Le coq de Commana
Armanel - Conteur
A Patrick
Nous sommes en 1350, le jour se termine et une équipe de maçons et de terrassiers vient de finir une dure journée de labeur. Ils viennent de creuser les fondations d’une église sur le plateau de Quillidiec, en Commana.
L’architecte est content du travail effectué et se réjouit d’avance à l’idée de voir bientôt son église sortir de terre.
L’architecte semble avoir raison de se frotter les mains, car une semaine plus tard, les maçons avaient déjà monté les murs de la future église sur une hauteur d’un mètre. L’édifice commence à prendre forme et tous les villageois se pressent sur le chantier pour y faire leurs commentaires, car, comme vous le savez peut-être, il y a en tout badaud un chef d’équipe qui sommeille.
Mais, au dixième matin, une grande surprise attend les maçons à leur arrivée sur le chantier : tout leur ouvrage est détruit, les murs sont à terre et personne ne sait à qui attribuer ce que l’on appelait le sabotage. Sous les injonctions de l’architecte le travail reprit, mais arrivé à un mètre de haut, les murs furent une nouvelle fois détruits et mis à terre. Une troisième fois, les murs furent relevés, mais une troisième fois, ils furent renversés durant la nuit.
Il semblait vraiment que la hauteur de un mètre était la hauteur maximale que l’on pouvait atteindre et qu’il était impossible de construire plus haut.
Cependant l’architecte opiniâtre, têtu diront certains, ne voulait pas baisser les bras. Il ordonna de remonter les murs une quatrième fois et quand la hauteur d’un mètre fut atteinte il demanda à une équipe de solides gaillards de passer la nuit sur le chantier. Les six hommes ont affirmé n’avoir pas fermé l’œil de la nuit et n’avoir rien vu ni entendu, mais au matin, l’ouvrage était encore à terre sans que l’on puisse savoir ce qui s’était passé.
Alors l’architecte commença à avoir peur. Il décida d’interrompre les travaux et demanda audience auprès des autorités religieuses qui lui avaient demandé de réaliser l’église. Monseigneur l’évêque de Saint Pol, vit dans ce signe un mauvais présage et ne voulut pas affronter les forces supérieures : Volonté divine ou méfait du démon ?
Il va sans dire que l’évêque convoqua le ban et l’arrière-ban de tout ce qui comptait comme autorités religieuses et, après bien des réunions et des tergiversations, il fut décidé de ne pas s’entêter et de construire l’église à un autre endroit plus accueillant. Mais une fois cette décision prise, nos prélats et leurs conseils ne purent se mettre d’accord sur le nouveau lieu où se dresserait le sanctuaire.
Dans un souci d’équité, on consulta alors les paroissiens. Mais si on avait pensé arriver à mettre tout le monde d’accord et tomber rapidement sur un consensus, ce fut le contraire qui se produisit : Dans ce pays près de la nature, c'est-à-dire souvent balayé par le vent et régulièrement arrosé par la pluie bienfaitrice, tout le monde voulait l’église près de chez lui afin que le rendez-vous dominical ne se transforme pas rapidement en une corvée. Devant l’impossibilité de mettre tout le monde d’accord, monseigneur l’évêque décida de reprendre une vieille tradition qui avait ses preuves à quimper et à Locronan : On attacha donc deux taureaux sauvages à un même timon de charrette et on les laissa divaguer là où ils voulaient. L’endroit où ils s’arrêteraient pour passer la nuit serait sanctifié par l’évêque et on y bâtirait l’église.
Dès qu’ils furent attelés les taureaux s’élancèrent dans une course folle à travers les landes et tourbières de Ty-Dour, Kerdilès et Rest-ar-Haro, puis ils escaladèrent la montagne par le flanc nord en traversant le Mougau, faisant trembler l’allée couverte qui s’y trouve, Roscoat, Kerfornédig, Linguinou, Kerbrézel, Kerouet et s’arrêtèrent finalement au sommet d’une large butte exposée à tous les vents. L’évêque et le conseil ecclésiastique prient alors deux décisions importantes : La première fût, bien entendu de construire l’église là où l’équipage s’était arrêté, la deuxième de se baser sur le chemin parcouru pendant la « Troménie » des deux taureaux pour délimiter la future paroisse.
L’architecte décida donc de se remettre au travail et convoqua ses équipes d’ouvriers qui commencèrent par creuser afin de bâtir les fondations. Alors que le tracé des fondations était presque terminé, une équipe tomba sur une pierre qui les empêchait de creuser. En s’y mettant à plusieurs, ils dégagèrent une grande pierre de granite taillée qui se révéla être une auge. Quand ils retournèrent l’auge, les ouvriers découvrirent une statue de Sainte Anne qui s’y reposait bien à l’abri sous son toit de pierre.
Les travaux s’arrêtèrent une fois de plus, le temps que l’on convoque l’évêque et qu’il se rende sur place. L’évêque y vit un bon présage et les travaux purent reprendre sur ses directives. Ce qui ne fut pas sans conséquences pour les ouvriers car il fallut recreuser les fondations afin que le chœur de la nouvelle église se trouve exactement au dessus de l’endroit où se trouvait l’auge.
Evidemment l’Evêque avait déclaré que Saint Anne « Anna » serait la patronne et protectrice de la nouvelle paroisse et que le souvenir de l’auge « Com » devait perdurer dans la mémoire des paroissiens et c’est ainsi que lors de l’inauguration de l’église, la paroisse fut baptisée Com-Anna qui devint rapidement COMANNA, jusqu’à ce qu’un secrétaire de mairie révolutionnaire ne la transforma, par ignorance ou par erreur en COMMANA.
_ « Tout cela c’est bien joli, mais le coq ? » me direz-vous si vous vous rappelez du titre de cette légende.
_ « Patience, patience ! Ecoutez la suite »
Pour l’instant, je ne vous ai parlé que de l’église.
Construire une église pour la vie paroissiale, c’est bien. Mais si l’église ne se voit pas de loin, cela ne sert à rien. Et puis, il faut un endroit pour poser les cloches. Bref il faut un clocher. Un clocher, mais attention, il faut qu’il soit digne de l’église et du site merveilleux dans lequel elle est bâtie. Digne de la sainte patronne. Digne de la paroisse. Et surtout digne des paroissiens.
Le conseil de fabrique décida de faire appel à une équipe de moines italiens experts dans l’art des monuments religieux. Ces moines bâtisseurs sillonnaient alors la Bretagne qui était en plein essor économique et s’arrêtaient là ou leur présence était nécessaire. Il n’était pas rare de les voir travailler sur deux ou trois sites voisins en même temps. Cela était pratique, car si les matériaux venaient à manquer sur un chantier, ils se déplaçaient de quelques kilomètres sur un chantier voisin, dans l’attente du réapprovisionnement du premier chantier. C’est ce qui se passa entre Com-Anna et la paroisse voisine de Plounéour-Ménez.
Il fallut 25 ans à Dom Romino Simoni, pour achever le clocher, en s’expliquant sur le chantier en employant un français hésitant parsemé de quelques mots de breton. Bien sûr, ce n’était pas un chef d’œuvre comme les clocher de Saint Pol de Léon, mais il s’élançait fièrement vers le firmament tout en étant assez solide pour résister aux assauts furieux du vent des monts d’Arrée.
_ « Tout cela c’est bien joli, mais le coq ? » me direz-vous encore une fois.
_ « Patience, patience ! On y arrive »
Donc nous avons une paroisse, une église et une grosse tour octogonale Il ne manque plus que le coq pour couronner le clocher en majesté. Et c’est là que l’histoire se termine, mais commence aussi vraiment, car nous allons y voir apparaître quelqu’un qu’on attendait pas : Le Diable.
Vous vous rappelez du début de la légende et des échecs successifs à Quillidiec ? Mais si : Les murs tombés trois fois arrivés à un mètre de haut. C’était l’œuvre du Diable, évidemment. Ne me dites pas que vous ne vous en étiez pas douté.
Mais revenons à nos moutons, ou plus précisément à notre coq.
Une fois le clocher fini, les ouvriers ont démonté l’échafaudage et sont partis vers un autre chantier, ailleurs, on ne sait où. Dom Romino avait assuré qu’il ferait venir le coq plus tard quand il serait forgé. Et il avait tenu parole. Un jour, on a vu arriver deux vieux moines qui portaient un coq superbe, grand, beau, neuf, brillant, étincelant même. Ce superbe coq surmontait une lourde croix en fer. Et il allait falloir le placer en haut du clocher, à soixante mètres de haut, mais sans l’aide de l’échafaudage qui avait été démonté. Et ce n’était pas une mince affaire car le coq et la croix pesaient largement plus de cinquante kilos et il fallait escalader le clocher, sans aucune sécurité. Les deux vieux moines portés leurs convictions (ne dit-on pas que la foi soulève les montagnes) s’élancèrent à l’assaut de ce petit Everest, et montèrent, montèrent… Mais malgré tous leurs efforts, l’âge étant là, les moines durent reconnaître que la tâche était au dessus de leurs forces.
On chercha donc des volontaires parmi les paroissiens, mais il fallait trouver quelqu’un qui ne soit pas sujet au vertige. Et si il y avait beaucoup d’hommes massés au pied de l’église pour encourager (et critiquer) nos deux moines, il y en eu pas un seul assez courageux pour s’emparer du coq et le hisser sur le nid qui l’attendait. El le coq finit par rester posé à terre contre le mur de l’église.
Le diable donc, qui regardait tout cela de loin, s’amusait beaucoup de la situation et criait déjà victoire. Vous pensez bien : Une église sans coq. Il allait pouvoir pavaner dans tout l’univers en disant que tout foutait le camp, que la religion n’était plus ce qu’elle était, …
C’est Alors que réapparut Dom Romigo Simoni, chevauchant son âne, car les deux vieux moines lui avaient fait leur rapport, et il ne pouvait pas laisser perdurer cette situation. Il y allait de sa réputation. Et tandis qu’il était au chevet de son coq, il aperçut le diable qui riait de bon cœur car ce dernier savait fort bien qu’il n’y avait que lui qui pourrait mettre fin à cette farce ridicule. Sans ses services : Pas de coq au clocher de Com-Anna. Et s’il voulait bien rendre ce petit service à Dom Romigo, il était aussi décidé à lui faire payer le prix fort. Malin et rusé comme seul le diable sait l’être, il attendit que Dom Romigo se rende au presbytère et aille se coucher. Et profitant de son sommeil il se rendit dans sa chambre où il le réveilla en sursaut espérant qu’ainsi il n’aurait pas tous ses esprits.
_ « Dom Romigo, si tu le veux, moi, ton ami, je peux t’aider à finir ton ouvrage dès demain matin, et ainsi ton œuvre éclatera à la face de Dieu et devant les paroissiens ébahis ».
Le moine à moitié réveillé était prêt à accepter l’offre de Polig, mais il savait aussi que ce dernier ne travaillait jamais gratuitement. Il lui demanda :
_ « Quel sera ton prix, pour ce travail ? »
_ « Rien de très important, tu es bien vieux maintenant et tu as beaucoup fait pour ton Dieu sur cette terre ; il ne t’en voudras pas si au terme d’une vie si exemplaire tu me vends ton âme » répondit le diable.
Le vieux moine à moitié réveillé réfléchit un moment et répondit :
_ « Tope-là. Donne moi un parchemin afin que nous puissions conclure notre accord ».
Tout guilleret le diable tendit le parchemin, une plume et de l’encre à Dom Romigo, et lui dit :
_ « Alors écrit : Je donnerai mon âme au diable pour avoir posé le coq sur le clocher de Com-Anna ».
Dom Romigo prit le matériel et écrivit : « Je donnerai mon âne au diable pour avoir posé le coq sur le clocher de Com-Anna ».
Tout heureux d’avoir récupéré une âme à si bon compte, le diable roula le parchemin sans penser à le relire, et sortit dans un grand éclat de rire.
Le lendemain matin, Dom Romigo escalada le clocher en tenant le coq d’une main et en s’accrochant aux aspérités ; Et pour midi tout était en place. Et c’est ovationné par le bourdon qui avait été mis en branle que Dom Romigo fit sa descente. Fut-il perturbé par le son des cloches ? Fut-il pressé de retrouver le plancher des vaches ? Nul ne le sait, mais toujours est-il qu’il lâcha prise et se retrouva à terre la nuque brisée.
Son âme quitta donc sa dépouille et se retrouva devant une décision importante : Quel chemin choisir. Monter vers le Paradis qu’il avait mérité au vu de sa vie pieuse ou se rendre directement en enfer à cause de son pacte avec le diable. Il se décida à aller voir Saint Pierre avec Polig qui n’arrêtait pas de lui coller aux basques et de rouspéter pendant tout le trajet. Quand l’âme de Dom Romigo frappa à la porte du paradis et que celle-ci s’ouvrit, Le diable s’écria :
_ « Vous ne pouvez pas l’accepter, il se trompe de porte, il m’a signé un contrat, son âme m’appartient. Et en voici la preuve ! »
Disant cela il brandissait fièrement le parchemin sur lequel le contrat était signé. Saint Pierre était bien embêté et demanda, aveg répugnance, à pouvoir lire le contrat des ses propres yeux. Et, après l’avoir déroulé, il lut ce qui était écrit : « Je donnerai mon âne au diable pour avoir posé le coq sur le clocher de Com-Anna ». Alors Saint Pierre répondit au diable :
_ « J’accueille ce jour Dom Romigo qui fut un bon chrétien et, conformément au contrat signé, je te laisse son âne ».
Dépité le diable est retourné sur terre et a décidé de se venger. Il s’est caché au fond des marais du Yeudig et sort régulièrement pour mélanger son haleine au souffle du vent des monts d’Arrée dan l’espoir de faire tomber ce fichu coq du clocher de l’église de Com-Anna.
Mais le coq tient bon perché à trois cent mètres de haut et s’enorgueillit tous les jours d’être le coq le plus haut perché du Finisitère.
Si le coq de Com-Anna est orgueilleux, il n’est peut être pas le seul et pendant très longtemps les paroissiens de Commana (ou Comanna) ont eut la réputation d’être un peu prétentieux, certains diront même hautains, car ils étaient persuadés d’avoir une place préparée spécialement pour eux au Paradis vu que leur coq de leur clocher a été et est peut-être toujours, le coq du Finistère le plus près du ciel, des étoiles et donc du Bon Dieu.