Le
jeune page
Ecosse
Traduction _ Armanel - conteur
Il y avait autrefois un jeune page, dans un château très renommé d’Ecosse. Ce jeune garçon avait un bon tempérament, un bon caractère, et ne rechignait pas à la besogne. Ce qui faisait que tout le monde, depuis le seigneur du château jusqu’à la plus petite servante, l’appréciait grandement.
Ce château( que tous ceux qui connaissent bien l’Ecosse reconnaîtront) se tenait au sommet d’une falaise vertigineuse qui surplombait la mer. Bien évidemment ses murs étaient épais, hauts et construits avec des pierres résistantes, mais il y avait une petite porte (une poterne) qui donnait sur une volée de marches qui descendait jusqu’au rivage. Ce qui permettait à tout un chacun de descendre sur la grève, notamment durant les belles soirées d’été et de se baigner à la lueur du soleil couchant.
De l’autre côté du château il y avait des jardins d’agrément et des vergers qui s’étendaient à perte de vue jusqu’au landes de bruyères qui s’arrêtaient au pied des grandes collines qui bouchaient l’horizon.
Le jeune page adorait se promener à travers la lande durant ses temps libres. Il fallait le voir courir à perdre haleine jusqu’à tomber inanimé, poursuivre les abeilles et les bourdons sauvages, chasser les papillons qui pullulaient, et observer les nids des oiseaux.
S’il y avait quelqu’un, au château, qui ne trouvait rien à redire à cela, c’était le vieux majordome qui comprenait qu’un jeune garçon avait besoin de liberté et de plein air pour s’épanouir. Mais chaque fois que notre page se préparait à partir, le majordome ne pouvait s’empêcher de lui donner l’avertissement suivant :
« _ Ecoutes-moi bien mon garçon, cours autant que tu veux, vas ou bon te plaît, mais ne pénètre pas sur le dôme des fées, car il est habité par des êtres à qui on ne peut pas faire se fier. »
Ce dôme dont il parlait était un petit monticule herbé qui se tenait sur la lande pas vraiment très loin de la porte du jardin. Les villageois disaient que c’était le repaire de petits êtres qui punissaient tous les imprudents qui s’approchaient de chez eux. Aussi les habitants de la région préféraient faire une détour de près d’un kilomètre de leur domaine et ce de jour comme de nuit, plutôt que de courir le risque de passer trop près de ce petit tertre et de risquer la vengeance des petits êtres. Je dis de jour comme de nuit, mais en vérité je dois avouer que les paysans préféraient ne pas sortir du tout de chez pendant la nuit, car il est bien connu que ces petits êtres aiment à vagabonder la nuit, laissant la porte de leur univers souterrain grandes ouvertes et malheur au malheureux humain que tomberait dedans.
Mais revenons à notre gentil page, si vous le voulez bien. C’était un jeune homme très aventureux, et loin d’être effrayé par ces petits êtres, il désirait ardemment les rencontrer et visiter leur monde, juste afin de savoir à quoi il ressemblait.
Aussi, une nuit, alors que tout le monde était endormi, il sortit du château par la poterne (petite porte), descendit la volée de marches, suivit le rivage, remonta sur la falaise qui menait à la lande et se dirigea vers le dôme des fées.
A son grand plaisir, il s’aperçut que tout ce qui se racontait au château et dans les villages alentour était vrai. Le sommet du dôme était ouvert, et des rayons de lumière sortaient de l’ouverture béante.
Son cœur battait la chamade, et n’importe qui d’autre à sa place aurait fait demi-tour. Mais notre page rassembla son courage, se mit à ramper et se glissa à l’intérieur du dôme.
Il se retrouva dans une grande pièce illuminée par des milliers de petites bougies. Au milieu de la pièce il y avait une grande table ronde, en marbre poli, autour de laquelle se tenait une foule composée de fées, d’elfes, de gnomes, même de Korrigans venus la lointaine Bretagne. Ils étaient habillés de vert, de rouge, de jaune, de violet, de pourpre, de rose ; en fait de toutes les couleurs que vous pouvez imaginer.
Le jeune page se cacha dans le recoin le plus sombre qu’il put trouver et observait la scène avec ses yeux grands ouverts. Il était étonné et ébahi, et se disait combien c’était surprenant qu’il puisse y avoir autant d’êtres qui vivaient si près des hommes sans que ces derniers connaissent quoi que ce soit de leur existence. Il en était là de ses réflexions, lorsque qu’il entendit une voix puissante crier :
_ « Qu’on m’apporte la coupe ! »
Celui qui avait lancé cet ordre tonitruant vit aussitôt deux elfes habillés d’une tenue vert cramoisi s’élancer de la table et se diriger vers une petite niche taillée dans la roche et revenir en titubant sous le poids d’une belle coupe en bronze damasquinée d’or et constellée de pierreries.
Les deux elfes posèrent la coupe sur la table au milieu des applaudissements et des cris de joie de tous les êtres rassemblés dans cette grande salle. Dès que la coupe fut déposée tous les elfes, gnomes, même les Korrigans venus la lointaine Bretagne, se mirent à y boire chacun à leur tour.
Notre jeune page voyait que bien que tout le monde y buvait tour à tour, la coupe ne se vidait pas bien que personne ne vienne la remplir. Il s’aperçut aussi d’une chose encore plus étrange : non seulement la coupe ne se vidait pas, mais en plus son contenu semblait changer selon les goûts et la volonté du buveur.
_ « Comme j’aimerais ramener cette coupe avec moi. » se dit le jeune page. »Personne ne me croira quand je raconterai ce que j’ai vu ici, à moins de rapporter cette coupe comme preuve. »
Il décida de rester caché, immobile, et d’attendre.
Mais, une des fées présentes remarque sa présence. Et, au lieu d’être en colère, elle s’approcha de lui et l’invita à s’approcher. Les autres petits êtres ne semblaient pas furieux, eux non plus, que notre jeune page se soit glissé dans leur dôme et semblaient même contents de faire sa connaissance. Ils l’invitèrent tous à venir s’asseoir à la table ronde.
Mais plusieurs d’entre – eux avaient demandé au contenu de la coupe de se transformer en vin et l’alcool leur était monté à la tête. Ils commencèrent à élever la voix et devinrent grossiers et insolents envers le jeune page ; ils l’insultèrent car il était heureux de servir au château (dont je ne peux pas vous dire le nom), et se moquèrent ouvertement du vieux majordome qu’il aimait du fond de son cœur. Et ils ricanaient quand ils parlaient de la nourriture qui était servie au château, se demandant comment des êtres soit disant civilisés pouvaient ingurgiter de telles horreurs. Comme le jeune page voulait les contredire, surtout sur le denier point soulevé, les gnomes habillés de vert et de mauve vinrent lui servir un plat étrange mais qui embaumait la pièce.
_ « Allez ! Goûte ! Nous sommes sûrs et certains que tu n’as jamais rien mangé d’aussi bon dans ce château. Ce qu’ils vous donnent à manger là-bas est juste bon pour les cochons. »
Notre jeune page était irrité par tous ces commentaires désagréables, et commençait à perdre patience. Il faisait tout son possible pour se retenir et cherchait un moyen de s’emparer de la coupe et de fuir au plus vite de cette compagnie. Aussi quand on lui demanda de s’asseoir à table pour goûter le plat parfumé, il se redressa et saisit la coupe par le pied, la leva devant l’assemblée et dit :
_ « Tout d’abord, je vais boire dans cette coupe une grande rasade d’eau à votre santé. »
Instantanément le vin se changea en eau, mais le jeune page ne porta pas la coupe à ses lèvres : Il la secoua dans tous les sens et, comme elle se remplissait aussi vide qu’elle se vidait, il aspergea toutes les bougies qui éclairaient la pièce qui fut immédiatement plongée dans l’obscurité. Puis glissant la précieuse coupe sous sa veste, il se précipita vers la porte du dôme qu’il franchit et se retrouva sur la lande éclairée par la lune et les étoiles.
A peine avait-il franchit la porte qu’il l’entendit se refermer dans son dos, mais il ne se retourna pas car il se savait poursuivi par tous ces petits êtres, et il courut le plus vite qu’il peut sur la lande humide. Les petits êtres le poursuivaient en poussant de grands cris et en proférant de telles menaces que le jeune page savait qu’il ne fallait pas qu’il tombe entre leurs mains. Mais la lutte était inégale car la coupe était très lourde et bientôt notre jeune page commença à s’essouffler. Ses jambes ne pouvaient presque plus le porter et, tout comme le cerf poursuivi par une meute de chiens, il sentait sa dernière heure arrivée. Alors qu’il se désespérait et allait abandonner il entendit une voix puissante qui criait :
_ « Pour éviter les lutins et les fées
Court sur le sable mouillé »
C’était le majordome qui était réveillé et qui lui criait depuis la plus haute tour du château (dont je ne peux vous révéler le nom)
Le jeune page suivit ce conseil, se dirigea vers la plage et marcha sur le sable mouillé où il pensait pouvoir reprendre haleine. Mais les petits êtres étaient si furieux que contre toute attente (car tout le monde sait que les lutins et les gnomes ne peuvent pas marcher sur le sable mouillé) faisaient tout pour reprendre leur coupe.
Notre jeune page pensait sa dernière heure arrivée quand il se décida à marcher dans les vagues qui venaient mourir sur le rivage. Et il sut qu’il était sauvé : les petits êtres, malgré toute leur volonté, ne pouvaient pas le suivre dans l’eau. Ils s’arrêtèrent et se mirent à crier de rage et de désappointement tandis que le jeune page, triomphant, courait dans les vagues, montait l’escalier de pierre, passait la poterne et entrait dans le château.
Bien des années plus tard, le jeune page prit la place du vieux majordome. A l’inverse de son prédécesseur, il engagea les jeunes pages à avoir l’esprit aventureux. Et pour les encourager à suivre son exemple, il n’hésitait pas à leur montrer la coupe magique et magnifique pour preuve de ses exploits. Coupe que j’ai eu l’honneur et le privilège de tenir dans mes mains et qui est toujours cachée dans le château ; et c’est pourquoi je ne peux pas vous en révéler le nom.