Le
Champ de genêts
Proposé
par Lord Blackwood.
Traduit par Armanel _ conteur.
LES
LEPRECHAUNS sont des petits lutins joyeux, travailleurs et grincheux,
qui sont les cordonniers et les tailleurs des fées. On peut les
apercevoir au coucher du soleil sous une haie chantant et cousant.
Ils connaissent tous les secrets des trésors cachés, et si vous
arrivez à en attraper un il vous conduira à l'endroit où se trouve
le chaudron d'or caché d’une fée.
Mais
les Leprechauns peuvent être extrêmement méchants s’ils sont
offensés, et on doit toujours être très prudent avec eux, et
toujours les traiter avec grande civilité, sinon ils risquent de se
venger et ne jamais révéler le secret de l’or caché.
Leprechaun / Leprauchun, prononcer : Leith Brogan.
UN beau jour du mois d’août, alors
que tous les paysans du comté s’attelaient à leur récoltes, Tom
Fitzpatrick se promenait dans le pays et longeait le côté
ensoleillé d'une grande haie; quand tout à coup il entendit une
sorte de claquement un peu devant lui dans la haie.
_"Holà,"
se dit Tom, "mais c’est vraiment surprenant d'entendre un
tourne-pierres chanter si tard dans la saison !"
Alors
Tom continua, marchant sur la pointe des pieds pour essayer de voir
ce qui faisait le bruit. Alors qu’il avançait à pas de loup, le
bruit s'est arrêté. Tom s’arrêta lui aussi et regardait
attentivement à travers la haie, et il ne vit rien d’autre qu’un
pichet brun, qui pouvait contenir environ cinq litres. Regardant plus
attentivement, Tom vit aussi un tout petit vieillard, avec un petit
bicorne collé sur le dessus de sa tête, un tablier de cuir usé et
graisseux posé sur ses genoux. Le petit homme était assis sur un
tabouret en bois. Il a trempé une petite timbale dans le pichet,
l’en a ressortie pleine à ras bord, et l'a posée à côté du
tabouret. Puis il s’est mis à travailler pour mettre un talon sur
une chaussure de cuir juste fait pour lui.
_"Eh bien,"
se dit Tom, "j'ai souvent entendu parler des Leprauchuns, mais,
en vérité, je n'ai jamais vraiment cru qu’ils existaient vraiment
- mais en ce moment j’en voie un en chair et en os devant mes yeux.
Si je veux l’attraper il faut que je m’avance sans jamais
détourner mon regard, ni le lâcher des yeux, sinon il s'échappera.
Tom
avançait maintenant le plus lentement possible, l'œil fixé sur le
petit bonhomme comme un chat avec une souris. Et quand il s'est
approché tout près de lui, Tom a dit :
_"Que Dieu
bénisse votre travail, cher voisin".
Le petit homme leva
la tête, et dit :
_"Merci beaucoup".
_ «
Je me demande pourquoi tu travailles si tard ! dit Tom.
_"C'est
mon affaire, pas la tienne", répondit le petit homme.
_
"Eh bien, peut-être seriez-vous assez courtois pour me dire ce
que vous avez dans le pichet?" dit Tom.
_ "Pas de
problèmes, dit-il, c'est de la bonne bière."
_ "De
la bière!" dit Tom. "Tonnerre et feu ! Où
l'avez-vous obtenue ?"
_ "Où est-ce que je l'ai
eue ? Et pourquoi, ne l’aurais-je pas faite moi-même ? Et
avec quoi pensez-vous que je l'ai faite ?"
_ « Je
n’en sais rien », dit Tom ; avec du malt, je suppose ?
_ "Eh
non. Je l'ai faite avec de la bruyère."
_ "De bruyère
!" dit Tom en éclatant de rire ; « sûr vous me prenez pour un
imbécile. Je ne vous crois pas.
_
"Croyez ce que vous voulez", dit le vieil homme, "mais
ce que je vous dis est la vérité. N'avez-vous jamais entendu parler
des Danois."
_ "Pourquoi me parlez vous d’eux ?"
dit Tom.
_ "Parce que ce sont eux qui nous ont appris à
faire de la bière avec la lande, et le secret est transmis dans ma
famille depuis cette époque."
_ "Accepteriez-vous que
je goûte à un peu de votre bière de lande?" dit Tom.
_
"Je vais vous dire, jeune homme, ce qu’il serait plus
convenable pour vous de faire : vous occuper de la propriété
de votre père plutôt que d'embêter des gens honnêtes et
tranquilles avec vos questions stupides. En ce moment même, pendant
que vous perdez votre temps ici, il y a des vaches qui piétinent les
champs d'avoine et qui écrasent le blé partout."
Tom en
fut tellement surpris qu'il faillit se retourner lorsqu'il se rappela
qu’il ne devait pas quitter le leprauchun des yeux. Aussi,
craignant que ce dernier arrive à le piéger avec ses remarques
sournoises, il a attrapé le Leprauchun et l'a enfermé dans sa main;
mais, dans sa hâte, Tom renversa la cruche et toute la bière, de
sorte qu'il ne put y goûter pour dire si elle était faite avec du
malt ou de la bruyère. Il jura alors qu'il tuerait le petit homme
s'il ne lui montrait pas où était caché son trésor ( car les
leprauchuns possèdent tous un pot d’or) . Tom avait l'air si
méchant et si énervé que le petit homme était tout à fait
effrayé. Ausi dit-il,
_"Venez avec moi à quelques champs
de là, et je vous montrerai un pot d'or."
Ils
partirent donc, et Tom tenait fermement le Leprauchun dans sa main,
et ne le quittait jamais des yeux, bien qu'ils aient dû traverser
des haies et des fossés, et une grande étendue de tourbière,
jusqu'à ce qu'ils arrivent enfin à un grand champ rempli de genêts.
Le Leprauchun a montré un grand genêt, et a dit:
"Creusez
sous ce genêt, et vous trouverez le grand pot tout plein de pièces
d’or."
Tom n'avait pas pensé à apporter une bêche
avec lui, alors il se décida à courir chez lui pour en chercher une
; et, pour reconnaître l'endroit, il ôta une de ses bretelles
rouges et l'attacha autour du genêt.
Mais avant de partir, il
dit au Leprauchun :
_ « Jurez que vous n'enlèverez pas cette
bretelle à ce genêt.
Et le Leprauchun jura de ne pas y
toucher.
_ "Je suppose," dit le Leprauchun "que
vous n'avez plus besoin de moi ?"
_ "Non," dit
Tom; "vous pouvez partir maintenant, et que la bonne chance vous
accompagne partout où vous irez."
_ "Bien, au revoir
à vous, Tom Fitzpatrick", a dit le Leprauchun; "et que la
fortune vous accompagne quand vous l'obtiendrez."
Alors Tom
a couru à perdre haleine, jusqu'à ce qu'il arrive chez lui et a
pris une bêche. Puis il est reparti aussi vite qu'il le pouvait,
pour retourner au champ de genêts. Mais quand il est arrivé
là-bas ; pas un genêt dans le champs qui n'eût une bretelle
rouge, le même modèle que la sienne, nouée autour de lui. Et quant
à déterrer tout le champ, c'était un non-sens, car il y avait plus
de quarante bons acres irlandais dedans. Alors Tom revint à la
maison avec sa bêche sur l'épaule, un peu plus lentement qu'il n'y
était allé.
Et depuis, Tom ne pouvait s’empêcher de maudire le Leprauchun chaque fois qu'il pense au tour qu'il lui avait joué.