Mao Kergarec ou le pacte avec le diable.
Proposé par le conteur Armanel
Écoutez tous, si vous voulez,
Et vous entendrez un joli conte
Dans lequel il n'y a pas de mensonge,
Si, ce n'est, peut-être, un mot ou deux.
Il y avait une fois un seigneur si riche, si riche, qu'il ne savait pas où se trouvaient tous ses biens. Mais il menait une vie déréglée, si bien qu'il en arriva à avoir autant de dettes que d'avoir, et à être obligé de songer à mettre de l'ordre dans ses affaires.
Un Jour, en examinant ses titres de propriété, il remarqua qu’un nommé Mao Kergarec occupait une métairie qui lui appartenait et en jouissait comme si c’était son bien propre, ne lui payant jamais rien.
Il fit appeler le paysan pour qu’il lui rende des comptes.
En arrivant sous les murs du château, Mao remarqua que le diable était peint sur une des portes de la cour, celle de gauche, et que Jésus-Christ était peint sur l’autre, celle de droite. Il tira son chapeau au diable et lui fit la révérence en disant :
_ « Saluons d’abord celui qui n’étant pas habitué à tant d’égards, m’en sera sans doute gré et me témoignera sa reconnaissance si, comme je le crains, je me trouve dans l’embarras. »
Puis il salua aussi l’image de notre Seigneur Jésus, mais moins bas, puis il entra dans le château.
Le seigneur le reçut assez mal, parla haut, lui fit voir ses titres et dit que si, dans huit jours, Mao n’avait pas payé tout l’arriéré qu’il lui devait, il ferait vendre tous ses meubles. Mao s’en retourna tout déconfit car il n’avait pas d’argent et ne savait pas comment s’en procurer. De plus il avait une grande famille à nourrir. Au sortir de la cour, il salua encore une fois le vilain personnage peint sur la porte de gauche, et pas celui de la porte de droite. Mao rencontra bientôt un seigneur inconnu monté sur un cheval noir.
_ « Bonjour, brave homme » lui dit l’inconnu.
_ « Bonjour Monseigneur » répondit le paysan.
_ « Je sais d’où tu viens et ce qui te mets tant en peine. Tu viens de chez ton seigneur le maître du château voisin, qui t’a mis en demeure de lui payer une forte somme, sous huit jours, sinon il vendra ton mobilier pour se payer. Et tu n’as pas d’argent et tu ne sais pas comment t’en procurer. » Reprit le cavalier.
_ « Tout cela est bien vrai, hélas ! » répondit Mao
_ « Eh bien je peux te venir en aide et récompenser ainsi ta politesse envers moi.
_ « Vous êtes bien bon ; mais qui êtes-vous donc ? »
_ « Celui dont tu as vu le portrait sur la porte de gauche du château, et que tu as salué avant l’autre sur la porte de droite. »
_ « Ah ! Oui ! Mais j’ai peur que vous me demandiez autre chose que des saluts, car, d’après ce que l’on raconte, vous n’avez pas l’habitude de vous contenter de si peu ! »
_ « Non, donnant – donnant, rien de plus juste. Mais vois dans quelle situation tu es et pense à ta famille. »
_ « Eh bien ! Quelles sont vos conditions ? ».
_ « Qu’un de tes enfants m’appartienne, que tu me le donnes. Rien de plus. »
_ « Non, jamais je ne consentirai à cela. »
_ « Songes que tu as sept enfants, et que te voila réduit à la misère à cause des exigences de ton seigneur. »
_ « Qu’importe je ne vous céderai jamais un des mes enfants. Arrive ce que pourra ! »
_ « C’est à prendre ou à laisser, c’est comme tu voudras. Mais décide toi vite car l’on m’attend ailleurs et je suis pressé ! »
Mao se gratta la tête, réfléchit un moment, songeant aux contes qu'il avait entendu conter aux veillées d'hiver et où le diable est toujours dupé dans ses marchés avec les hommes, espéra qu'il trouverait bien aussi quelque finesse pour se tirer d'affaire et dit enfin :
— Eh! bien si vous voulez vous contenter de moi, au lieu de mes enfants, aux conditions que je vous dirai?
— Voyons tes conditions, car, après tout, toi ou un de tes enfants, il m'importe assez peu,
—. Eh bien, pendant trente ans, à partir d’aujourd'hui, je désire trouver tous les matins, en me levant, mille écus en or dans un petit coffret en bois de chêne que j'ai dans ma chambre, auprès de mon lit.
_ Accepté : tous les matins en te levant, pendant trente ans, tu trouveras mille écus en belles pièces d’or toutes neuves dans le petit coffre en bois de chêne que tu as dans ta chambre auprès de ton lit, et au bout de ce temps tu me suivras où je voudrai ‘te conduire.
— Oui, mais il faudra que jamais rien ne manque aux mille écus de chaque matin, ou, le jour où le compte n'y serait pas, je garderais tout ce que j'aurais reçu jusque-là et le marché serait rompu.
— C'est entendu et maintenant tu vas me signer avec ton sang le contrat que voici et que j'ai préparé d'avance.
Et il lui montra un parchemin avec un contrat en règle, |
_ Je ne sais pas écrire, répondit Mao, mais je ferai bien une croix tout de même,
_ Non, pas de croix ! Mais tu vas me faire un rond, là. Et cela suffira.
. Et l'inconnu descendit de cheval, piqua le bras de Mao avec la pointe d'un canif, trempa le bec d'une plume dans la goutte de sang qui en sortit, et dit en présentant le parchemin au paysan :
- Là, dessine là un rond, au bas du parchemin. ·
Mao fit le rond, et l'autre plia alors le parchemin, le mit dans sa poche, remonta sur son cheval et dit ·
"-Dans trente ans, jour pour jour, tu te retrouvas ici.; et prends garde d'y ·manquer; ' car je saurai bien te découvrir en quelque lieu que tu te caches.
Et il partit là-dessus.
Mao continua de son côté vers sa maison, impatient de visiter son coffre et en se disant :
_ Mille écus par jour pendant trente ans ! Personne ne sera aussi riche que moi dans le pays, et je pourrai à mon tour me moquer de mon seigneur ; et quand à l’autre _ le vieux Guillou_ car c’est bien lui_ en trente ans, en y songeant, je trouverai bien quelque bon tour pour me débarrasser de lui.
Tout en se faisant ce raisonnement, il marchait d’un pas léger, et se trouva bientôt en présence d’un second cavalier, monté sur un cheval blanc et qui ressemblait beaucoup au personnage du Sauveur figuré sur la porte de droite du château.
le cavalier s’arrêta et, avec bonté, lui parla de la sorte :
_ Bonjour, brave homme.
_ Bonjour, monseigneur, répondit Mao.
_ Je connais votre embarras et je vous propose de vous venir en aide. Vous devez payer une forte somme à votre seigneur dans quinze jours, vous n’avez pas d’argent et votre famille est nombreuse.
_ Vous vous trompez ; je n’ai besoin du secours de personne, et j’ai de l’argent à la maison bien plus qu’il ne m’en faut pour payer mon seigneur. Merci pourtant de votre offre.
Et là-dessus, il continua sa route en sens inverse du cavalier blanc.
En arrivant à la maison, il monta aussitôt à sa chambre et dit à sa femme de le suivre.
Il ouvrit devant elle le coffre de chêne, et elle resta tout ébahie à la vue de belle pièces d’or qu’i s’y trouvaient.
_Jésus, mon Dieu ! S’écria-t-elle, d’où vient tout cet or ?
_ Ne t’inquiète pas, répondit Mao, je sais bien d’où il vient, et c’est mon affaire …
Et tous les matins ensuite, il compta mille écus en or dans son coffre, si bien qu’il devint riche en peu de temps, paya son seigneur, acheta son château et y alla demeurer avec sa famille.
Personne ne comprenait rien à une fortune si rapidement faite, et l’on ne pouvait s’en rendre compte que par la découverte d’un trésor.
Quelques-uns pourtant parlaient tout bas de magie et de sorcellerie ; mais on eu beau l’observer, on ne vit pas qu’il hantât le sabbat et les sorciers ; on n’y comprenait rien enfin.
Mao éleva bien ses sept fils et les envoya aux meilleurs écoles où ils obtenaient de brillants succès.
L’un deux devint archevêque.
Un autre évêque.
Le troisième, vicaire général.
Le quatrième était recteur de sa paroisse.
Le cinquième, vicaire.
Un autre était ermite dans un bois.
Et le septième, le plus jeune, s’était fait chef de brigands, détroussant les voyageurs sur les grands chemins, pillant les châteaux et les couvents, et terrorisant tout le pays avec sa bande. C’était la désolation de son père, de sa mère et de ses frères.
Cependant le terme approchait et Mao Kergarec devenait de jour en jour plus triste et plus soucieux.
Mais ses enfants, à l’exception d’un seul, étaient de si saint personnages, qu’il comptait sur eux pour le tirer du mauvais cas où il s’était mis.
Il alla se confesser à celui de ses fils qui était recteur de sa paroisse, et lui conta tout. Le prêtre frémit d’épouvante à une révélation si inattendue, dit qu’il n’avait pas de pouvoir suffisant pour un cas si grave, et renvoya son père à son frère l’évêque. Celui-ci fit la même réponse et le renvoya à l’archevêque, lequel le renvoya à l’ermite dans la forêt.
L’ermite était un saint homme qui passait sa vie à prier et à se mortifier, et n’avait d’autre société que celle des animaux du bois, avec lesquels il vivait dans les meilleurs rapports, et ils se rendaient des services réciproques.
Tous les jours son ange gardien venait le visiter et causer avec lui familièrement.
Mao trouva l’ermite qui priait, sur le seuil de sa porte, les yeux levés au ciel. Il attendit qu’il eût terminé sa prière, puis lui remit une lettre de son fils l’évêque qui lui expliquait le cas désespéré de leur père. L’ermite lut la lettre et, les larmes aux yeux, il dit :
_ Hélas ! Mon père, le cas est tellement grave que je n’y ai aucun pouvoir, pas plus que mes frères. Mais passez la nuit sous mon toit, le prierai pour vous jusqu’au matin et alors je pourrai peut-être vous donner un bon conseil.
Au milieu de la nuit, pendant que le père brisé par la fatigue dormait, le fils reçut , à l’heure ordinaire, la visite de l’ange qui lui parla de la sorte :
_ Aucun pouvoir sur la terre ne peut délier votre père du fatal contrat signé avec son sang ; mais j’implorerai pour lui la Sainte Vierge, et demain je vous rapporterai sa réponse.
Et l’ange s’envola vers le ciel, et l’ermite continua de prier jusqu’au jour.
_ Eh bien ! Mon fils, demanda le père quand il s’éveilla.
_ Eh bien ! Mon père, j’ai reçu comme d’habitude la visite de mon bon ange, et je l’ai entretenu de votre cas . Il m’a promis d’implorer en votre faveur la Sainte Vierge qui, à son tour, implorera son divin fils, et il m’apportera sa réponse cette nuit. Restez donc avec moi jusqu’à demain matin, et nous passerons cette journée à prier et à pleurer pour l’expiation de votre crime.
L’ange remonté au ciel s’agenouilla aux pieds de sa maîtresse, la Saint Vierge, et implora sa protection toute puissante pour le père de son ermite. La Sainte Vierge compatît au malheur de Mao Kergarec et alla intercéder pour lui auprès de son divin fils.
_ Mao Kergarec, dit le sauveur, a salué le diable avant moi, sur la porte du château de son seigneur ; il a même repoussé mes offres de service contre son ennemi, à qui il venait de vendre son âme pour de l’or, par un pacte signé de son sang, et qui est aujourd’hui dans l’enfer. Je veux bien pourtant m’intéresser à lui, puisque vous m’en priez, ma mère, et à cause de ses enfants qui sont des saints, à l’exception du plus jeune. Mais, avant de pouvoir obtenir son pardon, il faut qu’il aille lui-même, pendant qu’il est encore en vie, retirer des mains de Satan le contrat par lequel il s’est vendu à lui pour de l’or.
C’est un voyage périlleux, et pour lequel il faut un grand courage ; mais je l’y aiderai de manière à lui rendre le succès possible.
Voici une baguette blanche que vous lui remettrez et avec laquelle il pourra, s’il a confiance en moi, tenir en respect les démons et forcer Satin à lui restituer le contrat signé de son sang. Mais il faut qu’il se rendre dans l’enfer, avant que le temps soit tout à fait expiré, autrement le succès serait impossible, et Satan serait dans son droit en exigeant la stricte exécution du pacte.
La Sainte Vierge remercia son divin fils, prit la baguette blanche et la remit à l’ange, qui s’empressa d’aller la porter à l’ermite avec les instructions nécessaires.
L’ermite parla de la sorte à son père, quand l’ange se fut retiré :
_ Tout espoir n’est pas encore perdu mon père,et, grâce à l’intercession de mon bon ange et de la Sainte Vierge, le bon Dieu, dont la miséricorde est inépuisable pour le pêcheur repentant, daigne s’intéresser encore à vous et vous fournir les moyens de vous sauver des griffes de Satan. Mais, il faut vous armer de courage et affronter de grands dangers.
_ Nul danger ne sera au dessus de mon courage, mon fils.
_ Voici ce que vous devez faire, mon père ; il vous faudra aller vivant en enfer, pour arracher des mains de Satan le fatal contrat signé de votre sang, et cela avant l’expiration du terme qui aura lieu dans trois jours !
_ Aller dans l’enfer !… mais personne n’en est jamais revenu !… Et pourtant j’ai pleine confiance en Jésus, puisque ‘est lui-même qui me parle par votre bouche, et je tenterai l’épreuve.
_ Voici une baguette blanche que mon bon ange m’a rapportée du ciel pour vous remettre, et qui vous rendra l’entreprise possible ; avec elle, vous tiendrez les démons au respect et pourrez forcer Satan à vous remettre le contrat.
_ Mais comment aller en enfer avant d’être mort ? Qui m’indiquera le chemin ?
_ Si quelqu’un le connaît sur la terre, ce doit être mon jeune frère, le chef ds brigands, je le crois déjà fort avancé sur le chemin. Il faudra donc l’aller trouver dans la forêt où il demeure avec sa bande. Je vais vous écrire une lettre que vous lui donnerez et qui le mettra au courant de votre situation.
Et l’ermite écrivit une lettre , la remit à son père, le bénit , et le vieillard se mit en route.
Il arriva à la nuit tombante, sur la lisière du bois où se trouvaient les brigands. Deux hommes s’élancèrent d’un buisson, lui mirent la main au collet et crièrent, en appuyant leurs pistolets sur sa poitrine :
« La bourse ou la vie !... »
Il leur montra sa lettre et demanda à être conduit devant leur chef. Ils le firent entrer sous le bois et le conduisirent à leur repaire. Il remit sa lettre au chef, qui ne le reconnut qu’après l’avoir lue :
_ Comment, c’est vous, mon père? Et dans quelle situation ! Lui dit-il en s’attendrissant et en s’apitoyant sur le sort du vieillard. Je vois que le temps presse, et je vais vous mettre moi-même sur le bon chemin pour vous rendre à votre destination.
Et il le conduisit à l’entrée d’une caverne, au fond du bois, et lui dit :
Voilà ! Vous n’avez qu’à entrer dans cette caverne, à marcher tout droit devant vous, malgré l’obscurité, et vous arriverez dans une plaine où vous verrez un vieux château, tout noir, et entouré de hautes murailles. Vous frapperez à la porte de fer de ce château, et on vous ouvrira. Et puisque vous y allez avant moi, _ car je dois y aller un jour, _ demandez donc à voir la place qui m’est réservée dans ce séjour, et, si vous en revenez, _ ce qui me paraît douteux, _ vous m’en donnerez des nouvelles au retour.
Et là-dessus, le brigand s’en retourna pensif et le cœur ému de compassion, ce qui l’étonnait. Et son père s’engagea sous la voûte sombre.
Il marcha longtemps, tenant à la main sa baguette blanche, qui luisait dans l’ombre et éclairait sa marche, et arriva à la vallée où se trouvait le château. Il frappa à la porte de fer.
Le guichet s’ouvrit et une figure hideuse et cornue s’y montra et demanda :
_Qui est là ?
_ Mao Kergarec, répondit-il.
_ Mao Kergarec ! Oui, votre siège est là, qui vous attend, à côté de celui de votre fils le brigand ; mais, nous ne vous attendions que demain.
_ Allez dire à votre maître que je suis là et que je demande à lui parler.
Et on alla prévenir Satan qui vint aussitôt.
_ Comment, l’ami Mao Kergarec, c’est toi déjà ? Je ne t’attendais que pour demain ; mais puisque te voilà, entre et sois le bienvenu.
Et le portier ouvrit la porte, et Mao entra.
_ Placez-le sur son siège, dit alors Satan.
Et quatre diables horribles s’avancèrent vers Mao pour le porter sur son siège. Mais il lui suffit de les toucher de sa baguette blanche pour les faire reculer en poussant des cris épouvantables. Quatre autres se présentèrent pour les remplacer, sur l’ordre de Satan, et dès qu’ils furent touchés de la baguette ils reculèrent aussi, en se tordant dans des convulsions horribles
_ Qu’est-ce à dire ? S’écria Satan ; et il s’avança furieux, pour poser sa griffe sur Mao. Mais, touché par la baguette, il recula comme les autres, en écumant de rage.
_ Dehors, cria - t-on de tous les côtés, dehors ! L’homme venu avant son heure, et qui a sur lui quelque relique sainte !...
Mais personne n’osait plus approcher de lui, et impassible au milieu des cris et des imprécations, il dit :
_ Je ne m’en irai, Satan, que lorsque tu m’auras remis le parchemin signé de mon sang !
_Tu ne l’auras pas ! Va t’en vite, et, demain, tu reviendras pour rester toujours.
_Il me faut le parchemin, te dis-je, ou il t’en cuira.
_ Tu ne l’auras pas : va-t’en chien !
Et Mao , de sa baguette blanche, cingla Satan et son entourage, tant et si bien, qu’ils criaient :
_ Grâce ! Grâce ! Qu’on lui rende son parchemin, et qu’il s’en aille au plus vite !
Satan lui jeta le contrat en s’écriant :
_ Tiens, le voilà ton parchemin, et pars vite à présent … Mais tu nous reviendras bientôt, et je me vengerai.
Mao prit le parchemin, le mit dans sa poche, et allait sortir, quand il se rappela la recommandation de son fils le brigand, de demander à voir la place qui lui était réservée dans l’enfer.
_Avant que je m’en aille, dit-il, je veux que vous me fassiez voir encore la place que vous réservez à mon fils le brigand et à moi.
Et le Diable-Boiteux lui montrant, au milieu des flammes, deux sièges de fer chauffés à blanc, lui dit :
_Tiens les voilà !
Mao frémit d’horreur et partit aussitôt, avec son contrat dans sa poche.
Il retourna auprès de son fils le brigand pour lui donner des nouvelles de ce qu’il avait vu dans l’enfer.
_Eh bien ! Mon père, lui dit le brigand, en le voyant revenir, vous avez réussi dans votre entreprise, puisque vous êtes revenu ?
_Oui, mon fils, j’ai réussi, grâce à Dieu et à la Sainte Vierge, et aussi à la baguette blanche que votre frère m’a donnée et qui m’a été utile.
_ Et vous avez été dans l’enfer, et vous en rapportez le parchemin signé de votre sang ?
_ J’ai été dans l’enfer, et j’en rapporte le parchemin signé de mon sang : _ Le voilà ?
Et il lui montra le parchemin.
_ Et vous avez aussi demandé à voir la place qui m’étais réservée là-bas ?
_ Oui, mon fils, je l’ai vue.
_Eh bien ! Mon père ?
_Ah ! Mon pauvre enfant !.. C’est un siège de fer, chauffé à blanc, au milieu des flammes ; et à côté, est celui qui m’étais destiné à moi-même ; j’en frémis encore d’horreur quand j’y songe.
_ Eh bien, mon père, vous voilà, à présent, sorti des griffes de Satan, et à l’abri de tout danger ; mais moi !… Pendant votre voyage, j’ai réfléchi sur ma situation ; j’ai congédié mes compagnons chargés de tous les crimes possibles, comme moi-même ; je me suis confessé au recteur de la paroisse la plus voisine, et il m’a dit qu’aucun crime n’était au dessus de la clémence divine, que la miséricorde de Dieu est sans bornes, et, qu’avec un repentir sincère et une pénitence des plus dures, je pouvais encore être pardonné et sauvé. Je le crois , puisque vous-même vous avez trouvé grâce et miséricorde et j’ai confiance. Je ne reculerai devant aucune pénitence, aucun supplice.
Nous ne racontons pas les épouvantables macérations auxquelles l’ancien brigand se livra par une aspiration du ciel, pour échapper à cette place d’enfer qui était déjà marquée pour lui ; il mourut de sa rude pénitence et comme on ignorait s’il était enfin digne de grâce, son père, pour le savoir, obéit au testament que son fils lui avait fait durant la pénitence.
A minuit, lui avait-il dit, au clair de la lune, vous
poserez mon cercueil en travers sur le mur du cimetière de la paroisse, de
manière qu’il ne penche pas plus en dedans qu’en dehors, puis, vous vous
retirerez sous le porche de l’église pour observer ce qui se passera. Bientôt
vous verrez venir de deux points opposés de l’horizon, du levant et du
couchant, une colombe blanche et un corbeau noir, qui se livreront un combat
acharné autour du cercueil. Le corbeau essayera de le faire tomber hors du
cimetière, en le battant de ses ailes, et la colombe blanche, de son côté, fera
tous ses efforts pour l’envoyer dans le cimetière. Si le corbeau l’emporte, je
serai perd sans rémission, mais si la victoire reste à la colombe blanche, je
serai sauvé, et mon âme s’envolera aussitôt au Paradis où vous vous viendrez me
rejoindre. A minuit donc , il alla placer le cercueil de son fils en
équilibre sur le mur du cimetière de la paroisse. Puis il se retira sous le
porche. Un moment après il vit arriver, de deux points opposées de l’horizon,
de l’orient et de l’occident, une colombe blanche et un corbeau noir. Le
corbeau, le premier, passa au ras du cercueil, et d’un vigoureux coup d’aile,
il le fit pencher sensiblement en dehors. La colombe blanche passa à son tour
et le rétablit dans sa position première. D’un second coup d’aile le corbeau le
fit pencher de nouveau dehors et plus fortement : la colombe blanche le
rétablit encore en équilibre, et avec avantage cette fois. Enfin, le combat dura
environ une demi-heure, avec des chances diverses, et Mao du fond de son
porche, en suivait les péripéties et alternatives avec une anxiété
mortelle… La colombe blanche finit part l’emporter ; le cercueil tomba
dans le cimetière et en tombant il s’ouvrit, et il en sortit une autre colombe
blanche qui se joignit à celle qui avait si courageusement combattu contre le
corbeau noir. Mao Kergarec en mourut de joie, sur la place, et, au leu de
colombes blanches on en vit trois s’élever ensemble vers le ciel.
C’étaient les âmes purifiées du père, du fils et de sa mère, à qui Dieu avait
permis de venir assister son fils, sous cette forme.