Les marraines d’Asling
Irlande _ Kerry
Proposé par le conteur Armanel
Comme vous le savez peut être, en Irlande on peut trouver toutes sortes de paysages allant de la terre la plus aride aux plaines les plus vertes. On peut aussi trouver des bords de côte merveilleux où l’on ne sait plus la frontière entre la terre et la mer.
Coornagillagh, à l’ouest du comté du Kerry, est située dans une très belle région : La péninsule de Beara. Là-bas, la mer pénètre profondément dans les terres, comme un fleuve, elle creuse des fjords secrets. Parfois un promontoire s’avance, auréolé d’une guirlande semi terrestre, semi marine des ors superposés des goémons jaunes et des ajoncs. Et les garçons qui demeurent dans le voisinage ont l’habitude de se réunir pour jouer, sur le bord, pendant les beaux jours. Là, ils courent sur les rochers, s’ébattent dans l’eau et se sèchent au soleil dans la lande.
Ce jour-là, Asling, un
garçon d’environ quatorze ans s’était retrouvé seul sur le rivage et regardait sans crainte
sur la mer ou il y avait des lueurs vertes produites par l’éclat du soleil. Le ciel
était d’un pur limpide, les nuages se reflétaient dans l’eau, et pas un souffle
de vent dans l’air. Asling s’était assis souvent avant
ce jour au bas du flot qui battait maintenant contre les pierres au-dessous de
lui, mais il pensa qu’il n’avait jamais vu l’eau plus belle et plus séduisante,
et il se dit à lui-même que s’il avait un bateau, il aimerait à aller faire une
promenade ; mais il n’y avait pas de bateau en vue.
Après avoir regardé quelque temps autour de lui, Asling
aperçut une planche de bois qui dérivait tout à coté de lui, et en même temps il vit trois cygnes
nager à la surface du golfe et venir vers lui. Ils tournèrent de-ci de-là, mais
au bout de peu de temps ils arrivèrent devant lui.
Asling fut pris d’une grande joie en voyant la forme des
oiseaux. Il rassembla toutes les miettes de pain qu’il avait dans sa poche et
les leur donna à manger. Il pensa qu’ils n’étaient pas sauvages; ils semblaient
si doux et si familiers! Ils s’avancèrent tout près de lui, mais chaque fois
qu’il essayait de les caresser, il ne réussissait pas à les toucher car ils
s’éloignaient aussitôt. Plus, ils nageaient autour de lui, ils semblaient
devenir encore plus beaux et plus brillants, et son désir de les caresser
grandissait.
Pour arriver à ses fins, Asling prit la planche de bois,
s’assit dessus et suivit les cygnes. Il dirigea la planche à sa volonté en
plongeant rapidement les mains dans l’eau, comme on fait d’ordinaire avec les
rames. Les cygnes continuèrent à aller devant lui, et il n’arrivait pas à les
rattraper. En peu de temps, il se trouva au milieu de la mer. Il était fatigué
et il s’arrêta de ramer ; alors il changea de couleur, de crainte de ne pouvoir
regagner la terre. Mais les oiseaux s’approchèrent et se rassemblèrent autour
de lui comme s’ils cherchaient à lui redonner courage, et ils firent en sorte
qu’il oublia le danger ou il était. Plein d’affection pour eux, il étendit
rapidement la main pour prendre le plus beau de la bande, mais il s’appuya trop
lourdement sur le bord de la planche, il manqua son coup et il tomba dans les
vagues de la me où il se noya.
Quand Asling se réveilla, il était étendu sur un lit de
plumes, dans le château le plus beau qu’eût jamais vu un être humain et trois
dames se tenaient au pied de son lit. L’une d’entre elles prit la main du jeune
garçon et lui demanda aimablement comment il se faisait qu’il fût là.
- Je n’en sais rien, dit Asling, et il leur raconta le malheur
qui lui était arrivé en route.
- Veux-tu a rester auprès de nous? dit la plus jeune, nous souhaitons devenir
tes marraines et prendre soin de toi. Mais si tu restes ici pendant trois
jours, tu ne pourras jamais plus retourner dans ton pays, car tu ne pourras
plus supporter le vent et le soleil.
Asling était si charmé dans son cœur par la beauté du lieu
qu’il promit de ne pas se séparer d’elles. Elles le conduisirent de chambre en
chambre dans la maison ; chaque chambre l’emportait sur l’autre en beauté et en
richesse ; elles étaient pleines de monceaux d’or et de riches soieries. Il
avait souvent lu des descriptions du Paradis et il se demanda à lui-même si
c’était là l’endroit qu’on appelait de ce nom.
Asling resta avec un grand plaisir dans son nouveau pays
pendant cinq ans, mais au bout de ce temps il fut pris du désir de retourner
voir ses parents et les gens de sa famille. Il craignait qu’il ne lui fût pas
possible de le faire, et son cœur se remplit de tristesse et de trouble sans
que ses trois marraines en eussent connaissance. Un jour qu’il était couché au
pied d’un arbre et que des larmes coulaient sur ses joues, une vieille dame sans
dents vint à lui et lui dit:
- Si tu me promets de m’épouser, je te conduirai chez toi demain.
- Je ne t’épouserai pas, dit-il, quand même tu aurais la moitie des richesses
du monde.
Elle ne l’eut pas plus tôt entendu dire ces mots qu’elle bondit hors de sa vue.
En même temps, ses trois marraines, qui étaient à l’ombre d’une tour près de
lui à écouter sa conversation, 1’abordèrent: elles le remercièrent de la
réponse qu’il avait donnée à la vieille femme, et lui dirent qu’en récompense,
elles le feraient remonter chez lui.
Au moment ou le soleil se leva, le jour d’après, en s’éveillant, Asling
se trouva assis sur un monticule, au bord de la mer, à peu de distance de la
maison de son père. Lorsqu’il regarda devant lui, Asling vit
les trois cygnes qui nageaient dans le même bas-fond ou ils étaient cinq ans
auparavant. Ils lui faisaient signe de la tête, comme s’ils lui disaient :
— Adieu, ami de notre cœur.
Ce faisant, ils plongèrent sous l’eau et ils disparurent.
Asling se rendit chez lui, et il raconta son histoire à toute
la maisonnée. Comme son père et sa mère n’avaient pas d’autre enfant que lui,
on peut s’imaginer comme ils furent joyeux de son retour, qu’ils n’espéraient
pas. Les gens qui entendirent son histoire s’émerveillèrent mais ne le crurent
pas, bien que ce fût la pure vérité.
Au bout de peu de temps, Asling fut pris du désir de
retourner au beau pays qu’il avait quitté pour revoir l’endroit ou il
avait demeuré, et ses marraines, mais il ne savait comment accomplir son
projet. Son père et sa mère se désolèrent qu’il voulut les quitter, eux qui
n’avaient que lui, mais Asling ne voulut pas suivre leur
conseil. II alla au bord du golfe et se mit à construire un bateau en tressant
des branches d’osier et en les recouvrant de peaux de moutons. Puis, il
attendit.
Il attendit très longtemps et allait presque mourir de faim car il ne voulait plus manger quand, tout à coup, les trois cygnes réapparurent. Asling courut à son bateau, le jeta dans l’au et sauta dedans, puis, il se mit à ramer comme un fou pour suivre les cygnes. A ce moment la brume arriva du large et recouvrit la mer, les cygnes et Asling.
Et Asling et les cygnes disparurent dans cette brume et on ne les revit jamais.