Le Roi
Dalmar
Plouaret.
Armanel - conteur
Il y avait, autrefois, un roi
de France, qui avait un fils unique. Quand celui-ci est devenu
un beau jeune homme il dit à son père qu’il voulait se marier.
—
« Avec qui donc veux-tu te marier, mon fils ? » répondit
le roi.
— « Avec la fille du roi Dalmar. » Déclara
le prince.
— « Hélas! Mon enfant, c’est impossible,
tu ne pourras pas l’épouser. Elle est enfermée dans une tour,
depuis ses douze ans et personne ne peut la voir à part la femme qui
lui porte à manger, tous les jours ».
— « Peu
m’importe, j’irai la demander à son père, et si je ne l’ai
pas pour femme, je n’en aurai aucune autre au monde. Je ne sais pas
quelle direction prendre, pour me rendre à la cour du roi Dalmar,
mais à force de marcher, je finirai bien par y arriver, tôt ou
tard ».
— « Si ta résolution est prise, je n’y
ferai pas d’opposition ; mais il faudra que tu sois de retour à la
maison, au bout d’un an et un jour, marié ou pas ». Répondit
le roi.
— « Je vous promets d’être de retour au bout
d’un an et un jour, père ». Répondit son fils.
Et le fils du roi
partit, dans un beau carrosse, accompagné uniquement d’un valet de
chambre. Ne sachant quelle direction ils devaient prendre, ils
allaient au hasard. Ils avançaient toujours droit devant eux, sans
jamais s’arrêter.
Un jour, la nuit les surprit,
au milieu d’une grande forêt. Les chevaux étaient fatigués,
et le valet proposa à son maître de les dételer pour leur donner
un peu de repos, puis de passer la nuit dans la forêt. Le prince
accepta. Il se coucha, comme d’habitude, dans son carrosse, et le
valet s’étendit sur la mousse et la fougère, au pied d’un vieux
chêne, pendant que les chevaux paissaient tranquillement, non loin
de là, au clair de lune.
Vers minuit, le valet entendit du
bruit dans l’arbre, au-dessus de sa tête, comme si un grand oiseau
venait s’y percher, pour passer la nuit. Il leva la tête, et vit,
au clair de lune, quelqu’un assis dans un fauteuil posé en
équilibre sur les branches de l’arbre. Cela l’étonna beaucoup.
Un peu plus tard, le même bruit se renouvela, et un second
personnage arriva, et s’assit dans un second fauteuil. Puis, un
troisième.
Le premier des trois individus
prit la parole, et dit :
_ « Eh bien ! Mes enfants, la
journée a-t-elle été bonne ? Avez-vous quelque chose à
raconter.»
— « Mauvaise journée
! » Répondirent les deux autres, « et nous n’avons
rien à raconter ».
— « Eh bien ! J’en ais, moi,
du nouveau : Le fils du roi de France est dans le bois. »
—
« Ah ! Vraiment ? Quelle chance, si nous pouvions
l’attraper! »
— « Il va demander la fille du roi
Dalmar en mariage. Mais, il n’est pas encore au bout de ses peines.
Ce n’est pas aussi facile qu’il se l’imagine d’aller à la
cour du roi Dalmar. Vous le savez bien ; en sortant de la forêt,
il rencontrera un fleuve, qui a soixante kilomètres de largeur.
Comment pourrait-il le passer ? Car il ne trouvera ni passeur, ni
bateau. Il y a bien sûr un moyen, mais ce n’est pas moi qui irais
le lui enseigner ».
Le valet du prince
écoutait de ses deux oreilles, je vous prie de le croire.
—
« Et quel est ce moyen ? » Demandèrent les deux
autres.
— « Arrivé auprès du fleuve, il faudra qu’il
coupe une baguette, dans la haie, puis qu’il en enleve l’écorce,
et ensuite qu’il frappe trois coups sur l’eau. Aussitôt un pont
de cristal s’élèvera sur le fleuve ; il pourra ainsi le
traverser, et arriver facilement jusqu’à la capitale du roi
Dalmar »
_ « Mais, ce n’est
pas tout. En arrivant dans la ville, il lui faudra se déguiser en
princesse et se présenter au vieux roi comme une amie de sa fille,
qu’elle aurait, soi-disant, connue en Espagne, et qui serait venue
lui rendre visite. Il demandera à coucher dans la même chambre que
la fille du roi, et ainsi il pourra l’enlever, la nuit, par la
fenêtre. Si le fils du roi de France avait été ici à m’écouter,
il aurait pu mettre à profit mes conseils, et peut-être aurait-il
réussi dans son entreprise ».
A ce moment, le soleil
commença à se lever, et nos trois individus s’envolèrent.
Le valet avait tout
entendu, mais, il ne dit rien à son maître. Il réveilla celui-ci,
qui avait dormi toute la nuit, dans son carrosse, et n’avait rien
entendu ; il attela les chevaux, puis, ils se remirent en route. Ils
arrivèrent rapidement en face du fleuve.
— « Hélas !
Il nous faudra nous arrêter ici », dit le prince en voyant
devant ses yeux une si grande étendue d’eau.
— « Peut-être
pas, mon maître ; ne perdez pas courage », répondit le
valet.
— « Et comment veux-tu que nous passions ? Ce ne
sera pas à la nage, et je ne vois pas de passeur, ni le moindre
bateau ! » Répliqua le prince.
Le valet ne répondit rien
; mais, il se dirigea vers la haie, y coupa une baguette de coudrier
et se mit à l’écorcher, tout en continuant sa route. Parvenu sur
la rive du fleuve, il frappa trois coups de sa baguette sur l’eau,
et à l’instant, ils virent surgir un pont de cristal qui brillait
sous le soleil, et qui allait d’une rive à l’autre.
—
« Quel homme es-tu donc ? » demanda le prince étonné à
son valet.
Nos
deux héros traversèrent facilement le fleuve, se retrouvèrent sans
tarder dans la capitale du roi Dalmar et descendirent dans le
meilleur hôtel de la ville.
Le lendemain matin, le valet dit à
son maître :
— « Il vous faut, à présent, vous
habiller en princesse et, ainsi déguisé, vous irez trouver le roi
Dalmar et lui direz que vous êtes une amie de sa fille, que vous
l’avez connue en Espagne et que vous venez pour lui rendre visite
et passer quelques jours avec elle. Vous demanderez aussi à ne pas
quitter la princesse, ni le jour ni la nuit, et à coucher dans la
même chambre qu’elle. Le roi vous accordera facilement votre
demande. Emporterez avec vous une corde cachée sous votre robe. A
minuit, quand tout le monde dormira, dans le château, je me
trouverai sous la fenêtre de votre chambre, avec le carrosse ;
A l’aide de la corde vous descendrez, la princesse et vous, et nous
nous enfuirons aussitôt ».
Le
prince, qui avait une confiance illimitée en son valet, depuis ce
qu’il l’avait vu faire auprès du fleuve, lui obéit jusque dans
les moindres détails. Il s’habilla en princesse, avec la plus
belle robe qu’il put trouver, se rendit ainsi déguisé au château,
et demanda à parler au roi.
— « Bonjour, roi Dalmar »,
dit le prince déguisé en princesse.
— « Bonjour, jeune
princesse », répondit le roi.
— « Je suis une
amie de votre fille, je l’ai connue en Espagne, et je suis venue
lui rendre visite et passer quelques jours avec elle ».
—
« Soyez la bienvenue, en ce cas » dit le roi Dalmar « Je
vais appeler ma fille, qui sera certainement heureuse de vous
revoir ».
Le roi fit venir la princesse, et les laissa
seules toutes les deux. Elles obtinrent facilement la permission de
passer la nuit dans la même chambre. Alors, le prince dit à la
princesse qui il était, lui expliqua le motif de sa visite et de son
déguisement, et lui demanda si elle accepterait de le suivre.
—
« Je vous suivrai partout où vous voudrez », répondit
la princesse ; « mon père me tient enfermée dans cette tour,
et je ne vois jamais personne. Je suis vraiment impatiente de
retrouver ma liberté ».
A minuit, leurs préparatifs de
départ étaient faits, et ils entendirent, sous la fenêtre, le
valet du prince, qui disait :
— « Préparez-vous à
descendre ; attachez bien la corde, puis, jetez-la-moi ! »
C’est
ce qu’ils firent. Mais, au moment de descendre, la princesse eut
peur et dit :
— « Hélas ! Mon pauvre prince, mon père
est un sorcier ; il ne tardera pas à savoir que nous nous sommes
évadés, et il enverra ses soldats après nous, et si nous sommes
pris, malheur à nous ! »
— « Partons toujours »,
répondit le prince ; « nous verrons bien après ».
Ils
descendirent à l’aide de la corde, montèrent dans le carrosse qui
les attendait, et partirent au triple galop.
—
« J’entends les soldats de mon père qui arrivent »
s’écria la princesse, au bout de quelque temps.
Et les
cavaliers arrivaient, en effet, au grand galop, avec le roi à leur
tête. Ils allaient les atteindre, leurs chevaux marchaient déjà
sur le pont du grand fleuve qui limitait le royaume du roi Dalmar,
alors que le carrosse du prince atteignait l’autre extrémité. Le
valet, avec sa baguette blanche, frappa trois coups sur le pont, et
aussitôt le pont tomba dans l’eau et disparut, et avec lui
disparurent les soldats du roi Dalmar, qui furent tous noyés.
Le roi Dalmar seul était
encore en vie, et, de l’autre côté du fleuve, il criait, furieux
et montrant le poing :
— « Tu m’as trompé, fils du
roi de France ! Mais, avant d’arriver à Paris avec ma fille, tu
devras encore te méfier de moi ! »
Alors que le prince et
la princesse poursuivaient leur route tranquillement, la nuit les
surprit dans le même bois, et ils décidèrent d’y attendre le
lever du soleil. Le prince et la princesse se couchèrent dans le
carrosse, et le valet s’étendit sur la mousse et la fougère, au
pied du même arbre que la première fois. A minuit, il entendit
encore des bruits d’ailes, comme de grands oiseaux qui venaient
s’abattre sur l’arbre, puis une voix dit :
— « Sommes-nous
tous arrivés ? »
— « Oui », répondit une
autre voix ; « Il ne manque que le Diable-Boiteux; mais, vous
savez bien qu’il est toujours en retard ».
Le
Diable-Boiteux arriva aussi, un moment après.
— « Eh
bien ! Quoi de neuf ? » Lui demandèrent les autres
.
—
« Quoi de neuf ? Mais, vous ne savez donc rien ? »
répondit le diable boiteux, « Le fils du roi de France est de
nouveau dans le bois ! Il a réussi à enlever la princesse Dalmar,
et il l’emmène avec lui à Paris. Mais, il aura fort à faire,
avant d’y arriver. Tout d’abord, en sortant du bois, il sera
attaqué par douze voleurs, qui lui enlèveront tout leur or, leur
carrosse et même leurs vêtements. Les voleurs les obligeront à se
mettre tout nus puis ils partiront en les laissant dans cet état.
Avec le temps qu’il fait je parie que le prince et la princesse
mourront de froid . S’ils ne meurent pas de froid, ils
rencontreront une vieille femme, sur le seuil de sa chaumière, qui
les invitera à entrer et à accepter des vêtements. Mais si ils ont
le malheur d’entrer dans la chaumière de la vieille et d’accepter
des vêtements ils seront transformés en statues de pierre. S’ils
n’entrent pas chez la vieille femme, ils arriveront sur les bords
d’un étang, dans lequel ils verront un homme en train de se noyer,
et qui appellera au secours. Malheur à eux encore, s’ils veulent
porter secours à cet homme, car aussitôt ils seront encore
transformés en statues de pierre. Voilà les épreuves que le prince
aura à subir avant d’arriver à Paris. Et comment voulez-vous
qu’il s’en tire ? Cela ne serait possible que si quelqu’un lui
racontait tout ce que je viens de vous dire, et aucun de vous ne sera
assez stupide pour cela. Et si quelqu’un d’autre pouvait nous
entendre et tout raconter au prince, il serait immédiatement changé
lui-même en statue de pierre ».
Le
jour commençait à poindre, et les êtres qui étaient dans l’arbre
s’envolèrent.
Le valet, couché sous l’arbre, avait tout
entendu. Il réveilla son maître, mais ne lui dit rien, attela les
chevaux, et ils se remirent en route. A peine furent-ils sortis du
bois, que douze voleurs se précipitèrent sur eux et arrêtèrent
les chevaux, en criant :
_« La bourse ou la vie ! »
Les voleurs forcèrent le prince et la princesse à sortir du carrosse, les dépouillèrent de tous leurs vêtements, ainsi que le valet, puis ils partirent en emmenant les chevaux et le carrosse. Nos trois héros, restés tout nus, n’osaient plus se montrer sur les chemins. Ils se cachaient dans les bois, et voyageaient de nuit.
Une
vieille femme, au seuil de sa chaumière, les voyant passer, s’écria
:
— « Mes pauvres enfants, que vous est-il donc arrivé ? Ne
restez pas dans cet état ! Entrez chez moi et je vous donnerai des
vêtements ; je ne vous laisserai pas repartir ainsi ».
Le
prince et la princesse voulaient entrer. Le valet fit son possible
pour les en empêcher ; mais, en vain ; le prince et la princesse
entrèrent dans la maison de la vieille. Le valet mit alors le feu à
la maison, et les obligea à en sortir, avant qu’ils aient eu le
temps de passer des vêtements.
Le
prince et la princesse n’étaient pas contents du tout car il leur
fallut se remettre en route, dans ce piteux état. Le valet trouva un
vieux pantalon, tombé du sac de quelque chiffonnier et le mit. Il
put alors aller mendier du pain et des crêpes, dans les fermes, pour
lui et ses deux compagnons. Bientôt, ils arrivèrent sur les bords
d’un grand étang, où ils aperçurent un homme sur le point de se
noyer et qui criait, à faire pitié :
— « Au secours !
Au secours ! Je me noie !… »
Le
prince voulait se jeter à l’eau, pour sauver cet homme. Le valet
eut toutes les peines du monde à l’en empêcher. Il s’avança
jusqu’au bord de l’étang, et, avec sa baguette, il se mit à
frapper sur la tête de l’homme qui réclamait du secours, jusqu’à
ce qu’il disparût sous l’eau.
— « Tu es méchant
! » Lui dirent le prince et la princesse ; « Tu as fait
mourir cet homme, alors qu’on pouvait le sauver ».
Mais,
le valet ne répondit rien, et ils continuèrent leur route.
Comme
ils approchaient de Paris. Le valet, qui avait un pantalon, précéda
ses deux compagnons dans la ville, et leur apporta des vêtements.
Ainsi, ils purent se montrer décemment, et ils firent tous les trois
leur entrée dans le palais du roi. Le vieux roi, qui croyait son
fils mort, célébra son retour par des réjouissances publiques.
Quelque
temps après, le prince se maria à la fille du roi Dalmar, et il y
eut des festins et des fêtes magnifiques.
Neuf ou dix mois
après leur mariage, ils eurent un fils, ce qui mit le comble à leur
bonheur.
Le prince avait conservé son fidèle serviteur, et
souvent, ils parlaient ensemble de leur voyage au château du roi
Dalmar et de leurs aventures extraordinaires. Le prince était fort
intrigué de savoir comment son valet avait pu les faire sortir sans
mal de tous les mauvais pas où ils s’étaient trouvés, et il
l’interrogeait souvent à ce sujet.
— « Je vous le
dirai », répondait le valet « mais, seulement quand le
moment sera venu ; je ne peux pas le faire, à présent ».
Le
désir et la curiosité du prince ne faisaient que croître de jour
en jour, et il pressait son valet de plus en plus de questions; mais,
toujours en vain. Enfin, un jour, le prince entra dans la chambre du
valet, fou furieux, son épée à la main, et en criant :
—
« Il faut que tu me dises ton secret, ou je te tue sur le
champ! »
— « Je vous le dirai, mon maître,
puisque vous l’ordonnez ; mais, sachez que vous le regretterez,
plus tard. »
— « Parle », te dis-je, « ou
prépare-toi à mourir. »
Et il brandissait son grand
sabre au-dessus de sa tête.
— « Vous rappelez-vous »,
dit le fidèle serviteur, résigné, « qu’en nous rendant au
château du roi Dalmar, nous avons dormi dans un bois ? »
—
« Oui, je me rappelle », répondit le prince.
—
« Vous avez passé la nuit dans votre carrosse ; mais, moi, je
me suis couché sur la mousse et la fougère, au pied d’un vieil
arbre. Vers minuit, j’ai été réveillé par des individus qui
discutaient sur cet arbre ; il y avait là-haut trois personnages,
qui devaient être des démons. L’un des trois, ne sachant pas que
j’étais là, apprit aux deux autres notre présence dans le bois,
le but de notre voyage et tout ce qu’il fallait faire pour éviter
les épreuves. »
Déjà les pieds du fidèle serviteur
s’étaient transformés en pierre. Le prince le vit bien, mais il
le laissa continuer:
— « Au retour, nous avons encore
passé la nuit dans le même bois, la princesse et vous, dans le
carrosse, et moi, sous le même arbre. Les mêmes personnages
arrivèrent encore, à minuit, sur l’arbre, et j’appris de la
même manière tout ce qu’il fallait faire, dans la seconde partie
du voyage, pour arriver avec la princesse au palais de votre
père ».
Le prince, voyant son fidèle serviteur changé
en pierre, jusqu’à la ceinture, s’écria enfin :
—
« Assez ! Assez ! Ne va pas plus loin ! »
— « Non,
il faut que j’aille jusqu’au bout, puisque j’ai commencé. Je
ne devais pas vous révéler ce secret, sous peine d’être changé
en statue de pierre. Vous m’avez ordonné de parler ; vous êtes
mon maître, je vous ai obéi ; vous savez tout à présent, et la
prédiction est accomplie. »
Et en effet, le fidèle
serviteur était maintenant une statue de pierre, des pieds à la
tête. Les derniers mots qu’il prononça furent ceux-ci :
—
« C’en est fait de moi, à présent ; je vais brûler dans le
feu de l’enfer, et vous-même vous y viendrez me rejoindre, si vous
ne rachetez pas votre faute ! »
Le
prince était inconsolable du malheur de son fidèle serviteur. Il
était devenu triste, taciturne, il fuyait la société, et on le
surprenait souvent en train de pleurer. Personne, même sa femme, ne
soupçonnait la cause de ce changement si complet. Son vieux père
lui demanda un jour :
— « Où est donc ton fidèle
serviteur, que tu aimais tant ? Je ne le vois plus, depuis quelque
temps ».
Le prince garda le silence.
— « Prends
garde de l’avoir fait mourir ». Rajouta son père.
—
« Non, mon père, rassurez-vous, je ne l’ai pas fait
mourir ».
Il rêvait constamment aux moyens de le
délivrer. Mais, comment s’y prendre ? Qui le conseillerait ? Après
avoir consulté vainement un grand nombre de savants, de magiciens et
de sorciers, l’idée lui vint d’aller passer une autre nuit, dans
la forêt où ils en avaient déjà passé deux. Il partit donc, un
matin, dans son carrosse, sans dire à personne où il allait, et se
rendit à la forêt. Il reconnut facilement l’endroit, et il se
coucha sous l’arbre, comme son vieux serviteur l’avait fait
autrefois ; mais, il ne dormit pas. A minuit, il entendit un grand
bruit d’ailes, au-dessus de sa tête, puis une voix qui disait :
—
« Eh bien ! Camarades, le valet du fils du roi de France, qui
avait entendu notre conversation et l’a révélée à son maître,
est venu se chauffer chez nous, comme je vous l’avais prédit ; et
le prince lui-même viendra aussi sans tarder. Il n’y a qu’un
moyen pour lui de l’éviter et de délivrer son fidèle serviteur,
qu’il regrette tant, à présent. »
Le prince était
tout oreilles, en ce moment, je vous prie de le croire ; l’autre
reprit :
— « Il lui faudra égorger son fils unique,
qu’il aime tant, en recueillir tout le sang, dans un vase et
arroser la statue de pierre, qui était son serviteur, avec ce sang,
puis, remettre ce même sang dans la bouche de l’enfant, et le
recoucher dans son berceau. La statue se ranimera peu à peu, à
mesure qu’on l’arrosera de sang, et le valet du prince
redeviendra un homme; bien sûr l’enfant reviendra à la vie peu
après, et se retrouvera sain et sauf. Voilà ce que le prince devra
faire ; mais, comment pourrait il savoir tout cela? »
Quand
le soleil se leva, les hôtes de l’arbre s’envolèrent dans un
grand bruit d’ailes.
Le prince n’avait pas perdu un mot de
tout ce qui s’était dit. Il revint à la maison, un peu moins
triste, et plein d’espoir.
Le dimanche qui suivit, le prince
dit à tout le monde de s’en aller, et de le laisser seul à la
maison. Tout le monde partit, et le prince resta absolument seul dans
le palais. Quand il fut seul, le prince prit un couteau et s’avança
vers le berceau où dormait son enfant. Mais, au moment de frapper,
le courage lui manqua. Il recula d’horreur et se mit à pleurer.
Le
prince revint, un peu plus tard; il détourna la tête et frappa. Le
sang jaillit aussitôt. Le prince le recueillit dans un vase et
courut à la statue de pierre et se mit à la frotter avec le sang de
son enfant, encore chaud. Et à mesure qu’il la frottait, il voyait
la pierre qui se ranimait sensiblement, puis la statue marcha et le
fidèle serviteur parla ainsi à son maître :
— « Ah !
Mon pauvre maître, que j’ai eu chaud, depuis tout ce temps ! On
m’avait bien dit que j’aurais chaud, un jour, si je révélais le
secret ; et on n’avait pas menti. Vous-même, vous auriez eu le
même sort, si vous n’aviez pas fait ce que vous avez fait ! Mais,
ne perdez pas de temps ; remettez le sang dans la bouche de votre
enfant, et soyez sans crainte. »
Le prince s’empressa de
remettre le sang dans la bouche de l’enfant ; mais, malgré tout,
il était très inquiet. Peu après, les gens du palais rentrèrent.
La princesse et le vieux roi furent surpris et heureux de revoir leur
fidèle serviteur. Cependant, ils étaient étonnés de voir le
prince plus soucieux que d’ordinaire.
— « Où est
notre enfant ? » demanda la princesse.
— « Il est
dans son berceau, et il dort bien, » répondit le prince.
Un
instant après, ayant entendu un cri, comme celui d’un enfant qui
se réveille, le prince se leva de table, courut dans la chambre de
fils, et revint aussitôt en le tenant dans ses bras, bien éveillé
et souriant à sa mère. Puis il leur raconta tout ce qui venait
de se passer; le secret de sa douleur, et le motif de son dernier
voyage, et la manière dont il avait délivré son fidèle serviteur.
Il y eut alors de
grandes fêtes et des festins magnifiques, au palais. Moi-même, je
pus me glisser, parmi la foule des serviteurs, jusqu’à la cuisine.
Mais, comme je trempais mon doigt dans toutes les sauces, le
cuisinier, me donna un grand coup de pied, vous savez bien où, et me
lança jusqu’ici pour vous raconter mon histoire.