Les trois moulins du Roc’h

Bretagne _ Commana

Proposé par Armanel

Ce matin- là, vingt quatre décembre, Dom Martinaud et toute sa suite quittaient Quimper en diligence où il s’était rendu pour discuter avec l’évêque de quelques questions litigieuses au sujet de partages de terres dans les monts d’Arrée selon la coutume de la Quévaise. Partage d’autant plus difficile que ce n’étaient pas que terres arides juste bonne pour devenir pâturages de landes ou carrière d’ardoises mais un joli lot de terres chaudes.


Système créé pour attirer des paysans et favoriser les défrichements sur des terres souvent ingrates, la "Quévaise" désigne à la fois une exploitation agricole et un mode de rapport qui unit le tenancier à son seigneur. La sujétion seigneuriale est forte: le quevaisier ne peut abandonner sa tenure, ni la louer; il doit "ensemencer et labourer chaque année le tiers des terres chaudes de sa tenure" (les "terres chaudes" sont les terres cultivables, par opposition aux "terres froides", non cultivables), il ne peut qu'émonder les arbres de sa terre, mais en aucun cas abattre les troncs (droit réservé au seigneur). L'héritage repose sur un droit particulier: c'est le plus jeune des fils (système de la juveigneurie) qui hérite de ses parents, à défaut la plus jeune des filles ; si le Quevaisier n'a pas d'enfant, la tenure retourne au seigneur.


Son départ de Quimper avait été un peu tardif mais il espérait bien quand même arriver à l’heure à l’abbaye du Relecq en Plounéour Lanvern, dont il était l’abbé mitré, pour y célébrer la messe de minuit.


Mais lorsque minuit sonna à l’église de Kom-Anna, Dom Martinaud, épuisé par ce voyage à marche forcée, dut s’arrêter pour se restaurer et s’abriter à Kernoc, près du Roc’h Trévézel à l’endroit appelé Ty-Sissiou situé au carrefour des routes Morlaix-Quimper et Brest-Huelgoat.


Il frappa doucement à la porte d’une maison presque en ruines, aux murs épais de pierres bleues pour trouver un refuge contre le froid qui le mordait et la tempête de neige qui l’enveloppait. A peine eût-il frappé la porte que celle-ci s’ouvrit tout doucement comme pour l’inviter à entrer dans la maison vide de ses occupants.


La maison était vide car une heure auparavant, malgré le temps affreux et la tempête de neige qui s’annonçait, la veuve Marig Bronne et ses trois orphelins avaient quitté la chaleur toute relative de leur masure de Kernoc pour se rendre à pied à la messe de minuit de Kom-Anna comme tous les bons chrétiens de cette époque.


Comme il n’y avait rien à voler dans cette pauvre maison, elle n’avait pas fermé la porte à clef, refermant seulement celle-ci sur le maigre feu de landes et de tourbe du Yen Elez se consumait. Derrière cette pauvre demeure, une petite parcelle de cinquante mètres carrés, entourée de troènes et de houx (seules plantes poussant sur ces hauteurs) constituait le seul bien de la veuve.


Elle y récoltait quelques pommes de terre et un peu de blé noir en quantité à peine suffisante pour nourrir la maisonnée pendant deux ou trois mois. Le reste du temps il fallait mendier pour vivre. La vie était tellement dure que Marig avait bien souvent souhaité mourir pour aller rejoindre son mari, Laou Braz, mort dans un accident de carrière, mais la pensée de ses trois enfants la retenait à la vie au dernier moment.


Ce soir-là pourtant elle fit une fervente prière à Sainte Anne, patronne de Kom-Anna, pour que son sort s’améliore au moins pour que ses trois petits ne meurent pas de faim.


Donc comme je disais la messe de minuit venait de se terminer à Kom-Anna. Dom Martinaud avait réussi à se réchauffer devant le pauvre feu de tourbe, avait bien mangé en puisant dans les provisions que lui avait donné l’évêque de Quimper et se sentait prêt à reprendre la route. Il avait bien remarqué la pauvreté extrême de la demeure et ne voulait pas partir sans aider ne serait ce qu’un peu les braves gens qui n’avaient pas fermé leur porte. Après avoir réalimenté le feu de tourbe dans la cheminée et prétextant qu’il n’avait plus besoin de provisions et que les abandonner allègerait le poids de la voiture, il laissa derrière lui ce que contenait son coffre : Trois gros pains bis, un épais jambonneau et deux bouteilles de cidre. Mais il trouvait que ce joli cadeau était insuffisant, aussi en guise de remerciement il accrocha une lourde bourse d’or accrochée à la porte et se dirigea vers l’abbaye du Relecq où il arriva fourbu et mécontent d’avoir raté la messe de minuit mais satisfait d’avoir fait une bonne action.


La messe de minuit terminée à Kom-Anna, Marig Bronne s’acheminait péniblement dans la neige froide avec ses trois garçons, pieds nus dans leurs sabots fêlés vers leur maison de Kernoc. Arrivés près de chez eux, ils croisèrent une diligence qui dévalait la pente au galop en direction de l’abbaye du Relecq.


Grande fut la surprise de Marig de voir que la porte était mal fermée. Elle pestait un peu en se disant que le feu devait être éteint et froid. Mais quand elle entra dans la maison en baissant la tête à cause d’une averse de neige violente, elle vit que le feu brulait comme un feu de Saint Jean et que sur la table trônaient trois gros pains, u jambon et deux bouteilles de cidre ; La mère et ses trois petits n’en revenaient pas de ce cadeau, essayent de comprendre ce qui s’était passé, mais n’y arrivaient pas. Ils pensèrent bien un moment que c’étaient des korrigans qui avaient apporté tout cela, mais la nuit de Noël, c’était plutôt bizarre. Après bien des hésitations, le ventre tenaillé par la faim ils engloutirent le pain et le jambon le tout arrosé d’un verre de cidre. C’était le plus beau repas de Noël qu’ils avaient jamais eu ; Le plus beau repas de Noël ! Que dis-je : le plus beau repas de leur vie tout court. La faim assouvie, tout le monde se mit au lit, et cette nuit-là Marig dit un rêve merveilleux.


Marig rêvait qu’elle était devenue une riche fermière et qu’elle récoltait de grandes quantités de lin, qu’elle vendait à prix d’or aux tisserands de Locronan. Elle voyait aussi ses trois garçons devenus grands et qui étaient tous trois propriétaires d’un moulin. Le plus grand Yvon à Kerdilès, Isidore à Rest ar Haro et le dernier Yann au Mougau. Tous les trois mariés et pères d’une flanquée d’enfants. Elle-même, riche à présent arrêtait de travailler pour s’occuper de tous ses petits enfants qui l’appelaient « Mamm ».


Le lendemain matin tout le monde se leva bien tard à Kernoc. Quand Marig ouvrit la porte, la neige avait fini de tomber et le soleil levant brillait de mille feux. En ouvrant la porte donc, Marig vit briller dans le soleil la bourse que Dom Martinaud avait accroché la porte. Quand elle décrocha la bourse, des pièces blanches et des pièces jaunes tombèrent par terre. Elle en fit deux tas : il y avait cent pièces blanches et cinq cent pièces jaunes.


Les ayant soigneusement enveloppées dans son mouchoir, elle les glissa dans sa poche et descendit d’une traite à Kom-Anna tout raconter au vieux curé, l’abbé Croguennec, qui fut plus surpris qu’elle de l’aventure.


Mais Marig n’était pas tranquille et ne savait que faire de tout cet argent. Aussi le vieux curé se décida à l’apaiser en lui disant que la nuit de Noël tout peut arriver et que si personne ne venait réclamer l’argent d’ici un an, elle pourrait en profiter à sa guise. Marig laissa donc l’argent caché pendant n an au presbytère en gardant le secret avant de dépenser l’argent.


Si vous passez près du Roc’h Trévezel, vous verrez peut être les vestiges de trois moulins, deux sur la Pensé et un sur l’Elorn. Les trois fils de Marig y faisaient vivre leurs familles et quarante ans plus tard, selon son souhait, Marig fut enterré près de la tombe de Laou Braz son mari, au cimetière de Kom-Anna.

Son joli rêve de Noël s’était réalisé grâce au geste de Dom Martinaud qui, un soir de neige avait trouvé asile dans l’endroit le plus déshérité des Monts d’Arrée.


Le cadastre de 1812 fait apparaître sept sites de moulins dont au moins cinq figurent sur la carte de Cassini (vers 1770) ; certains, comme Mougau, Kerouat, Coat Ar Roch (Le Bois de la Roche) ou Brézéhant, comptent alors plusieurs installations.
Six moulins sont situés sur la rivière de l´Elorn ou ses affluents (dont le Stain et le ruisseau du Mougau), quatre sur la rivière de la Penzé ou ses affluents.
Même si les sites sont toujours identifiables, les moulins, s´ils n´ont pas disparu, ont pour la plupart été profondément remaniés.