Les trois souverains d'or

Cornouailles  _ Lanlavan

Présenté par Lord Blackwood
traduit par Armanel-conteur

 

 

Tout le monde connaissait Jowan qui vivait à Hoth, près de Lanlavan en Cornouailles. Bien sûr, il a vécu à « Chy an Horth » qui est la plus grande maison de la région. Mais, il n’a pas toujours habité là. Il n’a pas toujours été aussi riche et respecté. En vérité, il fut un temps où lui et sa femme étaient si pauvres que leur situation était désespérée. Jowan n’arrivait plus à trouver du travail dans toute la région de Lanlavan.

Un jour, tenaillé par la faim, Jowan dit à sa femme qu’il voulait quitter Lanlavan et voyager vers l’est, jusque chez les anglais, afin de chercher du travail. Sa sœur qui était mariée à un homme qui, lui, avait du travail, avait promis de veiller sur sa femme pendant son absence et de faire en sorte qu’elle ne souffre de la faim ou fut jetée sur la route comme une simple mendiante.

Rassuré, Jowan prit la route mais il n’eut pas besoin d’aller jusqu’à la rivière Tamar qui marque la frontière avec le pays des Anglais. Près de Bodmin, au milieu des Moors sauvages fouettés par le vent, il se retrouva face à un vieil homme habillé comme un paysan et assis sur une bûche posée sous un grand chêne.

-« Bonjour et comment allez-vous, jeune homme ? Vers où vous dirigez-vous ? »

-«  Je suis en route pour le pays des Saxons afin d’y trouver du travail, » répondit Jowan. Et il expliqua au fermier les graves difficultés dans lesquelles il se trouvait.

- «  Mais, qu’êtes vous capable de faire ? » demanda le vieil homme en l’observant attentivement.

-«  Mes mains savent pratiquement tout faire, » répondit Jowan, sans mentir ni se vanter.

- « Mais c’est formidable : » s’exclama le vieil homme avec satisfaction, « Alors, venez travailler pour moi. Je suis fermier, et à mon âge, j’ai besoin de quelqu’un pour me seconder sur ma ferme. »

Les deux hommes discutèrent et se mirent d’accord : Jowan allait travailler pendant un an et serait payé trois souverains d’or pour son année de labeur. Il faut savoir que trois souverains était une somme considérable à cette époque. Donc, Jowan travailla une année entière. A la fin de l’année, le vieil homme tendit à Jowan les trois souverains. Puis il dit :

-« Si tu me rends les trois souverains, je te dirais quelque chose qui a infiniment plus de valeur que ces trois souverains. »

-«  Plus de valeur que trois souverains ? » demanda Jowan qui était un peu naïf et crédule, «  Qu’est ce que cela peut bien être, »

- «  Un conseil », dit le vieux fermier en souriant.

Jowan réfléchit un moment et se dit que si un conseil valait plus que trois souverains, il ferait mieux de le prendre. Solennellement, il rendit l’argent au vieil homme et demanda :

-«  Quel est ce conseil si précieux ? »

-« N’abandonne jamais une vieille route pour marcher sur une route neuve ! »

Jowan se gratta la tête et fronça les sourcils :

-«  Je n’y comprends rien. En quoi ce conseil vaut-il plus que trois souverains ? »

-« Tu comprendras plus tard » répondit le vieil homme.

-«  Mais maintenant, je n’ai plus d’argent à rapporter chez moi à ma femme. Je vais devoir retrouver du travail ! ».

-«  Travaille une autre année pour moi et tu auras trois souverains de plus »  dit le vieil homme.

 

Une autre année passa donc, et à la fin de l’année, le vieil homme tendit trois souverains à Jowan.

-« Rends-moi les trois souverains et je vais te donner quelque chose qui a énormément plus de valeur. »

-«  Plus de valeur que trois souverains ? » demanda Jowan.

-« Beaucoup plus. »

Immédiatement, Jowan rendit les trois souverains.

-« C’est un conseil ; ne couche jamais là où un vieil homme est marié à une femme beaucoup plus jeune que lui ! ».

-« Et en quoi cet avis vaut il plus que trois souverains ? » demanda Jowan.

-« Tu verras » dit le vieil homme.

-«  Mais maintenant, je n’ai plus d’argent à rapporter chez moi à ma femme. Je vais devoir retrouver du travail ! ».

-«  Travaille une autre année pour moi et tu auras trois souverains de plus »  dit le vieil homme.

Une autre année passa donc, et à la fin de l’année, le vieil homme tendit trois souverains à Jowan.

-« Rends-moi les trois souverains et je vais te donner quelque chose qui a énormément plus de valeur. »

-«  Plus de valeur que trois souverains ? » demanda Jowan.

-« Bien plus. »

Plein de confiance, Jowan rendit les trois souverains.

-« C’est un conseil : Sois toujours honnête ! »

-«  Et qu’est ce qui me prouve que ce conseil vaut plus que trois souverains ? » demanda Jowan.

-« Il faut que tu me croies. » dit le vieil homme ;

Jowan n’était peut être pas très malin, mais il n’était pas stupide non plus. Il y avait une limite à sa crédulité.

-«  J’ai passé trois années loin de chez moi et je suis toujours sans le sou. Je dois retourner voir ma femme, avec ou sans argent, car autrement, elle va finir par s’inquiéter. »

«  «  Ne pars pas tout de suite » dit le vieil homme «  Attends plutôt demain matin. Cette nuit, ma femme va cuire des gâteaux et elle fera un gâteau spécialement pour toi afin que tu le ramènes chez toi.

Jowan soupira longuement. En vérité, au bout de trois ans, il n’était pas à un jour près.

-«  Si je ramène un gâteau, je n’aurai pas les mains vides » dit il au vieil homme.

Aussi, Jowan accepta t il de rester toute la nuit et au petit matin la femme du vieil homme lui tendit un gâteau nouvellement cuit.

-«  Tu peux le prendre mais à une seule condition » dit le vieil homme « Tu ne pourras le couper ou le manger que quand tu te sentiras le cœur gai. Et d’ici là, ni toi, ni ta femme, ni personne d’autre ne doit y toucher. »

 

Et c’est ainsi que Jowan, pas plus riche que trois ans auparavant reprit la route vers Lanlavan, là d’où il était venu. Il avait marché une journée entière, quand ses pas ont croisé ceux de trois marchands de son village qui revenaient, avec leurs marchandises et l’argent qu’ils avaient gagné de la grande foire de Tintagel.

-«  Mais c’est Jowan ! » dirent –ils «  Où étais-tu passé ces trois dernières années ? »

-« J’ai travaillé chez un vieux fermier. Avez-vous des nouvelles de ma femme ? »

-« Elle va bien et elle vit toujours chez ta sœur, mais elle n’est pas pus riche que lorsque tu l’a quittée. Elle sera contente de te voir renter, tout comme nous sommes contents de t’avoir rencontré. Pourquoi, ne pas finir le voyage ensemble ?»

 

Jowan a donc poursuivi son voyage avec les trois marchands, quand ils arrivèrent à un embranchement sur la route. Jowan vit immédiatement qu’une des branches de la fourche était la vieille route qu’il connaissait bien, et l’autre était une nouvelle route récemment construite et que Jowan ne connaissait pas. Les marchands lui dirent que c’était un nouveau raccourci qui amenait à leur village. Pensif, Jowan se rappela les paroles du vieil homme qui lui disaient de ne pas quitter la vieille route
Il décida donc de ne pas prendre le raccourci, et les marchands, qui le prenaient pour un fou, prirent la route neuve.

A peine eurent –ils fait une centaine de mètres sur la route neuve, que les marchands furent attaqués par des bandits de grand chemin et qu’ils se mirent à crier :

-« Au voleur ! Au voleur ! A l’aide ! »

Les voleurs étaient lourdement armés et les marchands n’arrivaient pas à se défendre.

Jowan, en entendant leurs cris fit rapidement demi-tour, arriva à l’embranchement et vit tout ce qui se passait. Il courut en criant :

-«  A l’aide vous autres. Les voleurs sont là ! »

et en secouant au dessus de sa tête son bâton de marche qu’il avait taillé dans un prunellier.

Les voleurs en l’entendant crier et le voyant courir vers eux en faisant tournoyer son arme pensèrent que des renforts suivaient et prirent rapidement la fuite sans avoir eu le temps de dépouiller les marchands.

 

Les marchands accueillirent Jowan avec gratitude :

-« Jowan, si tu n’avais pas été là, nous aurions été dépouillés et peut être tués » crièrent les trois hommes « nous te sommes redevables de nous avoir secourus. Tu avais raison. Nous aurions du rester sur la vieille route. Viens avec nous, il y a une auberge pas loin et nous t’y invitons pour la nuit. »

Ils retournèrent donc sur la vieille route et continuèrent leur voyage jusqu’à ce qu’ils virent une auberge toute neuve qui était, étrangement, placée tout à côté une autre plus ancienne. L’auberge neuve semblait attirer tous les voyageurs et la vieille auberge en ruine n’inspirait pas vraiment confiance.

Sur le pas de porte de l’auberge neuve se tenait une belle jeune fille qui les accueillit chaleureusement. C’était la femme de l’aubergiste. Bien sûr, elle était belle, mais Jowan vit tout de suite qu’elle n’avait pas l’habitude de beaucoup travailler et préférait passer son temps à boire avec les voyageurs.

A l’intérieur de l’auberge, il y avait un vieil homme, presque aveugle, qui faisait tout le travail pendant que la jeune femme discutait avec les voyageurs.

-« Qui est ce vieil homme ? » demanda Jowan à la jeune femme « Il me semble bien vieux pour faire tout ce travail. »

La jeune femme gloussa de rire :

-« Ce vieux débris, c’est mon mari. Ne t’inquiètes pas pour lui, mon mignon. »

Alors Jowan se rappela les paroles du vieux fermier : Ne couches jamais là où un vieil homme est marié à une jeune femme
Il se leva immédiatement et se dirigea vers la porte.

-« Ou vas-tu ? » demandèrent les marchands.

-« Je ne peux pas rester ici » dit – il «  je vais chercher une chambre dans la vieille auberge. »

-« Allons, que dis-tu ? Reste avec nous. Nous voulons te remercier pour nous avoir sauvés sur la route »

Mais Jowan ne voulut rien entendre. Les marchands qui étaient des gens honnêtes lui dirent que s’il trouvait une chambre dans la vieille auberge c’est eux qui viendraient la payer le lendemain matin.

Cette nuit là, alors qu’il dormait dans la vieille auberge, Jowan entendit un bruit qui le réveilla. Il alla jusqu’à sa fenêtre et regarda dehors. Il y avait deux personnages qui se tenaient dans l’ombre près de la nouvelle auberge. Ils discutaient à voix basse, mais Jowan put tout entendre.

-« Es-tu prête ? » demanda une voix féminine.

Jowan n’eut aucun mal à reconnaître la voix de la jeune aubergiste.

«-« Pus que jamais » répondit une voix masculine.

-« As-tu bien compris mon plan ? »

-« Je vais poignarder ton mari dans son lit, puis je vais placer le couteau ensanglanté dans le lit d’un de ces trois marchands stupides. Quand ils seront arrêtés et pendus, l’auberge nous appartiendra à tous les deux. »

Les deux personnages entrèrent dans l’auberge.

Jowan s’habilla et se précipita vers l’auberge neuve pour avertir ses compagnons. Il regarda à travers une fenêtre ouverte où il vit de la lumière. Il arriva trop tard pour sauver le vieil aubergiste, car il vit que le meurtre avait déjà eu lieu. Près de la fenêtre, à portée de main, se tenait le meurtrier. C’est alors que Jowan le reconnut. Il s’appelait Lewarne, le rusé, de Chy an Horth, et avait plusieurs fois refusé de lui donner du travail. C’était le régisseur du grand domaine agricole de Lord Gwavas du château de Gwavas. C’était un homme prétentieux qui portait toujours à sa ceinture une bourse reconnaissable entre toutes. Et Jowan, discrètement, se pencha par la fenêtre et déroba la bourse de Lewarne sans que ce dernier s’en aperçoive.

 

Peu de temps après L’hôtesse vicieuse poussa un grand cri et déclara que son mari avait été assassiné et qu’il n’y avait que les trois marchands dans l’auberge et que ce devaient être eux les meurtriers.

Lord Gwavas vint en personne constater les faits, fit sortir les marchands de l’auberge et leur dit :

-« Vous serez pendus tous les trois, à moins que le coupable se dénonce. Dans ce cas les deux autres auront la vie sauve. »

Chaque marchand se déclara innocent et Lord Gwavas ordonna de les mettre ne prison en attendant la pendaison.

-«  Une seconde Lord. » Cria Jowan «  Pourquoi n’arrêtez-vous pas le vrai coupable ? »

Lord Gwavas le dévisagea avec surprise

-« Et qui aurait commis ce crime, si ce n’est pas un de ces marchands ? »

Jowan lui tendit la bourse

-«  Le propriétaire de cette bourse est le meurtrier. »

Alors Jowan dit tout ce qu’il savait à Lord Gwavas.

-«  Mais c’est la bourse de mon régisseur, Lewarne de Chy an Horth. Qu’on le fasse venir ici. »

On apporta Lewarne tout tremblant et on fit aussi venir l’hôtesse. Lord Gwavas vit tout de suite dans leurs regards que Jowan ne lui avait pas menti. Il ordonna de libérer les marchands  et de mettre son régisseur et la jeune aubergiste en prison.

 

Les trois marchands et Jowan finirent le voyage ensemble et quand ils arrivèrent au pied de la colline où vivaient sa sœur et son mari, ils se séparèrent. Mais avant de se séparer les marchands donnèrent à Jowan un cheval sur lequel ils avaient entassé beaucoup de marchandises pour le remercier de les avoir sauvé, non pas une, mais deux fois. Il y avait sur les chevaux de quoi payer trois années de loyer.

Sa femme l’attendait à la barrière. Après l’avoir embrassé et fêté son retour, sa femme lui dit :

-« Jowan, tu rentres juste au bon moment. J’ai un problème à résoudre : Lord Gwavas est passé ici hier et je l’ai suivi, quand je me suis aperçue qu’il a perdu une bourse pleine de pièces d’or. Il n’y a pas de nom sur la bourse, mais il y a ses armoiries. Donc je sais que c’est sa bourse. Tu sais que j’ai vécu de la charité de ta sœur ces trois dernières années et cet or pourrait me permettre de la dédommager. »

Alors Jowan se rappela le troisième conseil du vieux fermier : Sois honnête.

-« Non «  dit-il «  nous allons retourner cette bourse au château de Lord Gwavas »

 

Jowan et sa femme allèrent au château et demandèrent à être reçus par Lord Gwavas. Lord Gwavas était très heureux de revoir Jowan.

-« Tu viens trop tôt, je n’ai pas eu le temps de chercher comment te récompenser pour avoir découvert le meurtrier »

-«  En fait, je ne fais qu’accompagner ma femme qui a trouvé quelque chose qui vous appartient. »

Ils donnèrent la bourse pleine de pièces d’or à Lord Gwavas qui fut surpris et heureux.

-« Une telle honnêteté mérite une récompense »  dit-il « Lewarse n’est plus mon régisseur, veux-tu prendre sa place ? Je te paierai cinq souverains par an et tu vivras dans la grande maison à Chy an Horth.

Jowan n’en revenait pas.

-«  Parfait » dit Lord Gwavas quand Jowan accepta «  En signe de remerciement reprends cette bourse d’or elle vous permettra d’acheter ce qu’il faudra pour aménager dans votre nouvelle demeure. »

Ils remercièrent le Lord, mais ce dernier leur dit qu’il était fier d’avoir trouvé des gens honnêtes et courageux pour administrer ses domaines et qu’il serait heureux qu’ils deviennent ses amis.

 

Jowan et sa femme retournèrent chez sa sœur et son mari et ils firent une grande fête. Jowan s’assura que sa sœur et son mari ne manquent de rien en remerciement de toutes ces années passées. Il leur donna beaucoup de pièces d’or de la bourse de Lord Gwavas. Jowas se rappela alors le gâteau que lui avait préparé la femme du vieux fermier. Il le prit et le posa sur la table.

-« J’ai promis au vieux fermier de ne le manger que lorsque je serai heureux. Je crois le moment venu. »

La femme de Jowan et sa sœur rirent quand ils virent l’état du gâteau, mais quand Jowan le coupa en deux, leur rire se transforma en cri de joie et d’étonnement : A l’intérieur du gâteau, il y avait neuf souverains d’or, son salaire pour les trois années passées chez le vieux fermier.