La Princesse Blandine
Plouguernevel
Armanel - conteur
Il
était une fois, un seigneur très riche qui avait trois fils. L’aîné
s’appelait Cado, le benjamin, Meliaw, et le cadet, Tujen.
Un
jour qu’ils partirent à la chasse, les trois fils rencontrèrent
une petite vieille, qu’ils ne connaissaient pas et qui portait sur
sa tête une cruche pleine d’eau, puisée à la fontaine.
—
« Seriez-vous capables, » demanda Cado à ses frères,
« de briser, d’un coup de flèche, la cruche de cette petite
vieille, sans toucher celle-ci ? »
— « Nous ne
voulons pas essayer, » répondirent Meliaw et Tujen, « de
peur de faire du mal à la vieille femme ».
— « Eh
bien, moi, je le ferai ; vous allez voir ».
Cado banda
son arc et visa. La flèche partit et brisa la cruche. L’eau
mouilla la petite vieille, qui se fâcha et dit au tireur :
—
« Tu es méchant, Cado, et je vais te punir de ta méchanceté
! A partir d’aujourd’hui, tu trembleras de tous tes membres,
comme les feuilles d’un tremble, agitées par le vent du nord, et
cela, jusqu’à ce que tu trouves la princesse Blandine ».
Et,
aussitôt, Cado fut pris d’un tremblement généralisé.
Les
trois frères revinrent à la maison et racontèrent ce qui leur
était arrivé à leur père.
— « Hélas ! Mon pauvre
Cado, tu as vraiment été très méchant », dit le vieux
seigneur à son fils aîné. « Il te faudra, maintenant,
voyager jusqu’à ce que tu trouves la princesse Blandine, comme l’a
dit cette fée déguisée en petite vieille. Car il semble qu’il
n’y a que la princesse Blandine qui puisse te guérir. Je ne sais
pas dans quel pays elle habite, mais, je vais te donner une lettre
pour mon frère l’ermite, qui vit au milieu d’une forêt, à plus
de vingt lieues d’ici, peut-être qu’il pourra t’aider dans ta
quête ».
Cado prit la lettre et se mit en route.
Il
marcha, marcha, marcha et, à force de mettre un pied devant l’autre,
il arriva devant la cabane de son oncle l’ermite. Le vieillard
était agenouillé sur le seuil de sa cabane, construite à l’angle
de deux rochers. Cado s’avança vers lui et dit :
—
« Bonjour, mon oncle l’ermite ».
— « Tu
m’appelles ton oncle, mon enfant ? »
— « Lisez
cette lettre de mon père, vous saurez qui je suis et vous connaîtrez
le motif de ma visite. »
L’ermite prit la lettre, la
lut, puis il dit :
— « C’est vrai, tu es bien mon
neveu. Mais ? Hélas ! Mon pauvre enfant, tu es loin d’être au
terme de ton voyage et de tes peines. Ecoute, je vais consulter mes
livres, pour voir ce que je peux faire pour toi. En attendant, comme
tu dois avoir faim, grignote ce croûton de pain, qui est, depuis
vingt ans, ma seule nourriture. Quand j’ai faim, je le grignote un
peu, et pourtant il ne diminue jamais ».
Et Cado se mit à grignoter le vieux croûton, qui était dur comme la pierre, pendant que l’ermite consultait ses livres. Mais, ce dernier eut beau les feuilleter toute la nuit, il n’y trouva rien concernant la princesse Blandine.
Le
lendemain matin, il dit à son neveu :
— « Je ne peux
rien pour toi, mais voici une lettre pour un frère ermite que j’ai,
dans une autre forêt, à vingt lieues d’ici. Il commande sur tous
les oiseaux, et peut-être pourra-t-il te donner quelque bonne
indication, car, pour moi, ma science ni mes livres ne me disent rien
de la princesse Blandine. Voici aussi une boule en ivoire, qui
roulera d’elle-même devant toi ; tu n’auras qu’à la suivre,
et elle te conduira jusqu’à l’ermitage de mon frère ».
Cado
prit la lettre et la boule d’ivoire. Il posa celle-ci à terre, et
elle roula d’elle-même devant lui. Il la suivit. Au coucher du
soleil, il était à la porte de la cabane de branchages et de joncs
des marais du second ermite.
— « Bonjour, mon oncle »,
lui dit-il, en l’abordant.
— « Ton oncle ? »
répondit le vieillard.
— « Oui ; lisez cette lettre, et
vous saurez qui je suis et pourquoi je viens vers vous ».
L’ermite
prit la lettre, la lut, puis il dit ;
_
« Oui, c’est vrai, tu es bien mon neveu. Et tu cherches la
princesse Blandine, mon enfant ? »
— « Oui, mon
oncle ; voyez dans quel état je suis ! Et mon père m’a dit que
seule la princesse Blandine peut me guérir. Mais, ni mon père, ni
mon autre oncle l’ermite n’ont pu me dire où je pourrai la
trouver ».
— « Moi non plus, je ne peux te le
dire. Mais, tous les oiseaux m’obéissent : je vais souffler dans
mon sifflet d’argent, et aussitôt tu les verras arriver, de tous
les côtés, grands et petits, et peut-être que l’un d’entre eux
pourra nous donner des nouvelles de la princesse Blandine ».
Le
vieillard siffla dans son sifflet d’argent, et aussitôt des nuages
d’oiseaux de tonte dimension et de toute couleur s’abattirent sur
la forêt, en poussant toutes sortes de cris. Le ciel en était
obscurci, L’ermite les appela tous par leurs noms, les après les
autres, et leur demanda s’ils n’avaient pas vu la princesse
Blandine lors de leurs voyages. Aucun d’eux ne l’avait jamais
vue, ni n’en avait même entendu parler.
Tous
les oiseaux avaient répondu à l’appel, excepté l’aigle.
—
« Où donc est resté l’aigle ? » demanda l’ermite.
Et il souffla plus fort dans son sifflet.
L’aigle
arriva aussitôt, de mauvaise humeur, et dit :
— « Pourquoi
me faites-vous venir ici, pour mourir de faim, alors que j’étais
si bien là où je me trouvais ? »
— « Où
étais-tu donc? »
— « J’étais au château de la
princesse Blandine, où je ne manquais de rien, car il y a en
permanence fêtes et en festins ».
— « Ne crains
rien, tu es libre d’y retourner, mais à condition d’y porter
mon neveu que voici sur ton dos ».
— « Je le veux
bien, si tu me donnes à manger, tant que je veux ».
—
« Rassure-toi; on te fournira de la nourriture à souhait,
glouton que tu es ».
L’ermite alla alors trouver le
seigneur d’un château voisin, et lui demanda de lui tuer un de ses
meilleurs bœuf, et de le faire apporter dans sa cabane, dépecé par
morceaux ; Le seigneur s’empressa de donner des ordres pour
satisfaire l’ermite, et le bœuf, dépecé en morceaux, fut porté
à la cabane de l’ermite. On chargea la viande sur le dos de
l’aigle, Cado s’assit par dessus, et les voilà partis au dessus
du bois.
Tout
en fendant l’air, l’oiseau donnait ses instructions à Cado ; il
lui dit :
— « Quand nous arriverons près du château,
qui est dans une île, au milieu de la mer, tu verras une fontaine.
Au-dessus de cette fontaine, il y a un bel arbre dont les branches la
recouvrent. A l’heure de midi, la princesse vient, tous les jours,
avec sa femme de chambre, se reposer à l’ombre de l’arbre, et
peigner ses cheveux blonds, en se mirant dans l’eau de la fontaine.
Tu t’avanceras vers elle, sans crainte. Dès qu’elle te verra,
elle te reconnaîtra et te fera bon accueil. Elle te donnera un pot
de crème dont tu te frotteras les membres et qui te guérira de ton
sort, puis tu lui proposeras de l’enlever et de l’épouser, pour
la remercier du service qu’elle t’aura rendu. Elle acceptera. Tu
m’appelleras alors, et vous monterez sur mon dos tous les deux,
puis nous partirons aussitôt. Le père de la princesse, qui est un
grand magicien, se mettra bien sûr à notre poursuite ; mais, il
sera trop tard ».
L’aigle,
épuisé par la longueur du voyage, demandait souvent à manger :
—
« Donne-moi à manger, car je faiblis ».
Et Cado lui donnait de la viande de bœuf, et ils avançaient encore. Ils planèrent longtemps au-dessus de la mer, ne voyant que le ciel et l’eau. Enfin, ils arrivèrent à l’île de la princesse Blandine. L’aigle s’abattit sur un rocher du rivage.
Cado descendit du dos de
l’aigle, et, ayant fait quelques pas, il aperçut un bel arbre dont
les branches s’allongeaient au-dessus d’une fontaine. Il ne vit
personne sous l’arbre, mais, il n’était pas encore midi. Cado se
cacha derrière un buisson et vit bientôt arriver une princesse,
belle comme le jour, et qui avait de longs cheveux blonds qui lui
descendaient jusqu’aux mollets, comme une cape vivante et soyeuse.
Elle était accompagnée d’une suivante, qui était aussi d’une
grande beauté. Elles se dirigèrent toutes les deux vers l’arbre,
et la princesse se mit à peigner ses beaux cheveux, en se mirant
dans l’eau de la fontaine. Cado sortit alors de derrière son
buisson ; il s’avança jusqu’au bord de la fontaine, et la
princesse, ayant aperçu son ombre, se détourna vers lui et s’écria
:
—
« Ah ! Mon pauvre Cado, c’est donc toi ? Dans quel état t’as
mis la mauvaise fée ! Mais, garde courage, mon ami, moi, je te
rendrai la santé, malgré elle ».
Alors, la princesse et
sa suivante se mirent à cueillir des herbes et des fleurs autour de
la fontaine, puis elles en firent une pommade.
—
« Frotte-toi tous les
membres avec cette pommade, et demain tu seras guéri ; ensuite nous
verrons ce qu’il y aura à faire ».
— « Ah ! Si
vous me guérissez de ce mal affreux, princesse, je vous prouverai ma
reconnaissance, en vous emmenant d’ici, si vous consentez à me
suivre, et en vous épousant ».
— « Je ne demande
pas mieux, car je voudrais bien quitter cette île, et voir du
pays ».
Cado
prit la pommade, s’en frotta tout le corps, plusieurs fois, et, le
lendemain, il était guéri ; ses membres ne tremblaient
plus.
La princesse dit alors à Cado :
—
« Nous partirons,
demain, à midi pile, pendant que mon père dormira ; il fait une
sieste, tous les jours à midi. Nous monterons tous les trois sur
l’aigle, toi, moi et ma suivante. A son réveil, mon père
s’apercevra de ma fuite et il filera aussitôt à son écurie,
montera sur son dromadaire, qui est plus rapide que le vent, et se
mettra à notre poursuite. Mais, comme nous aurons une bonne avance
sur lui, il ne pourra pas nous atteindre. Attends-nous là, sous
l’arbre, jusqu’à demain matin. Nous deux, nous allons rentrer au
château, pour y passer la nuit. Nous ferons aussi tuer et dépecer
un bœuf, pour avoir assez de viande à donner à manger à
l’aigle ».
La princesse et sa suivante rentrèrent donc
au château, et Cado passa la nuit sous l’arbre, au bord de la
fontaine.
Le lendemain, à midi précis, les deux femmes vinrent
le rejoindre. Il appela son aigle, qui arriva aussitôt. On commença
par placer sur son dos le bœuf dépecé, puis ils montèrent tous
les trois dessus, et l’oiseau s’éleva en l’air, assez
péniblement, car il était fort chargé.
Quand
le vieux magicien se réveilla, il appela sa fille. Mais, il eut beau
appeler, sa fille ne lui répondait pas. II se leva alors, très en
colère, consulta ses livres, et y vit que la princesse et sa
suivante avaient quitté le château avec un aventurier. Il courut à
son écurie, monta sur son dromadaire, qui faisait sept lieues à
l’heure, et se mit à leur poursuite. Pendant ce temps l’aigle,
trop chargé, commençait à s’affaiblir, et il n’allait plus
aussi vite. La princesse Blandine était inquiète, et elle regardait
souvent en arrière pour voir si son père approchait. Elle le vit
venir, furieux, et, comme l’aigle passait en ce moment au-dessus
d’un fleuve, elle dit :
— « Je vais jeter un peu de ma
pommade dans le fleuve, et aussitôt l’eau gonflera et débordera
comme la mer, et mon père ne pourra pas aller plus loin ».
La
princesse Blandine jeta un peu de sa pommade dans le fleuve, et
aussitôt l’eau gonfla, et comme du lait sur le feu, elle déborda
au loin. Le vieux magicien était arrêté et ne pouvant aller plus
loin. Il écumait de rage. Mais, que faire ? Il se mit à boire de
l’eau, dans l’espoir de dessécher le lit du fleuve. Il en but
tant et tant, qu’il en mourut.
Plus
tard, l’aigle avant épuisé toute la provision de viande,
faiblissait et menaçait de jeter à bas Cado et ses deux
compagnes.
—« Donne-moi à manger ! » Criait-il à
Cado.
— « Il n’y a plus rien, ma pauvre bête »,
lui répondait Cado, « mais, prends courage, nous
approchons ».
— « Donne-moi à manger, ou je vous
laisse tomber à terre ».
Alors Cado coupa une de ses
fesses, et la donna à l’aigle.
— « C’est bon »,
dit-il, « mais, c’est bien peu de chose ».
Et, un
instant après, il disait encore :
— « Donne-moi à
manger, je n’en peux plus ».
— « Je n’ai plus
rien, ma pauvre bête. Du courage ! Encore quelques coups d’ailes
et nous seront arrivés ».
—« Donne-moi à
manger, te dis-je, ou je vous jette à bas ».
Et Cado
coupa son autre fesse, et la donna à l’aigle. Puis, il coupa, l’un
après l’autre, ses deux mollets, et les lui donna également.
Il
était plus que temps qu’ils arrivent à la cabane de l’ermite,
car le pauvre aigle n’en pouvait plus, et Cado lui-même était si
faible, qu’il paraissait sur le point de mourir. Mais, dès qu’ils
touchèrent terre, la princesse le frictionna avec des herbes qu’elle
cueillit dans le bois où ils descendirent, et aussitôt ses fesses,
ses mollets et ses forces lui revinrent.
Ils passèrent la nuit,
tous les trois, dans la cabane de l’ermite, partagèrent son frugal
repas, et se couchèrent sur un lit de mousse et de feuilles sèches,
ramassées dans le bois. Le lendemain matin, ils se mirent en route,
après avoir fait leurs adieux au vieux solitaire. Ce dernier leur
dit qu’il espérait les revoir, un jour, au paradis, et remit à
Cado une lettre pour son père.
Ils arrivèrent ensuite à la
cabane de l’autre ermite, passèrent aussi la nuit avec lui, et le
lendemain matin, au moment du départ, le vieillard remit également
une lettre à Cado, pour son père.
Cado approchait du château
de son père, avec ses deux jeunes compagnes. Comme ils passaient par
un bois, la princesse lui dit, en lui présentant une bague qu’elle
avait au doigt :
—
« Je te donne cette
bague sertie d’un diamant, il faut la porter à ton doigt et ne
jamais t’en séparer ni la donner à qui que ce soit, sinon, tu
perdras le souvenir de moi, comme si tu ne m’avais jamais vue. Je
vais bâtir un château en cet endroit, et j’y resterai avec ma
suivante, jusqu’à ce que soit arrivé le moment où nous devons
nous marier. Alors, tu viendras me chercher ici, avec ton
père ».
Cado prit la bague, la mit à son doigt et promit
de ne jamais la donner à personne. Puis, ne pouvant décider la
princesse à l’accompagner, il se dirigea seul vers le château de
son père. Quand il arriva, tout le monde fut heureux de le voir
revenir, complètement guéri.
— « Et la princesse
Blandine », lui demanda son père, « tu ne l’as donc
pas trouvée ? »
— « Elle est restée dans un
bois, à quelque distance d’ici, et elle dit qu’elle ne viendra à
votre château que lorsque vous irez vous-même la chercher avec moi,
dans un beau carrosse. »
Aussitôt, le vieux seigneur
donna l’ordre d’atteler ses deux meilleurs chevaux à son plus
beau carrosse, pour aller chercher la princesse Blandine.
Pendant
ce temps, la sœur de Cado lui dit :
—
« Allons un peu nous
promener dans le jardin, mon frère, pour voir les belles fleurs
qu’on a planté, depuis ton départ. Quand le carrosse sera attelé,
on nous appellera ».
Cado alla voir le jardin avec sa
sœur. Alors qu’il cueillait une fleur, elle remarqua son diamant à
son doigt, désira aussitôt le posséder et conçut le projet de
l’enlever à son frère, sans qu’il s’en aperçût. Elle
l’entraîna près d’une fontaine, et ils s’assirent tous les
deux sur le gazon, parmi les herbes et les fleurs. Cado était
fatigué, et il appuya sa tête sur les genoux de sa sœur et ne
tarda pas à s’endormir. La jeune fille profita de son
assoupissement pour lui enlever sa bague et la passer à son propre
doigt.
Un moment après, le vieux seigneur vint avertir Cado que
le carrosse était prêt.
— « Hein ? » dit Cado en
se frottant les yeux.
— « Partons, sans perdre de
temps ».
— « Partir… partir où ? »
—«
Mais, tu sais bien où ; pour aller chercher la princesse
Blandine ».
— « La princesse Blandine ?… C’est
qui la princesse Blandine ? »
— « Est-ce que tu
dors ? Secoue-toi et partons vite, car la princesse pourrait
s’impatienter à nous attendre. »
— « Mais
quelle princesse, mon père ? »
— « Allons, ne
fais pas ainsi l’ignorant, et allons vite chercher la princesse
Blandine. »
— « je ne sais pas de qui vous voulez
parler, mon père ; je ne connais pas la princesse Blandine ».
Et
comme il paraissait parler sérieusement et avec sincérité, le
vieux seigneur s’écria avec douleur :
— « Hélas ! Mon pauvre fils a perdu l’esprit ! Il a eu tant à souffrir, dans son voyage ! Ah ! Je suis bien malheureux ! »
Et on détela le carrosse.
Cependant,
Cado ne donnait aucun signe de folie et paraissait jouir de toute son
intelligence ; ce n’est que lorsqu’on lui parlait de son voyage
et de la princesse Blandine qu’il ne comprenait rien ; et,
pourtant, il en avait un souvenir vague et confus, comme un rêve que
l’on cherche à se rappeler et qui reste toujours enveloppé de
nuages et de brouillards.
Les trois frères recommencèrent à
chasser dans le bois, comme avant, et Cado était toujours le plus
habile tireur et abattait à lui seul autant de gibier que les deux
autres ensemble. Un jour, ils pénétrèrent plus avant dans les bois
que d’habitude, et ils se trouvèrent devant le château que la
princesse Blandine avait construit grâce à ses pouvoirs magiques.
Ils furent très étonnés de voir un si beau château, et ils
restèrent longtemps à le contempler, en silence.
— « Quel
beau château ! » se disaient-ils. « Mais, comment se
trouve-t-il là ? Nous avons passé par ici, maintes fois, et nous
n’avions rien vu de pareil, jusqu’aujourd’hui. Et qui peut
habiter là-dedans ? Un magicien, peut-être ? »
Enfin,
après avoir longtemps admiré le château merveilleux, ils se
décidèrent d’y pénétrer, sous prétexte de demander du lait ou
du cidre à boire, ou de demander leur chemin, comme des gens égarés.
Ils frappèrent à la porte qui s’ouvrit aussitôt. La princesse
Blandine vint elle-même les recevoir, dans la cour, et elle les pria
d’entrer dans son palais, dont elle leur fit les honneurs. Cado ne
la reconnaissait pas ; elle le reconnut, dès qu’elle le vit, mais
ne le laissa pas paraître. Les trois frères étaient charmés de la
beauté et de l’amabilité de la châtelaine. Celle-ci les invita à
souper avec elle et à passer la nuit dans son château, et ils
acceptèrent. Le repas fut plein de gaieté. Meliaw avait
constamment les yeux sur la princesse, et il dit tout bas à Cado,
qui était près de lui :
— « Je suis amoureux de notre
hôtesse ».
— « Fais-lui un brin de cour, pour
voir », répondit Cado.
Après le repas, Meliaw fit part
à la princesse de ses sentiments pour elle, et elle sembla l’écouter
sans déplaisir, si bien qu’elle lui dit :
_
« Je vous ferai coucher dans une chambre à côté de la
mienne, et, quand vos frères dormiront, vous viendrez tout doucement
me rejoindre ».
Meliaw était au comble du bonheur. A
minuit, quand chacun dormait dans son lit, il se leva et alla tout
doucement frapper à la porte de la princesse. Celle-ci lui ouvrit,
et le reçut avec toutes les amabilités possibles. Elle lui donna
une chemise fraîche, qu’elle le pria de mettre, avant de se
coucher. Meliaw s’empressa de changer de chemise ; mais, comme il
passait celle que la princesse lui avait donnée, il la sentit qui
devenait dure et froide comme de la glace, et, toute la nuit, il
resta ainsi, les bras tendus dans la chemise raide comme une pierre.
Il avait beau supplier la princesse de venir à son aide, celle-ci ne
répondait pas et le laissait crier. Il resta dans cet état toute la
nuit. Quand le soleil se leva, sa chemise s’assouplit ; il put
alors s’en débarrasser, et aussitôt il s’enfuit et courut
rejoindre ses frères.
— « Eh bien, es-tu content de ta
nuit ? » Lui demanda Cado.
Il leur raconta son aventure,
sans rien oublier. Et les deux autres frères étaient morts de rire,
je vous prie de le croire.
Les trois frères se dirent alors :
—« Nous sommes chez une magicienne, et il est plus prudent de partir au plus vite ».
Et
ils partirent, sans prendre congé de leur hôtesse. Quand ils
arrivèrent à la maison, leur père, qui était inquiet de voir
qu’ils n’étaient pas rentrés à la nuit, selon leur habitude,
leur demanda :
— « Où donc avez-vous passé la nuit,
mes enfants ? »
Et ils racontèrent tout à leur père, et
ajoutèrent :
— « C’est qu’il y a là bas un beau
château, père ! Et une belle princesse ! »
Le vieux
seigneur pensa aussitôt que c’était le château de la princesse
Blandine, et il se promit d’éclaircir la chose, mais, il n’en
dit rien à ses enfants.
Quelques jours plus tard, Cado voulut
se marier avec la princesse Brunette qu’il avait aimée avant son
voyage. Sa demande fut acceptée par son père qui donna son
consentement, et le jour des noces fut fixé. On invita tous les
habitants du pays, riches et pauvres, à prendre part aux festins et
aux réjouissances qui devaient avoir lieu, à cette occasion. Yvon
dit à son père:
— « Je pense que nous devons aussi
inviter aussi la belle princesse qui nous a si gracieusement reçus
dans son palais ».
— « Tu as raison, mon fils »,
répondit-il, « j’irai moi-même l’inviter, et tu viendras
avec moi ».
Le vieux seigneur et son plus jeune fils
partirent donc, un beau matin, dans un superbe carrosse, pour inviter
la châtelaine de la forêt. Ils arrivèrent au château merveilleux,
et furent reçus on ne peut mieux. Le vieillard resta ébahi et sans
voix, quand il vit la princesse, tant il la trouva belle. Enfin,
quand il put parler, il lui dit :
—
« Je suis venu,
incomparable princesse, vous prier de me faire l’honneur de vouloir
bien assister aux noces de mon fils aîné, qui se marie dans huit
jours à la princesse Brunette ».
— « J’accepte
avec le plus grand plaisir, répondit la princesse, et j’arriverai
au jour fixé ».
— « Je vous enverrai mon carrosse
pour vous prendre », reprit le père.
— « Ne vous
donnez pas cette peine, seigneur, car j’ai aussi mon carrosse,
comme vous le verrez ».
Le vieux seigneur était
émerveillé, ébloui par la beauté de la princesse, et il ne
pouvait détacher d’elle ses regards. Yvon l’admirait aussi, et
ne disait mot. Ils s’en retournèrent à la maison, silencieux, en
rêvant d’elle, tous les deux.
Le jour de la cérémonie, tous
les invités étaient venus, dans leurs plus beaux habits de gala,
excepté la châtelaine du bois. Cado s’impatientait, et ne voulait
pas attendre davantage ; mais, son père dit qu’on ne commencerait
que lorsque la princesse inconnue serait arrivée. Enfin, elle arriva
aussi, dans un carrosse tout doré, si brillant qu’on ne pouvait
pas le regarder, et attelé de quatre chevaux auprès desquels tous
les autres qui se trouvaient là n’étaient que de vraies rosses.
Elle était toute couverte d’or, de soie et de diamants, et ses
cheveux blonds, luisants eux-mêmes comme l’or, descendaient
jusqu’à terre, derrière elle. Toutes les femmes qui étaient là
en rageaient de dépit. La sœur du fiancé, qui avait à son doigt
le diamant de son frère, en était toute fière et glorieuse.
On
se rendit à l’église, en grande pompe, et le soleil lui-même
pâlissait devant la princesse Blandine. On n’était occupé que
d’elle, et la jeune fiancée, belle et gracieuse aussi, en était
grandement dépitée.
Au retour de l’église, on se mit à
table. Un festin magnifique. Quelque convive s’aventura, poussé
par sa femme, à adresser la parole à l’inconnue, et lui dit :
—
« Vous n’êtes sans doute pas du pays, belle princesse
! »
—« Non », répondit-elle, « je
viens de bien loin d’ici ».
— « Et vous n’êtes
pas mariée ? »
—« Non, je ne suis pas mariée ;
j’ai bien été fiancée, mais, on m’a manqué de parole. »
Cado
était près d’elle à table, et, remarquant le beau diamant
qu’elle avait au doigt, il lui dit :
—« Quel
magnifique diamant que vous avez là, princesse ! »
—
« Oui », répondit-elle, « c’est un beau
diamant ». Et, tirant la bague de son doigt, elle la présenta
au nouveau marié, en lui disant :
— « Essayez-le ; je
crois qu’il vous ira parfaitement ».
Cado prit la bague,
la mit à son doigt, et aussitôt, comme s’il se fût réveillé
d’un long sommeil, il reconnut la princesse et se rappela tout ce
qui s’était passé.
— « Holà ! s’écria-t-il
alors, au lieu d’une femme, voici que j’en ai deux, à présent !
Mais, la première est la plus près de mon cœur ! »
Et
il donna la main à l’inconnue, au grand étonnement de tous les
convives, on alla de nouveau à l’église, où Cado fut marié une
seconde fois, dans le même jour. Quant à la princesse Brunette, son
frère Meliaw l’épousa aussi, pour ne pas la laisser sans époux,
dès le premier jour de ses noces.
Tujen aussi s’éprit d’amour
pour la suivante de la princesse Blandine, et l’on fit les trois
noces à la fois.
Et il y eut des festins magnifiques, des
danses et des fêtes, pendant un mois entier.