LE COMBAT DES TRENTE
par Armanel - conteur
Nous voici transportés dans un épisode vraiment surprenant de la guerre de Succession de Bretagne. Ce conflit âpre commença en 1341, au début de la guerre de Cent Ans quand le Duc Jean III mourut sans laisser aucun héritier.
Imprégnions nous bien des forces en présence:
_ Le frère du défunt duc, Guy de Penthièvre, mort dix ans plus tôt avait eu une fille, Jeanne, qui épousa, en 1337, Charles de Blois, neveu du Roi de France.
_ Jean de Montfort, demi-frère de Jean III, pouvait lui aussi prétendre au titre de Duc. Rejeté par le Roi de France, Jean de Montfort se rendit en Angleterre faire allégeance à Edouard III d'Angleterre qui lui, vise le trône de France.
_ Le parti de Blois est soutenu donc par la France, les grands seigneurs bretons, le haut-clergé, le pays Gallo et les principales villes du Trégor.
_ Le parti de Montfort, quant à lui, est soutenu par l’Angleterre, la petite noblesse, les recteurs du pays bretonnant et leurs paroissiens.
Charles de Blois prête hommage pour le duché au roi de France. La Bretagne va alors se diviser en deux, dans un conflit sanglant dont les principales victimes sont les gens du peuple, les paysans qui livrent de gré ou de force, les vivres et le fourrage nécessaires aux deux camps.
En 1351, Josselin (Morbihan) est aux mains de Jean de Beaumanoir, partisan de Charles de Blois tandis que Ploërmel est tenu par l'anglais Robert de Bramborough, partisan de la maison de Montfort.
Une trêve avait été signée entre les deux partis. Mais au mépris de cette convention les anglais rançonnaient et pillaient la Bretagne. Les paroisses qui ne pouvaient payer étaient détruites, incendiées et saccagées.
Autour de Ploërmel, sir Richard Bramborough, s'acharnait principalement sur les marchands et les laboureurs. Les champs et les routes se couvraient de cadavres. quantité d'enfants et de vieillards mouraient dans les cachots. Les populations affolées se réfugiaient dans les cités maudissant avec énergie les grands de ce monde: leur duc Charles, Edouard d'Angleterre et Jean, roi de France.
Beaumanoir, commandant de Josselin, désireux de faire cesser tous ces malheurs, se présenta, muni d’un sauf-conduit devant Bamborough, et lui prononça ce discours:
« Chevaliers d'Angleterre, je m'étonne fort que des hommes, vaillants comme vous l'êtes, fassent une guerre honteuse et cruelle, non pas aux gens qui portent les armes, mais aux marchands, aux laboureurs, aux hommes paisibles. Ce n'est pas coutume que les soldats soient employés à vexer et à ruiner le pauvre habitant qui sème le blé, qui nous procure le vin et qui nourrit le bestial ».
Ensuite une longue discussion s'ouvrit, le chevalier breton lança au chef anglais le défi suivant:
« Les Anglais sont sans doute des guerriers recommandables; mais à mon avis, ils sont loin de l'emporter sur les Bretons. A l'occasion je me fais fort de le leur apprendre par expérience ».
Et de s’écrier en s’adressant à Bramborough,
« Dieu soit Juge entre nous! Que chacun de nous choisisse trente à quarante champions pour soutenir sa cause. On verra de quel côté est le droit ».
Bamborough releva la provocation, et la date de la rencontre fut fixée le samedi 27 mars 1351, et le nombre des combattants de chaque camp fixé à 30. Dix chevaliers et vingt écuyers, tous Bretons, s'adjoignirent à Beaumanoir tandis que la troupe de Bamborough se composa de vingt Anglais, six Allemands et quatre Bretons.
Pour réunir sa troupe, Beaumanoir se tourna vers ses plus vaillants compagnons, ceux dont il était certain de ne pas recevoir de refus pour le périlleux honneur auquel il les conviait. Malheureusement, après avoir fait le tour de ses braves, il lui manquait cinq chevaliers. Et, par malchance, Bertrand Du Guesclin qui guerroyait du côté d'Avranches, pour le duc de Normandie, le futur roi de France Jean II le Bon, ne pouvait être du nombre .
Chevauchant sur la route d'Auray à Vannes, à la recherche de combattants, Jean de Beaumanoir près d'une petite chapelle édifiée en l'honneur de Sainte Anne. II s'y arrêta afin d'intercéder, par ses prières, l'aide de la sainte pour l'aider à trouver cinq preux et loyaux hommes d'armes. Alors, une voix se fit entendre dans son esprit.
« Va au manoir de Grandcamp. Tu y trouveras ce que tu cherches! »
Il se dirige, avec son escorte, vers le manoir qu'ils atteignirent dans la soirée. On y fêtait la naissance du septième enfant d'Alain de Kéranrais, capitaine aux gardes de Jeanne de Penthièvre. En l'honneur de sa visite, la dame de Kéranrais proposa de donner son prénom à l'enfant, et d'en faire son parrain.
« Dame, répondit le rude soldat, c'est pour moi un honneur, bien que je ne sois pas venu vous apporter de la joie en ce jour. Ce à quoi je viens convier votre époux lui procurera peut-être de la gloire, ou précipitera son trépas! »
« Monseigneur, répondit la fière Bretonne, mon mari m'a habituée aux grandes et belles actions. Il m'importe plus que vous nous apportiez de l'honneur, plutôt que de la joie. »
Alain de Kéranrais accepta évidemment de mettre son épée au service de Beaumanoir, ainsi que son oncle Olivier. Un autre chevalier de grand renom, Tristan de Pestivien, se trouvait également au manoir. Entendant Beaumanoir entretenir Alain et Olivier de Kéranrais d'un prochain combat contre les maudits Saxons, il s'avança et dit:
« S'il vous plaît, Messire Jean, que je sois votre homme en cette affaire, je pense pouvoir y tenir convenablement ma place et mon rang. J'y amènerai deux hardis compagnons, le seigneur Geoffroy de la Roche et le sire Hugues Capus, qui sont de ma famille. »
Après trois jours de préparation, le fameux combat peut enfin commencer, il se déroule près du "Chêne de Mi-Voie", sur la lande de la Croix-Helléan située à égale distance de Ploërmel et Josselin.
Les conditions de la lutte furent celles du « combat à volonté », c’est-à-dire que chacun des soixante champions eut toute liberté de se battre comme il lui plaisait, soit à pied, soit à cheval, avec les armes qu’il voulait, sans autre obligation que d’observer dans ce combat les règles de la loyauté chevaleresque. Toutes les armes de cette époque étaient autorisées, le règlement acceptait de combattre à cheval mais tous préfèrent lutter à pied.
Les combattants étaient armés à leur gré d'épées, de lances, de poignards et de fauchons, sabres courts et recourbés comme des cimeterres. L'un était muni d'un maillet d'acier du poids de 25 livres, l'autre se servait d'une faux tranchante d'un côté et garnie de crochets de fer de l'autre, ce qui convenait bien aux assauts au sol. La foule était nombreuse et se pressait pour assister à ce combat. Les distractions étaient rares et ce combat allait se révéler en être une de qualité.
Les deux chefs, avant le combat, haranguèrent leurs compagnons :
_ BEAUMANOIR : « Serrez-vous l'un près de l'autre comme vaillants et sages. Les Anglais veulent notre perte, montrez leur seulement votre fier visage, et malheur à Bamborough ! ».
_ BAMBOROUGH : « Nous tuerons ou prendrons Beaumanoir et tous ses compagnons. Nous amènerons ceux qui seront vivants à notre gentil Roi Edouard qui les traitera à son plaisir. La Bretagne et bientôt toute la France lui appartiendront... ».
L'Anglais cependant était beaucoup moins rassuré qu'il semblait le prétendre et, faisant signe à Beaumanoir, il lui proposa de remettre à plus tard la « journée », d'en référer à leurs souverains, « au noble Edouard comme au Roi de Saint-Denis ». Enfin, il fit appel au bon sens, « à la raison du chevalier breton ». « C'est pourtant grande folie d'exposer ainsi à la mort, la fleur du duché ! ». Les hommes de Beaumanoir, consultés, refusèrent d'ajourner l'affaire et leur chef donna le signal du combat : « De par le fils de Marie ! Bamborough vous mourrez ignominieusement avant l'heure de complies, ou vous et les vôtres, vous serez pris et garrottés. En avant, amis, et à l'épreuve ! ».
Alors on en vint aux mains. L'avantage fut d'abord du côté des Anglais. Après deux heures de lutte corps à corps dans une mêlée horrible, les deux partis accablés de fatigue se retirèrent d'un commun accord pour reprendre haleine et se rafraîchir. Deux chevaliers bretons étaient morts. Trois autres étaient prisonniers.
A la reprise Bamborough se jeta sur Beaumanoir, le frappa d'un coup qui l'étourdit et le saisissant au corps : « Rends-toi, cria-t-il, je ne te tuerai pas ; mais je te donnerai à ma mie à qui je t'ai promis en présent ».
— « Par Saint-Yves ! reprit le Breton, il n'en sera pas comme tu penses ! ».
Il allait pourtant succomber quand il fut sauvé par un de ses compagnons qui, après avoir blessé Bamborough d'un coup de lance, trancha la tête de l'Anglais.
« Beaumanoir est vengé ! » crièrent triomphalement les Bretons.
Après la mort de leur chef, les Anglais, un moment interdits, se reformèrent et le combat reprit avec violence. La chaleur était excessive et Beaumanoir blessé se sentant défaillir laissa échapper ce cri d'angoisse :
« A boire ! "
— "Bois ton sang, Beaumanoir, la soif te passera". lui répliqua un des chevaliers.
Cette phrase demeurera la devise des Beaumanoir.
Ce mot rendit au héros toute énergie et il fondit sur l'ennemi. Un instant après, les Bretons furieux pénétrèrent dans les rangs de leurs adversaires et ce ne fut plus qu'un ignoble massacre : tous les Anglais furent tués ou faits prisonniers.
le combat des trente
la manœuvre gagnante fut effectuée par Guillaume de Montauban qui s'éloigne de la zone de combat, saute sur le dos de son cheval, se précipite sur le rempart de piques anglaises, pendant que lui-même frappe sur les anglais à grands coups de lance. Cette tactique permit de renverser sept ennemis, puis revenant sur ses pas d'en écraser trois autres. Voyant cela, tous les bretons se précipitent dans la trouée pour se jeter sur leurs adversaires. Sous ce choc, quatre ou cinq des anglais sont tués, les autres sont faits prisonniers.
La bataille s'achèvera une fois la nuit tombée. La victoire est franco-bretonne avec semble-t-il cinq morts dont le chevalier contre une douzaine pour le camp ennemi dont leur chef Bamborough.
Ce combat épique n'eut qu'un infime impact sur la guerre de Cent Ans et celle de Succession de Bretagne puisque cette dernière ne se termina qu'au traité de Guérande en 1365, un an après la Bataille d'Auray. Le Combat des Trente fut plus une victoire morale pour le camp français après les nombreuses défaites enregistrés jusque là. Il est à noter que finalement la Bretagne redevint indépendante vers 1380, à la suite de la mort du roi Charles V, en contrepartie de quelques accords signés avec le royaume de France.
Malgré la "victoire" de Beaumanoir, la Bretagne de Jean IV s’est affranchie de son état de dépendance par rapport à la France. A la reprise des hostilités entre Valois et Plantagenêts, en 1369, le duc refuse de s’engager auprès de Charles V même s’il n’empêche pas les routiers bretons, en mal de rapines, de s’enrôler autour de du Guesclin, devenu connétable de France, puis d’Olivier de Clisson qui lui succède. Jusqu’à la fin du siècle, la position ducale reste une épine dans le pied des Valois et les gêne considérablement dans leur lutte contre les Anglais.
* NB : Pour certains historiens, la cruauté de Beaumanoir n'avait rien à envier à celle de Bamborough et le Combat des Trente n'est en fait, qu'une sorte de récréation dans cette guerre de position. Beaumanoir et Bamborough s’accordent pour organiser une fête macabre, un tournoi à outrance entre chevaliers pour "l’amour de leurs dames". Au départ, ceux de Josselin proposent seulement un duel entre deux ou trois combattants. Le capitaine anglais trouve cela un peu "léger" et se voit mieux à la tête de trente des siens pour en découdre sérieusement. On finit par se mettre d’accord sur un combat de trente contre trente, à cheval ou à pied, au choix de chacun : "allons en un beau champ, là où on ne nous puisse ni déranger ni empêcher. Et commandons sur la hart (sous peine de la corde) à nos compagnons d’une part et d’autre, et à tous ceux qui nous regarderont, que nul ne fasse aux combattants ni force ni aide." Ce type d’action était courant à l’époque : au printemps 1356, il y aura en Espagne (Tordesillas) un tournoi de 50 contre 50 dans la cadre du conflit entre Pierre le Cruel et Henri de Trastamare.
LES DIVERSES PHASES DU COMBAT DES TRENTE
Première phase
Après avoir parlementé quelque temps, les deux troupes reculèrent chacune de leur côté en se faisant face. Sur un signe, le premier choc entre les deux partis eu lieu. Ce fut une mêlée désordonnée. Dans cette mêlée, côté bretons, Jehan Rousselet, et un écuyer Geffroy Mellon furent tués. Even Charruel, Caro de Bodégat, tous deux chevaliers, ainsi qu’un écuyer, Tristan de Pestivien, furent blessés et faits prisonniers. D'où une notable infériorité des bretons réduits à 25 champions contre trente anglais.
Deuxième phase
Suite à une courte trêve, les deux partis sont de nouveau face à face. Indigné par les insultes de Bamborough envers Beaumanoir, l’écuyer Alain de Keranrais, lui crie « Comment, vil glouton, tu te flattes de faire prisonnier un homme comme Beaumanoir ! Eh bien, moi je te défie en son nom, tu vas sentir à l’instant la pointe de ma lance ». Il lui en porte en même temps un coup en plein visage, la lance pénètre sous le crâne. Bremborough s’abat lourdement. Pendant que les anglais se jettent sur Keranrais, le chef anglais d’un effort désespéré se relève et cherche son adversaire ; il trouve devant lui Geffroy du Boys, qui lui lance à son tour sa hache d’armes dans la poitrine. Bamborough tombe mort.
Cette mort imprévue jette une telle consternation dans les deux partis que la bataille s’interrompt quelques instants.
Troisième phase.
Crokart, de nationalité allemande, prendra le commandement des anglais. Il change la technique de combat « Tenez-vous estroitement serrés l’un contre l’autre » pour combattre. Par suite de cette manœuvre, le combat change de face. Jusqu’ici c’était une mêlée, une lutte par petits groupes, sans ordre ni plan. Désormais, c’est un combat régulier. Les 29 champions anglais, forment alors, une ligne de bataille impénétrable, contre laquelle les bretons se brisent en laissant de nombreux blessés. Beaumanoir décide alors d’attaquer en même temps de face et sur les deux extrémités. Dans cet assaut féroce, la bande de Crokart finit par céder ; quatre de ses champions (2 anglais, 1 allemand et le breton d’Ardaine) sont tués. Côté breton, Geffroy Poulart et Beaumanoir sont blessés. C’est alors que Geffroy du Boys lance à Beaumanoir assoiffé et affaibli par la perte de son sang, la fameuse apostrophe « Bois ton sang Beaumanoir, la soif te passera ».
Quatrième phase
Crokart voyant le défaut de sa première manœuvre, change de tactique. Il ordonne aux deux extrémités de sa ligne de bataille de se réunir en se recourbant l’une vers l’autre en faisant toujours face à l’ennemi. Guillaume de Montauban qui feint de quitter le combat saute alors sur le dos de son cheval, et le précipite sur le terrible rempart des piques anglaises, pendant que lui-même frappe sur les anglais à grands coups de lance. Manœuvre des plus téméraires, qui permit de renverser sept ennemis, puis revenant sur ses pas d’en écraser trois autres. Voyant cela, tous les bretons se précipitent dans la trouée pour se jeter sur leurs adversaires. Sous ce choc, quatre ou cinq des anglais sont tués, les autres sont faits prisonniers.
Les bretons dans cette journée ne perdirent, semble-t-il, que trois des leurs : le chevalier Jehan Rousselet, les écuyers Geffroy Mellon (ou Moëlon) et Geffroy Poulart. Du côté des Anglais, il y aurait eu, une douzaine de morts.
Pour en revenir à la Lande de Mi-Voie, le souvenir de la victoire française a, bien sûr, été gravé dans la pierre. La première croix qui fut élevée pour commémorer l’évènement connut bien des déboires et fut en particulier la cible des soldats républicains de 1793. On trouve encore, sur le terrain supposé de la joute, une ancienne croix qui porte une inscription en lettres gothiques et chiffres romains : "à la mémoire perpétuelle de la bataille des Trente que monseigneur le maréchal de Beaumanoir a gagné en ce lieu le 27 mars, l’an 1351" Au XIXème siècle, une fois terminés les temps troublés de la Chouannerie, le Conseil d’Arrondissement de Ploërmel voulut faire mieux. La chute de Napoléon entraînera des retards dans l’érection d’un monument à la hauteur de l’évènement. Ce n’est qu’n 1819 que la "pyramide" sera officiellement inaugurée. En fait de pyramide, il s’agit d’un obélisque en granit de 17 mètres de haut. On y a bien sûr apposé des inscriptions. Vous lirez ainsi sur la face est : "sous le règne de Louis XVIII, roi de France et de Navarre, le Conseil Général du Département du Morbihan a élevé ce monument à la gloire de trente Bretons". Sur la face opposé, ce texte est traduit en Breton. Sur la face sud, enfin, vient cette épigraphe à la gloire de notre bon roi Louis XVIII : "Vive le roi longtemps ! Les Bourbons toujours ! Ici, le 27 mars 1351, trente Bretons, dont les noms suivent, combattirent pour la défense du pauvre, du laboureur, de l’artisan, et vainquirent des étrangers que de funestes divisions avaient amenés sur le sol de la patrie. Postérité bretonne, imitez vos ancêtres". Ce jour là, les Anglais ont du beaucoup apprécier, eux que les nobles immigrés avaient à nouveau bien mis à contribution pour retrouver le trône !