Le roi et l’oiseau 
 Bain de Bretagne
Armanel - conteur


Au temps jadis, une femme avait perdu son mari, et elle en eut un chagrin si grand que son caractère, qui avait toujours été jovial, s’aigrit au point de devenir capricieux, fantasque et vraiment insupportable.

Elle avait une fille unique, qu’elle adorait du vivant de son défunt mari, fut désormais soit gâtée d’une façon ridicule soit chassée et punie pour les motifs les plus futiles. Il arrivait même à cette femme de frapper brutalement sa fille, sans que celle-ci sache pourquoi.

Un jour, dans un accès de démence, la veuve ordonna à sa servante d’aller se promener avec sa fille dans une forêt voisine, de l’y égarer et de l’y abandonner.

La domestique était une affreuse mégère et ne demandait pas mieux que de diminuer sa besogne. Elle s’empressa donc d’exécuter les ordres de sa maîtresse. Elle conduisit la petite fille au milieu des bois, la fit marcher longtemps pour la fatiguer, et enfin lui proposa de s’asseoir au pied d’un arbre tandis qu’elle irait lui cueillir des fleurs sauvages.

La petite fille obéit à la servante, mais les heures s’écoulèrent et la servante ne revint pas. Le jour fit place aux ténèbres, les loups hurlèrent au fond des bois, et la peur s’empara de la pauvre enfant abandonnée, qui se mit à pleurer.

Tout à coup, un rayon de la lune éclaira le visage d’une jolie dame qui s’avança vers la petite fille et lui dit :
_ « Ne pleure pas, je suis la fée qui t’a servi de marraine à ta naissance, et je vais te conduire jusqu’à chez ta mère. Promets_moi que tu ne diras pas que tu m’as vue, et tu diras même que tu as trouvé ton chemin toute seule. »


La veuve regrettait sa mauvaise action du matin et elle accueillit sa fille avec joie et ne lui demanda même pas comment elle avait pu découvrir son chemin pour sortir de la forêt.

Hélas ! cette joie et ce bonheur ne furent pas de longue durée. La mauvaise humeur de la méchante femme reprit le dessus, et elle ordonna cette fois-ci à la servante de conduire l’enfant au bord de l’eau et de la précipiter au fond du lac.

Cette fois encore les ordres furent ponctuellement exécutés : l’infortunée fille fut jetée la tête la première dans un lac. Mais quel ne fut pas son étonnement lorsqu’elle découvrit, au fond de l’eau une porte qu’elle put ouvrir sans difficulté.

Elle se trouva alors dans la cour d’un palais somptueux. Elle y entra et admira la beauté des meubles, des tableaux, des bijoux, des objets d’arts qui s’offraient à sa vue. Arrivée dans une chambre où tout était en désordre, elle remit en place comme elle avait l’habitude de le faire chez sa mère.

Comme elle accomplissait cette besogne un pas lourd se fit entendre dans l’escalier et elle n’eut que le temps de se cacher derrière un fauteuil lorsque la porte s’ouvrit.

Un homme, d’une taille gigantesque mais à l’air très doux pénétra dans l’appartement en disant :
_ « Quelqu’un est venu chez moi et a rangé ma chambre, si c’est une fille, elle sera la bienvenue ; si c’est un garçon et qu’il veuille rester près de moi, je le ferai mon héritier car je suis sans enfant. »

Rassurée par ces paroles, la petite fille sortit de sa cachette et se montra aux yeux du géant qui poussa un cri de joie en s’écriant :
_ « Je te reconnais, tu es la filleule de ma femme ! »

Et aussitôt il appela la fée qui vint serrer dans ses bras celle qu’elle avait déjà sauvée une première fois.
_ « Reste avec nous, lui dit-elle, et nous ferons en sorte que tu sois heureuse. »

La fille accepta, mais au bout de quelque temps elle devint triste, s’ennuya et demanda à revoir sa mère.

Sa marraine, qui l’aimait beaucoup et qui ne voulait pas lui faire de peine, la reconduisit à la porte de la méchante femme. Celle-ci était sur le point de se remarier et fut très mécontente de revoir sa fille car elle craignait qu’elle lui fasse manquer son mariage.
_ « Viens près de moi, lui dit-elle il faut que je te peigne car tu en as grand besoin »

Et elle déroula les magnifiques cheveux de sa fille. Puis, faisant signe à la bonne de lui donner une grande épingle qui se trouvait sur la cheminée, elle l’enfonça, avec une cruauté sans pareille, dans la tête de sa fille qui fut aussitôt changée en un oiseau multicolore qui s’envola par la fenêtre et se sauva dans les arbres du jardin du palais du roi.

Apercevant un jardinier qui coupait des roses, l’oiseau lui dit :
_ « Bonjour, beau jardinier, comment se porte le roi aujourd’hui ? »

Le jardinier en apercevant cet oiseau inconnu doué de la parole avec un plumage multicolore resta stupéfait. Lorsqu’il fut remis de sa surprise, il s’empressa d’aller raconter au roi ce qu’il venait de voir et d’entendre.

Le roi crut que son jardinier avait perdu la raison et il se rendit dans le jardin pour voir par lui-même, de ce qui s’y passait.

Lorsqu’il découvrit l’oiseau multicolore, il désira le posséder et il fit tendre tous les pièges connus jusqu’à ce jour.

L’oiseau multicolore était très intelligent et il sut éviter les pièges, mais voyant le désespoir du roi, il alla se poser sur son épaule, se laissa caresser et même enfermer dans une cage en or.

Le roi ne voulut plus se séparer de son oiseau chéri, et l’emporta dans sa chambre où il le laissa voltiger en liberté.

Un jour que le roi caressait l’oiseau, il remarqua sous les plumes de la tête quelque chose qui ressemblait à une épingle. Il l’arracha et immédiatement à la place de l’oiseau il admira la plus ravissante jeune fille qu’il avait jamais vue.

La fille raconta ses infortunes au roi, et le roi lui proposa de l’épouser en d’en faire sa reine.

La date du mariage fut annoncée ; la fée vint rendre visite à sa filleule et l’aida dans le choix et la confection des toilettes.

Jamais mariée ne fut plus belle, et sa mère la reconnut en la voyant passer dans le carrosse du roi. Elle fut tellement jalouse du bonheur de sa fille, qu’elle eut une jaunisse dont elle ne put pas guérir.