Le rocher de Merlin

Ecosse _ Lanarkshire

Armanel - conteur

Il y a environ deux cent ans, dans le Lanarkshire, vivait un pauvre homme, nommé Aïdan, qui gagnait sa vie comme journalier. C’était un « homme à tout faire » sans spécialité précise, mais à qui on demandait d’être capable de répondre à toutes les demandes des fermiers malgré le dicton « Bon à tout, bon à rien ».

Un jour, son maître l’envoya trancher des briques de tourbe, au loin sur la lande, dans une parcelle de terre qui appartenait à la ferme. Ce champ de tourbe était facile à retrouver car il se situait tout au bout d’une bande de lande qui se terminait à l’aplomb d’une roche curieuse que les gens du pays avait surnommée « Le Rocher de Merlin » car la légende voulait que l’enchanteur Merlin aurait profité, quelque temps, de l’abri de cette roche pour y faire sa demeure.

Aïdan obéit à son maître, partit pour traverser la lande avec une pelle dans une main et le fidèle poney de ferme tenu par l'autre main. Au bout d'un moment, il arriva au Rocher de Merlin (Merlin's Craig). Sa capacité à marcher dans les landes, sans s’embourber, pour y arriver témoigne de ses années passées à faire ce voyage, et comme c’était un homme consciencieux, il se mit immédiatement au travail ne ménageant ni sa peine ni son ardeur.


C'était par une journée froide et brumeuse sur la lande. Vous pouviez à peine voir à quelques mètres devant vous, mais Aïdan, l’ouvrier agricole bien que fatigué travaillait dur à son labeur. Il eut bientôt tranché un grand nombre de mottes de tourbe, quand il s’arrêta subitement de travailler. Aïdan n’en croyait pas ses yeux : Devant lui se tenait une minuscule créature. C’était la plus petite femme qu’il ait jamais vu dans sa vie, vêtue d’une robe verte et de bas rouges et mesurant à peine plus d'un pied. La créature volait autour de lui comme si elle était mise en colère par sa présence. Puis elle parla :
_ « Comment osez-vous vous asseoir sur mon toit avec vos outils de destruction ! Aimeriez-vous que j’envoie mon mari arracher le toit de votre maison ? »

Puis frappant le sol de ses petits pieds, elle ajouta :

_ « Veuillez remettre immédiatement cette tourbe à l’endroit où vous l’avez trouvée, ou vous pourriez le regretter amèrement »


Aïdan recula sous le choc, cette minuscule créature pouvait lui parler et de plus, alors qu'elle se rapprochait, il pouvait voir qu'elle ressemblait à un minuscule être humain en vol. C'est alors qu'elle se souvint d'un avertissement que sa mère lui avait fait autrefois :
_ « Lorsque tu es seul sur la lande, regarde bien autour de toi, observes bien que tu ne traverses pas des monticules verts, des collines où l’on entend des bruits et des chuchotements, méfies-toi de ces endroits car c'est là que reposent les fées. Les fées et leurs comparses se présentent sous de nombreuses formes et tailles. Certains sont des créatures grotesques, d'autres sont des êtres qui possèdent la beauté, certains sont des gobelins et certains des elfes, mais tous sont quelque chose d'extraterrestre. Ne les déranges pas outre mesure car ce sont de grands magiciens et ils ont fait tourner la tête à plus d'un homme.


Cette créature était vraiment d'un autre monde et lorsque le brouillard s'est dissipé, Aïdan a remarqué qu'il ne se trouvait pas à son endroit habituel mais sur une partie intacte de tourbe à l’aplomb du Rocher de Merlin, une partie verte et arrondie. Il comprit immédiatement que cette créature était une fée.
_ « Ma chère dame, veuillez pardonner mon offense ».

Et il se dépêcha de remettre en place toutes les briques de tourbe qu’il avait découpé.
La fée lui fit face une fois de plus, toujours en colère :

_ «  Partez d’ici et ne revenez jamais ! »
Et donc Aïdan est reparti les mains vides mais soulagé que la fée lui ait permis de partir sans aucune des punitions effrayantes que sa mère lui avait mentionnées. Alors qu'il s'approchait de la ferme, le fermier sortit pour l'aider à décharger le poney, mais lorsqu'il arriva pour saluer Aïdan, les paniers qui pendaient de chaque côté du poney étaient vides..
_ « Où est la tourbe, mon garçon ? Je t'ai dit d'apporter de la tourbe. Tu as été absent pendant plus de deux heures et tu reviens vers moi les mains vides ! »
Aïdan fit face à son maître, puis baissa ses yeux remplis de honte et raconta son histoire

_ « Je suis désolé maître mais après avoir trouvé un endroit et commencé à creuser sous le Craig, une fée est apparue et m'a commandé de ne pas prendre sa tourbe. Ma mère m'avait mis en garde contre de telles créatures et je reviens donc vers vous le cœur lourd car je vous ai déçu. Je veux bien retourner prendre de la tourbe, mais à un autre endroit »

Mais son maître se contenta de rire. C’était un homme grand et fort, et il ne croyait pas aux fées ou aux fantômes. Il était plié de rire, mais en même temps il était choqué que Aïdan puisse croire à toutes ces sornettes. Choqué, mais aussi vexé d’avoir fait confiance à un homme aussi crédule et de l’avoir engagé à son service. Aussi, tout en observant Aïdan qui tremblait toujours de sa mésaventure, il décida de l’obliger à retourner immédiatement chercher de la tourbe près du Rocher de Merlin et de la ramener à la ferme.

_ « Alors ne me décevez pas deux fois ! » s'écria le fermier. « Retournez et apportez la tourbe pour le feu. Et vous le ferez tous le jours, tant que je ne vous dirais pas d’arrêter »

Et il tendit les reines du poney à Aïdan et pointa vers le doigt vers le Rocher de Merlin.


Aïdan qui avait pris la longe des poneys a dit à voix basse

_ « mais la fée… »
_ « C'est absurde, ce n'est que l'histoire d'une vieille femme et même s'il y avait une créature, elle ne faisait que plus d'un pied de haut. Ne venez pas me dire que vous avez peur d’une si petite créature ! ».

Puis, voyant la peur évidente du jeune homme, le fermier hésita un peu dans sa réprimande.
_ « Vous vous reposerez ici cette nuit et partirez aux premières lueurs du jour. »


Aïdan remercia le fermier, bien qu'il était toujours nerveux et inquiet à l'idée de ce à quoi il pourrait être confronté le lendemain. Il se retira dans son lit après avoir donné au poney une nourriture bien méritée.
Le lendemain matin, aux premières lueurs du jour, Aïdan repartit, sa pelle dans une main et les reines du poney dans l'autre. Le fermier se tenait à la porte et lui fit signe de partir :
_ « Si vous n'êtes pas de retour au coucher du soleil, je saurais que ce n’est pas de votre faute, mais que la fée vous a enlevé » se moqua-t-il.


Aïdan est retourné au même endroit et a recommencé à creuser et après avoir sorti le premier bloc de tourbe, il s’est arrêté et a attendu, en tremblant un peu, que la fée vienne l’emporter. Mais rien ne s'est passé. Alors, il a continué à travailler toute la journée et est revenu à la nuit tombée avec le poney chargé de tourbe. Le fermier, ravi, l’a félicité et s’est moqué en même temps :

_ «  Pas de souci avec les fées cette fois-ci ?»


_ « Pas du tout », a déclaré Aïdan dans un grand sourire, se sentant un peu idiot pour ses peurs de la nuit précédente. Aïdan commençait à croire que son maître avait raison et que tout ce qu’il avait vécu était le fruit de son imagination et il retourna au Rocher de Merlin toute la semaine jusqu'à ce que la cave de la ferme soit pleine.

Aïdan ait presque oublié les événements étranges de ce premier après-midi.


Le reste de l’hiver se passa sans autre incident. Le printemps et l’été aussi, et Aïdan n'avait vu ni entendu parler d'aucune créature fantastique et avait complètement oublié sa mésaventure. Les cultures avaient bien poussé, les animaux étaient en bonne santé et sa femme et ses enfants allaient bien. Ses enfants maintenant âgés de quatre et six ans, étaient en bonne santé .

Puis est arrivé le jour anniversaire de sa rencontre avec la fée. Quand Aïdan voulu retourner chez lui après avoir terminé son travail, le fermier lui a donné un pot de lait comme présent pour sa charmante épouse. Il était content, se sentait le cœur léger et chantonnait une chanson tout en marchant vers chez lui. Pour aller plus vite, il prit un raccourci et passa par le Rocher de Merlin.


En approchant du Rocher, Aïdan ressentit une grande fatigue l’envahir ; ses pieds ne se levaient plus, sa tête était lourde et ses paupières se fermaient toutes seules.

_ «  C’est étrange, le chemin vers la maison ne m’a jamais semblé si long. Je vais m’asseoir un moment pour reprendre des forces ! » se dit-il.

Aussi, il s’assit sur une grosse touffe d’herbe sous le Rocher et s’endormit immédiatement.

Quand Aïdan se réveilla, il était presque minuit.

Aïdan entendit une certaine agitation alors qu'il se frottait les yeux, et il vit devant lui une grande troupe de fées qui dansait en ronde autour de lui. Mais quand il se leva tout se tut et les fées se tournèrent vers lui en pointant leurs doigts . Puis, comme venue de nulle part, une belle femme sortit de derrière le Rocher. C’était la femme la plus étonnante qu'il ait vue de toute sa vie. Sa beauté le choqua tellement qu'il se figea sur place. Elle lui tendit la main et dit doucement, mais majestueusement :
_ « Voulez-vous danser avec nous? »
Aïdan tremblait de tous ses membres et aurait bien voulu s’enfuir, mais le cercle des fées était ininterrompu.

Et, chose étrange, alors qu'on lui prenait la main pour le faire danses dans la nuit, il a tout oublié de sa femme et de ses enfants, de son travail, et des animaux qui auraient besoin d'être nourris le matin, et de son travail à la maison. Tout ce qu'il voyait, c'était la fée. Tout ce qu'il entendait était la musique. Toutes ses pensées étaient occupées à ce qui allait lui arriver. Tout ce qu’il désirait c’était de rester avec les fées et de danser toute la nuit et toutes les nuits suivantes.

La fête dura toute la nuit, les fées dansaient et dansaient sans jamais s’arrêter. Et Aïdan dansait avec elles jusqu’à ce que le soleil se lève. Alors on entendit un grand bruit qui venait de très loin, au-delà de la lande ; c’était le chant du coq de la ferme qui saluait le soleil.


Alors la musique s'arrêta brusquement. Les fées ont lancé des grands cris de terreur et se sont élancées sous le Rocher. Aïdan a commencé à sortir de l'état de transe dans lequel il avait été toute la nuit, mais juste au moment où il s'est retourné pour partir, les fées l'ont attrapé et l'ont traîné de force à travers la porte qui s’ouvrait dans les fissures du Rocher de Merlin dans leur tanière. Le porte ouvrzait le passage sur une longue, large et humide pièce remplie de centaines de petits lits dans lesquels les fées se sont jetées pour se reposer car elles étaient épuisées par cette longue nuit passée à danser sans jamais s’arrêter. Aïdan s’assit dans un coin de la pièce en se demandant ce qui allait lui arriver. Mais il finit par être rassuré car quand les fées se réveillèrent, elles s’occupèrent du ménage et de la cuisson du repas, et aussi de beaucoup de rites étranges et inconnus ( qu’il m’est malheureusement impossible de vous révéler ici) . Aïdan, admiratif, marchait de long en large, mais il n’essayait pas de s’échapper. A ce moment-là une personne lui toucha le coude. Aïdan se retourna et vit que c’était la belle femme qui avait repris sa forme de fée.


_ « Que se passe-t-il? Où suis-je?" lui demanda Aïdan.
La fée qui était tout à l'heure une belle femme se tourna vers lui et lui dit :
_ « Vous aviez volé notre toit, Nous vous avons demandé de le replacer. Puis vous avez recommencé alors que vous saviez ce qui pouvait arriver mais vous avez continué malgré tout et maintenant nous allons rendre notre justice. »
Aïdan, tremblait de peur maintenant:

_ « Qu'avez-vous l'intention de me faire? »
Les fées rirent à l'unisson et celle qui avait parlé précédemment reprit la parole :
_ « Ni plus ni moins que ce que vous méritez ! »

Et à partir de là, l'affaire a été close. Et Aïdan regarda les fées vaquer à leurs occupations. Elles ont cousu et tissé des vêtements magiques. Elles ont préparé des breuvages étranges et ont écrit des formules magiques sur des livres qui ne seraient lus que par elles. Aïdan est resté là à les regarder toute la journée, en attendant sa punition. Mais juste au moment où il croyait qu’il serait puni, il fut expulsé de la tanière des fées. Il se tenait seul, avec le pot de lait à ses pieds. Puis il entendit une voix.
_ « Votre punition a été accomplie, notre toit a repoussé et s'est à nouveau recouvert de verdure. Vous êtes libre de partir mais ne racontez jamais à personne ce qui s’est passé ici, et ne touchez plus jamais à notre toit. »
Aïdan se retourna pour voir si aucune fée ne le menaçait, mais à son heureuse surprise il était vraiment seul. Il rassembla alors son courage et se dirigea vers la maison.
En ouvrant la porte de sa maison, il vit sa femme qui venait de faire tomber la réserve de lait de la maison.
_ « Désolé, je n'ai pas pu rentrer à la maison hier soir, mais j’ai ici du bon lait frais pour remplacer celui qui est tombé par terre.»
Sa femme le regarda fixement comme si elle venait de voir un fantôme et alors que Aïdan la regardait mieux, il remarqua qu’il y avait quelques cheveux blancs dans sa tignasse rousse, que son visage avait gagné une ride ou deux ; elle avait l'air plus âgée. Puis, alors que Aïdan était sur le point de lui poser des questions, deux enfants sont entrés, l'un semblait avoir environ 10 ans tandis que l'autre était assez âgé pour pouvoir travailler à la ferme.
Sa femme lui a déclaré :
_ « Tu es parti depuis 7 ans et maintenant tu franchis la porte comme si de rien n’était. Tu nous as abandonnés, tu es parti sans un mot d'explication Nous avons lutté seuls, nous avons failli tout perdre plusieurs fois. Pourquoi es-tu parti et pourquoi es-tu revenu ? »
Aïdan a compris qu’une journée passée chez les fées correspondait à sept années de vie humaine et que le châtiment des fées, qui lui avait semblé si futile, était en fait terrible. Il a essayé d'expliquer son histoire à sa femme mais il a vite compris à quel point son histoire paraissait folle et qu’il ne pourrait jamais demander à sa famille d'accepter l'histoire. Mais Aïdan a tellement insisté, et bien que sa femme ne l'ait pas cru au départ, et qu'elle n'y ait jamais vraiment cru, la famille s'est réunie à nouveau.

Au fil du temps, Aïdan a regagné la confiance de sa famille et du fermier et n'a plus jamais remis les pieds sur le Craig de Merlin.