La pomme d'or

Cornouailles 

Collecté et traduit par Armanel

Le roi Barmot était un homme prévoyant et il aimait par-dessus tout entendre des histoires et des aventures provenant des contrées lointaines qu’il avait très envie de visiter. Les marins des pays et contrées environnants s’étaient donné le mot et désormais nul ne pouvait ignorer qu’il trouverait un accueil des plus chaleureux à la cour du roi Barmot s’il apportait avec lui soit une histoire nouvelle et  merveilleuse, soit un objet inconnu de tous et provenant d’une de ces contrées lointaines.

Par un beau soir d’été, alors que le soleil tardait à se coucher et faisait admirer sa robe pourpre jusqu’aux confins de l’horizon, juste avant que les violents orages d’automne ne mettent fin à la saison de pêche, un coureur des mers accosta et se rendit à la cour du roi Barmot. Là, il offrit au roi quelque chose emballé dans un sac de cuir épais. Bien que l’objet fût petit, il était très lourd. Le roi Barmot fut très intrigué de l’aspect de ce cadeau, mais, comme à son habitude, il attendit que tous ses courtisans se soient retirés afin d’être seul quand il examinerait l’objet.

Tard dans la soirée, si ce n’est au milieu de la nuit, le roi Barmot se retira dans ses appartements. Là, un petit feu brulait gaillardement dans la grande cheminée, sous une grande et lourde table de chêne un chien de chasse dormait, et une chandelle en cire d’abeille répandait son arôme de miel dans la pièce. A peine arrivé dans la pièce, le roi Barmot plaça le sac de cuir au milieu de la table, mais avant de l’ouvrir il se pencha sous la table afin de caresser les oreilles de son chien qui se retourna sur le dos et grogna de plaisir. Puis le roi s’assit devant le sac de cuir et commença à défaire le lien qui le tenait fermé. Quand il eut entièrement retiré le lacet, il ouvrit le sac et plongea les mains dedans. Il en retira une boule brillante. C’était une sphère en or massif qui avait la forme exacte d’une pomme mûre. Le roi Barmot s’émerveillait des détails de cette sculpture. Tout était merveilleusement représenté ; le velouté de la peau, la courbure de la tige, les détails de la feuille unique qui y était accrochée. En regardant de plus près, il put même voir une minuscule mouche en or qui s’abreuvait à une goutte de rosée retenue dans le creux de la pomme, là où la tige naissait.

Il leva la pomme face à ses yeux et la fit tourner prudemment dans ses mains, et à chaque tour qu’il effectuait il découvrait de nouveaux détails, encore et encore. Mais si ses yeux étaient émerveillés par la beauté de l’objet, ce sont ses doigts qui ont senti que quelque chose était gravé sur la pomme. Alors, intrigué, le roi Barmot prit la chandelle et l’approcha de la pomme. Puis, il se pencha en avant afin que ses vieux fatigués puissent voir ce que ses doigts avaient senti, et là, formant une guirlande tout autour de la base de la pomme étaient gravés les mots suivants : « S’il vous plaît, offrez-moi à la personne que vous aimez le plus au monde ».

 

Alors qu’il réfléchissait afin de savoir à qui offrir ce présent, le roi Barmot entendit son chien soupirer dans son sommeil ; Sans doute était il en train de rêver qu’il poursuivait un cerf.  Le roi Barmot pensa en lui-même : « Cher et loyal compagnon, tu as toujours été à mes côtés depuis de longues années, tu m’as toujours été fidèle, jamais tu ne m’as trahi. En qui puis-je avoir plus confiance qu’en toi ? Nous sommes tous les deux au crépuscule de nos vies. Comment pourrais-je faire pour te remplacer quand tu viendras à me quitter pour la première et la dernière fois ?

Le roi était sur le point de donner la pomme à son chien quand il entendit des bruits de pas précipités retenti dans le couloir. Ce bruit de pas, il le reconnaissait entre tous : c’était le bruit des pas de la reine, son épouse, qui était la première femme de l’île d’Angleterre à porter des talons hauts. Le chien se réveilla en poussant un  petit grognement et la porte s’ouvrit avec fracas tandis que la reine faisait irruption dans la chambre. Aussitôt, elle désigna la pomme d’or en criant : « Ainsi, voici ce que vous me cachez. Comme elle est belle, laissez-moi la regarder. »

Avant que le roi ne puisse protester la reine s’empara de la pomme d’or et l’emporta dans sa chambre afin de la contempler à sa guise. Arrivée à sa chambre, la reine la fit tourner entre ses mains. Rapidement, la reine remarqua l’inscription gravée sur la pomme ; « S’il vous plaît, offrez-moi à la personne que vous aimez le plus au monde ».

 

Et bien cela ne serait pas difficile à faire. Cette nuit même, la reine avait un rendez-vous avec le capitaine de la garde, et à peine celui-ci avait –il enlevé son blouson que la reine glissa la pomme dans une de ses poches. Le temps passa si vite que le capitaine des gardes faillit être en retard pour son tour de garde. Il faisait encore chaud pour la saison, aussi quand le capitaine des gardes quitta la reine, il ne mit pas son blouson, mais le garda à la main. Ce ne fut que quand il finit sa ronde qu’il s’aperçut pour la première fois que celui-ci était plus lourd que d’habitude et que la poche fauche était bombée. Fouillant la poche, il en ressortit la pomme d’or et fut émerveillé par sa beauté. Rapidement, il découvrit l’inscription : « S’il vous plaît, offrez-moi à la personne que vous aimez le plus au monde » 

 

Le capitaine avait un problème : il ne savait pas à qui donner la pomme. Il y avait bien  la première dame de compagnie de la reine, il y avait aussi la sœur de l’ambassadeur de France ( si c’était réellement sa sœur) et il y avait la princesse du Pays de Galles qui était venue rendre visite au roi Barmot. Il aimait bien aussi  la femme du pharmacien, la fille du pasteur et la cousine du boulanger et la liste ne s’arrêtait pas là.

A la fin, il décida de la donner à Barabell , la jeune aide-cuisinière, une belle jeune fille qui venait d’arriver au château et qui n’avait pas encore de fiancé.

Quand Barabell reçut la pomme des mains du capitaine des gardes, elle ne sut quoi dire : elle n’avait jamais rien vu de si beau, ni n’avait jamais eu un cadeau d’une telle valeur. Aussi, elle refusa de prendre le cadeau et le capitaine dut insister encore et encore pour qu’elle l’accepte et la cache dans la poche de son tablier.

A ce moment, la cuisinière arriva dan la pièce, chassa le capitaine des gardes et donna des directives à Barabell pour tout l’après-midi. Barabell passa sa journée à courir dans toutes les directions et à travailler dur pur obéir aux ordres : Laver le sol, récurer la vaisselle, ranger les armoires, puiser de l’eau, écrémer le beurre …

A la fin de l’après midi, la cuisinière revint dans la pièce avec un bébé dans les bras. Le bébé hurlait si fort qu’il était devenu tout rouge. « Mon petit fils souffre beaucoup car il a des dents qui sortent » dit la cuisinière à Barabell. «  Et il n’y a personne pour s’occuper de lui, car ma fille est allée au village se faire arracher une dent qui lui fait mal, à elle aussi. » « Ses cris sont tellement bruyants que je n’arrive pas à me concentrer. J’ai gâché de pâte et j’ai brulé trois gâteaux. Prends cet enfant avec toi et éloigne-le de moi afin que je puisse travailler.

 

Barabell prit le nourrisson dans ses bras et se dirigea vers le verger. Elle était toute heureuse de pouvoir quitter cette pièce sombre et enfumée et de se retrouver au plein air, et sans corvées ménagères de plus. Arrivée dans le verger, Barabell s’aperçut que les pommes mûres tombaient des arbres sous l’effet du vent et qu’il fallait bien regarder où mettre les pieds afin d’éviter d’écraser les pommes. Il régnait dans les airs une forte odeur de fermentation et quelques agneaux ronflaient, allongés sur l’herbe, assommés par leur dose saisonnière d’alcool. D’autres pas encore entièrement ivres mâchaient à pleine dents des bouchées de pommes autour desquelles tournoyaient des essaims de guêpes ivres.

Barabell s’approcha sans crainte du verger avec le bébé  car elle savait que les guêpes ivres seraient aussi inoffensives que des rossignols , et elle les chassait sans crainte tout en donnant au bébé un gros quartier de pomme afin qu’il puisse y faire ses dents. Asseyant le bébé sur l’herbe elle sentit le cadeau du capitaine des gardes dans la poche de son tablier. Elle le sortit et l’examina sous toute les coutures, mais comme elle n’avait pas appris à lire elle ne put pas déchiffrer le message qui était écrit à sa base.

La pomme d’or en brillant au soleil frappa l’œil du bébé qui en l’apercevant arrêta de pleurer et leva ses mains comme pour l’attraper. Tandis  que Barabell la lui tendait, le bébé s’arrêta de pleurer, puis se mit à jouer avec en la faisant rouler vers Barabell. Et ils jouèrent pendnat un bon moment à ce nouveau jeu. Le temps passa vite à jouer à ces aller-retours de balle et comme le jeu était monotone et que Barabell était fatiguée de sa dure journée, elle finit par s’assoupir.

 

Le bébé laissé seul dans le verger de pommes mûres parmi les moutons et les abeilles commença à s’ennuyer et sa mine se renfrognait. Les larmes commençaient à lui monter aux yeux  quand apparut un grand chien qui errait dans le jardin. Il sauta de joie autour du bébé et lui lécha le visage consciencieusement. L’enfant tout joyeux d’avoir trouver un nouveau compagnon de jeu lui jeta la pomme d’or. Le chien prit la bale dans sa bouche et la rapporta au bébé. Et ils jouèrent à ce jeu jusqu’à ce que le bébé s’endorme à son tour.

C’est alors que le roi Barmot qui s’ennuyait dans ses appartements vint faire un tour dans le verger. C’était son endroit préféré quand il voulait se cacher de ses courtisans. Dans la lumière du soir, il s’assit sur un vieux banc en bois afin d’admirer le soleil couchant, quand son chien préféré posa sa tête sur ses genoux et y déposa la pomme d’or.