La révolte de Brénéol
Saint Pabu
Armanel - conteur


Une fois l'Armorique conquise, les Romains ne gardèrent pas beaucoup de troupes présentes dans ce qu'on appelle maintenant le Léon. D'autres régions leur avaient résisté davantage bien que les Armoricains du Nord-ouest les Osismes eussent participé à plusieurs révoltes. Les occupants avaient des régions plus turbulentes à surveiller et la garnison laissée en place au Castellum situé à Coat Méal était largement suffisante pour surveiller et assurer la sécurité sur la route allant de Brest à Tolente.

Vers le milieu du quatrième siècle après Jésus-Christ, les occupants apprirent que la grande cité d'Occismor accueillait par bateaux entiers des immigrants venus de l'autre côté de la Mer de Bretagne: Bretons, Gallois et Irlandais. Et les romains craignaient ces populations christianisées, mais guerrières. Les Romains prirent donc des précautions et achetèrent des espions pour empêcher toute rébellion et surveiller la population locale. De plus, afin d'éviter d'éventuels débarquements d'émigrants nombreux et hostiles, ils construisirent des camps retranchés.


L'un de ces camps se trouvait à Saint Pabu. Dans un premier temps, la présence romaine ne choqua personne. Les soldats représentaient l'autorité légale de la force occupante et les Armoricains qui avaient perdu l'habitude de se révolter, étaient bien obligés de s'accommoder de cette situation. Mais rapidement les choses s'envenimèrent. Les romains avaient besoin de main d'œuvre pour construire les camps et les fortifications, et il y eut de constantes réquisitions de vivres pour nourrir les troupes d'occupation.

Et puis les soldats se comportaient en pays conquis. si on refusait leurs avances, ils n'hésitaient pas à utiliser la force. Tout ce qu'il y avait de mieux dans la contrée fut destiné aux soldats des camps en construction. Les plus belles bêtes pour leur nourriture, les meilleurs chevaux pour leur armée et les jeunes femmes, célibataires ou non, consentantes ou non, pour occuper leurs longues soirées.

Ceux qui tentèrent de s'en plaindre furent poursuivis pour trahison par l'autorité du camp. Un régime de terreur finit par être instauré.


Cependant l'autorité de Rome approchait de sa fin. Les armoricains savaient que partout ailleurs des complots et des insurrections se préparaient. Aussi à Saint-Pabu et dans les environs quelques chefs de clan décidèrent d'aller dans le sens de l'histoire. Dans un premier temps la prudence imposa le secret. Six chefs de clan se réunirent. Après avoir discuté et pris leurs décisions, l'un d'entre eux, nommé Brénéol, fut élu chef de la conspiration au vu de sa sagacité, son intelligence et son énergie.
Il créa une base militaire secrète pour l'entrainement des troupes et imposa à tous les conspirateurs le secret le plus absolu. Il fit rassembler les armes disponibles et en fit fabriquer d'autres. En quelques mois, une milice secrète était formée et prête à se battre. Les chefs des groupes en préparation dans la région fixèrent l'insurrection à la fin du mois de septembre.

Fin août on entendit une nouvelle qui se répandit dans la contrée comme une trainée de poudre et intriguait tout le monde. Un homme, un peu druide, un peu sorcier, qu'on appelait Sorser on Tarraod ("Le Sorcier de la falaise") avait réussi, disait on, à enflammer de l'eau. Ce Sorser on Tarraod était bien connu de tout le monde. Il faisait office de médecin, de rebouteux et de vétérinaire et avait quelques talents en la matière. Homme craint et respecté de tous ,il ne refusaitait jamais ses services.
Tout le monde dans le village savait qu'il avait été réquisitionné par les Romains du camp. En effet si le camp était dans une excellente position défensive, il présentait un inconvénient majeur: En cas de siège, la garnison serait vite dans une situation difficile car elle dépendait de points extérieurs éloignés pour son approvisionnement en eau.
Sorser on Tarraod étant également sourcier, le commandant du camp lui demanda de chercher une source à proximité. Mais il n'aimait pas les Romains. Leur présence lui était de plus en plus insupportable, mais il trouvait plus sage de dissimuler son opposition. Il chercha, ou fit semblant de chercher, et déclara qu'il ne trouvait rien.


Mais cette histoire d'eau à laquelle on racontait qu'il était capable de mettre le feu intriguait même si elle rencontrait le scepticisme. On savait que le sorcier était avide de connaissances, mais aussi un peu fier de sa personne et qu'il aimait bien faire parler de lui. Lorsqu'un des lieutenants de Brénéol lui rapporta cette vantardise en se moquant du "Sorcier", Brénéol, perplexe, réfléchit. D'ailleurs, la troupe des résistants étant enfin prête, il se posait beaucoup de questions car il connaissait bien les forces du camp ennemi. Cela lui était très facile car presque tous les hommes valides du pays avaient travaillé au terrassement du camp. Ils avaient pu compter les soldats et évaluer leur armement.

Bien sûr, Brénéol avait bon espoir de vaincre, mais la réussite de son entreprise nécessitait que les autres camps romains soient attaqués simultanément et rendus incapables de se prêter main-forte. Si les jeunes résistants croyaient à la déroute obligée des soldats romains, Brénéol n'était pas aussi naïf qu'eux. Bien sûr, il entretenait l'enthousiasme de ses troupes mais il savait que nombre d'entre eux laisseraient leur vie dans la bataille. Cette perspective ne le réjouissait guère. Brénéol n'était pas un guerrier de métier et ses hommes ne venaient pas de loin. Ce n'étaient pas des mercenaires déracinés, mais des parents des voisins, des amis. Sans parler des conséquences pour le reste de la population si la révolte échouait.


En hon stratège ayant le temps de se préparer, d'étudier le terrain, et conscient de l'état des forces, il se posait une autre question. S'il se battait au grand jour face à une armée organisée, les gaulois qu'il commandait couraient droit à leur perte. Et si les troupes des autres chefs de clan étaient indisciplinées, la victoire provisoire qui semblait réalisable ne serait pas suffisante pour libérer toute la région. Une nuit, il se décida donc à aller parler en secret avec Sorser an Torraod. Peut-être que celui-ci aurait une meilleure solution que l'attaque frontale. Et les ragots à son propos méritaient un examen plus approfondi.

Le lendemain matin, Sorser an Tarraod se rendit au camp romain et demanda à voir le commandant.

"L'autre jour je n'ai malheureusement pas pu trouver d'eau sur place, mais depuis j'ai réfléchi à votre problème et étudié le terrain. En utilisant la pente naturelle, il suffît de creuser et d'installer des canalisations pour faire venir ici de l'eau de différentes sources qui ne sont pas très loin d'ici et donc faciles à défendre".

Le commandant intéressé accepta aussitôt. Il remercia le sorcier et lui confia la direction des travaux. On mit à sa disposition des équipes nombreuses de gaulois réquisitionnés pour défricher et creuser, puis on fit venir une grande quantité de tuiles pour faire les canalisations.

Lorsque la population vit que c'était Sorser an Tarraod qui dirigeait les travaux d'adduction d'eau pour les Romains, ils furent scandalisés et commencèrent à devenir menaçants. Le commandant proposa au sorcier de le protéger mais il déclina leur aide car il savait que si on le maudissait, on le craignait encore plus.

Les résistants voulaient tuer le traître et saboter les travaux car un approvisionnement en eau renforcerait considérablement la garnison et permettrait de transformer le camp de Saint-Pabu en vrai camp retranché.

Brénéol se trouvait dans une position délicate. Il mit les autres chefs et leurs lieutenants au courant de ses palabres avec le sorcier, en leur demandant le secret absolu. Ayant obtenu leur accord on proclama qu'il ne fallait en aucun cas s'attaquer au sorcier ou à ses chantiers. Une obéissance aveugle était exigée de tous et tout manquement à cette règle serait suivi de mort.

Donc très rapidement Sorser on Tarraod était devenu un collaborateur aux yeux de tous ses compatriotes non avertis. Ce rejet de sa personne par les gaulois du village était une excellente couverture qui acheva de tromper les Romains sur les intentions véritables du patriote.


Quand les aqueducs étaient presque achevés, l'armée rebelle fut convoquée, une nuit, en grand secret. Par petits groupes, les hommes se rendaient par des itinéraires discrets et aves beaucoup de précautions à un endroit secret. Là ils remplissaient d'eau des grosses jarres et les apportaient à plusieurs emplacements pour les y dissimuler avec soin.

Durant ces rotations, les gaulois ne tardèrent pas à remarquer que leurs chefs obéissaient à un homme vêtu de vêtements sombres et dont le visage était masqué. On procéda ainsi plusieurs nuits de suite. Au final. il y eut des dizaines de jarres dans plusieurs cachettes.


Le commandant du camp, averti de l'achèvement proche des travaux avait décidé d'inaugurer le système d'adduction en grande pompe le premier octobre. Il avait invité les officiers des camps des alentours pour un banquet. Ce jour là, Sorser on Tarraod déclara:

"A sept heures du soir l'eau coulera à flot jusqu'au camp".

Pourtant à sept heures rien ne se passa. Une heure plus tard, le commandant furieux et inquiet, envoya un escadron de vingt cavaliers voir ce qui se passait. Peu après un seul cavalier revint à bride abattue. Il annonça la capture des autres par des insurgés nombreux. Aussitôt, les officiers invités du commandant décidèrent d'envoyer des troupes délivrer leurs dix­neuf camarades. En même temps on mit le camp en état d'alerte et de défense maximum.

C'est alors que la colline parut s'embraser dans la nuit. Les romains virent un véritable incendie s'approcher du camp. Tous les soldats disponibles se ruèrent sur les récipients. Ceux qui sortaient se heurtèrent à un groupe de gaulois fortement armés. A ce moment. sur un rocher élevé Brénéol fît un grand signe avec une torche. Et c'est de tous les points de départ des canalisations que Les torrents d'eau enflammée descendirent vers le camp romain.

La panique fut totale. Ceux qui ne furent pas tués en cherchant à se sauver furent brulés vifs. Dès le lendemain le camp était entièrement détruit.

Après la victoire, l'armée se réunit. Devant les regards ébahis. Brénéol fit venir près de lui l'homme masqué aux vêtements sombres qui était l'organisateur de l'opération. Quand il enleva son masque tout le monde reconnut Sorser on Tarraod.

Quand le pays retrouva sa liberté en chassant l'occupant romain hors d'Armorique, Sorser on Tarraod refusa de divulguer son secret. Il se doutait que certains l'utiliseraient à leur profit personnel au détriment des autres, voire pour leur ôter la vie. Il mourut avec son secret.