GIANT TOM 
et 
GIANT BLUBB

Armanel-conteur

Tous ceux qui connaissent un peu l’histoire galloise savent qu’autrefois, la Cornouailles faisait partie du Pays de Galles. Car avant que les Romains, puis les Saxons, n'envahissent la Grande-Bretagne, le peuple Gallois peuplait toute l'île de Grande Bretagne, au sud de l'Écosse.

Ils étaient le peuple britannique, et personne n’utilisait les nom saxon de « Pays de Galles », qui signifie terre étrangère, ou le mot « Gallois », qui désigne les étrangers, avant que ces hommes qui étaient en fait « les étrangers » arrivent en Grande-Bretagne.

De part ce fait des milliers d'« Anglais » en Cornouailles sont en fait gallois, par leur nom ou leur origine. Ils sont également gallois par leurs traits de caractère. Tout comme des dizaines de milliers de Gallois, parmi les premiers colons des colonies américaines, sont décrits comme étant des « Anglais ».

Des colons gallois se sont même intégrés dans des tribus d'Indiens. Le révérend Morgan Jones, capturé en 1669 par une tribu appelée les Doegs a été le premier à parler d'Indiens parlant gallois. Le chef l'avait épargné en entendant que le révérend Jones parlait gallois, langue qu'il comprenait. Le révérend Jones est resté quelques mois dans la tribu avant de retourner aux colonies anglaises où il a raconté son aventure en 1686.


Il y avait autrefois beaucoup de géants dans la Cornouailles. Certains de ces géants étaient bons, mais d’autres étaient mauvais. L’un d’eux, un brave géant, s’appelait Tom, et l’autre, un méchant, s’appelait Blubb. Ce Blubb avait eu vingt femmes et était très cruel. Personne n’a jamais su ce qu’étaient devenues les vingt jeunes filles qu’il avait épousées.

Blubb était beaucoup plus grand que la tour Eiffel à Paris. Il avait une tête et un estomac énorme , et ne pensait qu’à manger. Son crâne était aussi gros qu’un tonneau. Et la majorité des gallois pensait que la « grosse boîte » posée sur ses épaules était aussi creuse qu’une citrouille, et qu’une simple noix de coco aurait pu contenir tout son cerveau. Un jour, au cours d’un de ses combats avec un autre géant, il a reçu un terrible coup de massue de l’autre géant. Et le bruit qu'on avait entendu était exactement comme quand on frappe sur un tonneau vide.


Or, ce géant Blubb avait construit un puissant château entre une grande colline et une rivière. Sous le château il y avait des caves immenses remplies d’un trésors d'or, d'argent, de bijoux et de pierres précieuses. Il y avait aussi des cellules dans lesquelles il enfermait ses femmes après les avoir mariées. Les villageois pensaient qu’il les mangeait peu de temps après la lune de miel,.

Mais je dois avouer que le géant Blubb niait ces histoires et disait que c’étaient de simples rumeurs. Et il est certain que rien n’a jamais pu être prouvé contre lui.

Pour garder ses trésors souterrains, Blubb avait deux chiens énormes et féroces, que les gallois appelaient Catchem et Tearem. Mais ce n’était pas leurs vrais noms : Le nom qu'ils portaient était secret afin que personne ne puisse les amadouer. Car, en effet, si quelqu’un avait un morceau de viande prêt à leur jeter et connaissait leurs noms (qui étaient des mots de passe), pouvait les calmer et ensuite passer à côté d'eux pour récupérer le trésor.


Outre ces chiens, la seule chose vivante qui restait dans le château quand le géant Blubb sortait, c'était la dernière Mme Blubb. Elle craignait constamment pour sa vie, de peur que son gros mari ne la mange un jour. Car elle avait entendu dire que Blubb était un cannibale et qu'il considérait toutes les femmes comme des mets délicats.

Mais ce n’était pas tout : Si tout le pays haïssait ce géant cruel ce n'était pas uniquement à cause de son terrible appétit, c'était parce qu'il avait coupé la King's High Road (l’avenue royale). Car depuis l'époque du roi Lud, dont nous lisons le nom sur *Ludgate Hill, à Londres, cette grande route était gratuite pour tous. Elle traversait toute la Cornouailles, depuis Penzance, jusqu'à Londres et au-delà.

Lorsque le géant Blubb a voulu agrandir son château, il a fait construire les murs et les tours jusqu'au bord de la rivière ce qui fermait la grande route, obligeant les gens à faire un détour par la colline ou à prendre un bateau le long de la rivière. Ce détour demandait beaucoup de temps et d'efforts, et représentait un grand problème pour tout le monde.


Tout le monde a du se soumettre à cette situation jusqu'à ce la venue du Géant Tom, dont je vais vous parler. Son vrai nom était Rolling Stone, car il ne restait jamais longtemps au même endroit et aimait voyager.

Ce joyeux compagnon était très bon enfant et populaire, mais aussi très paresseux. Sa mère l'encourageait souvent à apprendre un métier. Elle avait beaucoup de mal à garder quoi que ce soit dans son garde-manger quand il était à la maison. Il mesurait un mètre vingt au garrot et à chaque repas il mangeait de quoi nourrir trois gros hommes. Mais comme il pouvait faire le travail de six hommes, quand il en avait envie - ce qui était souvent le cas - il était toujours le bienvenu.

Un jour, alors que dix hommes essayaient de toutes leurs forces de soulever une grosse bûche pour la poser sur une charrette, et n'y parvenaient pas, Tom est arrivé et leur dit de reculer. Puis il a hissé l'arbre sur la charrette, l'a attaché en place et a dit au charretier de continuer sa route. Alors ils l'ont tous acclamé et l'un d'eux a lancé en l’air sa casquette achetée à Monmouth en criant :

_« Hourra pour le géant Tom. C'est le type qu’il nous faut pour battre le géant Blubb. »

_ « C'est vrai ! C'est vrai ! » ont-ils tous crié en chœur.

_ « Qui est ce géant Blubb ? Où habite-t-il ? » a demandé Tom.

Ils lui ont raconté comment le gros tyran avait ruiné la King's Highway, en construisant un grand mur et une tour en travers de la route, pour la fermer, au grand dam de nombreux honnêtes gens.

_ « Ne vous inquiétez pas, les gars. Je m'occuperai de son cas », dit Tom. « Laissez-moi m'occuper de cette affaire et surtout n’en parlez pas au roi. »

Le lendemain Tom s’est rendu en ville et s’est fait embaucher par un brasseur de bière pour conduire le chariot. Puis il a demandé au patron de lui indiquer la route qui passait par le château du géant Blubb, sur l'ancienne route du roi.


Le maître de la brasserie avait deviné le projet de Tom. Il a cligné de l'œil et a dit :

_ "Allez-y, mon garçon. Je vous paierai le double de salaire si vous arrivez à rouvrir cette route .

Tom est parti. Il occupait toute la place sur le siège de la charrette, que deux hommes occupaient habituellement, et ne laissait pas beaucoup de place de chaque côté.


En faisant claquer son fouet, Tom a mis les quatre chevaux au galop, jusqu'à ce qu'il arrive devant la haute porte du géant Blubb.

Tom cria du plus profond de ses poumons :

_ "Ouvrez la porte et laissez-moi passer. C'est la route du Roi."

La seule réponse a été l'aboiement des chiens. Puis on a entendu un cliquetis de verrous, et les grandes portes se sont ouvertes toutes grandes.

_ "Qui es-tu, toi l'impudent ? Fais le tour de la colline, ou je te rosse", a grogné le géant Blubb, furieux.

_ "Tu ferais mieux d'économiser ton souffle pour refroidir ta bouillie, toi le grand vantard, et de sortir te battre", dit Tom.

_ "Se battre avec toi le pygmée ? Je vais juste prendre une matraque et te fouetter, comme je le ferais avec un petit garçon pas sage."

Alors le Géant Blubb est allé dans le bosquet voisin, tout en gardant un œil sur sa porte gardée par ses deux chiens monstrueux. Il a choisi un arbre de soixante mètre de haut, l'a arraché avec les racines, a arraché les branches et a épluché l’écorce pour en faire un fouet. Pendant ce temps, le Géant Tom a renversé le chariot, a pris l’essieu et une des roues. Puis, comme s'il était armé d'une lance et d'un bouclier, il s'est avancé vers le Géant Blubb en sifflotant.


Dans un accès de rage, le géant Blubb a levé sa crosse-arbre pour frapper, mais Tom a paré le coup avec son bouclier-roue. Puis il a frappé Blubb au ventre, avec l’essieu du chariot, si fort que le gros géant a glissé et a roulé dans la boue :

Se relevant, le géant Blubb, à moitié aveuglé par la rage, s’est précipité sur Tom, qui a planté l’essieu du chariot dans les entrailles de Blubb, et l’a renversé.

Mais Tom n'était pas cruel et n'avait aucune envie de tuer qui que ce soit. Il a donc jeté ses armes et il a arraché un ou deux mètres de gazon qu’il a roulé en boule pour faire un pansement capable de boucher le grand trou dans l'énorme corps du Géant Blubb.

Mais au lieu de remercier Tom, le Géant Blubb s’est précipité à nouveau sur lui. Il était trop en colère pour réfléchir calmement tandis que Tom, parfaitement calme, a fait un croche-pieds dans les jambes du monstre qu'il a renversé puis Tom lui a donné un autre coup de pied dans les fesses, ce qui a fait tomber le bouchon de gazon de la blessure.

Alors qu'il saignait à mort, Giant Blubb a fait signe à Tom de s'approcher, car il ne pouvait plus que murmurer.

_ « Tu m'as battu mais je t'aime bien. Ne crois pas que j'ai tué mes vingt femmes. Elles sont toutes mortes de mort naturelle. Mais appelle les chiens par leur nom, et ils te laisseront passer. Ensuite, tu trouveras dans mes coffres de l'or, de l'argent et des pierres précieuses. Prends-les mais fais moi un bel enterrement. C'est tout ce que je demande. »

Tom est devenu le propriétaire du château et de tous ses trésors. Il a ré-ouvert l’avenue du Roi. Il a prit soin de sa vieille mère, et épousé la vingt et unième femme du Géant Blubb, qui était désormais veuve, et a toujours été gentil avec les malades et les pauvres.

Cette histoire peut vous paraître étrange, mais sachez qu’aujourd'hui encore, on raconte en Cornouailles des histoires sur le grand gaillard qui a supprimé le péage du Géant Blubb.

Des siècles plus tard, les gallois ont gravé les mots suivants sur le tombeau du Géant Tom :

ICI REPOSE CELUI QUI A RE-OUVERT LA ROUTE


*(Ludgate Hill est une colline proche de l'ancienne Ludgate, une porte de la ville qui a été démolie avec sa prison en 1780. Site de la cathédrale Saint-Paul, c'est l'une des trois anciennes collines de Londres, les autres étant Tower Hill et Cornhill.)