siens seraient allés au ciel avec les anges, auxquels ils ressemblent si bien. »
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« Deux jeunes filles de notre île, cherchant un jour des coquillages, au bord de la mer, ont aperçu une Morganès qui séchait ses trésors au soleil, étalés sur deux belles nappes blanches. Les deux curieuses, se baissant et se glissant tout doucement derrière les rochers, sont arrivèrées jusqu’à elle, sans en être aperçues. La Morganès, surprise et voyant que les jeunes filles étaient gentilles et paraissaient être douces et sages, au lieu de se jeter à l’eau, en emportant ses trésors, a replié ses deux nappes sur toutes les belles choses qui étaient dessus et leur en a donné à chacune une, en leur recommandant de ne regarder ce qu’il y avait dedans que lorsqu’elles seraient rendues à la maison, devant leurs parents.
Nos deux jeunes Ouessantines ont couru vers leurs demeures, portant leur précieux fardeau sur l’épaule. Mais, l’une d’elles, impatiente de contempler et de toucher de ses mains les diamants et les belles parures qu’elle croyait tenir pour tout de bon, ne put résister à la tentation. Elle a déposé sa nappe sur le gazon, quand elle était à quelque distance de sa compagne, qui allait dans une autre direction, l'a dépliée avec émotion, le cœur tout palpitant, et... n’y trouva que du crottin de cheval. Elle en a pleuré de chagrin et de dépit !
L’autre est allée jusqu’à la maison, tout d’une traite, et ce n'est que sous les yeux de son père et de sa mère, dans leur pauvre chaumière, qu’elle a ouvert sa nappe. Leurs yeux ont été éblouis à la vue des trésors qu’elle contenait : pierres précieuses, perles fuies et de l’or, et de riches tissus !... La famille devenue riche, tout d’un coup a bâti une belle maison, acheté des terres et on prétend qu’il existe encore, parmi les descendants, qui habitent toujours l’île, des restes du trésor de la Morganès, quoiqu’il y ait bien longtemps de cela:
_ " Dans cette maison, rien ne manque ; ils sont riches ; quand ils vont a la pêche, leur bateau revient toujours chargé de poisson, et ils n’ont jamais perdu un des leurs à la mer, ce qu’on ne peut dire d’aucune autre famille de l’ile. »