LE NOEL DE LA ROCHE PERCEE
Présenté par Armanel - conteur
Le conteur Yannick Loukianoff m’a offert ce
texte. Il m’autorise à le mettre en diffusion gratuite.
Il
aimerait seulement savoir si son conte vit. Si vous le partagez,
merci de laisser un petit message amical à l’auteur :
patiroise@orange.fr
Chacun se souvient encore de la grande tempête qui s'abattit sur les côtes bretonnes dans les premiers jours de novembre dernier. Prévenus par les services de la météo, les marins pêcheurs avaient dû rester à terre pendant près d'une semaine. Cependant, à plusieurs dizaines de milles au large, les pétroliers et les gros cargos avaient continué leur route, affrontant avec courage les éléments déchaînés. Assailli par des lames gigantesques, un énorme porte-conteneurs indonésien qui faisait la navette entre Djakarta et Rotterdam avait à cette époque signalé par radio la perte d'une partie de son chargement. Mais ceci est une autre histoire…
- La guirlande ne s'éclaire pas, Maman!
Le petit Rémi, debout sur une chaise, venait de terminer la décoration d'une simple branche de sapin fixée dans l'angle du mobile home. Sa mère et lui avaient retrouvé dans un carton la vieille guirlande électrique utilisée chaque année depuis deux générations. L'enfant y tenait beaucoup, car les ampoules étaient originales et toutes différentes: certaines avaient la forme de fruits comme des poires ou des grappes de raisin, d'autres de nains aux vêtements colorés ; l'une d'elles représentait un éléphant tout gris et une autre un ourson blanc au pelage luisant.
- Je crois que le petit Père Noël est grillé. Dévisse-le et mets cette lampe à la place, suggéra sa mère en lui tendant une banale ampoule conique de couleur jaune.
La guirlande multicolore s'alluma alors, introduisant soudain un air de fête dans la pièce sobrement meublée du bungalow. Rémi, cependant, semblait tout triste en descendant de sa chaise. La petite ampoule en forme de Père Noël rouge et blanc à la hotte chargée de jouets multicolores était celle qu'il aimait le plus. Il la fourra aussitôt dans sa poche.
- Je vais voir au Grand Bazar si je peux en acheter une autre, fit-il.
- Tu n'en trouveras pas, dit sa mère. C'est un modèle qui vient de Chine. Il n'est plus fabriqué depuis bien longtemps.
- Ce n'est pas sûr, ils ont plein de belles choses au bazar. Tu veux bien, Maman?
Il est difficile de dire non à un enfant le soir de Noël. La jeune mère sortit quelques pièces de son porte-monnaie.
- Reviens avant la nuit, fit-elle. Prends ton vélo et sois prudent.
A six ans, Rémi avait déjà l'habitude de faire tout seul des achats dans le centre de Préfailles. On le voyait souvent sur son petit vélo, un sac en plastique enfilé sur son guidon. Les commerçants qui n'ignoraient pas les conditions de vie précaires de sa mère célibataire, aimaient beaucoup ses grands yeux clairs et son gentil sourire. Après avoir revêtu son anorak rouge et entouré son cou d'une écharpe de laine, l'enfant enfourcha sa bicyclette. Il traversa bientôt la route de la pointe St-Gildas et s'engagea sur le large chemin côtier où la circulation des automobiles est interdite. Il était un peu plus de dix-sept heures et un vent sec, du nord-est, lui glaçait les joues. Un froid soleil, bas sur l'horizon, perçait péniblement l'épaisse couche de nuages d'un rouge violacé. La mer était encore basse. Tout près de la côte, trônant sur l'estran découvert, l'imposante arcade sombre de la Roche Percée dominait le rivage.
Rémi fut pris d'une idée soudaine. Il appuya son vélo contre les buissons d'écume de mer et descendit la falaise en dévalant le long des rochers. Il voulait voir le soleil se coucher dans l'axe de cet arc naturel, ce qu'on ne pouvait observer du haut du sentier. La descente était facile; il sauta sur le sable d'une petite crique qui faisait face à l'énorme arcade. Là, à l'abri de la falaise, l'air était plus doux. L'enfant s'approcha de la Roche Percée et joua quelque temps à faire apparaître puis disparaître le soleil au creux du grand portique, selon les emplacements qu'il avait choisis. La mer était calme et les premières vagues de la marée montante venaient lécher le pied de l'arche naturelle.
Revenant vers la crique de sable, Rémi courut alors le long de la côte en direction d'une grotte marine qu'il connaissait bien. C'était l'un de ses terrains de jeux préférés. A cet endroit, une profonde excavation avait été taillée dans la falaise par la mer lorsqu'elle était en furie. Le large porche était encombré de gros blocs de roches écroulés du plafond et la grotte s'enfonçait d'une vingtaine de mètres sous le chemin côtier. Mais ce qui en faisait tout l'intérêt aux yeux de l'enfant, c'était sa petite fenêtre, comme il l'appelait. Un orifice apparaissait en
effet dans la paroi latérale droite de la grotte, à deux mètres du sol, le long d'une minuscule crique. De l'extérieur, on pouvait aisément y accéder et s'y glisser pour pénétrer ainsi dans un sombre univers où s'élaboraient toutes les aventures pleines des mystères de son imagination fertile. Rémi escalada les roches, se coula dans l'orifice, courut jusqu'au fond sablonneux de la grotte, et exerça son équilibre sur les gros blocs éboulés qu'une fine couche d'algues vertes rendait glissants. Ressortant par le porche, il refit dix fois, vingt fois le même trajet. Il était successivement un pirate, un chevalier et un champion de la varappe. Il partait à l'assaut d'un château fort, délivrait des prisonniers et échappait à des monstres qui tentaient de profiter de l'ombre et de l'obscurité tombante pour l'agripper et le retenir. Chacune de ses aventures le voyait triompher des forces du mal. Rémi était invulnérable.
Il ne prit vraiment conscience du temps qui s'était écoulé que lorsqu'il se vit entouré par la marée montante en voulant sortir du porche. La nuit était tombée. Les vagues se brisaient déjà à l'intérieur de la grotte dans un bruit sourd que les parois de schiste noir répercutaient tout autour de lui. Revenant sur ses pas, l'enfant voulut s'enfuir par l'orifice latéral où se découpait un lambeau de ciel gris. Il y glissa la tête, mais les flots battaient déjà le pied des roches. Le héros de tant d'aventures périlleuses était pris au piège, prisonnier de la mer, de la nuit et du froid.
- Maman! s'écria-t-il en fondant en larmes, le corps à demi hors de la fenêtre de la grotte.
C'était un appel au secours plein de peur et d'angoisse qui s'achevait dans de longs sanglots couverts par le fracas du ressac. La gorge nouée après de longues et vaines tentatives pour alerter un hypothétique passant sur le chemin côtier, Rémi reprit courage et décida d'affronter les monstres de l'obscurité. Il revint alors à l'intérieur de la grotte que l'eau commençait à envahir et, en suivant prudemment la paroi à tâtons, il se dirigea vers le fond sablonneux. Là, le sol semblait plus élevé qu'ailleurs. Il trouva une large pierre plate sur laquelle il se hissa, debout, dans l'espoir de ne pas être atteint par la marée et il s'adossa à la paroi du fond. Devant lui, par le porche béant, il devinait la mer obscure au-dessus de laquelle s'étirait un ciel plombé. Mais il avait surtout peur que les vagues qui se brisaient maintenant dans la grotte ne parvinssent jusqu'à lui. Il resta longtemps dans cette position, puis, gagné par le froid et une irrésistible envie de dormir, il s'assit enfin sur la pierre. Toujours adossé à la roche, il ramena ses genoux à l'abri de son anorak. A chaque instant l'épouvantable fracas des vagues toutes proches le tirait du demi-sommeil dans lequel il s'engourdissait.
Combien de temps s'était-il écoulé lorsqu'il se réveilla? La mer s'était tue. Aucun bruit ne lui parvenait plus: un silence glacé avait succédé au vacarme et l'obscurité était totale. Il n'apercevait même plus l'entrée du porche de la terrible grotte et la peur le reprit. Il avait très froid. Lorsqu'il cacha ses mains frigorifiées dans les poches de son pantalon, ses doigts rencontrèrent soudain la petite ampoule de guirlande électrique. A cause de ses jambes repliées il craignit de la casser et voulut la transférer dans la poche de son anorak. C'est en la sortant précautionneusement de son jean qu'il s'aperçut avec joie que là, entre ses doigts glacés, la petite lampe rouge et blanc était allumée... Elle brillait d'un vif éclat et éclairait tout le fond de la grotte...
- Tiens, s'étonna simplement l'enfant, je pensais pourtant qu'elle était grillée!
Le petit Père Noël de verre était tiède et réchauffait ses mains gelées. Rémi se leva doucement et à la lueur de cette extraordinaire ampoule magique qu'il tenait entre le pouce et l'index, il vit que le niveau de la mer avait baissé. Il aurait sans doute pu quitter la grotte mais la nuit était si noire qu'elle lui faisait abominablement peur. Il remarqua alors à ses pieds un gros objet brillant. Hermétiquement protégé par son emballage transparent, un adorable petit ourson blanc en peluche gisait entre deux roches. Ses deux gros yeux bleus et sa petite truffe noire souriaient à l'enfant. L'animal était orné d'un élégant nœud papillon en tissu rouge vif.
Rémi sut alors que le Père Noël ne l'avait pas oublié. Le cœur en fête, il déballa rapidement ce cadeau inespéré, regagna la pierre plate et, serrant fortement son ourson tout contre sa joue gauche, l'ampoule magique dans la main droite, il attendit patiemment le lever du jour.
Les premières lueurs de l'aube éclairaient à peine la masse nuageuse lorsqu'il décida enfin de quitter son abri nocturne. La lumière extérieure était douce et blafarde. Tout était silencieux. Serrant toujours contre lui son ours et sa petite ampoule dont la lumière paraissait maintenant dérisoire, il s'approcha de l'entrée de la grotte. A l'extérieur, tout était blanc. Une fine couche de neige recouvrait les rochers et les algues. La mer s'était retirée au loin, toute grise à la limite d'un océan de blancheur. Un bonheur immense emplit le cœur de Rémi. La neige! La première neige de l'année était tombée pendant la nuit. C'était encore, à n'en pas douter, la magie de Noël. Il jeta alors les yeux à sa gauche sur la masse sombre de la Roche Percée couronnée d'une fine pellicule blanche. Et c'est alors qu'il eut la plus grande surprise de sa vie.
Au pied de l'arche naturelle il eut d'abord l'impression qu'un gros camion s'était écrasé pendant la nuit. Le conteneur métallique de couleur grise lui semblait gigantesque. Il était couché sur les rochers, la double porte arrière grande ouverte. Et tout autour gisaient dans la neige une multitude de petits paquets colorés qui égayaient la blancheur du paysage...
Il n'était pas tout à fait neuf heures lorsque les deux gendarmes aperçurent enfin la petite bicyclette bleue appuyée contre la haie enneigée du chemin côtier. Avec toute la brigade de Pornic, ils avaient repris leurs recherches dès l'aube. Le cœur battant, s'attendant au pire, ils s'approchèrent du bord de la falaise et fouillèrent du regard le rivage en contrebas. Ce fut d'abord l'énorme épave grise du conteneur fracassé au pied de la Roche Percée qui attira leur attention. Puis l'un des gendarmes désigna à son collègue de nombreuses traces de petits pas sur la neige qui recouvrait les roches environnantes. Elles semblaient provenir de la crique et convergeaient toutes vers la monstrueuse carcasse métallique comme si une nuée d'enfants s'y était dirigée. Les gendarmes descendirent prudemment le long des rochers glissants et s'approchèrent de la petite plage de sable enneigée. Le spectacle qu'ils découvrirent alors les cloua sur place.
Adossés aux rochers qui bordaient la crique en arc de cercle, des centaines d'animaux en peluche de toutes sortes avaient été disposés. Il y avait là des oursons de toutes les couleurs et de toutes les tailles, arborant autour du cou des rubans multicolores. Ils n'avaient pas été sortis de leur sachet transparent et semblaient tous observer le centre de la crique. Et là, au milieu des regards de tous ces oursons, couché sur un énorme tas de peluches, un petit garçon en anorak rouge dormait paisiblement en souriant. Il serrait contre lui un gentil petit ours tout blanc et tenait dans sa main un minuscule Père Noël en verre qui semblait émettre, dans le soleil levant, une faible lueur argentée.
Mais ce dernier détail ne figure pas dans le rapport de la gendarmerie.
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