Le gouffre de Gowan  

 Ecosse 


Traduction : Armanel


Il y a de cela bien des années, une terrible sécheresse frappa le pays, à tel point que le soleil brûla la terre. Les prés et les collines brunirent comme une peau de vieille femme et un terrible vent se mit à souffler, soulevant la poussière sur tout le pays comme sur les chemins quand ils sont parcourus par des files de charrettes et des armées de cavaliers. Toute verdure avait disparu et le gens se lamentaient avec désespoir, les animaux dépérissaient de faim et de soif, car il ne restait plus d'eau dans les fontaines et les ruisseaux.

Deux mois durant la population attendit en vain que la pluie arrivât pour arroser le sol brulé et remplir les ruisseaux. Beaucoup de vaches et de moutons périrent et nombreux furent les paysans qui devinrent ruinés. Ces derniers durent tout abandonner et prendre le bâton de mendier pour aller cheminer dans la poussière des chemins desséchés.


Mais si dans les plaines de cette région vivaient beaucoup d'humains, plus haut dans les collines de genets vivaient des elfes. Et les elfes, voyant dans quelle misère se trouvaient tous ces pauvres gens voulurent les aider. Ils cédèrent aux humains leurs calmes prairies et leurs clairières dans les collines pour en faire des fermes dans lesquelles ils pourraient vivre. Mais cela ne suffit pas. Vous imaginez bien que les prairies et les pâturages sur lesquels les elfes s'amusaient du printemps à l'automne sans en abimer l'herbe verte avec leurs petits pieds légers furent dévastés en une matinée par les vaches et les moutons affamés. Ce qui fait que les elfes eux aussi avaient tout perdu et se lamentaient avec les humains.

_ "Qu'allons nous devenir ? " se plaignaient ils. "il faudra au moins un an pour que l'herbe repousse et que ce désert reverdisse!".

Alors, les elfes décidèrent de se mettre au service des gens de ce village qui ne les avaient jamais pourchassé ni ennuyé. Au contraire ces paysans les avaient toujours respectés, n'avaient jamais essayé de les pourchasser, mais au contraire les avaient aidés quand ils en avaient eu besoin, notamment pour les défendre contre un dangereux monstre qui voulait les dévorer.


Le paysan le plus gentil du village s'appelait Carron. Il était si bon que, bien qu'il ne possédait presque rien, il aidait les gens de tout son cœur. n ne voyait jamais un mendiant sortir de chez lui les mains et l'estomac vide.

Mais la misère l'avait atteint lui aussi, et il fut désespéré quand les deux vaches qui constituaient la seule richesse de la famille moururent de faim et de soif. La femme et les enfants de Carron en pleurèrent de désespoir, puis ils s'endormirent. Mais Carron, lui, ne put fermer l'œil de la nuit. Il resta près du poêle jusqu'à minuit, se demandant ce que sa famille allait devenir quand il entendit un bruit étrange qui lui fit lever la tête.


_ "Qu'est ce que c'est ? Qui est là ? " grommela Carron en fouillant la pièce de son regard. 

Alors il y eut un grand bruit dans la cheminée, un gros sac tomba dans l'âtre et roula sur le sol en terre battue de la pièce. Carron se leva prudemment et ouvrit délicatement le sac. Dans le sac il y avait une lettre posée sur un tas d'or. Il ouvrit aussitôt la lettre et la lut. "Tout ce que tu as fait pour nous, nous le ferons pour toi. Prends cet or et achète toi des vaches!".

Carron n'en revenait pas. De peur de rompre le charme il sortit silencieusement de la maison avant l'aurore, traversa les montagnes et se rendit au village de Kinross ou il acheta deux belles vaches à un riche paysan. Tout heureux de son achat, il ramena les vaches chez lui, mais chemin faisant un doute l'assaillit: " C'est bien d'avoir acheté ces deux vaches, mais comment vais je les nourrir car il n'y a plus rien dans le village".

En arrivant à la maison, Carron trouva sa femme et ses enfants levés qui se demandaient où il était passé. La fermière et les enfants bondirent de joie quand ils virent Carron accompagné de ses deux vaches. Ils étaient si heureux qu'ils parlaient aux animaux comme on parle aux seigneurs et qu'ils leur faisaient la révérence. Rapidement les vaches furent mises à l'abri dans l'étable et on leur apporta le peu de foin et toute l'eau qui restait. Ils se disaient: 
_ "il vaut mieux que nous ayons soif plutôt que de voir nos belles vaches mourir."


Pendant ce temps là, Carron courait dans les champs pour voir s'il trouverait un peu d'herbe fraiche pour donner en pâture à ses vaches. Mais rien à faire tous les champs étaient secs, il n'y avait plus d'herbes, ni de fleurs, n ide plantes sauvages nulle part. Alors qu'il commençait à se désespérer Carron entendit une voix qui provenait d'un buisson d'épines:

_ "Conduis tes vaches dans le gouffre de Gowan!"

Mais Carron connaissait la réputation du gouffre de Gowan et secouait la tête pour dire qu'il ne voulait pas se risquer à y amener ses vaches. Alors la vox répéta:

_ "Ne crains rien, emmène tes vaches au gouffre de Gowan aujourd'hui même."

Carron était fort inquiet, car tout le monde au village que dans le gouffre il ne poussait que des épines, des ronces et des chardons dont même les chèvres ne voulaient pas, et que les animaux qui y pénétraient disparaissaient.

Aussi Carron était très embêté: il ne voulait pas aller dans le gouffre avec ses vaches, mais il ne voulait pas non plus mettre les elfes en colère en leur désobéissant. (Car vous avez sûrement compris que c'étaient les elfes qui avaient donner l'or à Carron et qui lui avaient parlé dans le buisson d'épines). Carron retourna donc chez lui, passa une corde au cou de ses vaches et se rendit là où on lui avait commandé d'aller.


Carron se disait:

_ " Après tout mes vaches ont eu à manger et à boire aujourd'hui, tant pis si elles ne trouvent rien à manger dans le gouffre, et si je les surveille bien rien ne peut leur arriver." " Et peut être que demain, je trouverai une autre idée."

Il se dirigea donc vers le gouffre et s'arrêta tout au bord car malgré tout il avait un peu peur. prudemment il écarta quelques ronces et écarquilla les yeux: Au fond du gouffre il n'y avait plus de ronces, tout était nettoyé comme si quelqu'un avait tout nettoyé, au fond du ravin poussait une herbe tendre du plus beau vert que Carron avait jamais vu et au milieu du pré, près d'un rocher, jaillissait une source d'eau claire, claire et pure comme des larmes.

Carron conduisit ses vaches vers cette pâture, se désaltéra à la source bouillonnante, et s'allongea à l'ombre du rocher pour s'y reposer.

Le lendemain, Carron retourna vers le gouffre et fut tout réjoui de voir que cette belle pâture attendait encore ses vaches, toute l'herbe broutée la veille avait repoussé pendant la nuit. En fait, chaque matin, le gouffre de Gowan était aussi frais que si quelqu'un était venu l'arroser pendant la nuit. Les deux vaches de Carron donnaient tellement de lait que sa femme pouvait remplir tous les jours tous ses pots; toute la famille buvait en mangeait à sa faim, car il y avait tant de lait qu'on pouvait aussi faire du fromage et du beurre. Il y avait tellement de lait que Carron nourrissait non seulement sa famille, mais aussi tous les enfants du voisinage, et son beurre était si bon qu'il se vendait dans la grande vile voisine.

Mais au bout d'un moment, les voisins de Carron se mirent à envier sa bonne fortune. Bien sûr Carron leur rendait service en leur distribuant gratuite tout ce qu'il pouvait, mais ils commencèrent à le critiquer et à gronder.

_ "Carron, la misère nous ronge et toi et tes vaches êtes les plus heureux du monde. Cela ne peut plus durer. C'est vrai que tu nous rends service, mais tu gagne plein d'argent avec le beurre que tu vends à la ville, et nous aussi nous voulons des pièces d'or. Demain nous irons, nous aussi, avec nos vaches pour les faire pâturer dans le gouffre de Gowan qui n'est pas que pour toi."
Alors Carron les regarda attentivement l'un après l'autre et leur répondit d'une voix douce:
_ "Ne faites pas les imbéciles, j'ai à peine assez d'herbe pour nourrir mes deux vaches, jamais la prairie ne pourra nourrir toutes vos vaches. Si vous voulez je vais aussi partager l'argent avec vous".

Mais les voisins ne voulurent rien entendre, et le lendemain tous les hommes du village se rendirent avec leurs vaches vers le gouffre de Gowan. Il y avait là plus de vaches qu'au marché de Kinross. Mais au grand étonnement de tous, si les vaches de Carron continuaient à paître une belle herbe grasse et verte, les vaches des autres villageois n' arrivaient à rien trouver d'autre que du sable et des pierres. Elles n'arrivaient pas à découvrir le moindre brin d'herbe, ni à laper la moindre gorgée d'eau. El quand les paysans les ramenèrent au village le soir, ils ne purent en tirer la moindre goutte de lait.


Les voisins devenaient de plus en plus jaloux de Carron et parlaient même de le pendre malgré tous les services qu'il leur rendait. Mais heureusement pour Carron, un orage mit fin à cette sécheresse et la pluie arrosa la terre durant trois mois. Le pays reverdit tranquillement et les paysans reprirent leurs activités et leurs habitudes. Ils se conduisirent de nouveau bien avec Carron.


Ainsi, de jour en jour, Carron vécut-il de mieux en mieux, car avec la prospérité retrouvés, les paysans se mirent à réfléchir calmement et se rappeler que Carron les avait sauvés de la famine et qu'il leur avait donné de bons conseils. Il devint le sage du village, ses conseils étaient bien écoutés et pas seulement par ses voisins mais dans tous les environs.

Et depuis ce temps là, même par période de grande sécheresse, il reste toujours de l'herbe verte dans le gouffre de Gowan.

Carron : prénom peu commun employé en Écosse. Le fondateur du clan des Scrimgeour s'appelait Sir Alaexander Carron Scrimgeour
Il y a deux endroits en Écosse qui portent aussi ce nom : le 'Loch Carron près de Falkirk, et le 'Glen Carron' plus au Nord.