Le magicien roux 
et le glaive de lumière

Traduit par Armanel - conteur


Aoife : (prononcé « iffa ») signifie beauté.


il y avait à Beuladáchab, au sud de l’Irlande bien longtemps avant que les hommes du Nord viennent en Irlande faire de la bière avec les fleurs de bruyère, un riche fermier qui n’avait pour toute famille que son fils adoré qui s’appelait AOIFE. Mais autant le père économe et travailleur, autant le fils était fainéant et volage.

Malheureusement, à force de passer le temps à travailler avec ardeur, le fermier mourut quand son temps fut venu.

A peine son père enterré, Aoife prit possession de tous les biens. Et il se disait que jamais il ne pourrait dépenser autant d’or et d’argent, aussi il ne chercha pas faire fructifier son patrimoine. Bien au contraire, il fréquenta les foires et les auberges où il dépensa son argent. Aoife passa plusieurs années à vider ses poches, mais au bout d’un certain temps, il s’aperçut qu’il allait tomber dans la misère.

Alors Aoife fouilla tous les recoins de la ferme et creusa des trous partout ou il pensait que son père avait pu cacher de l’argent. Et il eut de la chance car il trouva une bourse pleine d’or cachée sous le toit de la maison, mais il eut vite fait de la vider car il continua à boire et à jouer jusqu’à ce qu’il eut perdu sa propriété, sa réputation et son honneur.

Aoife dut hypothéquer sa terre pour rembourser ses dettes. Mais la mauvaise fortune avait beau fondre sur lui, il n’en devenait pas plus raisonnable.

Un jour qu’il rentrait chez lui, Aoife rencontra un vieil homme aux cheveux hirsutes assis sur une grande motte de bruyère. Cet homme lui dit qu’il s’appelait le Magicien roux et que depuis sa naissance, il jouait aux dés même si le plus souvent il ne faisait que perdre. Il demanda à Aoife s’il voulait jouer une partie avec lui. Aoife répondit qu’il voulait bien, mais qu’il n’avait pas beaucoup d’argent pour parier.

Alors, le Magicien roux lui dit:

Écoute bien mon enseignement :
Arrête-toi de tout dépenser en boisson,
Ne dépense pas ton argent inutilement
Et dans l’ivresse ne sois pas sans raison,
Car ce serait beaucoup mieux pensé
De dépenser ton argent à bien manger
Qu’a la foire tout gaspiller
Et aller mendier après.

- Voilà un bon conseil, dit Aoilfe, mais il faut être capable de le suivre.

Ce qu’Aoife ne savait pas c’est que le Magicien roux était un homme savant en tours de magie. Il ne manquait jamais une occasion de mettre en œuvre ses pouvoirs malsains quand il en trouvait l’occasion. Et Aoife ne savait pas non plus que ce magicien était passé maître dans l’art de la tricherie et de la duperie. Le Magicien tira des dés de sa poche et ils se mirent à jouer après s’être mis d’accord sur les enjeux: le Magicien roux misait cent livres et Aoife misait sa dernière pièce. A sa grande surprise Aoife gagna et reçut aussitôt les cent livres et il retourna chez lui plein d’entrain. 

Et c’est vrai, qu’à partir de ce moment, il suivit les conseils du magicien et devint raisonnable.

Au bout de plusieurs semaines, alors qu’il rentrait chez lui, Aoife rencontra Le Magicien roux pour la seconde fois. Après avoir discuté un long moment, le Magicien Roux l’invita à jouer une nouvelle partie de dés.

- Quel sera l’enjeu cette fois-ci ? Demanda Aoife. Car il faut savoir pourquoi un joue.
- Ce n’est pas pour de l’argent que nous jouerons, dit le Magicien, mais juste pour savoir qui de nous est le plus fort.

- Cela me va bien, dit Aoïfe.

Et cette fois-ci encore c’est Aoïfe qui remporta la partie.

- J’ai encore mal joué dit le Magicien, à moins que tu ais triché ; mais soit: Dis-moi quel sera mon gage.

- Je veux voir venir chez moi, d’ici quinze jours, la femme la plus belle du monde, afin qu’elle devienne ma femme.


- C’est un gage bien compliqué, dit le Magicien, tu me mets dans un grand embarras. Mais je ferai tout pour te satisfaire

Aoïfe attendait impatiemment le matin du jour fixé. Au lever du soleil, sa servante frappa à la porte de sa chambre et lui dit qu’une dame belle comme une file de roi l’attendait dans la salle. En hâte, Aoïfe se rendit auprès d’elle. La dame eut d’abord peur, mais il lui parla doucement et poliment. Elle, elle lui raconta qu’une force inconnue l’avait forcée à quitter son père et sa mère et à venir ici. Ils se marièrent et menèrent une vie heureuse sans chagrin ni malheur pendant une année entière.

Vers ce temps-là, Aoïfe fut pris du désir de faire une autre partie de dés contre le Magicien roux.

- J’ai bien peur que tu perdes si tu tentes une troisième partie de dés contre le Magicien roux. Dit sa femme.

Mais Aoïfe ne l’écouta pas et il se dirigea vers un endroit de la vallée où le Magicien avait coutume de s’asseoir. Aoïfe ne tarda pas à voir le Magicien qui jouait tout seul. Ils se saluèrent affectueusement. Le Magicien déclara qu’il voulait bien jouer une partie aux conditions établies la dernière fois, et ils se mirent à jouer pour la troisième fois, avec comme règle que chacun d’eux aurait la liberté d’imposer à son partenaire le gage qu’il voudrait.

« Une fois ça passe, deux fois ça lasse et trois fois ça casse » se disait le Magicien roux. Et Aoïfe avait beau être habile, le Magicien était encore bien plus habile. Après avoir passé un long temps à jouer, le Magicien roux eut le dessus.

Paniqué Aoïfe fit un malaise. Il resta dans cet état près d’une heure, et quand il revint à lui il demanda au Magicien quel serait son gage..

- Rassure toi, je ne te veux aucun mal, dit le Magicien roux. Remets-toi sur pieds que je te dise quel gage je t’impose.

_ Il te faudra juste réussir trois petites épreuves : Venir me dire qui a volé le vaisseau d’or, me dire aussi qui a tué le Géant O’Dubhda, et m’apporter le Glaive de Lumière que possède An Gaisgidheach Og (le Jeune Guerrier) dans le Monde Oriental, et ce d’ici un an et un jour.

C’est le cœur bien triste qu’Aoïfe retourna chez lui. Sa femme le questionna sur ce qui lui était arrivé. Il lui raconta tout ce qui était survenu entre lui et le Magicien roux.


- Si tu avais suivi mon conseil, dit-elle, tu n’aurais pas une histoire de ce genre à me raconter, mais rassure-toi, je sais comment te délivrer de ce gage. 

Alors elle lui expliqua ce qu’il devrait faire et ensuite elle l’endormit grâce à un chant magique.

Le lendemain matin, la femme d’Aoïfe prépara des provisions pour le voyage de son mari. Ensuite elle sortit sur la plaine, tira un long fil de sa poche, le laissa s’envoler, et appela à haute voix une fois ou deux. Au bout de peu de temps, ils virent arriver un cheval maigre et brun, avec une bride et une selle.

- Il est temps que tu te mettes en route, lui dit sa femme, que ton voyage te réussisse et reviens-moi sain et sauf!

Aoïfe embrassa sa femme et sauta sur le dos du cheval alors qu’un torrent de larmes s’échappait de ses yeux et se répandait sur la route. Le cheval courut aussi vite que le vent jusqu’à ce qu’il arrivât au bord de la mer. Mais cela n’arrêta pas le cheval qui vola sur les flots aussi vite qu’un aigle, et en un instant Aoïfe fut hors de vue, loin du port et du rivage. Le cheval garda cette allure jusqu’au coucher du soleil. A ce moment-là, Aoïfe vit une terre et y aborda, mais le cheval n’arrêta pas pour cela sa course rapide avant d’être arrivé à une vaste plaine, au pied d’un grand château, et il se mit à hennir. Ce fut comme un signal pour les gens du château, car les portes s’ouvrirent, et Aoïfe vit une troupe de serviteurs qui le guida vers la salle du trône.

C’était le roi du pays qui demeurait clans cette grande demeure. Lui et la reine souhaitèrent cent mile bienvenues à Aoïfe et lui racontèrent qu’ils étaient le père et la mère de sa femme.

On lui apporta tout ce qu’il fallait de nourriture et de boisson et il mangea et but son content. Ils s’informèrent de leur fille, ils voulaient savoir si elle était heureuse en Erin.



- Je vois que ma fille est heureuse près de toi, dit la reine, en voyant un anneau d’or qu’Aoïfe portait à son doigt. Je sais qu’elle ne t’aurait pas donné cet objet précieux si elle n’avait pas une grande affection pour toi.

Aoïfe ne leur cacha pas une seule de ses aventures et finit en disant:

- C’est de la direction que vous me donnerez que dépend ma vie ou ma mort.

Puis il alla se coucher, car il était fatigué de son voyage et il dormit jusqu’au matin. Le roi révéla à Aoïfe le sens exact des questions qu’il avait besoin de résoudre pour satisfaire le Magicien :

- Ecoutes-moi bien, dit le roi, nous sommes trois frères, le Magicien roux, le Jeune Guerrier et moi-même, et bien que le Magicien roux soit le plus jeune d’entre nous, il est aussi le plus rusé. Il désire depuis longtemps le Glaive de Lumière qui appartient au Jeune Guerrier, mais il sait qu’il ne pourra l’avoir sans mon aide. Et je ne désire pas causer du tort à mon frère, car il m’aime et ne m’a jamais fait le moindre tort.

Le Magicien roux t’a rencontré, il a joué aux dés avec toi et il nous a volé notre fille. Le Jeune Guerrier habite dans une forteresse à deux miles d’ici, à l’intérieur de laquelle veillent des dragons aux longues dents et qu’il ne faut pas mettre en colère. S’ils te saisissent, ils te mangeront tout vivant, mais si tu peux leur échapper le premier et le second jour, il n’y aura plus de danger pour toi. Mais attention ; quiconque ose approcher de La maison Jeune Guerrier est aussitôt vu par les dragons.

Repose toi quelques jours puis tu montera sur le dos du cheval tacheté que l’on te donnera et qui te portera à l’intérieur de la muraille. Réclame à voix haute que tu as besoin du Glaive de Lumière et de savoir qui a volé le vaisseau d’or et qui a tué le Géant O’Dubhda. Puis retourne sur tes pas sans attendre et lance ton cheval au grand galop pour revenir.

Aoïfe s’en alla quelques jours plus tard et arriva au pied de la forteresse. Le cheval bondit à l’intérieur par-dessus les murailles. Aoïfe ordonna qu’on lui donne le Glaive de Lumière et qu’on lui dise qui avait volé le vaisseau d’or et qui avait tué le Géant O’Dubhda. Les dragons rugissaient et se jetèrent sur Aoïfe le dévorer. Alors Aoïfe encouragea son cheval qui sauta par-dessus la muraille, mais se brisa les deux jambes postérieures. Aoïfe se lança dans une fuite éperdue et arriva sain et sauf à la tombée de la nuit au château du père de sa femme.
Le lendemain, Aoïfe retourna à la forteresse du Jeune Guerrier, et il était entré que les dragons poussèrent des cris horribles, encore pires que ceux qu’il avait entendu la veille. Encore une fois, Aoïfe réussit à s’enfuir à la cour de la famille de sa femme.

- Le matin du troisième jour le roi dit à Aoïfe :

_« Tous les dragons seront endormis aujourd’hui car ils sont fatigués d’avoir veillé jour et nuit les deux jours passés et ils ne s’apercevront même pas que tu entreras Va, la tête haute, à la forteresse et on te donnera tout ce dont tu as besoin. »

Aoïfe suivit le conseil du père de sa femme et il ne rencontra aucun obstacle. Les dragons épuisés dormaient d’un sommeil profond .

Il approcha au plus près du château et, voyant ouverte une porte large ouverte, il entra dans la salle.

En regardant devant lui, il vit un escalier et il le gravit. En arrivant au premier étage, Aoïfe entendit une conversation dans l'une des chambres. Il frappa à la porte et demanda la permission d’entrer.

- Sois le bienvenu, dit celui qui ouvrit la porte, puisque tu as pu supprimer les défenses qui nous protégeaient. Assieds-toi et dis-moi de qui tu es et qui t’a mis en tête de nous persécuter.

- Je viens de très loin! dit Aoïfe.

Puis il s’assit humblement et répondit à toutes les questions qu’on lui posait.

- Et maintenant, dit-il, je n’ai besoin que du Glaive de Lumière et de savoir qui a volé le vaisseau d’or et qui a tué le Géant O’Dubhda.


- Je pense que tu as deviné que je suis le Jeune Guerrier. Le Glaive de Lumière est pendu au mur et je te le donne. Il émet une lumière si brillante que tu pourras voir tout ce qui t’environne, dans l’obscurité ou la nuit aussi bien qu’en plein jour. Je vais aussi te raconter comment j’ai eu le vaisseau d’or et comment le Géant O’Dubhda a succombé sous mes coups. Je vais tout te dire en présence de ma femme, que tu vois assise au coin du feu et si je ne te dis pas la vérité elle me contredira. Ecoute-moi attentivement.

« Lorsque j’étais adolescent, j’ai voulu visiter les pays et voir les gens pour savoir comment ils vivaient.

Je suis parti pour la Grèce, et j’ai fait la connaissance du roi de Grèce qui avait une fille d’une beauté inégalée. Nous nous sommes mariés. Mais je voulais revenir en Erin, et j’ai demandé à ma femme de venir avec moi. Elle refusa en disant qu’elle ne m’aimait pas assez pour quitter ses parents.

Ses parents lui conseillèrent de partir avec moi, et son père lui fit présent d’une baguette magique. Mais elle voulut d’abord m’emmener dans en Orient. Arrivés là, elle me tourmenta de ses caprices et me frappa avec la baguette magique pour me transformer en cheval. Mais cela ne lui suffisait pas, et chaque jour elle me frappait avec un pieu en acier. Un jour qu’elle inventa une nouvelle torture je lui donnai une ruade sur le front. Elle tomba par terre sans connaissance. Un serviteur la trouva et la porta chez elle. Quand elle se rétablit elle ne cessât de chercher le meilleur moyen pour me faire souffrir.

Et un jour elle me frappa avec la baguette magique, me changea en loup et lança ses chiens à ma poursuite. J’ai eu beau courir de toutes mes forces, ils réussirent à me cerner. Alors qu’ils étaient en train de me déchiqueter, arriva le roi de Grèce qui chassa les chiens, mais il ne me reconnut pas. Je le saluai respectueusement. Il vit une larme couler sur ma joue et fut saisi de pitié pour moi et chaque jour qui s’écoulait augmentait notre affection mutuelle.

Cela mit en colère ma femme et elle fit tous ses efforts pour pousser son père à me chasser.

J’avais l’habitude d’aller me coucher dans la chambre où notre enfant dormait. Un jour que je m’étais assoupi près du berceau elle m’aspergea de sang, ainsi que l’enfant. Elle se mit à pousser des cris et des gémissements, de sorte que son père et tous ses gens coururent pour connaître la cause de son tourment. Elle m’accusa en assurant que c’était elle qui avait délivré l’enfant du danger qu’il courait par suite de mes morsures. E il s’en fallût de peu qu’ils me missent à mort; mais le Roi des Grecs, dit qu’il valait mieux me laisser partir.

Je fus alors dans une grande misère en proie à la soif et à la faim. Je résolus de me diriger du côté du rivage.

J’arrivai près de hautes falaises, les vague se brisaient de chaque côté de moi et je vis le plus beau vaisseau au monde à peu de distance de moi.

Je me jetais à l’eau et nageai rapidement vers lui dans l’espoir d’avoir du pain ou de la viande jetés par dessus bord. Comme j’en approchais, je vis un homme du bord qui pêchait. Je me dirigeai vers sa canne à pêche, et dès que je la touchais je repris ma forme humaine. Aussitôt je criai fort de me tirer hors de l’eau. On me tendit une corde; je la saisis et on me tira à bord du vaisseau. A bord, il n’y avait que deux garçons et leur père. C’était le Géant O’Dubhda avec ses fils qui crurent que j’étais un voleur et ils me livrèrent un combat. Je dus me battre avec eux pour me défendre et le Géant O’Dubhda tomba vaincu par ma force.

En fouillant le vaisseau, je trouvai le Glaive de Lumière et je ne me suis jamais séparé de lui ni pour or ni pour argent, même pour mon frère le Magicien roux, et c’est dans l’espoir de rester à l’abri de lui que je suis venu vivre ici. Mais retournons à mon histoire.

Je fus rempli de joie et je m’en retournai pour raconter l’injustice qui m’avait été faite au père de ma femme. Dès qu’il me vit, il me reconnut; il obligea ma femme à s’agenouiller et à me demander pardon. J’eus pitié d’elle et, sur la promesse qu’elle ne me ferait jamais plus rien de semblable je dis que je consentais à retourner vivre avec elle. Depuis ce moment jusqu’à maintenant, il n’y a pas au monde de femme meilleure qu’elle. Tu sais maintenant qui a volé le vaisseau d’or et qui a tué le Géant O’Dubhda, et tu as le Glaive de Lumière ; emporte-le avec toi! 

Aoïfe dit adieu au Jeune Guerrier et il retourna chez lui. Pendant ce temps, le Magicien roux avait été pris de maladie et était mort; ce qui soulageait Aoïfe, car il n’y avait plus personne pour lui réclamer le Glaive de Lumière. En l’apercevant, sa femme courut vers lui:

- Sois le bienvenu, dit-elle.

Et Aoïfe crut qu’elle l’étoufferait de ses baisers et le noierait de ses larmes, dans ses excès de joie.

Ils restèrent heureux pendant les deux autres tiers de leur vie et puisse ce sort être aussi le nôtre!