Mona Meznaod
Saint Pabu
Armanel - conteur
Il ne reste plus grand-chose du manoir de Meznaod.
Meznaod est situé dans le coin sud-est de l'actuelle commune de Saint-Pabu. Ce manoir était un de ceux qui étaient les plus proches de la mer, sur les rives de l'aber-Benoît. Seuls quelques murs et les restes d'un pigeonnier témoignent d'une construction noble en ce lieu. La légende le est sûrement mieux conservée que le manoir lui-même.
Au
début de cette histoire le seigneur de Meznaod avait épousé la
fille du manoir de Keriounan, en Lambaol. C'était, selon la légende,
la sœur de Yann Lez Tre Mor qui trouva une mort brutale à Kroaz Ar
Bleiz. Mais il se produisit un événement alors très banal,
véritable tragédie pour le seigneur de Meznaod : sa femme mourut en
donnant naissance à leur premier enfant, une fille qui fut
nommée Mona. Mona que tout le monde appellera Mona Meznaod,
selon la pratique locale qui consiste à nommer quelqu'un par le nom
du lieu où il réside.
Si on réussit à sauver l’enfant, tandis
que l’on administrait l'extrême-onction à la mère en espérant
qu’elle irait au Paradis. Quel chagrin pour le père et le
voisinage entier qui s'associa à son deuil. Le seigneur de Meznaod,
encore jeune, aurait pu se remarier. On ne manqua pas de l'y pousser.
Mais, il y renonça, voire ne l'envisagea jamais. Pour les tâches
matérielles au manoir, il ne manquait pas de personnel de service.
Et Mona était laissée libre de grandir comme et avec les petits
paysans du coin. Mais, quand Mona cul un certain âgc, il parut
souhaitable d'avoir une tutelle féminine pour veiller sur elle.
Quelqu’un de son rang qui prendait laplace laissée par sa mère
pour l'éducation morale et religieuse de la fillette. Comme cela se
faisait alors souvent, c'est une parente, la propre sœur de la
défunte, veuve, et de plus marraine de l’enfant qui vint habiter à
Meznaod pour éduquer sa filleule. Celle-ci, ainsi encadrée. devint
en grandissant la plus belle, la plus sage et la plus chrétienne des
jeunes filles de la région. Elle était aimée de tous, adulée par
son père, et avait trouvé dans sa marraine une mère de
substitution qui fut àla hauteur de la tâche qu'on lui avait
confiée.
Le seigneur de Meznaod, soulagé au sujet de l’éducation
de sa fille mettait tout son argent et ses forces à améliorer son
manoir et ses terres. Il fallait à tout prix y apporter des
aménagements défensifs car on était encore dans une époque
guerrière et le danger principal pouvait venir de la mer. Maner
Meznaod se devait donc d'être à la fois une résidence aussi
agréable que possible, mais surtout susceptible de servir de refuge
aux paysans des alentours en cas d’attaque ennemie et de soutenir
un siège en attendant la venue de renforts. Or, le manoir présentait
un problème majeur : bien que situé près de la mer et dans
une région parcourue de nombreux cours d'eau, le manoir manquait
d'eau douce et potable sur place. Meznaod est en fait une minuscule
presqu'île à marée haute, et une colline entre deux ruisseaux à
marée basse. Pour trouver de l'eau de source, il fallait aller la
chercher assez loin, et en cas de siège il serait impossible de
tenir ne serait-ce que quelques jours. Cela tracassait beaucoup le
seigneur de Meznaod. Après avoir apporté quantité d'améliorations
à son domaine, seul ce problèmet restait à résoudre. Cela devint
une idée fixe pour le maître du manoir. Bien sûr, il fait creuser
un puits dans la cour même du manoir; jusqu’à soixante-dix mètres
de profondeur. Mais on n'y puisait qu'un très mince filet d'eau. En
remonter un seau plein était bien plus problématique que d'aller en
chercher à Feunteun Sant Tibilio, la meilleure source des environs,
mais à deux kilomètres de là.
Pendant que son père se débattait avec son problème d’eau, Mona grandissait en âge et en taille et elle n'avait pas seize ans révolus que dans le pays, on la mariait déjà, en paroles, avec plusieurs jeunes gens du pays. Parmi ceux-ci elle avait un préféré : un !ils de la famille de Roservo, prénommé Yves. Mais Mona n'était nullement pressée de se marier. Elle menait une existence agréable, aimée de ses proches, et en liberté presque totale de ses mouvements. Ni son père ni sa marraine ne la poussaient à convoler à cause du souvenir de la mort tragique de sa propre mère. Et puis il était vraisemblable que, mariée, Mona devrait quitter Meznaod. Or, ce coin de l'aber est des plus agréables. Mona s'y plaisait beaucoup, était la bienvenue partout, et y connaissait tous les recoins et tout le monde. Sa vie se déroulait heureuse, entre les offices religieux et l'aide qu'elle apportait à sa marraine pour secourir les miséreux du voisinage. Elle appréciait aussi de partager les plaisirs et les divertissements des jeunes paysans : elle se divertissait à entendre chanter des complaintes, à danser sur des airs entraînants, et à écouter récits et légendes. A cette époque-là, la noblesse du pays vivait en harmonie avec la population environnante. Elle s'en éloignait rarement. Elle en partageait la religion, la langue et la culture orale.
Un jour. Mona rentrait seule à pieds à Meznaod après une visite chez un des conteurs réputés de la région, un vieil homme devenu aveugle à cause d’un accident survenu lors d’une corvée de bois. Mona se trouvait donc en haut de la côte de Penn ar Vily, au bout de l'allée qui menait à l’entrée du manoir. Soudain, elle tressaillit en entendant derrière elle un bruit qui ne cessait de croître: c'était le bruit d’un cheval lancé au grand galop et qui fondait sur elle. Pour éviter d’être écrasée, Mona s'écarta sur un des cotés du chemin pour laisser passer la monture. Au moment d’être dépassée, Mona regarda le cavalier dans l’espoir de voir un visage connu. Le cavalier lui aussi observa Mona et arrêta son cheval. L'homme fixa Mona de ses yeux de braise et lui demanda qui elle était. Je m’appelle "Mona Meznaod" répondit la jeune fille en bredouillant un peu car le cavalier, son regard, son visage, son costume et son cheval avaient quelque chose de déroutant voire d’effrayant. A ces mots, le cavalier s’immobilisa et fixa, encore une fois, Mona de son regard et lui dit:"Dans ce cas, c'est votre père que je viens voir. Auriez-vous l'obligeance de me conduire vers lui ?" Tout en la suivant jusqu'au manoir, il ne la quitta pas des yeux. Mona, ne pouvant refuser cette invitation, conduisit le cavalier vers son père, puis retourna, troublée dans sa chambre.
Et Mona avait raison d’être inquiète car ce cavalier étrange au regard de braise était le Diable en personne qui venait proposer un marché au seigneur de Meznaod.
Vous vous rappelez que le seigneur de Meznaod était obnubilé par la question de l’eau potable qui manquait à son manoir. Le diable, qui était à la recherche d’âmes pour brûler dans son enfer, venait faire une proposition au seigneur de Meznaod : Approvisionner son manoir en échange de son âme. Mais quand il a vu Mona, le diable est tombé amoureux fou et il changea du tout au tout sa proposition. Peu lui importait maintenant d'avoir une âme de plus à emporter en enfer. Ce que le diable voulait maintenant c'était Mona elle-mème, bien vivante,. ct tout de suite, pas à sa mort. En entendant l’offre que lui faisait le diable, le seigneur de Meznaod eut un haut-le-corps. Mais le Diable est aussi beau parleur qu'il est grand ingénieur et architecte. C'est du moins la réputation qu'il avait ici. Et, à force de discuter, il trouva des arguments qui prirent de court le père de celle qu'il désirait prendre pour femme. Il promit tout ce qui lui parut susceptible d'emporter la décision. Entre promesses mirifiques et menaces voilées, il n’hésita pas à s'engager à amener Mona au Paradis et non en enfer quand viendrait l’heure de sa mort. Le seigneur de Meznaod aurait du ne pas être dupe de tout ce qu'il entendait de t:tllacicux. Mais il se sentait perdu. Les bruits de guerre se répendait dans tout le pays et chaque jour qui passait le rapprochait du jour où Mona se marierait et quitterait Meznaod de toute manière. Par ailleurs, en tant que père, il avait le droit de lui choisir l'époux qu'il voulait et de la contraindre à accepter de gré ou de force son choix. Pressé de toutes parts, étourdi, assommé par la rhétorique rassurante du Diable, le seigneur de Meznaod finit par signer le contrat spécifiant les clauses de l'accord. Satan s'engageait à construire en une nuit ( le chant du coq du manoir marquant la fin de celle-ci une adduction d'eau qui amènerait l’eau en abondance au manoir. En échange de quoi il obtiendrait la main de Mona Meznaod. héritière. dont il s'engageait à mener lui-même l'àmc à la porte du Paradis, après sa mort.
Le contrat signé, le seigneur fit appeler Mona pour l’informer des décisions prises sur son avenir. Quant au Diable, il repartit aussitôt prendre ses dispositions en ouvriers et en matériel. Quand elle entendit la nouvelle el lut le contrat. Mona fut outrée. Elle eut beau pleurer. Supplier, essayer de faire intervenir sa marraine en sa faveur, parler du salut de son âme éternelle, son père ne voulut rien savoir. Aveuglé par son obsession, il s'en tenait aux termes du contrat. N'ayant Jamais eu affaire au Diable auparavant, il voyait en lui un partenaire de bon aloi dans un contrat tout à fait régulier et honnête.
Dès le coucher du soleil, le pays tout entier se mit à résonner du bruit assourdissant d'une activité grouillante. Par milliers les ouvriers aux ordres du diable suivirent ses instructions et s'attelèrent au chantier qui avança ù grands pas. Pendant ce temps, Mona et sa marraine s’étaient réfugiées dans la chapelle du manoir pour prier et demander l’aide de Dieu et de la vierge Marie. Mais Dieu lui-même ne semblait pas pouvoir faire quelque chose contre un tel contrat, en tous cas, il ne donna aucun signe d’espoir ou d’encouragement aux deux femmes éplorées. Elles restèrent éveillées et en prières toute la nuit. De la chapelle ou elles se trouvaient leur parvenait la rumeur qui, de l'extérieur, leur indiquait l’avancement des travaux. Elles en tremblaient de terreur mais que pouvaient-elles y flaire ...
Soudain, peu avant l'aube, la marraine se leva d'un bond et ordonna à sa filleule de la suivre. Les deux femmes rendirent au bûcher où elles prirent chacune un fagot bien sec qu'elles allèrent poser sur les cendres du foyer du manoir. Puis la marraine descendit dans la basse-cour d'où elle ramena le coq du manoir qui dormait du sommeil des justes. De retour dans la grande salle, la marraine enferma le coq dans un grand sac et dit ù Mona de raviver le feu. En un instant une flamme claire jaillit: les braises venaient de mordre dans le petit bois. Une minute plus tard, la pièce était violemment éclairée. La marraine de Mona sortit le coq du sac et le jeta vers les flammes. La lumière brutale et la chaleur de la cheminée réveillèrent le coq. Celui-ci, à moitié réveillé crut que le jour naissait et se mit à chanter. Et il était temps, car les ouvriers du diable avaient bien travaillé. La canalisation n'était qu'à un mètre de la porte du manoir!
Le coq ayant chanté avant que l’eau fût arrivée au château, le diable dût reconnaître que sa clause du contrat n'étant pas remplie. Le Diable avait perdu. De dépit, il alla se jeter dans un trou d'eau appelé Poull ar Maro Bian ("La Mare de la Petite Mort"), dans l'aber tout proche. Deux mois plus tard, Mona épousa le jeune Roservo.
Sur la lande au dessus de Saint-Pabu, si vous êtes curieux et chanceux, vous pouvez encore, de nos jours, trouver les restes d’une canalisation en terre cuite qui part de Feunteun Sant Ibilio et se dirige vers les restes du manoir de Meznaod.