René Madec _ le Nabab
par Armanel -conteur
René Madec, né le 27 février 1736 à Quimper dans le quartier de la Terre au Duc, est le huitième enfant de François Madec et Marie Corentin Melin. Bien que considérés comme des petits bourgeois, ses parents ont parfois du mal à joindre les deux bouts. Son père est à la fois maître d'école et maître maçon. Sa mère, elle, tient une petite auberge. Le jeune René Madec passe une grande partie de son temps à roder sur les quais de Quimper, où il hume les parfums de l'aventure.
Sur décision de
son père Madec sera marin. A 9 ans il embarque sur un caboteur
bordelais transportant du vin pour un embarquement de quatre mois. A
son retour, sur ordre de son père René prends des cours
d'hydrographie et de navigation dans l'espoir de pouvoir, un jour
incorporer, comme officier, le Bataillon de l'Orient de la Compagnie
des Indes.
Mais
René, plus attiré par la pratique que par la théorie, ne restera
pas longtemps "sous la férule du maître géographe».
Trois
ans plus tard, il s'embarque à Lorient, et sans l'accord de ses
parents, à bord de La Valeur, un navire en partance pour le Sénégal
et Saint-Domingue.
En
1750, âgé 15 ans, René Madec s'embarque à bord de L'Auguste, pour
un voyage de six mois vers Pondichéry après avoir échappé
au typhus et au scorbut.
A
Pondichéry, René est fasciné par ce qu'il découvre dans le
comptoir français: Les rues noires de monde, la magnificence de la
demeure du gouverneur Dupleix et la gentillesse des tamouls. Quelques
mois plus tard, René rentrera à Quimpe après un voyage très
mouvementé.
Dès
lors le jeune René ne songera plus qu'à retrouver l'ambiance des
colonies.
En 1752 Madec
reprend la mer sur le Lys, un vaisseau de 1.400 tonneaux. A son
arrivée en Inde, il incorpore les troupes de Dupleix qui avait
maille à partir avec les Anglais car à cette époque la situation
était relativement confuse en Inde. Les Anglais, en nouant un nombre
important d'alliances avec les princes locaux avaient
énormément accru l'étendue de leurs territoires. La France, elle,
se contentait tout juste d'assurer, par le biais de ses comptoirs,
une présence commerciale.
Madec
découvre la guerre. A 22 ans, il participe au siège de Madras puis
il prend part à une expédition au Bengale. Chassés par les
Anglais, les Français reculent et Madec rejoint à pied Pondichéry
en traversant des montagnes, des forêts et des marécages. Un
périple qui durera 2 mois. Puis les Anglais assiègent Pondichéry.
A l'intérieur de la ville la disette est telle que les gens mangent
les chevaux, les rats et même le cuir. Après la capitulation, les
Anglais raseront le fort et la ville européenne.
Madec,
prisonnier au fort de Madras, accepte de s'enrôler comme cadet
dans les troupes de la Compagnie anglaise et rejoint le nord-est de
l'Inde. Quelques mois plus tard, il s’enfuit et s'engage
comme mercenaire pour le prince Shuja d'origine persane.
L'occasion pour Madec de découvrir Bénarès_ la ville sainte.
René
adopte la tenue traditionnelle composée d'une longue tunique, d'un
pantalon bouffant et d'un turban. Il apprend la langue des indiens.
A
28 ans, Madec, en véritable chef de guerre, constitue une armée de
1.500 soldats dont une centaine d'Européens. Et se marie avec
Marie-Anne Barbette, la fille d'un des conseillers du prince Shuja.
La
jeune mariée,est une Créole de 13 ans. Les noces sont célébrées
avec faste comme l'a écrit Madec lui-même. "Tous
les grands du pays m'accompagnaient. Une populace innombrable suivait
le cortège. Je fermais la marche passant entre deux haies de feux
d'artifice et d'illuminations, vêtu d'une magnifique robe d'argent".
Ces festivités dureront une semaine.
En
1767, la jeune Marie-Anne met au monde une fille qui meurt peu de
temps après. Ensuite Madec rejoint les Jats en guerre contre les
Rajputs dans la région d'Agra. Il reforme ses troupes et achète des
éléphants. Ses victoires lui vaudront d'être récompensé en
diamants et en étoffe d'or et d'argent. Il rachètera et fera
entièrement restaurer un palais à Bharatpur où il s'installera
avec sa femme et Balthazar, son fils âgé de quelques mois.
A la suite d'une
victoire contre les Marathes il obtient le titre de Panchazari, titre
qui donne le droit de porter des timbales sur un éléphant et
d'avoir 14 chevaux portant trompettes.
A
33 ans, Madec est à la tête d'une fortune colossale. Il envisage
alors de revenir en France pour poursuivre une carrière militaire.
Mais
à la demande du gouverneur français de Chandernagor qui veut
sceller des alliances avec les princes indiens pour chasser les
Anglais du Bengale, il se retrouve combattre pour le compte de Shah
Alam, empereur des Mogols. En récompense de ses exploits
militaires, l'empereur le fait nabab.
Madec
s'installe à Delhi et se retrouve à la tête d'une armée de 6.000
soldats. "Dans
cet état, je pensais à la misère passée et me félicitais de
m'être fait moi-même ce que je suis dans ce pays-ci"
écrira-t-il bien plus tard.
Madec
sait bien le pouvoir qu'il a acquis : "Il
n'y a aucun prince ou seigneur puissant de l'Hindustan qui ne
recherche mon amitié ou qui ne craigne mes ressentiments".
Puis
Madec rejoindra Pondichéry. Le nabab quimpérois est fatigué de
cette vie trépidante. Il veut rentrer rentrer en France. Encore une
fois, ses projets seront contredits par de nouvelles offensives
anglaises : le blocus et le siège de Pondichéry qui dureront 70
jours.
Le 11 janvier
1979 Madec embarque à bord du Brisson. Ses bagages se résument
à 8 caisses et "quelques autres objets". Au large de
l'Espagne le bateau sera abordé par des corsaires anglais. Madec
sera retenu captif pendant 2 mois en Irlande. De là, il regagnera
Lorient puis Versailles où il remettra au gouvernement le rapport du
siège de Pondichéry rédigé par le gouverneur Bellecombe. Madec y
apprendra que, depuis le 1er
janvier 1777, il a été promu colonel et qu'il a été décoré de
l'ordre royal et militaire de Saint-Louis.
L'aventurier
breton fait figure d'intrus à Versailles où sa rudesse et sa tenue
vestimentaire choquent les manières des courtisans. Pourtant le
nabab quimpérois aura l'honneur d'être reçu par Louis XVI en
personne.
Madec
rentrera à Quimper où il possédait un hôtel particulier. A 45 ans
il sera anobli et achètera deux domaines : ceux de Coatfao et de
Prat-an-raz
où il fera construire un beau manoir.
En
1782 Marie-Anne lui donnera une troisième fille. En 1784,
considérablement affaibli par le paludisme, et victime d'une chute
de cheval, il est emporté au printemps par la gangrène. Sa femme
vécut à Quimper jusqu'à sa mort en 1841.
A
la fin de ses jours, l'ancien gamin qui rêvait d'aventure se
promenait à cheval le long de l'Odet, revêtu de son costume de
colonel, suivi de près par un esclave portant le costume
traditionnel mogol.