Le riche armateur
Le Conquet
Armanel - conteur
IL y avait autrefois, au Conquet, un riche armateur, très méchant mais surtout vraiment bête, qui avait un jardinier qui s’appelait Job Penzé qui, lui, était très pauvre. L’armateur était avare et ne payait très peu son jardinier. Celui-ci se dédommageait en « empruntant » des légumes que Norig, sa femme, vendait au marché. Celle-ci mettait de côté une partie de l’argent qu’elle gagnait car elle aimait tellement son homme qu’elle voulait lui faire un cadeau.
- « Job, tu travailles très dur, sans jamais te plaindre. Tu mérites une récompense, dis-moi ce qui te ferais vraiment plaisir». Lui dit-elle un jour
- « Eh bien Norig ! Ce qui me ferait le plus plaisir ce serait une pie noire (petite vache bretonne), cela m'arrangerait bien, car avec son lait je pourrais nous nourrir et tu pourrais faire un peu plus d’argent au marché de Saint Renan ».
Norig acheta la pie noire pour Job. Trois jours plus tard le riche armateur se rendit à son champ à la sortie de la ville. Il y trouve Kleden, le fils de son jardinier, qui y faisait paître sa vache. Cela mit le riche armateur en colère.
- « Kleden , si ton père possède une vache, ce n'est pas pour que tu la fasses paître dans mon champ. Retire-la d’ici et que je ne te revoie plus ». dit-il au garçon
Huit jours après, le riche armateur retourne dans son champ et trouve encore la vache en train de brouter, toujours gardée par le même petit garçon.
- « Cette fois ça suffit. Demain j'irai tuer ton père pour le punir de son insolence ». Lui dit-il.
Le lendemain le riche armateur alla, en effet, chez son jardinier, bien décidé à le tuer. Mais Job Penzé était malin : prévenu par son fils il avait tué son cochon, puis il avait barbouillé Norig du sang du cochon et l'avait couchée dans son lit.
Le riche armateur, en entrant chez Job, vit le sang répandu par terre, le lit taché de sang et la femme couchée dedans et immobile.
- « Ca alors, Job! » Dit le riche armateur, « tu as tué ta femme ? »
- « Oui, monseigneur » répondit Job ; elle était si méchante que j'ai voulu la punir. Je l'ai tuée pour trois jours ; mais rassurez-vous, pour trois jours seulement, elle ressuscitera le quatrième.
- « Elle ressuscitera ? » demanda le riche armateur. « Eh bien ! Je vais aussi tuer la mienne pour trois jours; ça lui apprendra à me faire enrager ».
Le riche armateur rentra chez lui et tua sa femme.
Trois jours après, il revient en colère chez Job Penzé.
- « Job, tu m'as dit que tu avais tué ta femme pour trois jours, et je vois qu'en effet elle est ressuscitée. Moi aussi, j'ai tué la mienne pour trois jours, mais elle ne ressuscite pas ».
- « C'est que vous ne vous y êtes pas bien pris ». Dit Job. « Qu'avez-vous fait pour la ressusciter ? »
- « Rien de spécial. J'ai essayé de la réveiller en la secouant, mais elle ne bouge pas ». Répondit le riche armateur.
- « Ce n'est pas comme ça qu'il faut faire ». Répondit Job Penzé. « Moi, je me sers d’une corne magique faite spécialement pour ça. J'ai soufflé avec au cul de ma femme. Et, comme vous le voyez, Norig se porte à merveille.»
- « Une corne magique ? Mais je ne savais pas » dit le riche armateur. « Combien veux-tu me vendre ta corne ? »
- « Vous l’aurez pour cent écus ». Dit Job
- « Prends tes cent écus, les voici .Et donne-moi ta corne » dit le riche armateur
Job Penzé donna donc la corne au riche armateur qui retourna chez lui et fit comme Job lui a dit. Mais sa femme ne ressuscita pas.
Désappointé, il retourna chez Job et le trouva en train de frapper avec un fouet une marmite, qui bouillait à gros bouillons.
- « Qu'est-ce que tu fais là, Job ? » demanda le riche armateur.
- « Vous voyez bien, je fais bouillir ma marmite. » répondit Job
- « Tu fais bouillir ta marmite à coups de fouet ? » demanda le riche armateur.
- « Et Oui. Quand on est pauvre, on économise sur tout ce qu'on peut. » Répondit Job Penzé.
- « Et tu prétends que ta marmite bout comme ça sans bois, sans feu ? » demanda le riche armateur.
- « Constatez par vous même. » continua Job.
- « Et n’importe quel fouet est capable de faire ça?» demanda le riche armateur.
- « Bien sûr que non. » Dit Job « Il n'y a que ce fouet que vous voyez qui en est capable ».
- « Veux-tu me vendre ton fouet ? » Demanda le riche armateur.
- « Il n'est pas à vendre. » répondit Job. « Cependant, pour vous, je veux bien m'en défaire. Donnez-moi cent écus et je vous le cède. »
- « Voilà tes cent écus. » dit le riche armateur. « Donne-moi ton fouet. »
Le riche armateur se réjouissait déjà de la bonne affaire qui allait lui permettre de faire des économies. Arrivé chez lui, il appelle ses domestiques et leur remet le fouet en guise de bois pour faire bouillir la marmite.
Les domestiques fouettent, fouettent, mais la marmite ne bout pas.
Le riche armateur retourne chez Job Penzé.
- « Ton fouet n'est bon à rien », lui dit-il. « On a beau fouetter la marmite, elle ne veut pas bouillir ».
- « Dans quelle main tenez-vous le fouet ? » demande Job Penzé.
- « On a frappé de la main gauche. » répondit le riche armateur.
- « Cela ne m'étonne pas que vous n'ayez pas réussi. » Dit Job. « Il faut le tenir dans la main droite, sans quoi le fouet ne fonctionne pas. »
Le riche armateur retourne chez lui, appelle de nouveau ses domestiques et leur donne ses instructions. Ils frappent de la main droite à tour de bras. La marmite ne bout toujours pas.
Le riche armateur est furieux car il se rend compte que son jardinier s'est moqué de lui et lui a volé son argent. Il décide de le tuer pour se venger. Il ordonne à ses domestiques d'aller chercher Job et de l'enfermer dans la bergerie pour le jeter à la mer le lendemain.
Les domestiques obéissent au riche armateur, et quand le berger rentre le soir, il trouve le pauvre Job enfermé dans la bergerie.
- « Tiens ! Qu’est-ce que tu fais là, Job ? » Lui demanda le berger.
- « Le riche armateur m'a fait enfermer ici. Il dit que je dois passer la nuit parmi les moutons, parce que je ne sais pas mieux prier le bon Dieu que ces brebis. »
- « Moi, je sais très bien prier » dit le berger, « je prierai pour tout le monde ; pour mes bêtes et pour toi. Tu peux repartir l’esprit tranquille. »
Le
berger s’agenouilla dans un coin de la bergerie pour prier et Job
Penzé s'en alla, mais pas tout seul. Pendant que le berger priait,
il vola tous les moutons. Et comme le lendemain était jour de foire,
il alla les vendre et les vendit très cher : « trois francs le
poil, disait-il ! »
Avec l'argent qu'il gagna Job se fit
construire un beau château.
Un jour que le riche armateur se promenait il vit le château en construction et demanda pour qui on construisait ce beau château.
- « Ce château est à moi, monseigneur », lui répondit le pauvre Job.
- « A toi ? Mais comment es-tu devenu si riche ? »
- « C’est grâce à vous, monseigneur » dit Job Penzé.
- « Tu es encore en vie, j’avais pourtant ordonné à mes domestiques de te jeter à l'eau. » répondit le riche armateur.
- « Justement, ils m’ont enfermé dans un sac, sont allés où vous aviez dit et m’ont jeté à l’eau. Le sac s’est ouvert, je suis tombé sur un trésor et je suis devenu riche ». Dit Job.
- « Vraiment ? Je voudrais bien aller au même endroit. » Répondit le riche armateur.
- « Pas de problèmes, monseigneur. » Dit Job « Entrez vite dans ce sac ».
Le riche armateur se mit dans le sac, on jeta le sac à l'eau et depuis on n'a jamais revu le riche armateur