Ki-Bleiz
Le loup de Saint Cadou
Armanel - conteur
A RANDY
Cette histoire commence il y a très longtemps. Du temps de la Duchesse Anne – reine de France et de Bretagne. Christophe Colomb venait juste de découvrir l’Amérique.
Pierrick
A cette époque, il y avait à Saint Cadou un paysan qui avait 11 enfants, et comme sa ferme était vraiment petite et ne rapportait pas assez d’argent pour nourrir toute la famille, les garçons quittaient le foyer paternel à l’âge de 12 ans. C’est ce qui arriva à Pierrick le quatrième enfant et troisième fils du paysan.
Donc Pierrick partit, mais comme il ne savait pas pour aller ; il se décida à prendre la route de Letiez Izella à Saint Eloy, pour aller chez un de ses oncles à Quillivennec au Tréhou, puis de là, de suivre la rivière La Mignonne qui contourne Irvillac par le Nord et se jette dans la rivière de Daoulas. Arrivé à Daoulas, il chercha du travail dans les fermes mais n’en trouva pas. Il décida alors d’aller traîner sur le port de Daoulas qui était très actif, et finit par être embarqué comme mousse sur un navire marchand qui vendait des toiles fines « appelées toiles de Daoulas » jusqu’en Hollande. Leur navire partit vers la Hollande chargé à ras bord de ces toiles qui valaient très cher et fut attaqué par un navire anglais au large de l’île de Batz. Le capitaine du navire breton essaya de fuir, mais les anglais réussirent à le stopper et avaient pris le navire en remorque quand on vit à l’horizon arriver deux navires avec le pavillon de la marine de Bretagne. C’était Le Primauguet, le plus célèbre marin breton qui patrouillait au large de Beg-Ledan. Quand le capitaine Anglais reconnut le navire du Primauguet, il préféra prendre la fuite, car tous les Anglais craignaient ce corsaire réputé sans pitié. C’est donc sans se battre que le Primauguet approcha du navire marchand. Arrivé bord à bord, les hommes discutèrent entre-eux en se moquant de ces peureux d’anglais, et le capitaine du navire marchand demanda au Primauguet s’il pouvait prendre à son bord Pierrick qui avait été blessé pendant l’abordage. Le Primauguet accepta et promit de le déposer dès que possible à terre. Mais alors qu’il approchait du taureau, il vit revenir non pas un mais trois bateaux anglais. Refusant de fuir, le Primauguet se lança sus aux Anglais et navigua si bien qu’il remporta la bataille. Au cours de la bataille, Pierrick, bien que blessé fit preuve de courage et d’ingéniosité, ce qui fait que Le Primauguet lui proposa de rejoindre ses hommes.
Comme Pierrick ne rêvait que d’aventures, il accepta la proposition et fit preuve de tellement de courage et capacités à commander les hommes, malgré son jeune âge, que le Primauguet lui confia rapidement le commandement d’un de ses navires, quitte à lui de faire fructifier l’affaire ; La moitié du butin qu’il arriverait à faire serait pour lui et ses hommes d’équipage, l’autre moitié reviendrait au Primauguet pour la « location » du bateau.
Bien des années plus tard, ayant fait fortune, et quand le Primauguet mourut au large de Brest en 1512, Pierrick revint à Saint Cadou pour s’établir. Il avait avec lui trois grands coffres de chêne remplis de pièces d’or. Il se maria avec la fille unique du seigneur local, et cacha ses trois grands coffres d’or quelque part sous le manoir de Lestrémélar. Cela se passait il y a très longtemps du temps de la duchesse Anne.
Daïc
Bien des années plus tard, au XIX° siècle, un paysan nommé Daïc Guénan vivait lui aussi à Saint Cadou, au lieu dit Kelennec. Il vivait assez bien, car en plus de son métier de cultivateur, il exerçait la noble profession rémunératrice de Maquignon (vendeur de chevaux). Et il se rendait donc régulièrement sur les foires et marchés des environs, soit pour vendre des chevaux, soit pour acheter des poulains. Il était marié et avait cinq enfants dont deux garçons. L’aîné de ces garçons, né en 1884, s’appelait Olivier et suivait régulièrement son père aux marchés.
Un jour, alors qu’il revenait de la foire de Hanvec, où il était aller acheter un poulain, Daïc est revenu avec sa bourse pleine car il n’avait trouvé aucun poulain à lui plaire. Il rageait et il pestait car il n’aimait pas être bredouille quand il revenait d’une foire. Il suivit la grand-route vers Roudouhir, puis prit à droite pour passer devant Lesvenez, où il sentit l’odeur du pain en train de cuire dans le four. Alors qu’il était plongé dans ses idées noires, et qu’il cherchait un gué pour traverser Kan an Ôd, il vit arriver face à lui une religieuse qui semblait plongée dans la méditation ou la lecture de son bréviaire. Bien sûr, Daïc fut surpris de deux choses ; premièrement rencontrer une religieuse qui marchait seule (en général, elles se déplaçaient au moins par deux), et la deuxième voir la religieuse à cet endroit reculé de la paroisse de Saint Cadou. Mais, comme il avait été bien élevé, Daïc traversa le gué et proposa son aide à la religieuse qui sembla l’accepter. Alors que Daïc se penchait pour l’aider à poser ses pieds sur les pierres glissantes du gué, la religieuse sortit un gourdin de dessous son habit et assomma notre paysan. Ensuite, la religieuse tua Daïc en lui écrasant la tête avec son gourdin et lui vola tout son argent. Puis la religieuse releva son voile et c’est le visage d’un homme qui apparut. Cet homme était un seigneur local, arrière-arrière-petit-fils de Pierrick qui était ruiné et était devenu un voleur de grands chemins pour pouvoir survivre, car il n’avait pas trouvé les coffres d’or que son ancêtre avait caché à Lestrémélar.
Olivier
Olivier se retrouva donc, comme ses frères et sœurs, orphelin et dut chercher du travail dans les environs. L’été, il travaillait dans les champs. Le reste du temps, c’était lui qui s’occupait d’amener les bêtes brouter dans les landes, notamment du côté de Pen Ar Guer. C’était une chose assez risquée car à l’époque, en 1850 le loup était « comme chez lui » dans les landes et bois bretons et il y avait encore plusieurs loups dans les monts d’Arrée qui n’hésitaient pas à s’attaquer aux troupeaux.
Un jour, en 1896, un paysan lança une alerte ; il avait vu un loup du côté de Glujau Astach. Le dimanche suivant, sur le parvis de l’église, plusieurs hommes décidèrent de lancer une huée au loup. Les Bretons ne craignaient pas le loup car, de tout temps, on leur avait appris qu’il était peureux et qu’il fallait l’effrayer en faisant du bruit. C’était le principe de la « huée du loup ». La huée partit de Menez Meur et se dirigea à la poursuite d’une louve vers Bodingar Braz ou elle fut tuée.
Olivier, qui gardait les bêtes en lisière de la forêt, regarda passer la louve poursuivie par les chasseurs, puis il les oublia. Comme il surveillait les bêtes qui tentaient de s’engager sous les taillis, il entendit un gémissement. En se rapprochant, il s’aperçut que c’était un louveteau tremblant qui gémissait. Ollivier décida de s’approcher encore plus et de tendre la main pour voir ce qui allait arriver. Le jeune louveteau recula en tremblant puis il lécha la main d’Ollivier. Alors Ollivier décida de l’adopter, de le nourrir et de le cacher dans la forêt, près de Pen Ar Guer.
Pendant qu’Olivier s’est occupé du louveteau qu’il a appelé Ki-Bleiz, les agressions perpétrées par des religieux prêtres (ou nonnes) ont continué dans la région.
Ki-bleiz est devenu un grand loup de 60 kg au poil gris mêlé de noir, blanchâtre sous le ventre. Sa détente au galop était très puissante, il sautait, disait-on, aussi bien qu’un cerf. Sa gueule était très largement fendue, montrant un râtelier impressionnant de quarante-deux dents. Sa queue, touffue, pendait jusqu’aux jarrets. Ce qui en faisait une bête impressionnante, et pourtant, jamais, il n’avait menacé Olivier, ni attaqué un être humain. Son territoire était très large, des témoins ont dit l’avoir vu près des gorges de Daoulas, au manoir de Brezal au sud de Plounéventer, et jusqu’à Roc’h ar Bleiz dans les Monts d’Arrée.
Bien sûr la présence de Ki-Bleiz ne passait pas inaperçue et l’inquiétude grandissait dans la région auprès des villageois qui craignait autant le loup que les désormais célèbres religieux criminels.
En 1898, fut lancée une Huée au loup par les paysans qui supportaient mal les prélèvement que Ki-Bleiz faisait sur leurs troupeaux ; comme vous le savez, les Bretons ne craignaient pas le loup et ont lancé une « huée du loup » ; Ki-Bleiz fuyait devant la Huchée et finit par se cacher dans une tanière improvisée près du manoir de Lestrémélar qui appartenait au seigneur local qui se déguisait en religieux pour attaquer ses victimes. Olivier, lui, pressentant un malheur, essayait de devancer les chasseurs afin de sauver Ki-Bleiz. Il le rejoignit dans sa cachette et s’y terra avec lui. En se blottissant au fond de l’excavation il sentit une arête vive qui s’enfonçait dans ses côtes. En se retournant, il s’aperçut que c’était un vieux coffre, un peu vermoulu, qui tomba presque en poussière en libérant des nombreuses pièces d’or.
Le trésor servit à dédommager les victimes du seigneur indélicat qui partit avec la somme qui restait après le partage ; certains disent à Paris, d’autres en Angleterre. Une somme fut aussi partagée entre tous les paysans présents afin de les dédommager des pertes que subiraient leurs troupeaux si on laissait la vie sauve à Ki-Bleiz, qui était à l’origine de la découverte, et qui put donc continuer à vivre en chapardant moutons, chèvres et cochons, jusqu’en 1906 ou il a été vu pour la dernière fois entre Braspart et Loqueffret. Il avait alors 10 ans.
Olivier, lui a racheté la ferme de Quelennec, s’est marié avec Marguerite Pouliquen, est mort en 1938, et a été enterré tout en bas du cimetière de saint Cadou.
Mais le plus important dans tout cela est que si Pierrick est revenu avec trois coffres d’or; qu’il en a vidé un pour vivre, et qu’Olivier en a trouvé un deuxième, Alors, normalement, il en reste un caché quelque part à Lestrémélar.