Le Fantôme de l'Arbre
Irlande _ Mayo
Traduction : Armanel
Il était une fois un homme qui s'appelait Pâdîn Ruadh 0'CeaIlaigh et qui vivait au pied de la colline de Petit-Nêifin. Il était marié, et avait une fille, qui était aveugle de naissance. Les voisins la surnommaient: Nora Dall (Nora l'aveugle), et ils la craignaient car ils pensaient qu’elle pouvait voir les fées. Pâidîn n'avait qu’une toute petite ferme de deux acres de terre, et pour cette raison, il était très pauvre.
Comme
Pâdin avait le sommeil léger il sortait chaque nuit, qu'il fît
humide ou sec, froid ou chaud, il ne savait pas ce qui l'attirait
dehors, mais il était d'une nature remuante et il ne pouvait pas
rester chez lui. A cette époque, les gens croyaient que tous les
lutins et les fantômes sortaient la nuit d’Halloween pour
faire éclater les groseilles et les mûres, et les gens n'auraient
jamais mis la moindre mûre dans leur bouche cette nuit-là. Mais
Pâidîn n'avait peur de rien.
Une nuit d’Halloween, Pâidîn
sortit, comme il en avait l'habitude, et il marcha jusqu'à ce qu'il
arrive à la hauteur d'une vieille église. Dans le cimetière il y
avait un arbre immense. C’était une nuit de pleine lune et on
pouvait voir presque comme en plein jour. Arrivé près du cimetière,
Pâidîn leva les yeux et vit un homme grand qui se balançait dans
l’arbre. Tous les cheveux qu'il avait sur la tête se dressèrent
et une sueur froide commença à couler dans sa nuque; il ne pouvait
plus mettre un pied devant l'autre. Le fantôme sauta à terre,
s'arrêta devant Pâidîn et lui dit:
- N'aie pas peur de moi, je ne te ferai aucun mal. Je sais que tu es courageux et je vais te montrer les troupes des Leprechuns du Connaught et du Munster jouer à la balle sur le sommet de la colline de Grand-Nêifin.
Le fantôme saisit Pâidîn par les deux mains, le jeta sur son dos comme une femme jette un enfant d'un an, sauta sur l'arbre et chemina d'arbre en arbre jusqu'à ce qu'il arrive au sommet du Grand Nêifin ou il dépose Pâidîn doucement sur le sommet de la colline. La troupe des leprauchuns du Connaught et celle du Munster ne furent pas longues à arriver; elles se mirent à jouer à la balle en présence de Pâidîn et du fantôme, et jamais auparavant un humain n'avait vu une chose aussi amusante: Pâidîn riait tant qu'il pensa que son ventre allait éclater. À la fin de la partie, le roi de la troupe des fées du Connaught s'écria:
- Hé ! Fantôme des arbres, quelle troupe a gagné la partie ?
- La troupe du Connaught, dit le fantôme.
- Tu mens, dit le roi de la troupe des Leprauchuns du Munster, et nous allons nous battre plutôt que d'abandonner la partie aux gens du Connaught.
Les Lepraucuns commencèrent à se battre et ce n'était pas un combat pour rire qu'ils livrèrent, on brisa des crânes, des mains et des pieds et la colline fut rouge de sang. Le roi des leprauchuns du Munster jeta cria la fin de la partie, et dit:
- Paix, je vous cède la victoire cette fois-ci, mais nous combattrons de nouveau la nuit d’Halloween.
Alors le fantôme des arbres dit aux deux rois:
- Payez cet humain que j'ai amené ici, vous n'auriez pas pu jouer à la balle sans lui.
- Tu dis vrai, dit le roi de la troupe des leprauchuns du Connaught, et il tendit une bourse d'or à Pâidîn.
- Je ne serai pas moins généreux que lui, dit le roi de la troupe des Leprauchuns du Munster, et il lui tendit une autre bourse, et en un tour de main, les deux troupes disparurent.
Alors le fantôme lui dit :
- Te voila riche maintenant, y a-t-il quelque chose d’autre que tu désires?
- Oui, en vérité, il y en a une, dit Pâidîn : j'ai une fille qui est aveugle de naissance, et je voudrais bien qu'elle vît clair.
- Ii tu suis mon conseil, je te promets qu’elle verra clair avant que le soleil ne se couche demain soir, dit le fantôme. Il y a un petit buisson d’aubépine qui pousse sur la tombe de ta mère; prends-en une épine et enfonce-la dans la pustule qui est derrière la tête de ta fille, et elle verra aussi bien que toi; mais si jamais tu racontes ton secret à qui que ce soit, elle redeviendra aveugle comme avant. Et maintenant suis-moi, car je vais te montrer ma demeure avant que tu ne retournes chez toi.
Alors, le fantôme prit Pâidîn des deux mains, il le jeta sur son dos et il ne s'arrêta pas jusqu'à ce qu' il le dépose sous le grand arbre, dans le cimetière. Puis il saisit l'arbre, le souleva et dit :
- Suis-moi.
Pâidîn entra et le fantôme remit l'arbre en place derrière lui; ils descendirent un bel escalier et arrivèrent à une grande porte; Le fantôme ouvrit la porte et ils entrèrent. Quand Pâidîn regarda autour de lui, il vit beaucoup de gens du village qui étaient morts des années auparavant; quelques-uns souhaitèrent la bienvenue à Pâidîn et lui demandèrent quand il était mort :
- Je ne suis pas encore mort, dit Pâidîn.
- Tu plaisantes, dirent-ils, si tu n’es pas mort, tu ne peux pas être ici au milieu de la troupe des trépassés.
Le fantôme s'approcha, et dit:
- N’écoutes pas ces gens-là; tu as une longue vie heureuse devant toi; viens avec moi maintenant. Après, il sera temps pour toi de retourner chez toi. Voici un petit pot de terre, et chaque fois que tu auras besoin de nourriture, frappe trois coups sur le couvercle et dis : « Nourriture et boisson, et gens de service », et tu auras tout ce que tu désires, mais si tu t'en sépares, tu t'en repentiras. Voici aussi un petit sifflet, et, chaque fois que tu seras en détresse, souffle dedans, et tu seras secouru, mais ne t'en sépare jamais.
Là-dessus, le fantôme enleva Pâidîn. Puis il le laissa sur la route et lui dit:
- Ne raconte à personne aucune des choses que tu as vues cette nuit.
Pâidîn arriva chez lui, au lever du jour, et sa femme lui demanda où il avait passé la nuit.
- Je n'ai pas flâné, répondit Pâidîn.
Il déposa le petit pot et il dit :
- « nourriture et boisson »,
Mais Pâidîn avait oublié de frapper les trois sur le couvercle et il ne vint rien du tout; il se rappela alors, il frappa les trois coups et deux jeunes femmes sautèrent hors du pot, mirent la table, et dessus toutes sortes de choses à manger et à boire aussi bonnes que celles qui étaient sur la table du roi. Pâidîn et sa femme et Nora Dall mangèrent et burent bien leur content et quand ils eurent fini, les jeunes femmes entrèrent dans le pot et Pâidîn referma le couvercle. Alors Pâidîn dit à sa femme:
- Nôra ne sera pas longtemps aveugle, je vais la guérir sans retard, mais ne me demande aucun renseignements à ce sujet, car je ne puis pas t'en donner.
- Tu es en train de te moquer de moi, dit sa femme, elle est aveugle de naissance.
- Attends de voir, répondit Pâidîn.
Et le voilà sorti, et Pâidîn ne s'arrêta pas avant d’être arrivé au buisson d’aubépine qui poussait sur la tombe de sa mère; il trouva l'épine et revint à la maison. Puis Pâidîn s’approcha de Nôra, il enfonça l'épine dans la pustule et elle s'écria:
- Je vois tout!
La mère se frotta les mains de joie et dit à Pâidîn :
- Mon amour, tu es l'homme le meilleur qu'il y ait au monde.
Ensuite, Pâidîn frappa trois coups sur la pierre du petit pot et dit:
- «Nourriture et service ».
Ces mots n'étaient pas plus tôt sortis de sa bouche que les deux femmes sortirent du pot; mirent la table devant Pâidîn, et dessus, toutes sortes de choses meilleures que celles qui étaient sur la table du roi ; ils mangèrent et burent, lui, sa femme et Nôra, tout leur content, et, quand ils eurent fini, les jeunes femmes remirent tout dans le pot et y entrèrent elles mêmes et Pâidîn mit la pierre sur le pot.
Le bruit se répandit que Pâidîn avait beaucoup de richesses, et tout ce qu'il désirait. Les gens furent remplis d'envie, et se dirent les uns aux autres que ce n'était pas juste qu'il reste en vie, et ils formèrent un complot pour le tuer. Mais il y avait parmi eux un ami; c'était le frère de la femme de Pâidîn, et celui-ci le prévint. Aussitôt, Pâidîn mit le sifflet dans la bouche, souffla dedans et peu de temps après, il entendit murmurer à son oreille:
- Sors, et va cueillir les herbes qui sont au pied du mur dans ton jardin. Manges-en et donne le reste à ta femme et à ta fille, et chacun de vous aura autant de fois la force d'un homme qu'il y a de cheveux sur vos têtes. Avec le maillet qui est sur le mur de ta maison, tu pourras battre tout ce qu'il y a d'hommes dans le village.
Le lendemain matin, les hommes et les femmes du village vinrent pour tuer Pâidîn ; ils l'appelaient Fearsidh (homme-fée) et dirent que s'il ne sortait pas, ils brûleraient la maison par-dessus sa tête. Pâidîn vint à la porte, leur dit de s'en retourner chez eux car il n'avait fait de tort à aucun d'entre eux. Mais rien ne pouvait les satisfaire, sinon le meurtre de Pâidîn. Pâidîn saisit le maillet, sa femme un manche de bêche et sa fille un ribot de baratte et les voilà dehors, face à la troupe des villageois. Les gens qui étaient dehors autour de la maison les attaquèrent, mais Pâidîn ne fut pas long à les mettre en déroute; il en laissa la moitié étendus par terre, et ils ne lui causèrent pas d'autre désagrément à partir de ce jour.
Il y a un diction qui dit qu'une femme ne peut pas garder un secret, et ce dicton se vérifia peu de temps après; la femme de Pâidîn parla du petit pot à une autre femme; celle-ci le raconta à une autre, puis à une autre, de sorte que l'histoire passa de bouche en bouche jusqu'à ce qu'elle arrive aux oreilles du seigneur du village. Intrigué le seigneur vint trouver Pâidîn et lui dit:
- J'ai entendu dire que tu avais un pot merveilleux; montre le-moi.
Pâidîn lui montra le petit pot et alors le seigneur lui dit :
- Montre-moi le pouvoir qui est en lui.
Pâidîn frappa trois coups sur le couvercle du pot et dit:
- «Nourriture et service. »
Il n'avait pas plus tôt dit ces mots que les deux jeunes femmes sautèrent hors du pot et mirent la table avec de la nourriture et de la boisson dessus, devant Pâidîn et le seigneur.
- Incroyable, dit le seigneur, voilà un bon pot; il serait juste que tu me le prêtes un jour, car il y a beaucoup de gentilshommes qui doivent venir me rendre visite la semaine prochaine.
Pâidîn réfléchit à ce qu'il ferait, et enfin il dit:
- Le pot n'aurait aucune vertu si je n'étais pas présent.
- Tu peux venir, et tu seras le bienvenu, dit le seigneur, mais sois bien habillé.
- Je le serai, dit Pâidîn, car il était fier d'être parmi les gentilshommes.
- Lundi matin sois à ma maison, et ne manque pas à ta parole, dit le seigneur.
Le lendemain, Pâidîn acheta un vêtement neuf et brodé d’or et quand il l'eut mis, il avait si bon air qu'il s'en fallut de peu que sa femme et sa fille ne le reconnussent pas. Le lundi matin, il prit avec lui le petit pot et il alla à la maison du seigneur. Il y avait là une grande réunion de gentilshommes; le seigneur fit entrer Pâidîn et le petit pot dans le salon, et dit:
- Fais préparer de la nourriture et de la boisson que je voie s'il y en aura assez pour rassasier ces gentilshommes.
Pâidîn frappa trois coups sur la pierre du pot et dit:
- «Nourriture, boisson et gens de service.»
Sur-le-champ,
six jeunes femmes sautèrent ensemble hors du pot, elles dressèrent
une belle table, et dessus il y avait à boire et à manger toutes
sortes de choses meilleures les unes que les autres.
Le
seigneur invita alors les gentilshommes. Ils entrèrent tous et ils
furent remplis d'admiration quand ils virent la belle table et tout
ce qui était dessus. Les gentilshommes mangèrent et burent leur
content, mais bientôt, un sommeil lourd s'empara d'eux tous et quand
ils s'éveillèrent, le toit du château avait disparu sans qu'on sût
ce qu'il était devenu. Le petit pot, le sifflet et les deux bourses
d'or de Pâidîn avaient disparu, et il était aussi pauvre qu’il
ne l’avait jamais été.