Les deux bossus
Plouaret.
Armanel - conteur
(résumé)
Deux bossus vivaient dans un petit village au fin fond de la Bretagne. Le premier, Kaour, était cupide et avare tandis que le second, Laouig, était gentil et généreux. Un jour que Laouig se promenait dans les landes, il aperçut une bande de korrigans qui dansaient en ronde en chantant : "lundi, mardi, mercredi " ! Le chef l'aperçut et il fut entraîné dans la ronde malgré lui. Au bout d'un moment, exténué, il s'arrêta et leur demanda pourquoi ils ne chantaient pas la suite. La suite ? Ils ne connaissaient aucune suite à cette chanson. Alors Laouig commença a chanter : "lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi" et les korrigans, ravis, reprirent ce refrain avec lui. Pour le remercier, ils lui proposèrent la beauté ou la richesse et Laouig choisit de voir sa bosse disparaître. En apprennant cela, Kaour le cupide se dit que Laouig était bien bête de ne pas avoir pris l'argent et s'en fut sur les traces de son ami dès la nuit tombée. Il rencontra les korrigans et les choses se déroulèrent de la même façon que la veille. Il leur apprit la fin de la chanson "samedi et dimanche". Les korrigans furent déçus de cette fin mais lui proposèrent cependant la récompense promise. Kaour leur demanda de prendre ce que Laouig avait laissé la veille et au lieu de l'argent espéré, il récupéra la bosse de Laouig en plus de la sienne. C'est depuis ce jour en Bretagne que l'on raconte aux enfants cette histoire pour leur montrer que l'avarice est un bien vilain défaut.
Dans la version qui suit, les prénoms ont changé, mais le conte reste le même
LES DEUX BOSSUS ET LES KORRIGANS
IL y avait une fois deux bossus, Nonnic et Gabic, deux amis.
Ils étaient tailleurs de leur état, et, chaque matin, ils allaient en journée, chacun de son côté, dans les fermes et les manoirs du pays. Un soir que Nonnic revenait, seul, de son travail, comme il passait sur la lande de Penn-an-Roc’hou, non loin du bourg de Plouaret, il entendit de petites voix grêles qui chantaient :
Lundi, mardi et mercredi....
— Qui est-ce qui chante donc de la sorte ? se demanda-t-il.
Et il s’approcha, tout doucement. Il faisait un beau clair de lune, et il vit les Danseurs de nuit, — qui sont des nains, — qui dansaient en rond et chantaient, en se tenant les mains. Un d’eux chantait le premier :
Lundi, mardi et mercredi....
Puis les autres reprenaient ensemble :
Lundi, mardi et mercredi....
Armanel - conteur ( http://armanel.e-monsite.com
Et c’était tout. Nonnic avait souvent entendu parler des Danseurs de nuit, mais, il ne les avait jamais vus, et il se cacha derrière un rocher, pour les observer. Il fut vite découvert et pris au milieu du cercle. Et les nains de danser de plus belle, en tournant autour de lui et en chantant toujours :
Lundi, mardi et mercredi....
Et ils disaient au bossu :
— Danse et chante aussi avec nous.
Nonnic n’était pas timide, et il entra dans la danse et chanta avec eux :
Lundi, mardi et mercredi....
Mais, comme ils répétaient toujours ces trois mots, sans plus, il dit :
— Et après ? Votre chanson est bien courte.
— C’est tout, répondirent-ils.
— Comment, c’est tout ? Pourquoi n’ajoutez-vous pas :
Et jeudi et puis vendredi ?
— C’est vrai, répondirent-ils, c’est très joli. Et ils chantèrent, en sautant et en trépignant de joie :
Lundi, mardi et mercredi,
Et jeudi et puis vendredi !...
Armanel - conteur ( http://armanel.e-monsite.com
Et de tourner avec un entrain du diable. Quand Nonnic, n’en pouvant plus, voulut se retirer, les nains se demandèrent :
— Que donnerons-nous bien à Nonnic, pour nous avoir allongé et embelli notre chanson ?
— Ce qu’il voudra : de l’argent et de l’or, à discrétion, ou le débarrasser de sa bosse, s’il le préfère.
— Ah ! oui, dit Nonnic, si vous voulez me soulager de ce fardeau, que je porte depuis si longtemps, je vous laisserai et l’or et l’argent.
— C’est cela, enlevons-lui sa bosse !
Et ils lui frottèrent le dos avec un onguent merveilleux, qui fit disparaître sa bosse, par enchantement, et il s’en retourna chez lui, droit et léger, et même joli garçon.
Le lendemain, quand son ami et confrère en bosse le vit, il fut bien étonné, et c’est à peine s’il le reconnut.
— Comment ! disait-il en tournant autour de lui, et... et ta bosse ?
— Disparue, comme tu vois.
— Et comment donc cela s’est-il fait ? Et Nonnic lui conta tout.
— Ah ! J’irai aussi, moi, voir les Danseurs de nuit, à Penn-an-Roc’hou, et pas plus tard que ce soir !
Et il fit comme il l’avait dit. Quand il arriva sur la lande, les nains y dansaient déjà, en chantant :
Lundi, mardi, mercredi....
Chantait une voix seule, et les autres continuaient toutes ensemble :
Et jeudi et puis vendredi !..
Armanel - conteur ( http://armanel.e-monsite.com.
Et ils tournaient et gambadaient et cabriolaient !...
Gabic s’approcha et ils lui crièrent :
— Viens danser avec nous !
Et le voilà dans la ronde et de danser et de chanter comme eux :
Lundi, mardi et mercredi,
Et jeudi et puis vendredi !...
— Et ensuite ?… dit-il.
— C’est tout : est-ce que vous en savez plus long ?
— Oui donc !
— Oh ! Dites alors ? Dites alors ?… Et il ajouta :
Et samedi et dimanche !
— Oh ! Ce n’est pas bon ! Cela ne rime pas ! Il nous a gâté notre chanson, qui était si jolie ! Il faut l’en punir ; que lui ferons-nous ? Crièrent tous les petits hommes, à la fois, en se remuant et s’agitant autour de Gabic, comme une fourmilière.
— Il faut ajouter la bosse de Nonnic à la sienne ! dit quelqu’un.
— Oui, c’est cela ! Ajoutons la bosse de Nonnic à la sienne.
Ce qui fut fait, sur-le-champ ; et le pauvre Gabic s’en retourna chez lui, tout honteux et ployant sous le faix, et il lui fallut porter, le reste de sa vie, la bosse de son camarade avec la sienne !