Luthey et la sirène

Cornouailles  _ Cury

Recueilli par Lord Blackwood
Traduit par Armanel 


Il y a des centaines d'années, vivait quelque part près de Lizard Point un homme appelé Lutey qui cultivait quelques acres de terrain près du bord de la mer, et pratiquait également la pêche et la contrebande, comme cela se faisait beaucoup à l'époque. Un soir d'été, voyant que la marée était basse, il décida de se promener sur le sable, à la recherche de toute épave qui aurait pu être rejetée à terre par la marée. Tout en marchant, il maudissait la malchance et se lamentait parce qu'aucun don du ciel digne d'être ramassé n'avait été envoyé sous les falaises de Lizard depuis longtemps.

Ne trouvant rien sur le sable qui vaille la peine d'être ramassé, Lutey fit demi-tour pour rentrer chez lui, lorsqu'il entendit un son plaintif, comme les gémissements d'une femme ou les pleurs d'un enfant, qui semblaient proches. Allant dans la direction du cri, Lutey s'approcha d’un groupe de rochers qui étaient couverts par la mer à marée haute, mais qui se trouvaient découverts et isolés sur l’estran du fait de la grande marée .  Lutey  contourna ces rochers en passant du côté de la mer, et il vit ce qui lui parut être une femme splendide, la plus belle qu'il n'avait jamais vue de toute sa vie. D’où il était Lutey ne voyait guère plus que sa tête et ses épaules, car toute la partie inférieure de l’apparition était cachée par les algues qui poussaient sur le rocher et se répandaient autour de la belle créature dans le Pullan (petite piscine d'eau de mer) qui s’était formée dans un creux des rochers.

Ses cheveux dorés, tombant sur ses épaules et flottant sur l'eau, brillaient comme les rayons du soleil sur la mer. Le peu que Lutey voyait de sa peau montrait qu'elle était lisse et claire comme une coquille polie. Pendant que la belle créature, poussant  toujours un gémissement lugubre, regardait intensément la mer lointaine et descendante, Lutey resta quelques minutes à l'admirer en restant caché. Il avait envie d'apaiser son chagrin, mais, ne sachant comment la consoler, et craignant de lui faire peur en venant trop brusquement sur elle, il toussa afin d’attirer son attention avant de s'approcher davantage.

Regardant autour d'elle et apercevant l'homme, la jeune femme poussa un cri désespéré puis, glissant du rebord du Pullan sur lequel elle s'appuyait, elle s’enfonça dans l’eau ne laissant émerger que sa belle tête et son cou de cygne au dessus des algues flottantes..

_ "Chère créature," dit Lutey, "n'ayez pas peur de moi, car je suis un homme marié sobre et sage, âgé d'environ trente ans. Avez-vous perdu vos vêtements? Je n'en vois nulle part! Dites-moi ce que je peux faire faire pour vous consoler.
_ “Belle et tendre colombe, je ne te ferai de mal pour rien au monde », dit encore Lutey en s'approchant un peu plus.

Il ne put détacher ses yeux de la belle créature qui, en entendant ses paroles apaisantes, s'arrêta de pleurer, et, quand elle le regarda, ses yeux brillèrent comme les étoiles les plus brillantes dans la nuit noire. Lutey s'approcha du bord du Pullan et, regardant dans l'eau, il découvrit l'éventail d’une queue de poisson frémissant parmi les algues flottantes : alors, il sut que la belle était une sirène. Il n'en avait jamais vu une d'aussi près auparavant, bien qu'il les ait souvent vues et entendues chanter, les nuits de clair de lune, au loin, sur l'eau..

_ "Dîtes-moi, belle fille des vagues, que dois-je faire pour vous? Ne dites qu'un mot; ou faites-moi juste un signe, si vous ne connaissez pas notre belle langue cornique."
_ « Brave homme, répondit-elle, nous, les gens de l'océan, comprenons toutes sortes de langues, car nous visitons les rivages de tous les pays, et toutes les tribus de la terre passent sur notre domaine ; d'ailleurs, notre ouïe est si bonne que nous attrapons ce qui se dit sur la terre quand nous sommes à des milles au-dessous de l’océan. Vous êtes certainement surpris, et peut-être avez-vous peur, de me voir vêtue simplement, nue comme la vérité, car vos femmes sont toujours couvertes de choses qui ne feraient que nous entraver dans nos déplacements dans les vagues."

_ « Non, belle créature, je n'ai peur de vous voir sans robe ni jupons », répondit Lutey, alors qu'il s'approchait encore plus, et continuait à parler  aussi gentiment que possible : « Aussi, ne caches plus longtemps ta belle silhouette dans le Pullan, mais assieds-toi sur le bord et dis-moi ce qui te fait tant de peine ?"

La sirène sortit de l'eau, s'assit sur un rebord du rocher, repoussa les boucles d'or de son visage, et Lutey remarqua que ses cheveux étaient si abondants qu'ils retombaient et couvraient son corps comme une ample robe de soie scintillante en lamé-or. Quand cette toilette simple fut terminée, elle soupira et dit :

_« Oh ! malchanceuse sirène que je suis ; Sache, brave homme, qu'il y a seulement trois heures, j'ai laissé mon mari profondément endormi sur un lit de fleurs marines douces et sucrées, avec nos enfants s'ébattant autour de lui. J'ai chargé l'aîné de monter la garde et de surveiller les crevettes et les puces de mer, afin qu'elles n'entrent pas dans les oreilles et le nez de leur papa et ne troublent pas son repos.

_ "Et surtout faites attention," leur dis-je, "que les crabes ne pincent pas la queue de votre père et ne le réveillent pas pendant que je cherche quelque chose de bon pour le souper, et si vous êtes de bons enfants bien sages, je vous apporterai de jolis et jeunes dauphins et des diables de mer avec lesquels vous pourrez jouer.

_ Et pourtant, jeune noble du pays de Cornouailles, poursuivit-elle, malgré tous mes efforts, je crains fort que mon mari ne se réveille et ne se retrouve sans rien à manger avant que je puisse rentrer chez moi. Je sais pourtant quand la marée quitte chaque rocher de la côte, mais j'ai été assez stupide pour rester piégée ici à me regarder dans le Pullan pendant que je peignais mes cheveux pour en enlever le pioca, les crevettes, les crabes et les puces de mer sans remarquer  que la mer était descendue jusqu'à laisser une barre de sable sec entre moi et l’océan."

_ "Mais pourquoi vous mettre dans un tel état, belle sirène?" a demandé Lutey : "Ne pouvez-vous pas attendre ici jusqu'à ce que la marée monte. Je vous tiendrai compagnie jusqu’à ce vous puissiez nager jusque chez vous à votre aise?"
_ "Oh, non, je veux rentrer chez moi avant la renverse de marée ; parce que, sinon, mon mari et tous les autres tritons se réveilleront affamés et en quête de nourriture ; et si je n'ai pas alors sous la main une demi-douzaine de beaux mulets, quelques dizaines de maquereaux, ou quelque chose d'autre aussi bon pour convenir à son estomac délicat, quand il se réveillera avec l'appétit d'un requin, il est sûr qu’il essaiera de manger quelques-uns de nos jolis enfants. Je sais que c’est dur à croire, mais les tritons et les sirènes seraient aussi abondants dans la mer que les harengs si leurs gloutons de pères n'engloutissaient pas les tendres bébés. Des dizaines de mes êtres chers sont déjà partis. à travers ses vilaines mâchoires, pour ne jamais en sortir vivant."

_ "Je suis vraiment désolé pour vos tristes deuils", a déclaré Lutey. "Mais pourquoi vos jeunes  ne fuient-ils pas  un tel destin?"

_ « Ah ! mon cher, répondit la sirène, ils aiment leur père, et ne pensent pas, pauvres innocents qu’ils sont, quand ils l'entendent leur siffloter des airs gais et entraînants, que ce n'est que pour les garder prisonniers autour de lui, et eux, si friands de musique, s’approchent de son visage et posent leurs oreilles sur ses lèvres. Alors, il ouvre sa bouche grande comme celle d'une morue, et ils tombent dans le piège. »

_ Si vous avez les sentiments naturels d'un parent tendre et aimant, vous pouvez comprendre ", a-t-elle ajouté, après avoir sangloté comme si son cœur était sur le point d'éclater, "que, pour le bien de mes chers enfants, j'ai hâte de rentrer à la maison dans moins d’une heure,  heure à laquelle ce sera presque basse mer. Sinon cela, j’aurais été ravie de rester ici toute la nuit à bavarder avec vous, car j'ai souvent souhaité, mais en vain, que les dieux m'aient donné un mari, à deux queues, comme vous, ou avec une queue fendue en deux pareille à ce que vous appelez des jambes qui sont si pratiques pour se déplacer sur la terre ferme!

_ « Ah, soupira-t-elle, que ne donnerais-je pas pour avoir une paire de queues comme toi, pour venir sur la terre et examiner, à mon aise, toutes les créatures étranges et belles que nous apercevons depuis les vagues.

_ “ Si vous acceptez, continua-t-elle, de m’aider maintenant, ne serait-ce que dix minutes, en me portant sur le sable jusqu'à la mer, je vous accorderai les trois vœux que vous voudrez. »

_ «  Mais il n'y a pas de temps à perdre, non, pas une minute, dit-elle en retirant de ses cheveux un peigne en or avec un manche de perles qu'elle donna à Lutey en disant : Tenez, mon cher, prenez ceci comme gage de ma bonne foi; Je t’aurais aussi donné mon miroir si je ne l'avais pas laissé à la maison pour faire croire à mon monstre de mari que je n'avais pas l'intention de nager très loin. » 

_ « Ecoute-moi bien, dit-elle, tandis que Lutey mettait le peigne dans sa poche, chaque fois que tu auras besoin de mon aide, tu n'auras qu'à passer ce peigne à travers les vagues trois fois, en prononçant mon nom et je viendrai vers toi à la marée montante suivante. Je m'appelle Morvena, ce qui, dans la langue de cette partie du monde, à l'époque où on m’a donné mon nom, signifiait femme de la mer."

Lutey était si charmé par la douce mélodie de la voix de la sirène qu'il resta à écouter ses tons de flûte, et à regarder ses yeux languissants d'un beau vert _bleu de mer jusqu'à ce qu'il soit enchanté, et prêt à faire tout ce qu'elle désirait. Et c’est ainsi qu’il prit la sirène dans ses bras, afin de l'emporter vers la mer.

Lutey étant un homme puissant, il porta facilement la sirène sur son bras gauche, elle encerclant son cou avec sa main droite. Ils avancèrent ainsi, sur le sable pendant quelques minutes avant qu'il ne se décide à lui dire ce qu'il souhaitait. Il se rappelait avoir entendu parler d'un homme qui, rencontrant une chance similaire, souhaita que tout ce qu'il touche se transforme en or, et connaissait le résultat fatal de son souhait irréfléchi. Il se rappelait aussi de la malchance qui arriva à plusieurs autres dont les désirs égoïstes avaient été satisfaits. Comme tous les souhaits dont il se souvenait se sont mal terminés, il s'est dit qu’il lui fallait souhaiter quelque chose de différent et, bien avant qu’il arrive à une conclusion, la sirène lui a dit :

_« Allons, mon brave homme, ne perdez plus de temps, et dites-moi quelles sont les trois choses que vous désirez ? Voulez-vous avoir la vie éternelle, le pouvoir ou la richesse ?
_ « Rien de tout cela», répondit Lutey, « je souhaite seulement avoir le pouvoir de faire du bien à mes voisins ; d'abord que je puisse briser les sortilèges et la sorcellerie ; deuxièmement que j'aie un grand pouvoir sur les esprits mauvais pour les contraindre à m’obéir pour le bénéfice des autres ; troisièmement, que ces tous dons puissent se transmettre dans ma famille pour toujours, génération après génération. »

La sirène lui a promis que lui et les siens pourraient posséder pour toujours ces dons rares, et que, pour le récompenser de ses désirs désintéressés, aucun membre de sa postérité ne devrait jamais en manquer.

Ils avaient encore un long chemin à parcourir avant d'atteindre la mer. Tandis qu'ils avançaient lentement, la sirène lui parla de leurs belles demeures et de la vie agréable qu'ils menaient sous l’océan.

_« Dans nos cavernes fraîches, nous avons tout ce dont on a besoin, dit-elle, et bien plus encore. Les murs de nos demeures sont incrustés de corail et d'ambre, entrelacés de fleurs marines de toutes les teintes, et leurs sols sont tous parsemés de perles. Le toit scintille de diamants et d'autres pierres précieuses d'un tel éclat que leurs rayons rendent nos grottes profondes dans les collines de l'océan, aussi lumineuses que le jour."

 

Puis, enserrant Lutey de ses deux bras autour de son cou, elle continua :

_ « Viens avec moi, mon amour, et vois la beauté des demeures de la sirène. Mais, il faut que tu saches que les ornements avec lesquels nous prenons le plus de plaisir à embellir nos salles et nos chambres sont les nobles fils et les belles filles de la terre, que le vent et les flots envoient dans nos demeures depuis les navires qui ont sombré dans l’océan. Viens avec moi et je te montrerai des milliers de beaux corps embaumés, d'une manière connue de nous seuls, avec des sels de choix et des épices rares, qui ont l'air plus beaux que lorsqu'ils respiraient. Tu les croirais endormis en les voyant reposer sur des lits d'ambre, de corail et de nacre, parés de riches étoffes, et entourés de monceaux d'argent et d'or pour lesquels ils se sont aventurés à traverser notre domaine Oui, et quand tu verras leurs membres tous ornés de pierres précieuses scintillantes, se déplacer gracieusement d'avant en arrière avec le mouvement des vagues, tu penseras qu'ils vivent encore.

 

_ "Peut-être les trouverais-je tous très beaux", répondit Lutey, "mais à tout prendre je préfère trouver dans vos habitations, quelques bouchardons de rhum qui doivent souvent vous tomber dessus dans les cales des navires coulés, et que vous êtes certainement heureux de recevoir pour vous réchauffer le corps dans un endroit aussi froid et humide que celui où vous vivez ! Je pourrais en faire des choses de tous les bons alcools, tabacs et autres bonnes choses qui se retrouvent en bas ? »

_ "Oui, en effet," répondit la sirène, "ce pense que vous seriez ravi de voir les fûts d'eau-de-vie, les fûts de Hollande, les pipes de vin et les tonneaux de rhum qui arrivent sur notre territoire. Nous en remplissons une coquille vide de temps en temps pour nous réchauffer. estomacs, mais il y a une telle quantité que vous pourrez vous servir à volonté, alors venez, venez."


_"J'aimerais bien y aller", dit Lutey, "mais sûrement je vais certainement mourir  noyé, ou étouffé, sous l'eau."

_ « Ne crois pas cela, dit-elle, tu devrais avoir que nous, les femmes de la mer, pouvons faire des merveilles. qui te permettront de vivre dans l'eau aussi à l’aise qu'un cabillaud ou un congre. La beauté de ton beau visage n'en sera pas altérée, car ta barbe et tes moustaches cacheront les petites fentes qu'il faudra te faire sous ton menton. De plus, quand tu auras vu tout ce que tu voulais voir, ou que tu en auras assez de ma compagnie et de la vie sous l'eau, tu pourras retourner à terre et ramener avec toi autant de nos trésors que tu voudras, alors viens, mon amour ."
_ "Certes", dit Lutey, "la promesse de ta compagnie, l'alcool et les richesses d'en bas sont très tentants ; pourtant je n'arrive pas à me décider."

 

Le temps passa dans ce genre de conversation jusqu'à ce que Lutey, pataugeant dans la mer (maintenant au-dessus de ses genoux), amena la sirène près des brisants, et il se sentit tellement charmé par sa beauté et enchanté par la musique de sa voix qu'il était enclin à plonge avec elle dans les flots. Je ne peux pas, ici, dire la moitié de ce qu'elle a dit pour attirer l'homme dans sa maison sous l’océan. Les yeux vert de mer de la sirène brillèrent lorsqu'elle vit que l'homme était enfin en son pouvoir.

Mais, juste à temps, le chien de Lutey, qui avait suivi inaperçu, aboya et hurla si fort, que l'homme charmé se retourna, et, lorsqu'il vit la fumée qui montait de la cheminée de sa maison, les vaches dans les champs, et tout ce qui paraissait si beau sur la terre verte, le charme du chant de la sirène fut rompu. Lutey essaya longtemps en vain de se libérer de son étreinte étroite, car il regardait maintenant avec dégoût sa queue de poisson, son corps écailleux et ses yeux vert d'eau, jusqu'à ce qu'il pousse un cri d'agonie :

_"Mon Dieu, délivre-moi de ce diable en forme poisson!"

Puis, sortant de sa stupeur, il arracha de sa main droite le couteau qui était glissé dans sa ceinture, et, fit clignoter l'acier brillant devant les yeux de la sirène,

_"Par Dieu," dit-il, "je vais te trancher la gorge et t'arracher le cœur si tu ne détaches pas tes bras de mon cou, et ne déroules pas ta queue de congre de mes jambes.

La prière de Lutey a été entendue et la vue de l'acier brillant (qui, paraît-il, a un pouvoir contre les enchantements et sur les êtres maléfiques), a fait tomber la sirène de son cou dans la mer. Le regard toujours tourné vers lui, elle s'éloigna à la nage en chantant de son ton plaintif :

_ « Adieu mon doux ami, je pars loin de toi pour neuf longues années, mais ensuite je reviendrai pour te rechercher mon amour.
Lutey avait à peine la force de patauger hors de la mer et d'atteindre la caverne dans la falaise, où il cachait habituellement quelques barils d'alcool de contrebande  enterrés dans le sable, sous un tas de bois d'épave, au-dessus de la ligne des hautes eaux. L'homme fatigué et désorienté se servit un peu de liqueur pour se rafraîchir ; puis se coucha parmi des vieilles voiles et s'endormit bientôt.

 

Pendant ce temps, , la femme de Lutey était anxieuse, parce que son mari n'était pas rentré pour souper, ce que le bonhomme ne manquait jamais de faire, même s’il retournait souvent dehors toute la nuit à errer sur le sable pour s'occuper d'épaves, ou à marchander avec des contrebandiers ou des clients sur l’estran et sur l'eau.
Aussi, comme il n'y avait pas de signe de lui à l’heure du  petit déjeuner , elle descendit sur la grève et là elle trouva son homme profondément endormi.
_« Viens ! réveilles-toi, dit-elle ; « et qu'est-ce qui t'a fait rester ici sans souper ?
_ "Que se passe-t-il?", dit-il en se levant et en regardant autour de lui, avec des yeux hébétés. Où sui-je ? suis-je ici dans ma grotte favorite ou suis-je dans une caverne au fond de la mer? Et vous qui êtes vous? êtes-vous ma chère Morvena? Si vous l'êtes, donnez une coquille remplie de rhum, mais à vrai dire, vous ne lui ressemblez pas.

_ "Non en effet," dit la femme, "Je m'appelle Ann Betty Lutey, et, qui plus est, je n'ai jamais entendu parler de la jeune fille dont tu rêves maintenant."
_ "Eh bien alors , tu es ma  femme adorée, et tu as échappé de justesse, je peux te le dire, d'être laissée pour  veuve, et nos pauvres enfants orphelins, cette nuit même."
Puis, sur le chemin du retour, il raconta comment il avait trouvé une sirène échouée, qu’elle avait promis d'exaucer ses trois souhaits s’il voulait bien la ramener en mer,  et lui avait donné le peigne (qu'il montra à sa femme) en signe de remerciement.

_"Mais," dit-il, "sinon le hurlement de notre chien Venture, qui me réveilla de la transe dans laquelle je me trouvais, et me fit voir à quelle distance j'étais de la terre, je serais maintenant avec les sirènes buvant du rhum ou chassant des requins  au fond de la mer."

Puis, lorsque Lutey eut raconté tous les détails, il fit promettre à sa femme de n'en rien dire aux voisins, car certains d'entre eux, certainement, ne croiraient pas à son étrange aventure  et le prendrait pour fou. Mais dès que son mari est parti à son travail, elle a été incapable de garder avec un tel fardeau dans son esprit, et elle a trotté autour de la moitié de la paroisse pour raconter l'histoire à toutes les vieilles commères qu'elle pouvait trouver, en leur demandant de garder grand secret, et leur montra le peigne de sirène que Lutey lui avait donné comme preuve que son histoire était vraie. La merveille a été rapportée (toujours sous le sceau du secret) jusqu’à très loin de la paroisse en quelques semaines, et très vite des gens, ensorcelés ou autrement affligés, sont venus en foule pour être aidés par le nouveau Pellar. (ou magicien).

Bien que Lutey se soit séparé de la sirène d'une manière très peu gracieuse, il a néanmoins constaté qu'elle était fidèle à sa promesse. On a également rapidement découvert qu'il était doté de bien plus que les compétences d'une sorcière ordinaire.

Mais, sans le savoir, Lutey avait acheté chèrement les faveurs de la sirène.

 Neuf ans après, jour pour jour, après le jour où Lutey la porta à l'eau, lui et un camarade pêchaient par une claire nuit au clair de lune ; bien que le temps fût calme et l'eau lisse comme un miroir, vers minuit la mer bouillonna soudain autour de leur bateau, et dans l'écume des vagues ondulantes ils virent une sirène s'approcher d'eux, tout son corps au-dessus de la taille hors de la l'eau, et ses cheveux dorés flottant derrière et autour d'elle.

_ "Mon heure est venue", a dit Lutey, au moment où il l'a vue; et, se levant comme un homme égaré, il plongea dans la mer, nagea un peu avec la sirène, puis ils s’enfoncèrent tous les deux sous les eaux, et la mer redevint plus lisse que jamais.
Le corps de Lutey n'a jamais été retrouvé  malgré toutes les recherches. une fois au bout de neuf ans, un de ses descendants a déclaré avoir trouvé une tombe dans la mer.
Ici s'achève l'histoire de Lutey et de la sirène