LES SORCIÈRES DE DELNABO
Traduction : Armanel - conteur
Autrefois,
la ferme de Delnabo était partagée par trois locataires.
Au
commencement de cette histoires, les trois locataires vivaient de
façon semblable ; chacun aussi à l’aise que les deux autres
dans sa situation, aucun plus pauvre que les deux autres dans sa
condition.
Mais il arriva, que les voisins de la ferme de Delnabo remarquèrent que Fearghas, l’un des trois locataires, bien que plus travailleur et plus talentueux que ses deux confrères, sombrait chaque jour, un peu plus, dans la pauvreté, tandis que ses deux voisins amélioraient chaque jour leur condition financière.
Étonnée et affligée par la malchance qui accompagnait ainsi sa famille, comparé à la condition prospère de ses voisins, Aileas, la femme du pauvre Fearghas avait l’habitude d’exprimer son étonnement, non seulement à ses amis proches, mais aussi aux femmes de ses colocataires elles-mêmes.
Un jour qu’elle se plaignait plus fort que d’habitude, les deux autres épouses lui ont demandé de quoi elle serait capable pour améliorer sa condition. Aileas leur a répondu qu’elle donnerait tout ou ferait n’importe quoi.
_ « Eh bien, dit l’une des deux voisines, si vous acceptez de garder nos révélations strictement secrètes et d’obéir totalement à nos instructions, ni la pauvreté ni le besoin ne vous assailliront plus jamais. »
Ces paroles impressionnèrent Aileas qui se demanda immédiatement si ces deux femmes ne pratiquaient pas la sorcellerie. Faisant semblant d’être toute heureuse de leur proposition, elle a promis d’accepter toutes leurs conditions. On lui ordonna alors, d’emporter avec elle le balai de genêts (bien connu pour ses propriétés magiques) lorsqu’elle irait se coucher ce soir-là, et qu’elle devrait laisser aux côtés de Fearghas, son mari, au cours de la nuit ; le balai prendrait si exactement la forme de son corps que Fearghas ne pourrait rien remarquer. En même temps, elles la rassurèrent sur toute crainte de voir le subterfuge découvert, car leurs propres maris ne se rendaient compte de rien, et ce depuis un grand nombre d’années. Les choses étant ainsi arrangées, elle leur affirma qu’elle les rejoindrai à l’heure de minuit, afin de les accompagner à cette scène qui devait réaliser son bonheur futur.
Promettant de suivre leurs instructions, Aileas prit congé de ses voisines, pleine d’un sentiment d’horreur que la découverte d’une telle dépravation produisait dans son esprit vertueux. Se précipitant vers Fearghas, elle ne crut pas criminel de rompre la promesse qu’elle avait faite à ses mauvaises voisines et, en épouse dévouée et prudente, de révéler à son mari tous les détails de leur entretien. Fearghas a grandement loué l’ingéniosité de sa femme et le couple a immédiatement imaginé un plan : Il fut convenu que le mari échangerait ses vêtements avec ceux de sa femme, et que sous ce déguisement, il accompagnerait les deux voisines à l’endroit désigné, pour voir quels sortilèges elles avaient l’intention d’effectuer.
Fearghas mit donc les habits de sa femme et, à minuit, rejoignit les deux
voisines à l’endroit fixé. La « nouvelle mariée », comme elles
l’appelaient, fut très cordialement reçue par les deux « Dames
au Balai », qui la félicitèrent chaleureusement en lui
promettant fortune immédiate et bonheur éternel. Elles lui
donnèrent une torche en sapin résineux, un balai et un tamis,
articles dont elles étaient elles-mêmes pourvues.
Les trois
femmes partirent aussitôt.
Elles
se sont dirigées, le long des rives vallonnées
de l’Avon, jusqu’à Craic-Pol-Nain. Ici, en raison de la pente
abrupte du craig, elles ont trouvé plus sage de passer de l’autre
côté de la rivière. Ce passage s’effectua facilement, le gué
étant à sec à cet endroit de la rivière. Elles sont alors
arrivées en vue de Pol-Nain. La mare semblait recouverte par une
flamme ardente : Plus de cent torches flambaient dans la nuit,
leurs faisceaux se reflétant sur les bois imposants de Loynchork. Et
je peux vous assurer qu’aucune oreille humaine n’avait entendu
auparavant des cris tels que ceux provenaient de l’horrible troupe
engagée dans une orgie infernale sur Pol-Nain. Ces cris horribles
paraissaient, cependant, une douce musique pour les deux épouses de
Delnabo. Chaque cri produisait en elles un sentiment de joie immense,
et elles s’éloignèrent, laissant la « nouvelle mariée»
loin derrière elles. Car, comme vous devez l’imaginer, Fearghas n’était pas pressé d’atteindre la scène, et quand il l’a
atteinte, c’était avec la détermination de n’être qu’un
spectateur,
et
surtout pas un acteur de la soirée. En arrivant au bord de la mare,
il observa ce qui se passait.
Fearghas vit une centaine de sorcières se balancer d’avant en arrière sur leurs tamis, utilisant leurs balais comme des rames, hurlant telles des cornemuses, poussant des cris pire que ceux des *bogles, et chacune tenait dans sa main gauche une torche en sapin résineux. Puis elles se mirent à tourbillonner en venant faire une profonde révérence à un grand chien galeux noir et laid, perché sur un haut rocher, qui les remerciait de leur loyauté et de leur dévotion en souriant et en frappant ses pattes l’une contre l’autre.
Les deux voisines donnèrent quelques instructions à la « nouvelle mariée ». Elles étaient impatientes de se joindre à la troupe et désiraient qu’elle reste au bord de la mare et attende qu’elles communient avec Son Altesse satanique au sujet de son investiture. Elle lui déclarèrent que pour augmenter leur vitesse quand elles traverseraient la mare, elle devrait les encourager en criant à plein poumons le nom de leur maître. La « nouvelle mariée » assura qu’elle se conformerai à cet ordre de la paire maudite. Mais dès que les deux voisines furent embarquées dans leurs tamis, et qu’elles furent arrivées dans une profondeur d’eau convenable, Fearghas cria :
_« Avancez, au nom du Tout Puissant. »
Un cri horrible sortit de la poitrine des sorcières ; le sort magique était maintenant dissous, leur pouvoir sur les objets disparut instantanément et leurs tamis coulèrent, entraînant au fond de la mare les deux sorcières, au milieu des cris et des lamentations du chien noir et de toute sa troupe infernale. Toutes les torches s’éteignirent en un instant, et la compagnie effrayée s’enfuit dans toutes les directions, sous les formes qu’elle jugeait les plus commodes.
La « nouvelle mariée » rentra chez elle en sifflotant, s’amusant beaucoup de la manière habile dont elle avait exécuté les instructions de ses voisines désormais noyées. En arrivant chez lui, Fearghas remit ses vêtements personnels et, sans satisfaire immédiatement la curiosité de sa femme quand au résultat de son excursion, il sortit son bétail et commença ses travaux matinaux comme d’habitude.
Ses deux voisins firent de même. Vers l’heure du petit déjeuner, cependant, les deux voisins furent un peu étonnés de voir que leurs femmes n’étaient pas sorties du lit, contrairement à leur habitude, et ils exprimèrent cette surprise à Fearghas. Ce dernier leur répondit qu’il serait bien surpris, qu’elles se lèvent ce jour-là.
« Qu’est-ce que vous voulez dire par là ? » répondirent-ils. « Nous avons laissé nos femmes en bonne santé quand nous nous sommes levés nous-mêmes. »
« Je vous propose d’aller les retrouver » répondit Fearghas, sifflant aussi joyeusement qu’auparavant.
Courant chacun dans son lit, quel ne fut pas l’étonnement des maris, quand, au lieu de leur femme, il ne trouvèrent que des vieux balais.
Fearghas leur dit alors que, s’ils se rendaient à Pol-Nain, ils y trouveraient leurs deux chères défuntes au fond de la mare. Les maris en deuil décidèrent de s’y rendre et, avec les instruments nécessaires ont ramené leurs femmes décédées sur la terre ferme, puis les ont enterrées dans un lieu gardé secret.
Inutile d’ajouter que Fearghas retrouva peu à peu son ancienne opulence. Et je peux vous affirmer qu’il ne devait sa nouvelle opulence qu’à la valeur de son travail et surtout pas à un artifice quelconque.
*bogles, (Un bogle, est un mot écossais désignant un fantôme ou un être folklorique, utilisé pour une variété de créatures, notamment les Shellycoats, les Barghests, les Brags, et les Hedley Kow. )
Aileas : variante écossaise du prénom germanique Adélaïde; Adal noble et Haid lande
Fearghas :
variante écossaise du prénom Fergus signifiant le
choix de l'homme,