Le diable de Kerascoet.
Bretagne _ Coat-Méal
Par Armanel_conteur
ONU jour, le bruit courut dans tout Coat-Méal que le manoir de Kerascoët était hante. Un diable, un lutin, un teuz, ou un fantôme, on ne je savais pas, mais il y avait quelqu'un ou quelque chose qui s'introduisait dans le manoir toutes les nuits et qui bouleversait les habitants du manoir.
Le marquis De La Calande qui habitait le manoir n'était pas très riche. Il vivait dans le manoir avec sa femme et ses ouvriers. Parmi ces ouvriers, il y avait un couple de valets. Le mari travaille les jardins du Marquis et sa femme s'occupaient de la cuisine et de l'entretien du manoir. Comme je vous l'ai dit, le Marquis De La Calande n'était pas très riche et le manoir n'avait pas beaucoup de bâtiments, donc le couple travaillait, vivait et dormait dans la cuisine, dans un Lit-clos posé près de la cheminée. Au dessus de la cuisine, il y avait un grenier dans lequel le Marquis faisait sécher son grain.
Depuis un moment, toutes les nuits, à minuit, on entendait marcher dans la pièce au dessus de la cuisine qui servait de grenier. Puis le diable, ou le fantôme, ouvrait la porte et descendait l'escalier, lentement, et on entendait le bruit de ses pas à chaque marche. Un bruit fort et sec, comme si le monstre marchait sur des sabots. Arrivé au bas de l'escalier, le visiteur montait sur le Banc-tossel et regardait à travers la porte du Lit-clos. Nos deux valets, blottis au fond du lit, ne bougeaient pas et étaient terrorisés par la présence inconnue et l’odeur pestilentielle qui émanait de l’individu. Ensuite, le diable descendait du Banc-tossel et faisait le tour de la table de la cuisine ou on l’entendait remuer les assiettes et les cocottes mémorables sur la table puis il remontait les escaliers, ouvrait la porte du grenier et marchait encore un petit moment dans le grenier, puis, plus rien. Il disparaissait.
Une nuit, le couple avait eu l'audace d'entrebâiller la porte du lit, et assurait avoir vu une forme couverte de longs poils noirs et qui portait une paire de cornes. Depuis ce jour, ils étaient en certains, c’était bien le diable qui venait visiter le manoir de Kerascoet tous les soirs. Le couple ouvert ne voulait plus dormir dans la cuisine et se rendait tous les soirs dans l'étable ou ils dormaient dans la paille parmi les vaches.
Le marquis De La Calande était bien embêté par cette situation. Il fût encore plus embarrassé quand le couple décide de le quitter. Et son embarras grandit encore plus quand il se rend compte qu'il ne pouvait plus garder de personnel au manoir. Tous les candidats au poste partaient au bout de quelques jours en jurant qu'ils ne reviendraient plus.
Un soir, à Tro-Glaz, une ferme des alentours, toute l’histoire fut racontée durant une veillée : Le manoir de Kerascoët, le marquis, le diable, et bien plus encore, car, c’est bien connu on ne parle bien que de ce que l’on ne connait pas. Il y avait là un jeune homme appelé Tugdual. Tugdual, qui était domestique dans la région, était assis au bas-bout de la table et comme il n’entendait pas grand-chose il se rattrapait en buvant du cidre. Le cidre lui avait un peu monté à la tête et tout à coup il s’est écrié :
- j’en ai marre d’entendre parler de cette histoire et toutes ces superstitions. J’aimerais bien savoir ce qui se passe vraiment dans ce manoir. Dès ce soir, je vais me rendre au manoir pour y coucher. Je verrai bien ce fameux diable et je me fais fait fort de le chasser du manoir afin de rendre service au Marquis De La Calande. Ce dernier saura sûrement me récompenser comme il faut.
Mais quand la veillée se termina et qu’il fallut rentrer chez soi, Tugdual se sentit tout à coup moins brave.et chercha un volontaire pour l’accompagner parmi tous les hommes présents. Les hommes étaient nombreux, mais aucun ne releva le défi. Ils savaient tous que la nuit appartient à des puissances étranges et dangereuses et qu’il ne fallait pas les défier. Et quand bien même, l’un d’entre eut accepté, sa femme l’aurait tout de suite découragé.
Il y avait là un autre valet, Fañch Manach, célibataire lui aussi, et qui avait aidé Tugdual à vider la cruche de cidre.
- Moi je suis d’accord d’y aller avec toi, avec mon Penn-baz, mais pas ce soir. Attendons samedi soir que j’ai terminé ma semaine. Et si le diable montre ses oreilles nous saurons le rosser comme il se doit.
Le samedi suivant, le Marquis De La Calande recevait les deux hommes dans la cuisine du manoir. Le feu pétillait dans la cheminée et pour la première fois de leur vie nos compères eurent le droit de s’asseoir au meilleures places, près de la chaleur de l’âtre, avec chacun un pichet de cidre en face de lui. La discussion s’engagea et l’on parla de météo, de saisons, de cultures, de bœufs, de cochons, des chevaux, mais surtout pas de diables, ni de fantômes. A onze heures, le marquis alla chercher un autre pichet de cidre, souhaita la bonne nuit à Tugdual et à Fañch Manach et alla se coucher, accompagné de sa femme. Tugdual et Fañch Manach restèrent seuls dans la cuisine.
Ils fumaient leur pipe en terre en silence et regardaient le feu crépiter et les flammèches danser sur les tisons. Dehors, le vent s’était levé, la pluie tombait avec fracas, et tout annonçait une tempête naissante au dessus du vieux manoir dont la charpente craquait comme un navire perdu en mer.
Un peu avant minuit, Fañch vida sa bolée et alla s’installer dans le Lit-clos dont il ferma la porte. Tugdual, lui s’empara de son Penn-baz et d’une chandelle et se glissa sous la table. Il ne fallait surtout pas effrayer le diable et l’empêcher de se manifester. Chacun dans sa cachette écoutait la grande horloge qui égrenait les secondes dans la cuisine silencieuse. Un grand coup de vent secoua le manoir et fit tomber quelques ardoises du toit, puis le silence retomba et Fañch commençait à s’endormir bien au chaud dans le lit clos. Tugdual, accroupi sous la table, sentait ses membres s’engourdir.
Tout à coup, les deux hommes dressèrent l’oreille, ils entendaient marcher dans la pièce au dessus de la cuisine. Fañch se recroquevilla dans le lit et Tugdual serra très fort son Penn-Baz. Là-haut, le diable semblait hésiter : il marchait de long en large en faisant des pauses comme s’il cherchait quelque chose, puis il se dirigea vers l’escalier. La porte s’ouvrit et nos deux compères purent entendre le bruit de ses sabots qui descendaient très lentement, avec précaution, l’escalier. Tugdual, caché sous la table, comptait, avec angoisse, les marches, sa gorge se rétracta et sa langue s’assécha, mais il ne bougea pas et n’appela pas Fañch. Arrivé dans la cuisine, le diable s’arrêta un moment, puis se dirigea vers le Lit-clos où se terrait Fañch. Le diable s’arrêta devant le Lit-clos et monta sur le Banc-tossel. Son regard brillait à travers les moulures de la porte et Fañch pouvait sentir l’odeur fétide de son haleine. Fañch crut que sa dernière heure était arrivée et, honteux, se rendit compte qu’il tremblait. De colère, il ouvrit la porte du lit et sauta à la gorge du diable qui lui soufflait au visage et lui lançait des coups de corne et de sabots, mais Fañch le ceinturait avec une force surhumaine décuplée par la frayeur de voir sa dernière heure arriver. Sentant qu’il ne tiendrait pas longtemps, il appela Tugdual à l’aide.
- A moi, Tugdual, je le tiens, viens avec ton Penn-Baz et fracasse lui les reins ! Il a des cornes sur la tête et des sabots à la place des pieds. Il est couvert de longs poils noirs et il sent comme un cadavre. C’est le diable, aide moi où il va m’emporter en enfer.
Tugdual alluma la chandelle et serrant son bâton dans sa main et se dirigea vers le lit. Arrivé face à la porte du lit, il vit une scène qu’il n’était pas près d’oublier. Sur la paillasse, Fañch luttait de toutes ses forces contre l’ennemi. Il avait réussi à immobiliser le monstre, le revenant, le diable qui faisait tant peur aux habitants de Kerascoët.
Et ce monstre hideux, aux longs poils noirs, aux pieds en forme de sabots, à l’odeur répugnante avec des cornes sur la tête ce n’était pas un diable. Cette chose qui se promenait toutes les nuits dans le grenier et qui descendaient ensuite dans la cuisine c'était un vieux bouc qui grimpait sur la réserve de bois, puis sauter par la mansarde qui permettait de monter les sacs de grains dans le grenier et qui descendait se régaler des miettes qui traînaient dans la cuisine.
Et voilà, comment fini l’histoire du diable de Kerascoët. Tout le contenu du monde fut ; Tugdual et Fañch avaient reçu une pièce d'or chacun, la marquis était débarrassé de son diable, les les villageois recommencèrent à venir travailler au manoir, le vieux bouc est devenu la mascotte de la petite cité et les conteurs eurent de quoi régaler leurs auditeurs lors des veillées, un peu comme moi ce soir.