Le berger qui ne mentait jamais

Galice

Traduit par Armanel


Je vais vous raconter l’histoire d’un berger qui ne mentait jamais.


Il était une fois, un fermier qui possédait un grand troupeau de vaches. Pour s’en occuper, il avait engagé un vacher qui avait la réputation de dire toujours la vérité.

Un jour que le vacher était descendu de la montagne pour faire son ravitaillement, son maître lui demanda :

_Comment se portent les vaches que tu as sous ta garde ?

_Les unes sont grasses, mais d’autres sont efflanquées.

_Et comment se porte le puissant taureau dont je suis si fier?

_ Il est dodu et magnifique.

_Et qu’as-tu choisi comme pâturage ?

_Un pâturage bien vert par endroits mais un peu sec à d’autres.

_Et comment est l’eau des ruisseaux ?

_Trouble ici et claire ailleurs.


Un jour, le fermier se rendit au pâturage afin de voir son beau taureau dont il était si fier. En chemin, il rencontra un de ses amis qui allait, lui aussi, voir son troupeau. Comme ils se connaissaient bien, ils se saluèrent, parlèrent de la pluie et du beau temps, des récoltes et des troupeaux. Ils parlèrent aussi du vacher :

_Pourquoi appelle-t-on ton vacher, « l’homme qui ne ment jamais »?

_Parce qu’il n’a jamais dit un seul mensonge de toute sa vie.

_Moi, je te parie que je suis capable de lui en ferai dire un.

_ Mais non. C’est impossible.

_Es-tu prêt à soutenir le pari ? Que parions-nous ?

_ Comme le défi est grand, je pense qu’il faut une mise à la hauteur de l’enjeu : La moitié de chacune de nos fermes.

_ Oui, mais il faut aussi un terme à ce pari. Je te propose la fin des moissons .

_ Cela me convient parfaitement, et c’est l’esprit serein que je verrai les arbres rougeoyer.

_Pari conclu ! Prépares-toi à me céder la moitié de ta ferme.


Les deux hommes se séparèrent sur ces bonnes parole et dès lors, l’ami du fermier employa tous les moyens possibles et imaginables pour faire mentir le vacher. Il serait fastidieux de répertorier ici tous les tours et toutes les tentatives de l’ami de notre fermier. Je vais juste vous en rapporter un :

Un jour, l’ami du fermier alla chasser sur une colline que l’on pouvait observer du pâturage gardé par le vacher qui ne mentait jamais. Un jour que le vacher était descendu de la montagne pour faire son ravitaillement, son maître lui demanda, devant son ami :

_Quelqu’un est-il allé chasser dans la montagne dernièrement ?

_Je vais vous dire mon maître : là-bas, loin dans la prairie, j’ai vu quelqu’un ; un homme ou une femme .

_ Est-ce que cet homme ou cette femme était en train de chasser ?

_ Cet homme ou cette femme était monté sur un cheval ou sur une jument.

_ Est-ce que cet homme ou cette femme était en train de chasser ?

_ Cet homme ou cette femme avait une carabine ou un fusil en bandoulière.

_ Est-ce que cet homme ou cette femme était en train de chasser ?

_ Cet homme ou cette femme avait un chien ou une chienne

_ Est-ce que cet homme ou cette femme était en train de chasser ?

_ Le chien ou la chienne de cet homme ou cette femme courait après un renard ou une renarde.

_ Est-ce que cet homme ou cette femme était en train de chasser ?

_ Je pense donc, mais ce n’est pas garanti, que cet homme ou cette femme était en train de chasser

Notre fermier fut satisfait de cette réponse et son ami dépité jura de tout faire pour gagner son pari.


Les moisons s’étaient bien passées sous un soleil radieux et on approchait du jour où prenait fin le pari.

Un matin, la fille de l’ami parieur, demoiselle de vingt ans fort jolie, monta à cheval et, sans rien dire à son père, se rendit au pâturage où était le vacher.

La nuit tombée, la jeune fille revint chez elle et donna à son père le cœur du puissant taureau, enveloppé dans des feuilles de fougère.

Tout excité, l’ami vint dire au fermier que son vacher avait tué le puissant taureau.

Le lendemain, le vacher descendait de la montagne, mais son cœur était triste et son pas hésitant. Il planta son bâton de marche dans le sol, posa dessus sa cape et son chapeau afin de simuler la présence de son maître, et lui dit :

_Bâton, tu es désormais mon maître ; pose-moi des questions, afin que je puisse te répondre sans hésitation.

_ Vacher, peux-tu me dire comment se portent les vaches ?

_Les unes sont grasses, mais d’autres sont efflanquées.

_Et comment se porte le puissant taureau dont je suis si fier?

_ Il m’a chargé et afin de sauver ma vie j’ai dû le réduire au silence.


Puis le vacher saisit son bâton, le planta plus loin et répéta ses mêmes questions.

Tard dans la soirée, le vacher arriva à la maison de son maître, pendit son sac à un clou et s’assit près du feu qui brûlait dans l’âtre. On l’appela pour qu’il se rapproche de la grande table où étaient réunis le fermier, son ami et quelques hommes du voisinage.

En leur présence, le maître demande :

_Comment se portent les vaches que tu as sous ta garde ?

_Les unes sont grasses, mais d’autres sont efflanquées.

_Et comment se porte le puissant taureau dont je suis si fier?

Le vacher laissa retomber sa tête sur sa poitrine sans répondre.

Et le puissant taureau ? demanda à nouveau le fermier.

Le vacher releva la tête ; il dévisagea un à un les assistants et dit :

_ Pour les beaux yeux d’une brune et un corps harmonieux, Le fier taureau a perdu son cœur.

_Mais qui a bien pu tuer ce puissant taureau ?

_ Pour les beaux yeux d’une brune et un corps harmonieux, c’est moi qui ai tué le puissant taureau.


Après cette confession difficile à exprimer et à entendre, s on maître se leva d’un bond et s’écria :

_ Bravo ! Vive mon vacher ! Il a été honnête et encore une fois n’a pas menti ! Car la vache qui a mis au monde ce taureau en fera bien un nouveau dès cette année, tandis qu’une réputation perdue ne se retrouve jamais, et comme vous l’avez remarqué il n’a pas essayé de mentir..

Il le prit dans ses bras et l’embrassa.

L’ami de son maître, touché par cette marque d’amour du vacher pour la belle demoiselle, lui donna sa fille en mariage.