LE TAUREAU NOIR

(ÉCOSSE).


Il y a très longtemps, dans le pays du Nord, vivait une dame qui avait trois filles: Fenella, Catriona et Mairead


Un jour, Fenella, l'aînée des trois sœurs dit à sa mère: 
« Mère, faites-moi cuire un Bannock et rôtir un morceau de viande, car je pars chercher fortune. »

Pendant que sa mère cuisait le pain et faisait rôtir la viande, Fenella alla trouver une vieille lavandière qui avait la réputation d’être une sorcière et lui raconta son projet. La vieille lui conseilla de rester encore un jour ou deux et de regarder par la fente de la porte «afin de voir ce qu'elle pourrait voir».

Fenella suivit ce conseil et reporta son départ. Le premier jour, elle n'aperçut rien, le second non plus. Mais le troisième jour, elle vit passer un carrosse tiré par six chevaux sur la route.
Elle courut raconter à la vieille ce dont elle avait été témoin.
« Eh bien, dit la vieille, cette voiture vous est destinée.»

Fenella monta donc dans la voiture, qui s'éloigna au galop.


Ayant vu cela, Catriona, la fille cadette courut vers sa mère et lui:
« Mère, cuisez-moi un Bannock, et rôtissez-moi une tranche de viande, car moi aussi je pars chercher fortune. »

Tandis que sa mère s’affairait à cuire le pain et rôtir la viande, Catriona se rendit près de la vieille lavandière qui avait la réputation d’être une sorcière et lui raconta son projet. La vieille lui donna le même conseil qu'à sa sœur
Catriona suivit ce conseil et reporta son départ. Le premier jour, elle n'aperçut rien et le second non plus. Mais le troisième jour, elle vit passer un carrosse tiré par quatre chevaux sur la route.
Elle courut raconter à la vieille ce dont elle avait été témoin.
« Eh bien, dit la vieille, cette voiture vous est destinée.»

Elle monta donc dans la voiture, pour parcourir le monde et faire fortune.


La benjamine, Mairead,  fit comme ses deux sœurs.

Pendant que sa mère pétrissait le pain et mettait la viande à rôtir, elle alla trouver la vieille lavandière et lui raconta son projet. La vieille lui donna le même conseil qu'à ses deux sœurs
Mairead suivit ce conseil et reporta son départ. Le premier jour, elle n'aperçut rien, le second non plus. Quand elle regarda le troisième jour, elle vit un grand taureau noir qui passait en mugissant. «Voilà votre monture, dit la vieille.»
A cette nouvelle, Mairead fut saisie de crainte, mais surmontant sa peur elle grimpa sur le dos du taureau noir et elle s'éloigna.

Legrand taureau noir et sa cavalière voyagèrent; voyagèrent...


Aux environs de midi,Mairead était tenaillée par la faim.

« Mange ce que tu trouveras dans mon oreille droite, lui dit le taureau noir, et bois ce qui est dans mon oreille gauche. Mais surtout ne gaspille rien et replaces-y tes restes. »
Mairead suivit le conseil du taureau noir et fut grandement réconfortée. 

Et ils continuèrent leur chemin jusqu'à ce qu'ils arrivèrent en face d'un grand château.
« C'est là que demeure mon frère aîné, dit le taureau noir. Nous allons nous arrêter et nous passerons la nuit dans sa demeure ».
Mairead descendit de sa monture et entra dans le château, tandis que le taureau se dirigea dans le parc.

Le lendemain matin, on conduisit Mairead dans un grand salon, où on lui fit présent d'une jolie pomme. Elle ne devrait avoir recours à cette pomme que si elle se trouvait dans le plus grand désarroi qu’elle eût jamais rencontré, et que cette pomme saurait la délivrer. Ensuite on l’aida à monter sur la croupe du grand taureau noir. Après avoir voyagé loin, très loin, bien plus loin que je ne saurais dire, ils arrivèrent en vue d'un château beaucoup plus beau que le premier. 

Le taureau dit à Mairead:
« C'est le château de mon second frère; arrêtons-nous pour y passer la nuit. »

Le lendemain on fit entrer Mairead dans une salle belle et richement décorée et on lui fit cadeau de la plus belle poire qu'elle eût jamais vue en lui recommandant de n'y avoir recours que si elle se trouvait dans le plus grand chagrin qu’elle eût jamais rencontré, et que cette poire saurait la délivrer.


Le soir du troisième jour ils arrivèrent à un château encore plus grand et plus beau.

« C'est le château de mon jeune frère, dit le taureau noir. »

Mairead fut introduite dans le château et le taureau alla dans les champs pour la nuit. Le lendemain matin, on conduisit la dame dans la plus belle pièce du château, où on lui donna une prune en lui recommandant également de n'y avoir recours que si elle se trouvait dans la plus grande peine qu’elle eût jamais rencontré. Puis on amena le taureau noir, on hissa Mairead sur son dos et ils s'éloignèrent


Ils marchèrent, marchèrent et arrivèrent dans une vallée sombre et effrayante; là, le taureau s’arrêta et Mairead mit pied à terre. Alors le taureau lui dit:
« Nous resterons dans cette vallée jusqu'à ce que je me batte contre le diable. Vous devez rester assise, immobile, sur cette pierre et surtout ne bougez ni pieds ni mains jusqu'à mon retour, sinon je ne pourrais pas vous retrouver! Si tout ce qui vous entoure devient bleu, c'est que j'aurai vaincu le diable, si tout devient rouge, c'est que c’est le diable qui aura gagné le combat. »


Mairead s'assit sur la pierre et bientôt elle vit un peu de bleu apparaître autour d’elle. Remplie de joie, elle leva la jambe gauche et la croisa sur la jambe droite. Et quand le taureau voulut la chercher, il erra longtemps car il n’arrivait pas à la retrouver.
Longtemps Mairead demeura assise, longtemps elle attendit le taureau, longtemps elle pleura et gémit. Enfin lasse et fatiguée, elle se leva et partit sans savoir où elle allait.


Mairead arriva devant une grande montagne de verre, qu'elle essaya de gravir, mais en vain. Ayant contourné la montagne dans l’espoir d’y découvrir un passage, elle aperçut la maison d'un forgeron.
Le forgeron lui demanda de travailler pour elle. Il lui promit que si elle voulait le servir pendant sept ans, il lui fabriquerait des souliers de fer avec lesquels elle pourrait gravir la montagne de verre. Au bout de sept ans, Mairead chaussa les souliers de fer, passa la montagne et arriva devant l'habitation d'une vieille lavandière.


La vieille lavandière lui dit qu'un brave et jeune chevalier avait donné des chemises ensanglantées à blanchir et avait déclaré qu'il épouserait celle qui parviendrait à enlever ces taches. La vieille lavandière avait lavé jusqu'à se briser les bras, mais en vain. Alors, elle avait appelé sa fille, et toutes deux lavaient, lavaient encore et toujours, portées par l'espoir d'obtenir la main du jeune chevalier. Mais malgré tous leurs efforts, elles n'arrivaient pas à faire disparaître ne serait-ce qu’une tache. 
Mairead proposa de se mettre à l'ouvrage et dès qu’elle toucha le linge, toutes les taches disparurent immédiatement sous sa main. La vieille lavandière n’en croyait pas ses yeux. Elle s’empara de la chemise et la porta au jeune chevalier en lui faisant croire que c'était sa fille qui avait blanchi les chemises.

Le chevalier se décida donc à épouser la fille de la lavandière, au grand dépit de Mairead, car elle était tombée amoureuse de lui dès qu’elle l’aperçut.


Alors Mairead songea à sa pomme, cette pomme qui saurait la délivrer si elle se trouvait dans le plus grand désarroi qu’elle eût jamais rencontré, et en la coupant en deux, elle la vit pleine d'or et de pierres précieuses, les plus riches qu'elle eût jamais vues.

« Je vous donne toutes ces richesses, dit-elle à la fille de la lavandière, si vous reculez votre mariage d'un jour et que vous me permettez d'entrer seule dans la chambre du jeune chevalier cette nuit.»
La fille accepta, mais la vieille lavandière avait préparé une boisson soporifique, qu'elle donna à boire au chevalier, qui dormit jusqu'au matin.

Pendant cette longue nuit Mairead soupira et chanta:

Sept longues années j'ai servi pour toi
Pour toi la colline de verre j'ai gravi ;
Pour toi la chemise sanglante j'ai blanchi,
Et tu ne veux ni t'éveiller ni te tourner vers moi.

Le lendemain Mairead ouvrit la poire et la trouva pleine de joyaux plus riches que ceux de la pomme. Avec ces joyaux elle acheta la permission de passer une seconde nuit dans la chambre du jeune chevalier; mais la vieille lui donna à boire une boisson soporifique qui le fit dormir jusqu'au matin.

La pauvre Mairead chanta et soupira comme la nuit précédente. Mais le jeune chevalier dormait toujours et elle avait perdu tout espoir.


Le lendemain, le chevalier décida d’aller à la chasse. Alors qu’il montait sur son cheval un palefrenier lui demanda d'où venaient les plaintes qui sortaient de sa chambre les deux nuits précédentes. Il répondit qu'il n'avait rien entendu, mais comme le palefrenier insista il décida de se tenir éveillé pour savoir la cause de ces bruits.

La troisième nuit, Mairead était partagée entre la crainte et l'espoir, elle ouvrit sa prune et la trouva pleine de joyaux plus riches encore. Elle fit le même marché qu'avant et la vieille de son côté porta la boisson soporifique dans la chambre du jeune chevalier . Ce dernier, flairant un piège, répondit qu'il ne la boirait que si elle était sucrée. Et tandis que la vieille lavandière allait chercher du miel pour la sucrer, le chevalier jeta la boisson et déclara à la vieille qui revenait qu'il l'avait finalement bue .

Le chevalier alla se coucher. Et Mairead s’allongea près de lui et chanta:

Sept longues années j'ai servi pour toi
Pour toi la colline de verre j'ai gravi ;
Pour toi la chemise sanglante j'ai blanchi,
Et tu ne veux ni t'éveiller ni te tourner vers moi.

Le chevalier entendit sa complainte et se tourna vers Mairead. Et elle lui raconta ses aventures et il lui raconta les siennes. Il fit chasser la vieille lavandière et sa fille du château. Puis il se marièrent et ils furent heureux jusqu'à ce jour, autant que j'ai pu le savoir.