La geste de Máel Dúin

Traduction : Armanel - conteur

Le Voyage de Máel Dúin est un récit légendaire de voyage, composé en vieil irlandais vers la fin du Xe siècle. Le récit commence par l’assassinat du guerrier Ailill. Son fils, Máel Dúin , décide de le venger.

Ce long récit comporte deux « époques » :
La jeunesse de Máel Dúin
et Mael Duin et ses frères de lait

La jeunesse de Máel Dúin
Máel Dúin est le fils du guerrier Ailill Ochair Aghra et d’une moniale violée par Ailill.
Ailill est tué par des maraudeurs de Leix.
Máel Dúin est élevé par la reine d'Eoganacht*.
*(dynastie irlandaise centrée autour de Cashel, qui domina le sud de l'Irlande du Ve siècle au XVIe siècle.)

Máel Dúin devient un grand guerrier, victorieux dans tous les tournois.
Máel Dúin croit être le fils des souverains d'Eoganacht.
Mais un jour le secret de sa naissance lui est révélé.
La reine d'Eoganacht l'envoie alors vers sa véritable mère, qui lui apprend que son père a été assassiné.
Máel Dúin se rend au cimetière de l'église de Dubcluain où Briccne, un religieux, le persuade qu'il est de son devoir de venger son père.
A Corcomroe (comté de Clare / Burren), le druide Nuca lui apprend comment retrouver les assassins de son père.

 
Mael Duin et ses frères de lait
Máel Dúin lève un équipage pour rallier l'île des assassins de son père.
Son navire lève l'ancre.
Ses trois frères de lait lui demandent de les emmener à son bord.
Máel Dúin refuse, car le druide lui a ordonné d’avoir un équipage restreint.
Ils plongent à la mer et Mael Duin fait virer son navire et les hisse à bord, malgré l'avertissement du druide.
Les aventuriers croisent d'abord au large de deux îles fortifiées.
De ces forts,  Máel Dúin entend un homme crier C'est moi qui ai tué Ailill Ochair Aghra.
Mais Máel Dúin, repoussé par des vents contraires, ne peut s'approcher davantage de l'île.

Les îles visitées
Mael Duin et ses hommes découvrent ainsi une vingtaine d'îles.
Ils recueillent un homme de Toraigh (île située à neuf miles de la côte nord est du Donegal ) qui leur recommande de jeter leurs richesses dans l'océan, afin de pouvoir rentrer dans leur pays.
Máel Dúin fait à ses ennemis le récit des merveilles que Dieu lui a révélées dans ce voyage. Les protagonistes concluent finalement la paix.

Quinze mots utiles dans leur ordre d’apparition:
Eoganacht
 : Dynastie irlandaise centrée autour de Cashel, qui domina le sud de l'Irlande
Le hurling se joue avec une crosse appelée hurley ou camán utilisée pour taper dans une balle nommée sliotar. Les plus anciennes traces écrites de ce sport remontent à l'époque des Gaels, au VIIe – VIIIe siècle,
L'
abbaye de Corcomroe est une abbaye cistercienne située au nord de la région du Burren dans le comté de Clare.
Vêpres : Prière du soir dans le christianisme. Le nom vient du latin ecclésiastique vespera qui désigne l'office divin du soir
None : Office de la neuvième heure (vers 15 h).
Ponto celte: Le ponto pouvait embarquer trente personnes, il était long de 22 mètres et était doté d'une voilure de 200 m2
Coracle (Currach): Le coracle est une embarcation très légère, de forme ronde ou ovale, constituée d’un tissu (ou d'une peau) tendu sur un cadre en vannerie. Il était enduit de beurre pour le rendre étanche.
Le curach ou bateau de cuir et d’osier peut sembler aujourd’hui un véhicule très peu sûr pour naviguer sur les mers tempétueuses, pourtant “nos pères” se livraient sans peur dans ces faibles véhicules à la merci du temps le plus violent.
Les currachs du fleuve Spey étaient particulièrement réputés et ce serait à bord de l’un d’eux que saint Brendan aurait traversé l’Océan Atlantique, de l’Irlande aux Antilles vers 544-545, soit un siècle avant Christophe Colomb.
Bannock; Le bannock est une sorte de pain plat, fait avec de la farine sans levain, du saindoux, du sel et de l'eau
Poupe: La poupe est l'arrière d'un navire. La proue en est la partie avant
Auge : les coracles (bateaux irlandais en cuir) étaient lestés de pierres. D’autres affirment que ces embarcations contenaient une auge de pierre en leur centre, pour tenir le mât ou encore maintenir le feu en sécurité.
Once : Une once (oz) équivaut à 28 grammes
Armagh:  (du gaélique Ard Mhacha  « Hauteurs de Macha ») est une ville d'Irlande du Nord, chef-lieu de l'ancien comté d'Armagh et du district d'Armagh
Caparaçon · Housse d'ornement dont on revêtait les chevaux montés ou attelés dans les cérémonies.
Écoute: cordage servant à régler l'angle d'une voile par rapport à l'axe longitudinal du voilier
Baithéne mac Brénainn est  prieur de la communauté monastique fondée par Colomba à Mag Luinge sur Tiree dans les Hébrides intérieures.
Tierce est la troisième heure du jour, vers 9 heures du matin selon la manière juive de compter les heures, où la première heure du jour n'est pas minuit, mais 6 heures du matin. Le mot « tierce » vient du latin « tertia hora », signifiant « troisième heure
L'
île de Toraigh est située à neuf miles de la côte nord est de Donegal, en Irlande. L'île mesure 4 kilomètres de long sur 2 de large. En 2002 on recense 150 habitants considérés comme permanents sur l'île de Toraigh.


PROLOGUE

Trois ans et sept mois il a erré dans l'océan…

Il y avait autrefois un homme célèbre de la dynastie de Ninuss sur l’île d’Aran, qui s’appelait Ailill «prompt à se battre». Ce vaillant soldat était le seigneur et le héros de son clan et de sa parenté. Il rencontra une jeune religieuse. De leur union naquit un garçon nommé, Máel Dúin, fils d'Ailill:


Voici le secret de la naissance de Máel Dúin

Le roi de l'Eoganacht* était parti mener un raid dans un autre district et une autre province et Ailill « prompt à se battre » l’avait suivi. Un jour, après une longue chevauchée, ils dételèrent et campèrent sur un plateau herbeux à l'intérieur des terres. Près de ce plateau il y avait une église. A minuit, quand tout le monde était couché et que plus rien ne bougeait dans le camp, Ailill se rendit à cette église. C'était l'heure à laquelle une des religieuses se levait pour aller sonner la cloche qui saluait le nocturne. Ailill l’agrippa par la main, la jeta à terre et s'allongea sur elle.

La religieuse lui dit: 
_« Tu penses que ta force t’autorise tout, mais cette union illégitime ne sera pas bénie. Ton forfait ne resteras pas impuni ; Donnes-moi ton nom et celui de ton clan”

Ailill a répondu:
_  " Je m’appelle Ailill « 
prompt à se battre » , de l'Eoganacht de Ninuss à Thomond."

Puis, après avoir ravagé la région et pris des otages, le roi retourna dans ses quartiers, Ailill était également retourné avec lui.

Peu de temps après qu'Ailill eut atteint son clan, des maraudeurs de Leix le tuèrent et ont brûlé l'église de Dubcluain sur son cadavre.

Neuf mois après le viol, la religieuse donna naissance à un garçon qu’elle appela Máel Dúin. Le garçon a été emmené secrètement chez la femme du roi; et c’est elle qui a élevé Máel Dúin en lui faisant croire qu'elle était sa mère. Une seule et même nourrice s’occupa de lui et des trois fils du roi; tous dormaient dans le même berceau, tétaient la même poitrine et étaient bercés sur les mêmes genoux.

Máel Dúin. grandissait en force et en beauté; et il est dit qu'il n’y eut jamais quelqu'un d'aussi beau que lui. Il a grandi jusqu'à ce qu'il devienne un jeune homme et soit apte à manier les armes. Il était devenu un homme rayonnant, gai et espiègle Dans les compétitions, il surpassait tous ses camarades, tant dans le hurling* que dans la course, dans le saut d’obstacles, dans le lancer de pierres ou dans les courses de chevaux. En vérité, il gagnait à chaque fois qu’il participait à une compétition dans chacun de ces jeux.

Un jour, un soldat violent et jaloux de lui, lui dit avec rage et colère :
_ « Toi, dont personne ne connaît ni le clan ni la parenté, dont personne ne connaît ni la mère ni le père, de quel droit viens-tu nous affronter dans chaque épreuve, que ce soit sur terre, sur l'eau, ou sur un damier
!

Máel Dúin ne releva pas l’affront, car jusque-là il avait toujours pensé qu'il était un des fils du roi et de la reine, sa mère nourricière. Mais touché par l’affront de ces paroles offensantes, il alla voir sa mère nourricière et lui dit:
_ « Je ne mangerai pas et je ne boirai pas tant que tu ne m’auras pas dit qui est ma mère et qui est mon père ».
_ « Mais, répondit-elle, pourquoi veux-tu savoir tout cela ? Ne prends pas à cœur les paroles de ce guerriers hautain. Il te suffit de savoir que je suis celle qui t’a nourri. L'amour des humains pour leurs fils naturels ne surpasse pas l'amour que je te porte".
_ « C'est possible », répliqua Máel Dúin : « Néanmoins, faites-moi connaître qui sont mes parents ».

Alors sa mère nourricière l'accompagna et le conduisit entre les mains de sa vraie mère; et Máel Dúin supplia sa mère de lui dire qui était son père.
_ "Tu fais une grosse erreur en voulant savoir qui il est", dit-elle, " car même si tu connais ton père, tu n'auras rien de lui, et tu ne seras pas plus heureux, car il est mort il y a longtemps".
_ "C'est bien possible, mais j’aime mieux le savoir", dit Máel Dúin, .

Alors sa mère lui a dit la vérité.
_ « Ailill « prompt à se battre » de l’Eoganacht de Ninuss était ton père », dit-elle».

Ensuite Máel Dúin est allé dans la patrie et sur les terres de son père, accompagné de ses trois frères adoptifs car ils étaient ses guerriers bien-aimés. Et son clan l'a accueilli très chaleureusement.

Quelque temps après, Máel Dúin et ses trois frères adoptifs se rendirent dans le cimetière de l'église de Dubcluain pour y déposer des pierres sur les tombes. Máel Dúin, le pied planté sur la ruine brûlée de l'église, se chargeait de la recouvrir de pierres. Briccne, un prêtre à la langue fourchue, a dit à Máel Dúin:
_"Il vaudrait mieux venger l'homme qui a été brûlé ici que d’entasser des pierres sur ses os nus et brûlés”.
_ ‘Qui était cet homme?’ demanda Máel Dúin.
_ « C’est Ailill, ton propre père ».répondit Briccne
_ “Sais-tu qui l’a tué ?’ questionna Máel Dúin.

Briccne répondit :
_ « Les assassins sont des Maraudeurs de Leix, et ils l'ont brûlé à cet endroit précis ».

Alors Máel Dúin jeta au loin la pierre qu'il était sur le point de poser sur les autres, remit son armure,s’enveloppa de son manteau et s’éloigna rempli de tristesse. Il demanda le chemin pour se rendre à Leix, et il lui fut répondu qu'il ne pouvait y aller que par mer.

Máel Dúin se rendit alors dans le pays de *Corcomroe pour chercher la bénédiction du druide Nuca, et lui demander une potion magique, avant de commencer la construction d’un bateau. Nuca dit à Máel Dúin le jour où il devait mettre la barque en chantier et le nombre de membres d’équipage qui devait y monter, à savoir dix-sept hommes (il a insisté sur le fait que ce nombre était impératif) et il lui a aussi dit le jour où il devrait prendre la mer.

Le délai étant court, Máel Dúin ne s’est pas lancé dans la construction d’un solide *Ponto, mais a mis en chantier un *coracle à triple épaisseur de cuir; et recruté son équipage; Germán et Diurán le Rhymer en faisait partie. La construction avança vite et il put prendre la mer le jour dicté par le druide Nuca. Lorsqu'ils eurent hissé la voile et se furent un peu éloignés de la terre, ses trois frères de lait se présentèrent dans le port et se mirent à crier à l’équipage de revenir vers eux afin qu'ils puissent monter à bord et les accompagner.

_ « Retournez chez vous, leur cria Máel Dúin; car même si nous retournions à terre, je ne peux embarquer un homme de plus avec moi ».
_ "Si tu refuses de revenir, nous nous jetterons dans la mer à ta poursuite quitte à nous noyer".

Devant le silence de Máel Dúin les trois frères de lait se jetèrent à la mer, et s’éloignèrent du rivage. Quand Máel Dúin a vu cela, il est retourné vers eux afin qu'ils ne se noient pas, et les a fait monter dans son coracle.


Mael Duin et ses frères de lait

I.

Ce jour-là ils ramèrent jusqu'à *vêpres, et la nuit suivante jusqu'à minuit. A minuit, ils se trouvèrent face à deux petites îles nues et désertes à l’exception de deux forts. Ils ont entendu du bruit et des cris provoqués par l'ivresse des soldats qui étaient cantonnés dans les forts. Parmi les cris de triomphe, Máel Dúin entendit un de ces hommes qui se vantait face à un autre:
_" Eloignes-toi de moi, je suis plus vaillant et valeureux que toi, car c'est moi qui ai tué Ailill «prompt à se battre» et brûlé l’église de Dubcluain sur lui et jusqu'à présent personne de sa famille n’a osé se présenter face à moi pour le venger. Cet exploit est mon exploit personnel et toi tu n'as jamais rien accompli de si grand! »
_ « Nous tenons la victoire entre nos mains », dirent Germán et Diurán le Rhymer : « Dieu nous a conduits ici. Allons détruire ces deux forts, puisque Dieu nous a révélé que nos ennemis vivent là ! »

Mais tandis qu'ils disaient ces paroles, un grand vent se mit à souffler sur leur coracle, et ils furent chassés sur la mer toute la nuit jusqu'au matin. Et au petit matin, ils ne virent plus ni terre ni île, et ils ne savaient où ils étaient. Alors Máel Dúin dit :
_« Arrêtons de ramer. Laissons la barque aller seule là où il plaira à Dieu de l'amener».

Alors le courant les entraîna et ils entrèrent dans le grand océan sans limites . Poussé par la colère, Máel Dúin dit à ses frères adoptifs:
_ "C’est vous qui avez causé cela en montant dans le bateau malgré la consigne du druide, qui nous a dit qu'à bord du bateau il ne devait y avoir que dix-sept hommes d’équipage».

Ses frères adoptifs n'avaient rien à répondre à cela, et ils se sont contenté de baisser la tête et de se taire pendant un long moment.


II.

Puis ils naviguèrent pendant trois jours et trois nuits et ne trouvèrent ni terre ni île où se poser. Au matin du troisième jour, ils entendirent un bruit venant du nord-est.
_« C'est le son d'une vague qui s’écrase contre un rivage », a déclaré Máel Dúin.

Quand le soleil fut totalement levé et que la clarté du jour était à son apogée, ils se dirigèrent vers la terre. Craignant la présence d’ennemis belliqueux, ils décidèrent de tirer au sort celui qui devrait mettre le pied sur cette terre. Pendant qu'ils tiraient au sort pour savoir lequel d'entre eux que le sort désignerait, un grand essaim de fourmis, chacune de la taille d'un poulain, apparut sur le rivage et se mit à nager sur la mer vers eux. Ce que voulaient les fourmis, c'était manger l'équipage et leur bateau : aussi les marins souquèrent sur les rames et s'enfuirent pendant trois jours et trois nuits; et durant ces trois jours et trois nuits ils ne virent ni terre ni île où se poser.

III.

Le matin du troisième jour, ils entendirent le bruit d'une vague s’écrasant sur une plage et à la lumière du jour ils virent une île haute et grande entourée de terrasses . Chacune de ces terrasses s’appuyait sur une autre, et était délimitée par une rangée d'arbres qui abritaient de nombreux oiseaux gigantesques. Effrayés par la taille des oiseaux, ils discutaient ente eux afin de savoir qui irait explorer l'île afin de savoir si les oiseaux étaient amicaux ou belliqueux.
_«Je vais y aller », dit Máel Dúin.

Máel Dúin partit, fouilla prudemment l'île et n'y trouva rien de dangereux. Alors ils descendirent tous chassèrent et mangèrent des oiseaux à leur faim puis en amenèrent quelques-uns à bord de leur coracle.

IV.

Ils restèrent ensuite trois jours et trois nuits en mer et au matin du quatrième jour, ils aperçurent une autre grande île dont le sol était sableux. Lorsqu'ils arrivèrent sur le rivage de l'île, ils y virent une bête semblable à un cheval, mais avec des pattes de chien aux ongles rugueux et pointus et qui semblait réjouie de les voir poser le pied sur l’île. La bête s’élança devant eux, car elle avait envie de les dévorer et de déchiqueter leur coracle.

_ «Elle ne semble pas craindre de nous rencontrer», dit Máel Dúin; « Eloignons nous vite de l’île ».

C’est ce qu’ils ont fait ; et quand la bête se rendit compte qu’ils étaient en train de fuir, elle descendit sur la grève et commença à creuser le sable avec ses ongles pointus pour désensabler des galets et les bombarder avec ces cailloux. Sa puissance était si grande que nos voyageurs ne s'imaginaient pas pouvoir lui échapper.

V.

Ensuite, ils ramèrent vers le large, et ils virent devant eux une grande île plate. C’est Germán qui a été tiré au sort, mais il n’arrivait pas à se décider à aller explorer cette île.

_«S’il en est ainsi nous irons tous les deux», dit Diurán le Rimeur, «puis, à ton tour, tu viendras avec moi quand le sort me désignera».

Diurán le Rimeur et Germàn entrèrent tous les deux sur l’île. Elle était d’une longueur et d’une largeur immense, et ils y virent des marques de sabots de chevaux imprimées sur une longue et grande plaine. La marque de sabot de chaque cheval était aussi grande que la voile d'un Ponto. Germán et Diurán le Rimeur virent, en plus, des coquilles d'énormes noix et ils virent aussi beaucoup de squelettes humains. Ils furent très effrayés par ce qu'ils voyaient, et ils appelèrent le reste de l’équipage pour qu’ils voient ce qu'eux avaient vu Devant ce spectacle, tous les hommes d’équipage prirent peur et remontèrent précipitamment à bord de leur coracle.

Lorsqu'ils s'éloignèrent un peu de l’île, ils virent le long du rivage se précipiter une grande foule qui, après avoir atteint la grande plaine, organisa une course de chevaux. Et chaque cheval était plus rapide que le vent, et grands étaient les cris de la foule et leurs hurlements. Depuis son coracle Máel Dúin pouvait parfaitement entendre les coups de cravache sur les chevaux, et il entendait aussi clairement ce que chacun d'eux disait. Et ils disaient : « Amenez le coursier gris » ; « Conduisez le cheval brun là-bas » ; « Amenez le cheval blanc ici ! » ; « Mon cheval est plus rapide ! » ; « Mon cheval saute mieux ».

Comme les voyageurs entendaient distinctement ces hurlements à une telle distance de l’île, ils s'éloignèrent de toutes leurs forces car ils étaient persuadés que ce qu'ils voyaient était une réunion de démons.

VI.

Pendant une semaine entière, ils voyagèrent et connurent la faim et la soif. Au bout de la semaine ils découvrirent une île grande et haute avec une grande maison au bord de la mer. La maison avait deux portes, une porte donnait sur la plaine de l'île et l’autre porte sur la mer. Et collée cette porte il y avait une nasse en pierre. Cette nasse était percée d'une ouverture par laquelle les vagues fournissaient cette maison en saumon . Máel Dúin et ses hommes sont entrés dans cette maison et n'y ont trouvé personne. Après cela, ils virent un lit à baldaquin réservé au chef de la maison, et un autre lit assez grand pour trois membres de sa maisonnée, et de la nourriture pour trois devant chaque lit, et un vase de verre avec de la bonne liqueur devant chaque lit et une tasse en verre dessus chaque vase de liqueur. Alors Máel Dúin et ses hommes dînèrent de cette nourriture et de cette liqueur et ils rendirent grâce à Dieu Tout-Puissant qui les avait aidés à vaincre leur faim.

VII.

Lorsqu'ils quittèrent l'île, Máel Dúin et ses hommes voyagèrent longtemps, de nouveau privés de nourriture, mourant presque de faim, jusqu'à ce qu'ils trouvent une autre île surplombant une grande falaise et à l'intérieur de laquelle se trouvait un bois long et étroit, et grande était sa longueur et son étroitesse. Lorsque Máel Dúin atteignit ce bois, il fabriqua un bâton de marche qu’il prit à la main pour le traverser. Trois jours et trois nuits il marcha, le bâton dans sa main, tandis que le coracle qui avait hissé la voile, louvoyait le long de la falaise. Et le troisième jour, Máel Dúin vit une grappe de trois pommes pousser au bout de son bâton de marche. Chacune de ces pommes suffit à combler la faim de Máel Dúin et ses hommes pendant quarante nuits.

VIII.

Ensuite, Máel Dúin et ses hommes trouvèrent une autre île, entourée d’un mur de pierre. Lorsqu'ils s'en approchèrent, une énorme bête surgit et courut tout autour de l'île. Elle semblait plus rapide que le vent à Máel Dúin. Puis la bête se rendit au sommet de l'île et accomplit ce qu'on appelle le « redressement du corps », c'est-à-dire qu’elle se mit la tête en bas et les pieds en haut ; et elle se mit à tourner dans sa peau, c'est-à-dire que la chair et les os tournaient à l’intérieur, tandis que la peau restait immobile à l'extérieur. Puis à un autre moment, c’était la peau qui tournait comme un moulin, tandis que les os et la chair restaient immobiles.

Après avoir tournoyé longtemps ainsi, la bête se remit sur ses pieds et courut autour de l'île comme elle l'avait fait au début. Puis elle revint au même endroit ; et cette fois c’est la moitié inférieure de son corps qui restait immobile, tandis que la moitié supérieure tournait en rond comme une meule. Puis elle recommença tout depuis le début car c’était sa routine quotidienne lorsqu'elle faisait le tour de l'île.

Máel Dúin et son équipage s'enfuirent en ramant de toutes leurs forces, mais la bête les aperçut en train de fuir et elle se jeta sur la plage pour tenter de les saisir, et commença à les frapper en leur lançant les pierres du port. Or, une de ces pierres pénétra dans leur bateau, transperça le bouclier de Máel Dúin et s’incrusta dans l’auge du coracle.

IX.

Peu de temps après, ils trouvèrent une autre île élevée sur de grandes falaises, et qui paraissait enchanteresse. Mais, là se trouvaient de nombreux grands animaux semblables à des chevaux. Chacun d'eux arrachait un morceau du côté d'un autre avec ses dents et emportait le tout, chair et peau, de sorte que des flots de sang cramoisi coulaient de leurs flancs et que le sol était rempli de ruisseaux fétides.

Affolés, Máel Dúin et ses hommes quittèrent cette île immédiatement,. Ils étaient tristes, plaintifs et affaiblis, et ils ne savaient pas où aller dans le monde ni où trouver de l'aide ou une terre accueillante.

X.

Puis Máel Dúin et ses hommes arrivèrent sur une autre grande île, accablés par la faim, la soif et la tristesse et ils soupiraient, ayant perdu tout espoir d'aide. Dans cette île, il y avait de nombreux arbres qui portaient de gros fruits et notamment de grosses pommes dorées. Sous ces arbres il y avait des animaux rouges et petits, comme des porcs, qui frappaient les troncs avec leurs pattes arrière, afin que les pommes tombent, et qu’ils puissent les consommer. Une autre chose était étrange ; les animaux n’apparaissaient pas de l’aube au coucher du soleil, mais restaient terrés dans des cavernes. Autour de cette île, il y avait aussi de nombreux oiseaux qui nageaient sur les vagues. Des Matines à None ils s'éloignaient de l'île à la nage, mais depuis None jusqu'aux Vêpres ils s’approchaient de plus en plus près de l'île pour y arriver après le coucher du soleil. Et ensuite, ils pelaient les pommes et les mangeaient.

_« Allons dans l'île où sont les oiseaux. » dit Máel Dúin, « Ce ne devrait pas être plus difficile pour nous d’accoster que pour les oiseaux. »

Un des membres de l'équipage alla voir l'île en éclaireur et, rassuré, il appela ses camarade afin qu’ils mettent pied à terre. La terre était chaude sous leurs pieds, et ils ne pouvaient pas rester sur place à cause de la chaleur, car c'était une terre de feu, et il y avait des animaux qui crachaient du feu sur le sol devant eux.

Le premier jour, ils ramenèrent avec eux quelques pommes qu'ils mangèrent dans leur coracle. Dès que le soleil se levait, les oiseaux quittaient l'île pour nager vers la mer. A ce signal, les animaux cracheurs de feu sortaient la tête hors des grottes et mangeaient des pommes jusqu'au coucher du soleil. Lorsqu'ils étaient rentrés dans leurs grottes, les oiseaux venaient prendre leur place pour manger les pommes.

Máel Dúin est retourné sur l’île avec son équipage et ils ont ramassé toutes les pommes qu’ils trouvèrent là cette nuit-là. Ces pommes leur permettraient de lutter contre la faim et la soif. Alors ils remplirent leur coracle avec autant de pommes qu’ils purent, et reprirent la mer.

XI.

Mais alors que les pommes vinrent à manquer, que leur faim et leur soif étaient grandes et que leur bouche et leur nez étaient remplis de la puanteur de la mer, Máel Dúin et ses hommes aperçurent une île qui n'était pas grande et sur laquelle il y avait un fort entouré d'un haut rempart blanc comme s'il était construit en chaux vive ou comme s'il s'agissait d'un immense rocher de craie. Sa hauteur depuis la mer paraissait vraiment immense : elle atteignait presque les nuages. Le fort était grand ouvert. Autour du rempart se dressaient de grandes maisons blanches comme neige. Lorsqu'ils entrèrent dans la plus grande d'entre elles, Máel Dúin et ses hommes n'y virent personne, sauf un petit chat qui se trouvait au milieu de la maison et jouait sur les quatre piliers de pierre qui s'y trouvaient. Il sautait, d’un pilier à l'autre. Il regarda à peine les hommes mais ne s'arrêta pas de jouer.

Après cela, ils aperçurent sur le mur trois guirlandes qui faisaient le tour de la maison, d'un montant de porte à l'autre. Tout d'abord, une rangée de broches d'or et d'argent épinglées dans le mur, et une rangée de colliers d'or et d'argent : chacun d'eux étant grand comme les cerceaux d'une cuve. La troisième rangée était composée de grandes épées aux poignées d'or et d'argent. Les pièces étaient pleines de couvertures blanches et de vêtements brillants. De plus, il y avait un bœuf rôti au milieu de la maison, et de grands vases remplis d'une bonne liqueur enivrante.

_« Est-ce que cela a été laissé pour nous ? » demanda Máel Dúin au chat.

Le chat le regarda à peine et continua à jouer. Alors Máel Dúin déclara qu’il pensait que le dîner leur avait été réservé.

Máel Dúin et ses hommes dînèrent, burent et dormirent. Ils mirent les restes de la liqueur dans des vases et stockèrent les restes de nourriture. Lorsqu'ils décidèrent de partir, le troisième frère adoptif de Máel Dúin dit :
_« Je vais emporter un de ces colliers ? »
_« Je ne te le conseille pas, » répondit Máel Dúin, « cette maison n'est certainement pas laissée sans surveillance ».

Cependant le troisième frère adoptif de Máel Dúin décrocha un des colliers et se dirigea avec le collier jusqu'au milieu de l'enclos. Le chat le suivit, lui sauta dessus comme une flèche enflammée, et le brûla de sorte que le troisième frère adoptif de Màel Duin se transforme en un tas de cendre, puis retourna sur son pilier. Ensuite, Máel Dúin a apaisé le chat avec des paroles douces, a remis le collier à sa place, a nettoyé les cendres du sol de l'enclos et les a jetées sur le rivage.

Puis il remontèrent dans leur coracle priant et glorifiant Dieu

XII.

Tôt le matin du troisième jour suivant, ils aperçurent une autre île divisée en deux par une palissade d'airain. Et ils y aperçurent deux grands troupeaux de moutons ; un troupeau noir de ce côté-ci de la clôture. et un troupeau blanc de l'autre côté. Et ils virent un grand homme qui séparait les troupeaux. Lorsqu'il jetait un mouton blanc par-dessus la clôture du côté des moutons noirs, le mouton devenait immédiatement noir, et lorsqu’il jetait un mouton noir par-dessus la clôture de l’autre côté, il devenait immédiatement blanc. Les hommes de Màel Dùin étaient effrayés de voir cela.

«Nous devrions faire attention», dit Máel Dúin: «car nous risquons de subir le même sort. Jetons deux bâtons dans l'île. Et s’ils changent de couleur en touchant le sol, cela voudra dire que nous aussi nous nous transformerons si nous mettons le pied dessus ».

Alors ils jetèrent un bâton avec de l'écorce noire sur le côté où se trouvaient les moutons blancs, et il devint blanc aussitôt. Puis ils jetèrent un bâton blanc pelé du côté où se trouvait le mouton noir et il devint aussitôt noir.

_« Cette expérience nous montre qu’il serait hasardeux de mettre pied à terre », dit Máel Dúin. « Nous ne débarquerons pas sur l’île. Le doute n’est pas permis, la couleur de notre peau n’aurait pas mieux résisté que celle des baguettes. »

Máel Dúin et ses hommes revinrent terrorisés de cette île.

XIII

Trois jours plus tard, Máel Dúin et ses hommes aperçurent une autre île grande et large renfermant un troupeau de porcs gras. Ils tuèrent un petit cochon du troupeau. Mais ils ne purent pas l’emporter pour le rôtir, alors ils se sont tous regroupés autour. Ils le cuisinèrent sur place puis le découpèrent pour le transporter dans leur coracle.

Puis ils virent une grande montagne au centre de l’île et ils décidèrent d’y monter afin d’inspecter les alentours. Lorsque Diurán le Rhymer et German partirent pour grimper sur la montagne, ils se retrouvèrent face à une rivière large mais peu profonde. Germán plongea le manche de sa lance dans cette rivière, et aussitôt elle se consuma comme si le feu l'avait brûlée. Et ils ne sont donc pas allés plus loin. Ils virent aussi, de l'autre côté de la rivière, de grands bœufs sans cornes couchés dans l’herbe, et un homme immense assis à côté d'eux. Alors Germán frappa sa lance contre son bouclier pour effrayer les bœufs.

_« Pourquoi effrayes-tu ces veaux stupides? » dit ce berger immense .
_« Ces grandes bêtes ne seraient donc que des veaux ? Et où sont les mères de ces veaux ? » demanda Germán.
_ «Elles sont de l'autre côté de cette montagne», répondit le berger.

Diurán et Germán retournent vers leurs camarades et leur racontèrent tout ce qu’ils avaient vu.

XIV.

Peu de temps après, Máel Dúin et ses hommes trouvèrent une île avec un grand moulin hideux,dans lequel se trouvait un meunier énorme et hideux. Ils lui ont demandé :
_ « De quel moulin s’agit-il ? ».
_ « Et bien, en vérité, ne posez jamais une question si vous n’êtes pas certains de vouloir en connaître la réponse». Répondit le meunier
_ «Nous sommes sûrs de nous. Parlez», dirent-ils.
_« La moitié du blé de votre pays est moulu ici. Et tout ce qui est dédaigné chez vous est moulu dans ce moulin, » dit-il.

Après cela, ils virent les lourdes et innombrables charges sur des chevaux et des êtres humains allant au moulin et en revenant. Seulement tout ce qui en était apporté était transporté uniquement en direction de l'ouest. Alors, ils demandèrent :
_« Et quel est le nom de ce moulin ?
_ Inber Tre-cenand, répondit le meunier.

Après avoir vu et avoir entendu toutes ces choses, Máel Dúin et ses hommes se signèrent du signe de la croix du Christ et repartirent dans leur coracle.

XV.

Lorsqu'ils quittèrent l'île du Moulin, Máel Dúin et ses hommes trouvèrent une grande île peuplée d’une grande multitude d'êtres humains. Ils étaient noirs, tant de corps que de vêtements. Ils portaient des filets autour de leur tête, et ils se lamentaient sans arrêt.

L’un des deux frères adoptifs de Máel Dúin est allé sur l’île où il a été frappé par un sort malheureux : Lorsqu'il alla vers les gens qui pleuraient, il se comporta immédiatement comme eux et se mit à pleurer lui aussi. Deux hommes d’équipage furent envoyés pour le ramener de là, mais ils ne le reconnurent pas dans la foule et se mirent eux aussi à se lamenter. Alors Máel Dúin dit :
_ " Que quatre d’entre vous descendent à terre. Allez-y avec vos armes, et ramenez ces hommes de force. Ne regardez ni la terre ni le ciel, serrez vos vêtements autour de votre nez et autour de votre bouche et ne respirez pas l'air de ce pays. Et surtout ne quittez jamais nos propres hommes des yeux.

Les quatre hommes d’équipage s'en allèrent et ramenèrent avec eux de force les autres. Quand on leur demandait aux pleureurs ce qu'ils avaient vu dans le pays pour causer une telle douleur qu’ils ne pouvaient s’empêcher de pleurer, ils répondaient :
_« En vérité, nous ne le savons pas, dirent-ils, mais nous ne pouvions pas faire autre chose que ce que nous avons vu les autres faire, »

Par la suite, Máel Dúin et ses hommes quittèrent rapidement l'île.

XVI.

Ensuite, ils arrivèrent à une autre île élevée divisée en quatre parties par quatre clôtures. La première barrière était en or, une autre en argent, la troisième en airain et la quatrième en cristal. Les rois se trouvaient dans la quatrième parcelle, les reines dans une autre, les guerriers dans une autre, les jeunes filles dans une autre. Une jeune fille vint à leur rencontre, les fit descendre à terre et leur donna à manger. La nourriture ressemblait à du fromage et chacun prit grand plaisir à manger. Puis elle leur versa un alcool très puissant à partir d'un petit vase et ils dormirent pendant trois jours et trois nuits. Pendant tout ce temps, la jeune fille les soigna. Lorsqu'ils se réveillèrent le troisième jour, ils étaient dans leur coracle en pleine mer. Ils eurent beau fouiller l’horizon, nulle part ils n'ont vu trace de leur île ou de la jeune fille.

Alors Máel Dúin et ses hommes repartirent à la rame.

XVII.

Puis ils trouvèrent une autre île relativement petite. Il y avait là une forteresse avec une porte d'airain fixée par des gonds d'airain. Un pont en cristal rose menait au portail. Chaque fois que Máel Dúin et ses hommes montaient sur le pont, ils tombaient à la renverse. Au bout de plusieurs tentatives, ils aperçurent une femme qui sortait de la forteresse, un seau à la main. La femme souleva une plaque de cristal près d’un des piliers du pont, remplit son seau à la fontaine qui coulait sous le pont et regagna la forteresse.

_« Cette femme ne serait-elle pas venue chercher Máel Dúin ! » dit Germán.
_ « Je suis venue pour Máel Dúin en effet », dit la femme en fermant la porte derrière elle.

Alors, ils frappèrent les gonds d'airain et la chaîne d'airain qui étaient devant eux, et le son qu'ils produisirent fut une musique douce et apaisante qui les endormit jusqu'au lendemain matin.

Quand ils se réveillèrent, ils virent la même femme sortir de la forteresse, avec son seau à la main et elle le remplit à la même dalle.

_ « Cette femme est revenue pour rencontrer Máel Dúin ! dit German.
_ « Je considère que Máel Dúin a une valeur inestimable ! » dit-elle en fermant la porte derrière elle.

La même mélodie les fit alors dormir jusqu'au lendemain. Cela dura trois jours et trois nuits. Le quatrième jour, la femme se dirigea vers eux. Alors qu’elle approchait, ils purent voir qu’elle était vraiment très belle. Elle portait un manteau blanc et un cercle d'or autour de ses cheveux. Elle avait des cheveux dorés. Deux sandales d'argent sur ses pieds roses. Une broche en argent avec des clous d'or sur son manteau et une blouse vaporeuse et soyeuse près de sa peau blanche.

_ « Bienvenue à toi, ô Máel Dúin ! » dit-elle ; et elle appela chaque homme de l'équipage par son propre nom.
_ « Il y a longtemps que votre venue ici était connue et espérée.

Puis elle les conduisit dans une grande maison située près de la mer et hissa leur coracle à terre. Dans la maison, ils virent un canapé réservé à Máel Dúin, et un autre canapé pour trois membres de son équipage. La femme leur apporta de la nourriture semblable à du fromage dans une sacoche. Elle en a donné une part à tous les trois. Quand ils mangeaient chacun y trouvait la saveur qu’il désirait. Elle s'occupait de Máel Dúin à part. Puis elle sortit remplir son seau, toujours sous la même dalle, et leur distribua de l'alcool : Elle les servait tour à tour et savait exactement quand ils en avaient assez.

_«Cette femme serait une épouse idéale pour Máel Dúin», dirent les membres de l’équipage

Puis elle s'éloigna d'eux, avec son vase et son seau.

Les membres de l’équipage dirent à Máel Dúin :
_« Devons-nous lui demander si elle accepterait de coucher avec toi ? »
_ «Pourquoi prendre la peine de lui poser cette question maintenant ? Attendons qu’elle revienne demain. »

Mais les membres de l’équipage interpellèrent la femme et lui dirent :
_« Veux-tu montrer de l’affection à Máel Dúin et coucher avec lui ? Pourquoi ne resterais-tu pas ici ce soir ? »

La femme leur dit qu’elle n’avait jamais commis aucun péché, qu’elle n’avait même pas la moindre idée de ce qu’était le péché. Puis elle les quitta pour se rendre chez elle. Et le lendemain, à la même heure, elle revint s'occuper d'eux. Et quand ils étaient ivres et repus, ils lui redirent les mêmes paroles.

_ « Demain », dit-elle, une réponse vous sera donnée  à votre requête».

Puis elle est rentrée chez elle et ils dormirent sur leurs canapés. Lorsqu'ils se réveillèrent, ils étaient dans leur coracle échoué sur un rocher et ils ne voyaient plus ni l'île, ni la forteresse, ni la dame, ni l'endroit où ils avaient été.

XVIII.

Alors qu'ils partaient de cet endroit, Máel Dúin et ses hommes entendirent venir du nord-est un grand cri et un chant comme un chant de psaumes. Ils ramèrent toute la nuit et la journée du lendemain pour savoir quels étaient les cris ou les chants qu’ils entendaient et ils virent une île haute et montagneuse pleine d’oiseaux noirs, bruns et tachetés, criant et chantant fort.

Máel Dúin et ses hommes continuèrent à ramer un peu au delà de cette île et trouvèrent une autre île qui, elle non plus, n'était pas grande. Il y avait là de nombreux arbres couverts de nombreux oiseaux. Et là, ils virent un homme qui n’avait pour tout vêtement que ses cheveux. Intrigués ils lui demandèrent qui il était et quel était son clan .

_ « Je suis un homme d’Irlande », répondit-il. « Je suis parti en pèlerinage dans un petit coracle et quand je me suis éloigné un peu de terre, mon coracle s'est déchiré sous moi ».

_ “Je suis alors retourné à terre, dit-il, et j'ai mis mes pieds sur un carré de gazon de mon pays que j’ai apporté au bord de la mer et je me suis assis dessus. Et l'Éternel a conduit ce gazon pour moi en ce lieu, et Dieu ajoute chaque année un pied à sa largeur, et ainsi chaque année un arbre supplémentaire peut y pousser. Les oiseaux que vous voyez dans les arbres sont les âmes de mes enfants et de mes parents, femmes et hommes, qui attendent le Jugement dernier. Pour vivre j’ai chaque jour un demi *bannock, une tranche de poisson, et la liqueur du puits que Dieu m'a donné. Cela m'est apporté quotidiennement par l’intermédiaire des anges. »

Et, en effet, à l'heure de *None, un demi bannock et une tranche de poisson furent apportés à chaque homme d’équipage ainsi que la liqueur du puits..

Máel Dúin et ses hommes restèrent là trois nuits sous l’hospitalité de cet homme, et une fois leurs trois nuits terminées le pèlerin leur a dit adieu, en ajoutant :
_« Je peux vous prédire que vous retournerez tous votre pays, à l’exception d’un d’entre vous ».

XX.

Au matin du troisième jour, Máel Dúin et ses hommes trouvèrent une autre île dont l’intérieur des terres était blanc comme du duvet, et qui était entourée d'un rempart en or. Ils y virent un homme qui lui aussi n’avait pour tout vêtement que ses cheveux. Ils lui ont demandé comment il se nourrissait.

_  « En vérité, dit-il, il y a une fontaine dans cette île. Le mercredi et le vendredi, elle produit du petit-lait ou de l'eau. Mais le dimanche et lors des fêtes des martyrs elle donne du bon lait. Et aux fêtes des apôtres, de Marie et de Jean-Baptiste, ainsi qu'aux grandes marées de l'année, c'est de la bière et du vin qui en coulent. »

Aux nones donc,chacun d’eux reçut un demi bannock et un morceau de poisson ; et ils burent à leur gré de la liqueur qui leur était fournie à la fontaine de l'île. Et cela les plongea dans un profond sommeil qui dura jusqu'au lendemain. Après les avoir hébergés pendant trois nuits, le clerc leur ordonna de partir. Alors Máel Dúin et ses hommes lui dirent adieu et partirent.

XXI.

Puis, après avoir voyagé longtemps sur les vagues, Máel Dúin et ses hommes aperçurent loin devant eux une île, et comme ils s'en approchaient ils entendirent le bruit de forgerons frappant une masse de fer sur une enclume avec un rythme soutenu, comme si trois ou quatre forgerons travaillaient en cadence sur le même fer. Lorsqu'ils s'en approchèrent, ils entendirent un homme demander à un autre :
_« Sont-ils tout près ? ».
_ «Oui, répondit l'autre.
_« Qui sont-ils, selon vous, ces êtres qui arrivent là-bas ? » dit un autre homme,
_« Ils ressemblent à des petits garçons, dans une petite *auge », dit-il.

Lorsque Máel Dúin entendit ce que disaient les forgerons, il dit :
_« Retirons-nous et ne faisons pas virer le bateau, mais que sa *poupe reste dirigée vers l'avant, afin qu'ils ne s'aperçoivent pas que nous fuyons.

Alors ils repartirent à la rame, le bateau dirigé vers l’avant. De nouveau, le même homme qui se tenait dans la forge demanda :
_ « Sont-ils maintenant près du port ? »
_« Ils semblent s’être arrêtes », dit le guetteur : « ils n’avancent pas et ils ne reculent pas ».

Peu de temps après, il demanda à nouveau : «
_ "  Que font-ils maintenant ? ».
_ « Je crois, dit le guetteur, qu'ils s'enfuient ; il me semble qu'ils sont bien plus loin du port maintenant qu'ils ne l'étaient tout à l’heure ».

Alors le forgeron sortit de la forge, tenant dans ses pinces une énorme masse de fer rougeoyant, et il jeta cette masse dans la mer près du coracle; et toute la mer se mit à bouillonner ; mais le coracle n’a pas brûlé car Máel Dúin et ses hommes s'enfuirent de toutes les forces de leurs rames et voguèrent rapidement dans le grand océan.

XXIII.

Après cela, Máel Dúin et ses hommes voyagèrent jusqu'à pénétrer dans une mer couleur vert bouteille. Mais sa pureté était telle que les graviers et le sable au fond de cette mer étaient clairement visibles à travers elle et ils n'y virent ni monstres ni bêtes parmi les rochers, mais seulement du gravier pur et du sable vert. Pendant une longue partie de la journée, ils naviguèrent sur cette mer dont la splendeur et la beauté étaient grandes.

Ils s'avancèrent ensuite dans une autre mer qui ressemblait à un nuage et il leur sembla qu'elle ne pourrait les soutenir ni eux ni le coracle. Puis ils virent sous la mer, au-dessous d’eux, des forteresses couvertes et un beau pays. Et ils virent une bête énorme, terrible, monstrueuse et un troupeau de bœufs perchés dans un arbre. Il y avait aussi des troupeaux de bœufs tout autour de l'arbre et à côté de l'arbre un homme armé avec un bouclier, une lance et une épée. Lorsque l’homme aperçut cette énorme bête qui demeurait dans l'arbre, il prit peur et s'enfuit. Alors la bête immonde étendit son cou hors de l'arbre, la posa sur le dos du plus gros bœuf du troupeau, le traîna dans l'arbre et le dévora aussitôt en un clin d'œil. Les autres troupeaux et les bergers s'enfuirent aussitôt. Lorsque Máel Dúin et son équipage virent tout cela, une grande terreur s'empara d'eux, car ils se disaient qu'ils ne traverseraient jamais cette mer sans tomber à travers elle, en raison de sa densité légère comme la brume.

Alors, après tous les dangers déjà affrontés, ils préférèrent l’éviter.

XXIV.

Ensuite, ils trouvèrent une autre île, et autour de cette île la mer s'élevait formant de vastes falaises d'eau qui l’encerclaient. Quand les gens de ce pays les aperçurent, ils se mirent à crier sur eux et à dire :
_« Les voilà ! Ce sont eux ! Ils arrivent ! »,
jusqu’à ce qu’ils soient essoufflés.

Alors Máel Dúin et ses hommes aperçurent de nombreux êtres humains, de grands troupeaux de bovins, des troupeaux de chevaux et de nombreux troupeaux de moutons. Puis, sur la mer, ils virent une femme assise sur de grosses noix qui flottaient, les vagues passant par dessus elles. Ils ramassèrent une grande partie de ces noix et les emportèrent avec eux. Puis ils s’éloignèrent de l'île et les cris cessèrent.

_ «Où sont-ils maintenant», dit l'homme qui les poursuivait de ses cris.
_« Ils sont partis », répondit un groupe d’entre eux ».
_«Ils ne le sont pas encore partis», dit un autre groupe.

Máel Dúin se dit qu’il était probable qu’il y avait parmi les insulaires une prophétie qui disait que quelqu’un viendrait et qu’il ruinerait leur pays et les expulserait de leurs terres.

XXV.

Les vents les conduisirent sur une autre île, où ils virent une chose étrange ; un grand ruisseau s'élevait du rivage de l'île, traversait toute l'île comme un arc-en-ciel et descendait de l'autre côté de l'île sur l'autre rivage. Máel Dúin et ses hommes sont passés sous ce ruisseau, sans être mouillés. Puis, avec leurs lances, ils ont percé le ruisseau qui passait au-dessus d’eux et de grands et énormes saumons tombèrent du ruisseau sur le sol de l'île. Et toute l'île fut remplie de la puanteur des poissons qui pourrissaient, car ils n’arrivaient pas à tous les ramasser à cause de leur abondance.

Du dimanche soir au lundi matin, ce ruisseau ne bougea pas, mais resta immobile au dessus de l'île. Ensuite, ils rassemblèrent en un seul endroit une grande quantité de saumons, ils en remplirent leur bateau et repartirent de cette île pour naviguer encore sur l'océan.

XXVI.

Par la suite, Máel Dúin et ses hommes voyagèrent jusqu'à ce qu'ils trouvent une grande colonne d'argent à quatre côtés. La largeur de chacun de ces côtés était de deux coups d'aviron du bateau, de sorte que dans toute sa circonférence il y avait huit coups d'aviron du bateau. Et il n’y avait pas un seul morceau de terre autour, mais seulement l’océan sans limites. Máel Dúin et ses hommes ne voyaient pas comment était sa base tellement elle était profondément ancrée, ni comment était son sommet à cause de sa hauteur. Mais de son sommet sortait un grand filet argenté qui flottait très loin. Leur coracle passa à la voile à travers les mailles de ce filet. Et Diurán donna un coup de pointe de sa lance dans le filet afin d’en récupérer une maille.

_« Ne détruisez pas le filet », dit Máel Dúin, « car ce que nous voyons est certainement l’œuvre d’hommes puissants.
_ « Je fais cela pour la louange du nom de Dieu, dit Diurán,afin que mes paroles soient davantage crues, car si j’atteins l’Irlande je déposerai cette maille en offrande sur l’autel d’Armagh.

Le poids de la maille tranchée par Diuràn était de deux *onces et demie lorsqu'elle a été pesée à *Armagh.

Et puis Máel Dúin et ses hommes entendirent une voix venant du sommet de ce pilier, puissante, claire et distincte. Mais ils ne connaissaient ni la langue qu’elle parlait, ni les paroles qu’elle prononçait.

XXVII.

Puis Máel Dúin et ses hommes virent une autre île posée sur un piédestal qui la soutenait dans les airs. Et ils ramèrent tout autour dans l’espoir de trouver un chemin pour y entrer, mais ils n’en trouvèrent aucun. Par contre, ils virent au bas du socle une porte fermée et verrouillée et ils comprirent que c'était par là que l'on pénétrait dans l'île. Puis ils virent une foule au sommet de l’île; mais ils ne parlèrent à personne, et personne ne parla avec eux. Ensuite ils repartirent sur la mer.

XXVIII.

Après cela, Máel Dúin et ses hommes arrivèrent à une île sur laquelle il y avait une grande plaine, et sur celle-ci un grand plateau sans bruyère mais herbeux et plat. Près du rivage de cette île ils virent une forteresse grande, haute et forte, et une grande maison ornée et dotée de bons lits Dix-sept jeunes filles étaient là en train de préparer un bain. Máel Dúin et ses hommes débarquèrent sur cette île et s'assirent sur une colline devant le fort. Máel Dúin a dit ceci :
_« Je suis pratiquement certain que le bain qui se prépare là-bas nous est destiné».

Et à l’heure de none, ils aperçurent un cavalier monté sur un coursier se diriger vers la forteresse. La selle était posée sur n *caparaçon brodé d’or. Le cavalier portait une capuche bleue et un manteau bordé de pourpre, des gants avec broderie dorée et des sandales ornées. Alors qu'il descendait de cheval, une des jeunes filles s'empressa de conduire le cheval à l’écurie. Le cavalier pénétra dans la forteresse et entra dans le bain. Alors qu’il se déshabillait pour entrer sans le bain Máel Dúin et ses hommes virent que c'était une femme qui était descendue de cheval, et peu de temps après la jeune fille qui s’était occupée du cheval et du cavalier vint vers eux

_ « Bienvenue à vous, nous vous attendions! » dit-elle. « Entrez dans le fort : la reine vous invite ».

Alors Máel Dúin et ses hommes entrèrent dans le fort et ils se baignèrent tous. La reine était assise d'un côté de la pièce et ses dix-sept filles autour d'elle.

Máel Duin est venu s’asseoir de l'autre côté, face à la reine, avec les dix-sept hommes d’équipage (que Nunca lui avait dit de recruter) autour de lui. Ensuite, un plat contenant de la bonne nourriture fut apporté à Máel Dúin, et avec lui un récipient en verre rempli de bonne liqueur . Et il y avait aussi un plat et un récipient de liqueur pour trois personnes de son équipage. Quand ils eurent dîné, la reine dit ceci :
_ « où allons nous faire dormir les invités ? »
_« Nous ferons comme tu le voudras», répondit Máel Dúin.
_ « Vous quitterez l'île demain matin, dit-elle, que chacun de vous prenne une femme et qu'il entre dans la chambre qui est derrière elle (Car il y avait dix-sept chambres avec de bons lits à baldaquin dans la maison). Ainsi, les dix-sept hommes et les dix-sept filles adultes ont couché ensemble, et Máel Dúin a couché avec la reine. Après cela, ils dormirent jusqu'au lendemain matin. Puis tôt le matin, ils se levèrent pour partir.
_« Je dois m’en aller, mais vous n’êtes pas obligés de partir», dit la reine, « Tant que vous resterez ici vous ne vieillirez pas, mais vous garderez l'âge que vous avez atteint en abordant sur l’île. Vous aurez la vie éternelle et toutes vos nuits, sans exception, seront semblables à la nuit dernière. Et n’aurez plus à errer d’île en île sur l’océan !
_« Dis-nous », demanda Máel Dúin, « comment es tu arrivée ici »
_« C’est très simple en vérité», répondit-elle. « Il y avait un homme bon et juste sur cette île, le roi de l’île. Je lui ai donné dix-sept filles, et j'étais leur mère. Puis leur père mourut et ne laissa aucun héritier. J'ai donc pris le gouvernement de cette île après lui. Chaque jour je vais dans la grande plaine de l’île pour juger les gens et trancher leurs différends ».
_« Mais pourquoi nous quittes-tu aujourd’hui ? » dit Máel Dúin.
_« Si je ne pars pas, dit-elle, ce qui nous est arrivé la nuit dernière ne se réalisera plus. Restez ici dans cette maison, et vous n'aurez jamais besoin de travailler. Quand à moi, je dois aller rendre la justice.

Máel Dúin et ses hommes restèrent donc dans cette île pendant les trois mois de l'hiver ; et il leur sembla que ces trois mois avaient duré trois ans.

_«Cela fait longtemps que nous sommes ici», dit un de ses hommesà Máel Dúin. « Pourquoi ne retournons nous pas dans notre pays ? »
_ « Ce ne serait pas une bonne décision», dit Máel Dúin, car nous ne trouverons rien de mieux dans notre propre pays que ce que nous trouvons ici.

Mais son équipage a commencé à murmurer contre Máel Dúin, et ils ont dit que l'amour que Máel Dúin avait pour la femme de l’île était trop grand.

_« Qu’il reste donc avec elle s’il le désire », disaient les membres d’équipage. « Nous nous retournerons dans notre pays ».
_ «Je ne resterai pas derrière vous», dit Máel Dúin.

Donc, un jour que la reine se rendait au jugement, là où elle avait l'habitude de se rendre tous les jours, Máel Dúin et ses hommes montèrent à bord de leur coracle. Les voyant s’éloigner, la reine monta sur son cheval et lança une *corde d'écoute vers eux. Máel Dúin l'attrapa et il l'accrocha à sa main. La reine tenait fermement l’autre bout de l'écoute et elle ramena le coracle vers elle, jusqu'au port.

Máel Dúin et ses hommes sont restés avec elle encore trois mois. Puis ils tinrent conseil.

_« Nous sommes sûrs maintenant, dit l’équipage, que l'amour de Máel Dúin pour la femme est grand. C’est pourquoi il a attrapé le filin d’écoute afin qu’il s’accroche à sa main et que nous puissions être ramenés à la forteresse.
_« Nous allons repartir » dit Máel Dúin Si la reine lance à nouveau une écoute, que personne ne s'occupe du point d'écoute, sinon qu'on lui coupe la main ».

Ils montèrent donc à bord de leur coracle. La reine est venue et a lancé l'écoute vers eux. Un autre homme dans le coracle l'attrapa et l'accrocha à sa main. Diurán lui coupa la main et elle tomba avec l'écoute dans la mer. Lorsque la reine vit cela, elle se mit aussitôt à gémir et à crier, de sorte que toute l’île ne fut plus qu'un seul cri, gémissement et hurlement.

C’est ainsi que Máel Dúin et ses hommes se sont échappés de la reine, hors de l’île.

XXIX.

Máel Dúin et ses hommes furent ensuite ballottés pendant un très long moment sur les vagues, jusqu'à ce qu'ils trouvèrent une île avec des arbres ressemblant à des saules ou des noisetiers. Sur ces arbres il y avait des fruits merveilleux, de grandes baies. Tous ces fruits et baies leur étaient inconnus. Alors, ils décidèrent de cueillir les fruits d’un petit arbre, puis ils tirèrent au sort pour connaître celui qui goûterait le fruit de l'arbre. Le sort est tombé sur Máel Dúin. Il pressa quelques baies dans un récipient et but le jus, et cela le plongea dans un profond sommeil jusqu'à la même heure le lendemain. Les hommes d’équipage étaient très inquiets car ils ne savaient pas s'il était vivant ou mort, avec de l'écume rouge autour de ses lèvres, jusqu'au lendemain quand il se réveilla.

Máel Dúin leur dit : « Cueillez ce fruit, car il est nourrissant et délicieux ».

Alors ils rassemblèrent les baies, et ils les mélangèrent. Puis ils les ont arrosés. avec de l’eau pour modérer leur pouvoir d'enivrement et d'endormissement. Ensuite, ils rassemblèrent le tout, le pressèrent et remplirent de ce jus tous les récipients qu'ils possédaient, et ils s'éloignèrent de cette île en ramant.

XXX.

Ils atterrirent ensuite sur une autre grande île. L'un des deux côtés était boisé avec des ifs et des grands chênes. L’autre côté était une plaine avec un petit lac. Il y avait là de grands troupeaux de moutons. Ils y virent une petite église et une forteresse. Ils sont allés à l'église. Un ancien clerc grisonnant se trouvait dans l'église et ses cheveux l'habillaient entièrement. Máel Dúin lui a demandé :
_« D’où es-tu ? »
_«Je suis le quinzième homme de la communauté de *Brenainn de Tiree. Nous avons fait notre pèlerinage dans l'océan et sommes arrivés sur cette île. Ils sont tous morts, sauf moi »

Et puis il leur montra la tablette de Brenainn que les moines avaient emportée avec eux lors de leur pèlerinage. Tous se prosternèrent devant la tablette et Máel Dúin l'embrassa.

_« Maintenant, dit l’ancien, mangez des moutons à votre faim mais n’en consommez pas plus que ce qui vous suffit ».

Ainsi, pendant une saison, Máel Dúin et ses hommes se sont nourris de la chair des gros moutons.

Un jour, alors qu'ils scrutaient l’horizon depuis l'île, ils aperçurent ce qu'ils croyaient être un nuage venant vers eux du sud-ouest. Au bout d'un moment, comme ils regardaient encore, ils s'aperçurent que c'était un oiseau car ils virent les ailes s'agiter. Puis cet oiseau gigantesque entra dans l’île et atterrit sur une colline près du lac. Ils pensèrent alors qu'il les emporterait dans ses serres vers la mer. Mais, l’oiseau apportait avec lui une branche d'un grand arbre. La branche et les grosses brindilles qui en sortaient étaient plus grandes que le plus grand chêne de l’île. A l’extrémité de ces brindilles il y avait une cime dense couverte de feuilles fraîches. Elle portait en abondance des baies rouges comme des raisins, mais bien plus grosses. Alors Máel Dúin et ses compagnons se sont cachés guettant ce que ferait l'oiseau. En raison de sa fatigue, l’oiseau resta un certain temps au repos. Puis il a commencé à manger une partie des fruits de l'arbre. Inquiet, Máel Dúin s’approcha de la colline sur laquelle l’oiseau se trouvait pour voir si celui-ci lui ferait du mal, mais l'oiseau se contenta de s’éloigner de quelque pas. Alors tout l’équipage suivit Máel Dúin .

_« Lequel d’entre – nous osera cueillir une partie des fruits de la branche qui est devant l'oiseau. » dit Máel Dúin

Un des homes d’équipage y est allé et il a ramassé une partie des baies. L'oiseau ne l’a pas agressé, et ne l'a même pas regardé ni fait un mouvement vers lui. Alors, les dix-sept hommes d’équipage protégés par leurs boucliers contournèrent l’oiseau, et il ne leur fit aucun mal.

A l’heure de none, Máel Dúin et ses hommes aperçurent deux autres grands oiseaux venant du sud-ouest, de l'endroit d'où était venu le grand oiseau, et qui se posèrent devant le grand oiseau. Après s’être bien reposés, ils commencèrent à enlever les poux qui infestaient les parties supérieures et inférieures des mâchoires du grand oiseau, ainsi que ses yeux et ses oreilles.

Ces deux grands aigles restèrent ainsi jusqu'à vêpres. Puis les trois oiseaux se mirent à manger les baies et les fruits du rameau. Toute la journée du lendemain jusqu'à midi, les deux grands aigles arrachaient la même vermine sur tout le corps du premier oiseau et lui arrachaient aussi ses vieilles plumes ainsi que les vieilles écailles de gale. Mais à midi ils arrachaient les baies de la branche et, avec leur bec. Ils les cassaient contre les pierres puis les jetaient dans la mer de sorte que l'écume qui s'y trouvait devenait rouge. Après cela, le grand oiseau entra dans le lac et y resta à se laver presque jusqu'à la fin de la journée. Après cela, il sortit du lac et s'installa sur une autre cime d’arbre dans la même colline, de peur que les poux qui lui avaient été retirés ne reviennent.

Le lendemain matin, les deux grands aigles lissaient le plumage de l’ oiseau gigantesque avec leur bec, comme avec un peigne. Ils le firent jusqu'à midi. A midi ils se reposèrent un peu, puis ils s'en allèrent vers l’endroit d'où ils étaient venus.

Mais le grand oiseau gigantesque resta derrière eux, se lissant et secouant ses ailes jusqu'à la fin du troisième jour. Là, à l'heure de *tierce, le troisième jour, il s'envola et vola trois fois autour de l'île puis se posa pour prendre un peu de repos sur la même colline. Ensuite il s'éloigna vers l’endroit d'où il était venu. Son vol était plus rapide et plus puissant à ce moment-là qu'auparavant. C'est pourquoi il était évident pour tous que sa vieillesse s’était renouvelée en jeunesse, selon la parole du prophète, qui dit : « Ta jeunesse se renouvellera comme celle de l'aigle ».

Alors Diurán, voyant cette grande merveille, dit :
_« Allons au lac pour nous reégénérer nous aussi, là où l’oiseau s’est baigné».
_ «Non», dit un autre, «car l'oiseau y a peut-être laissé du venin».
_«Je penses que tu as tort», dit Diurán, «regardez-moi bien, je vais y entrer sans attendre».

Diurán entra et s'y baigna, plongea ses lèvres dans l'eau et en but de grandes gorgées. Par la suite, il eut une vue perçante tout le temps qu'il resta en vie et pas une dent n'est tombée de sa mâchoire, ni un cheveu de sa tête et il n'a jamais eu à souffrir de faiblesse ou d'infirmité à partir de ce moment-là.

Ensuite, Máel Dúin et ses hommes firent leurs adieux au vieil homme et emportèrent avec eux des provisions de viande de brebis. Ils mirent leur coracle à la mer, puis ils se dirigèrent vers l'océan.

X​XXI.

Máel Dúin et ses hommes trouvèrent une autre grande île, avec une grande plaine à l'intérieur. Une grande foule se trouvait dans cette plaine, jouant et riant sans cesse. Máel Dúin et ses hommes tirèrent au sort pour savoir à qui il revenait d'entrer sur l'île et de l'explorer. Le sort tomba sur le troisième des frères adoptifs de Máel Dúin. Lorsqu'il partit, il se mit aussitôt à jouer et à rire continuellement avec les insulaires comme s'il les avait connus toute sa vie. Ses camarades restèrent très, très longtemps à l'attendre, mais il ne revint pas vers eux. Alors ils le quittèrent.

XXXII.

Après cela, ils virent une autre île, qui n'était pas grande, entourée d’un rempart enflammé; et ce rempart tournait autour de l'île. Il y avait une porte ouverte sur le côté de ce rempart. Chaque fois que la porte se trouvait en face d'eux, ils voyaient toute l'île à travers la porte, ainsi que tout ce qui s'y trouvait, et tous ses habitants. C’étaient des êtres humains beaux, nombreux, portant des vêtements brodés et qui faisaient la fête en tenant des vases d'or à la main. Nos vagabonds des mers entendirent. leur musique de fête et pendant longtemps ils restèrent pour contempler cette merveille qu’ils trouvaient délicieuse.

XXXIII.

Peu de temps après avoir quitté cette île, Máel Dúin et ses hommes aperçoivent au loin parmi les vagues une forme semblable à un oiseau blanc. Ils tournèrent la proue du bateau vers le sud, et souquèrent sur les rames pour s’approcher de ce qu'ils voyaient. Quand ils s'en étaient suffisamment approchés ils virent que c'était un être humain qui n'était vêtu que des poils blancs de son corps qui se jetait en prosternation sur un large rocher.

Lorsqu'ils furent venus vers lui, ils lui implorèrent une bénédiction et lui demandèrent d'où il était parti pour échouer sur ce rocher.

_ « De *Toraigh, dit-il, je suis venu jusqu’ici, mais c'est à Toraigh que j'ai été élevé. J'y étais cuisinier, mais j'étais un mauvais cuisinier, car je vendais la nourriture de l'église où j'habitais ainsi que des trésors monastiques et des bijoux sacerdotaux pour moi-même. Ma maison devint pleine de couvertures,d'oreillers, de vêtements de couleur en lin et laine, de seaux d'airain, des petites tasses d'airain et de broches d'argent avec des épingles d'or. À tel point que dans ma maison rien ne manquait de tout ce que l’homme peut posséder; des livres reliés en or et des besaces ornées d'airain et d'or. Et je creusais sous les bâtiments de l’église et j’en retirais de nombreux trésors.
« Grande était alors ma fierté et ma hauteur ».

_ « Un jour, on m'a dit de creuser une tombe pour le cadavre d'un paysan qui avait été amené sur l'île. Alors que je travaillais sur cette tombe, j'ai entendu. au-dessous de moi, une voix sortir du sol sous mes pieds qui disait :
_ « Ne déterrez pas à cet endroit ! Ne me mettez pas le cadavre de ce pécheur sur moi qui fût une sainte personne pieuse ! »
_ “S’il le faut, je demanderais la bénédiction de Dieu, mais je le mettrai", dis-je, dans un excès d’arrogance”.
_ «Même avec la bénédiction de Dieu, si tu mets cé cadavre sur moi", répondit le saint homme, "tu périras le troisième jour, tu iras en enfer et le cadavre ne restera pas ici".

Je dis au vieil homme :
_« À quoi cela me servirait-il de ne pas enterrer l’homme au-dessus de toi ? »
_ « A demeurer dans la vie éternelle avec Dieu », dit-il.
_ « Comment être certain que tu me dis la vérité? Dis-je.
_« Ce ne sera pas difficile pour toi », répondit-il. «Je vais faire se remplir de sable la tombe que tu creuses. De là où je suis je ne pourrai pas te donner d’autre signe, mais il te sera manifeste que l’homme ne peut être enterré au-dessus de moi ». Ces mots n'étaient pas terminés que. la tombe se remplit de sable.

Donc, par la suite, j'ai enterré le cadavre dans un autre endroit. Ensuite j’ai tanné une peau et construit un coracle que j’ai mis à l’eau. Je suis monté à bord de mon bateau et j'étais heureux. Alors j'ai regardé derrière moi et j’ai décidé de ne rien laisser dans ma maison, du plus petit au plus grand trésor, et j’ai tout entassé dans mon coracle. Je contemplais mes richesses pendant que j'étais en train de naviguer sur la mer, et la mer était calme jusqu’à ce que de grands vents ont fondu sur moi et m'ont entraîné sur la grande mer, de sorte que je n'ai plus vu ni terre ni île. Puis mon bateau s'est arrêté ici, et depuis lors il n'a plus bougé d'un pouce. Tandis que je regardais de tous côtés autour de moi, je vis à ma droite un homme assis sur les vagues. Cet homme m’interpella et me dit :
_« Où cois-tu que tu vas ? »
_ "Je pense que le bonheur est dans la direction dans laquelle je regarde la mer désormais ».
_  «Ton bonheur ne sera pas complet si tu gardais la fortune qui est amassée dans ton bateau.
_ Et pourquoi cette fortune est elle un frein à mon bonheur » dis-je.

Il me répondit :
_« Où que tu regardes : Au-delà de la mer et jusqu'aux nuages, il n'y a qu'une foule de démons tout autour de toi, à cause de ta convoitise, de ton orgueil et de ta cupidité et à cause de ton vol et de tes autres mauvaises actions. Sais-tu pourquoi ton bateau s'est arrêté ? »
_ « En vérité, je ne le sais pas. »
_« Ton bateau ne quittera pas l’endroit où il se trouve tant que tu ne feras pas ma volonté. »
_«Peut-être que je ne l’accepterai pas», dis-je.
_«Alors tu endureras les douleurs de l'impuissance jusqu'à ce que tu obéisses à ma volonté».

Il s'approcha alors de moi, posa sa main sur mon épaule et m’a ordonné de faire sa volonté.

_« Jetez à la mer toutes les richesses que vous avez dans le bateau ».
_« C’est dommage que tout cela soit perdu ». dis-je.
_  « Ce ne sera en aucun cas perdu. Et je t’autorise à garder une petite tasse qui te seras très utile ».

Alors j’ai tout jeté à la mer, sauf une petite tasse.
_Va maintenant, me dit-il, sors de ce lieu, va où ton bateau s'arrêtera, et reste-y. Et puis il a rempli ma tasse d'eau de petit-lait et m’a donné sept bannocks

_ “J'allais donc, dit le vieil homme, dans les directions où me portaient mon bateau et le vent, car j'avais des rames larges et un gouvernail. Comme j'étais là, ballotté parmi les vagues, je me suis retrouvé jeté sur ce rocher, et alors je me suis demandé si le bateau s'était vraiment arrêté, car je n'ai vu ici ni terre ni rocher. Et je me suis souvenu de ce qui avait été dit, à savoir m’asseoir dans la mer là où mon bateau devait s’arrêter. Alors je me levai et vis un petit rocher contre lequel la vague battait. J'ai posé le pied sur ce petit rocher, mon bateau s’est échappé, le rocher s’est soulevé, et les vagues se sont retirées.”

_ “ Je suis ici depuis sept ans, dit-il, me nourrissant des sept bannocks et de la coupe de petit-lait qui m'a été donnée par l'homme qui m'a envoyé ici. Et je n'ais aucune autre provision que ma tasse de petit-lait.”

_ “ Après cela, j’ai jeûné pendant trois jours », dit-il. « Or, après ces trois jours, à l’heure de none, une loutre m'a sorti un saumon de la mer. Mais je me suis dit qu'il ne m'était pas possible de manger du saumon cru, alors je l'ai rejeté à la mer, et j'ai jeûné encore trois jours. Au troisième jour je vis une loutre me rapporter un saumon de l’océan et une autre loutre m’apporter un fagot de bois rougeoyant, le déposer et souffler dessus de sorte que le bois s'enflamma.

_ “J'ai donc cuisiné le saumon et j'ai vécu ainsi pendant sept autres années. Et chaque jour un saumon venait à moi avec sa provision de bois incandescent. Un jour le rocher s'est agrandi pour être tel que vous le voyez maintenant. Et ce jour-là aucun saumon ne m'a été donné. J’ai dû jeûner pendant encore trois jours. Au troisième jour à l’heure de none, une moitié de galette de blé et un morceau de poisson me furent jetés. Puis ma tasse d’eau de lait est tombée à la mer, et il m'est venu une tasse de la même taille mais remplie de bonne liqueur. Elle se trouve ici sur le rocher et se remplit tous les jours. Enfin sachez que ni le vent, ni l'humidité, ni la chaleur, ni le froid ne m'affectent à cet endroit. »

_ « Voilà toute mon histoire » dit le vieil homme.

Máel Dúin et ses hommes avaient écouté attentivement ce récit et quand l'heure de none arriva, un demi-bannock et un morceau de poisson furent donnés à chacun d'eux, et la coupe qui se tenait sur le rocher devant le clerc suffit pour les rassasier avec de la bonne liqueur. Ensuite, le vieil homme leur dit :

_ « Vous atteindrez tous votre pays, et l'homme qui a tué ton père, ô Máel Dúin, vous le trouverez dans une forteresse devant vous. Ne le tuez pas, mais pardonnez-lui, car Dieu vous a sauvé de nombreux et grands périls, et pourtant vous aussi, vous êtes des hommes qui méritent la mort ».

Alors ils firent leurs adieux au vieil homme et poursuivirent leur navigation.



XXXIV.

Après être partis de là, Máel Dúin et ses hommes arrivèrent dans une île où il y avait en abondance du bétail; des bœufs, des vaches et des moutons.

Il n’y avait ni maisons ni forts sur cette île, et c’est pourquoi ils décidèrent de manger la chair des moutons. Alors certains d'entre eux dirent en voyant là un grand faucon :
_ « Ce faucon ressemble aux faucons d'Irlande ! »
_ « C'est vrai, » dirent les autres.
_ « Observez-le », dit Máel Dúin,  « et surveillez par où l'oiseau s'éloignera de nous ».

Ils virent le faucon voler vers le Sud-Est. Máel Dúin et ses hommes ramèrent donc dans la direction que l'oiseau avait pris quand il s'était éloigné d'eux. Ils ramèrent ce jour-là jusqu'à vêpres. A la tombée de la nuit, ils aperçurent des terres semblables à celles de l'Irlande. Ils ramèrent vers elle et ils trouvèrent une petite île. Et c'est de cette île-même que le vent les avait emportés dans l'océan lorsqu’ils avait pris la mer.

Alors ils posèrent la proue de leur coracle à terre, et se dirigèrent vers la forteresse qui était dans l'île. Et ils entendaient les habitants de la forteresse qui dînaient.

Ils entendirent certains d'entre eux dire :
_ "Je crois que nous ne reverrons jamais Máel Dúin".
_ « Ce Máel Dúin s’est noyé », dit un autre d’entre eux.
_ « Peut-être que c'est lui qui vous réveillera de votre sommeil », dit un autre homme.
_ « S’il devait venir maintenant », dit un autre, « que devrions-nous faire ? »
_ « Ce n’est pas compliqué » dit le chef de la maison : « nous lui souhaiterions la bienvenue s’il venait, car il est parti depuis longtemps et a connu de nombreuses tribulations ».

Là-dessus, Máel Dúin frappa le heurtoir de la porte.

_ « Qui est là ? », demanda le portier.
_ « C’est Máel Dúin qui est là », répondit-il lui-même.

Puis Máel Dúin se rendit dans son propre district, et Diurán le Rimeur prit les cinq demi-onces d'argent qu'il rapportait du filet, et les déposa sur l'autel d'Armagh en triomphe et en exultation pour les miracles et les grandes merveilles que Dieu avait faite pour eux. Et ils racontèrent leurs aventures du début à la fin, ainsi que tous les dangers et périls qu'ils avaient rencontrés sur mer et sur terre.

Et c’est Aed le Bel, sage en chef de l'Irlande, qui a arrangé cette histoire telle qu'elle se présente ici. Et il l'a fait, pour ravir l'esprit et pour le peuple irlandais après lui.