LES BARBES DU GÉANT
Pays de Galles _ Bettws-y-Coed (Gwynedd)
Texte proposé par Lord Blackwood _ Traduit pr le conteur Armanel
La montagne de Snowdon, est le plus haut sommet du pays de Galles, et a toujours exercé un pouvoir d’attraction sur les imaginations. On retrouve notamment de nombreuses légendes concernant le roi Arthur ou des héros de la mythologie celtique.
Le géant Ritta, ou Rhita, collectionneur de barbes, apparaît très tôt dans la légende arthurienne.
En ce temps-là vivaient deux rois qui étaient bons amis. Leurs noms étaient Nynniaw et Pebiaw. Un soir d’été, ils se promenaient tous deux sur la montagne alors que les étoiles brillaient dans le ciel.
Tout à coup, Nynniaw s’arrêta, contempla le ciel un long moment, puis, se retournant vers Pebiaw, il lui dit d’un ton hautain :
- Comme il est beau mon domaine !
- De quel domaine parles-tu ? demanda Pebiaw.
- Mais voyons : Le ciel tout entier ! répondit Nynniaw.
- En vérité ! s’écria Pebiaw, je ne comprends pas ce dont tu veux parler.
- Ce n’est pas difficile, pourtant, répondit Nynniaw, le ciel que je regarde et que tu peux voir est à moi, et on ne trouverait jamais de domaine plus beau et plus étendu que celui-ci !
Pebiaw fut contrarié par l’orgueil de Nynniaw, et il chercha un moyen de prendre sa revanche. Ils se remirent tous deux à marcher. Puis, au bout d’un moment, Pebiaw s’arrêta et dit :
- Quel magnifique troupeaux que le mien !
Ce fut au tour de Nynniaw de ne pas comprendre. Il demanda à Pebiaw de quoi il voulait parler.
- Ce n’est pas difficile, répondit Pebiaw. Mon troupeau, ce sont les étoiles, et elles sont innombrables. Et la lune est leur berger. On ne pourrait jamais trouver de troupeau plus nombreux, ni de berger plus attentif à le garder.
Nynniaw fut très mortifié de la prétention de Pebiaw. Il réfléchit un instant à la façon dont il pourrait prendre sa revanche, puis il dit :
- Il me semble que tu commets une injustice ! Ton troupeau est en train de pâturer dans mon domaine, et je ne pourrai le tolérer plus longtemps !
Ils se disputèrent tous deux avec âpreté. Pebiaw prétendait qu’il n’y avait pas de champ plus vaste que le ciel pour ses troupeaux, et Nynniaw lui répliquait qu’il n’avait aucun droit à laisser ses bêtes sur ses propres pâturages. Ils en vinrent à se faire la guerre. Chacun d’eux
forma des troupes de guerriers et ils se combattirent sans ménagement.
La nouvelle de cette guerre parvint aux oreilles du géant Ritta, qui avait sa demeure sur la montagne du Glyderfawr, près de Llanberis. C’était un être cruel et orgueilleux qui avait pris l’habitude de couper les barbes de tous ses adversaires malheureux. Ces barbes, il les conservait précieusement afin de s’en faire le manteau le plus rare et le plus chaud du monde. Quand il entendit que Nynniaw et Pebiaw se faisaient la guerre à propos du ciel et des étoiles, il alla les attaquer en personne.
Il les vainquit et leur coupa la barbe à tous les deux.
Lorsqu’ils apprirent cela, les rois du voisinage se rassemblèrent et allèrent combattre le géant. Mais ils furent tous vaincus les uns après les autres et Ritta leur coupa la barbe à chacun et déclara fièrement :
- Voilà les animaux qui ont brouté mes pâturages : je les en ai chassés, et désormais ils n’oseront plus y reparaître.
Puis, avec les barbes qu’il avait coupées, il se fit faire, par les meilleurs artisans qu’il put trouver, un long manteau qui descendait jusqu’à terre.
- Voilà qui est bien, se dit le géant, mais mon manteau aurait encore plus de valeur si je pouvais y ajouter la barbe du roi Arthur.
Il se rendit sans tarder à la forteresse de Tomen-y-Mur, près de Ffestiniog, où résidait alors le roi Arthur qui rentrait d’une expédition dans le Nord. Là, il se présenta devant le roi au moment où il était en train de dîner en compagnie de ses principaux guerriers. Il avait revêtu son manteau de barbes sur lequel il y avait un emplacement vide, et d’une voix tonitruante, il cria :
- Roi Arthur! sache que je suis Ritta Gawr, seigneur des montagnes, et que je me suis donné pour mission de poursuivre l’oppression et l’injustice des rois autoritaires. J’en ai déjà vaincu beaucoup et je leur ai coupé leur barbe afin de m’en faire un manteau qui sera l’insigne de ma puissance. Mais ce manteau serait incomplet sans ta barbe, puisque tu es le plus célèbre, et aussi le plus injuste de tous les rois de ce monde.
Mais je veux que tu sois honoré davantage que les autres rois : je ne te ferai pas l’injure de me battre avec toi au risque de t’infliger une blessure ou même de te tuer, ce dont je serai vraiment très affligé. Aussi, je te demande, devant tous ces hommes réunis autour de toi, de me livrer ta barbe de ton plein gré. Fais-la-moi parvenir par deux de tes meilleurs compagnons, et ensuite, lorsque j’aurai complété mon manteau, viens te présenter à moi pour te déclarer mon vassal. Si tu refuses ma proposition, je partirai d’ici et je t’attendrai dans la prairie qui domine le lac Llydaw. Là, je te ferai arracher de force ta barbe du menton, pour que tu souffres davantage.
- J’irai à ton rendez-vous près du lac Llydaw, répondit Arthur.
Et sans ajouter un seul mot, il se remit à manger.
Ritta le Géant, décontenancé, quitta les lieux en proférant les pires menaces contre le roi. Quant aux compagnons d’Arthur, ils dirent tous qu’ils seraient honorés d’aller combattre le géant afin de lui rabaisser son orgueil.
- Taisez-vous ! leur répondit Arthur. Je suis le seul concerné par cette affaire et c’est moi qui irai combattre le géant.
Les guerriers le suivirent néanmoins jusqu’au lieu de la bataille.
Celle-ci fut longue et féroce, mais à la fin, Arthur tua le géant qui s’écroula avec un grand cri sur les pierres qui bordaient le lac. Alors il ordonna à ses hommes d’enterrer là le géant et d’apporter une pierre assez grande pour le recouvrir et le cacher à tout jamais. Ils firent ainsi, et c’est pourquoi la montagne appelée Snowdon se dresse aujourd’hui au-dessus du lac Llydaw.
Mais, depuis ce temps-là, il y a des aigles qui tournoient autour du mont Snowdon. On dit que, lorsqu’ils volent très haut dans le ciel, c’est un signe de victoire, mais que, en revanche, quand ils volent au ras de la montagne, c’est un signe de désastre. C’est du moins ce qu’on raconte dans le pays, car pour dire la vérité, les aigles tournoient en cet endroit pour guetter le moment où ils pourront se repaître du corps du géant qui gît sous cet amas de pierres.
La tradition des aigles qui tournoient autour de la montagne est due à un jeu de mots ;
_ le nom gallois du sommet est Eryri,
_ celui de l’aigle Eryr (pluriel Eryrodj).
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