La pénitence de Marijan
Loc Maria Plouzané
proposé par le conteur Armanel
Si vous vous promenez sur la commune de Loc Maria Plouzané,
le long de la côte sur le GR34, vous devriez pouvoir accéder à la chapelle de
Lez Konvel (Lesconvel), qui était
initialement dédiée à Saint Hervé et dépendait du manoir du même nom.
De la chapelle, on ne connaît rien de
plus que ce qui la rattache à son manoir. La récente restauration a permis de
découvrir un fronton blasonné et un four à pain. On sait aussi qu’il existait
au XVIe siècle un pigeonnier et un moulin.
Pourtant, à l’intérieur de la chapelle, on peut
encore voir l’existence d’un sol carrelé de tommettes couleur brique, le lavoir
existe toujours ainsi que le four à pain.
Il y a quelques siècles de cela, juste avant la révolution, un évènement terrible se déroula au manoir de Lez Konvel qui ne fut pas sans conséquences pour ses habitants. A cette époque, au manoir, la maisonnée était composée du seigneur et de sa famille, bien sûr, mais aussi un nombre assez grand de serviteurs et de servantes qui tous habitaient sur place et mangeaient à la même table. Parmi ces roturiers il y avait une servante, nommée Marijan, jeune et jolie comme tout. Comme beaucoup de servantes à l’époque, elle était célibataire et attendait de trouver l’âme sœur et de s’établir facilement grâce à l’expérience acquise. Marijan fréquentait donc un jeune ouvrier agricole qui travaillait pour un de ses métayers. Le seigneur, qui aimait bien Marijan et connaissait la droiture du jeune homme voyait cette liaison d’un bon œil. Il avait même évoqué, en leur présence, la possibilité de leur proposer une situation une fois les noces passées : Venir vivre et travailler tous les deux au manoir près de la famille noble, entre la Saint Michel et la nativité.
Si, pendant la semaine, occupés chacun à leur travail, les deux jeunes tourtereaux ne se voyaient que rarement, le dimanche leur permettait de rattraper le temps perdu. Les deux jeunes gens devaient justement se voir un dimanche après-midi de septembre et ils se retrouvèrent seuls au manoir, pendant les vêpres. A cette heure-là, Marijan devait préparer le repas du soir et elle était fort occupée : préparer et maintenir le feu allumé n’étant pas la moindre de ses tâches. Il fallait s’y prendre bien à l’avance pour que tout soit prêt au moment où le maitre de maison rentrerait du bourg.
On ne sut jamais ce qui s’est passé quand nos deux jeunes étaient seuls dans la cuisine, mais quand le seigneur entra dans la maison il découvrit le corps du jeune homme gisant dans une mare de sang, près du foyer. Son crane était défoncé et l’arme du crime était toujours là : une bûche ensanglantée gisait près du bûcher. Bien sûr, on partit à la recherche de Marijan, absente de la scène du crime pour essayer de comprendre ce qui s’était passé, mais les recherches se révélèrent infructueuses. Tout le monde conclut que c’était elle, qui pour une raison inconnue et incompréhensible, avait perpétré le crime et qu’elle s’était enfuie. On se rendit dans les fermes environnantes pour annoncer la nouvelle et organiser une battue pour tenter de retrouver la jeune fille. Rapidement, le bruit courut qu’elle n’avait pas supporté son acte et qu’elle s’était noyée_ A cette époque la tradition populaire voulait que les hommes qui se suicidaient le faisait par pendaison, et les femmes par noyade. On se dirigea donc vers le puits qui trônait au milieu d la cour du manoir, puis les puits d’alentour ainsi que les mares et rivières environnantes. On se dirigea même vers les falaises et les grèves du voisinage (Dalbosc et Déolen, déchiquetée et taillée en dentelles granitiques).
Ne trouvant rien, dès le lendemain, on élargit les recherches et on augmenta le nombre des personnes assignées à la tâche. Les gens étaient d’autant plus déterminés à trouver la jeune fille et à connaître la raison de son acte que les deux jeunes gens étaient appréciés de tous et que rien ne pouvait expliquer ce qui s’était passé. Mais on ne revit la jamais la jeune fille et on ne tarda pas à embaucher une nouvelle servante au château.
Deux années passèrent. La vie avait repris son cours et, si l’on évoquait encore de temps en temps le drame, la vie avait repris son cours normal au château. On avait bien aimé Marijan, mais la vie continue avec ou sans vous et Marijan, quoique très appréciée, n’était après tout qu’une servante.
Le soir de la Saint Michel, le seigneur, assis au bout de la table, après avoir béni le pain, s’apprêtait à servir sa femme et ses enfants quand il entendit toquer à la fenêtre. Nous vivions alors une époque troublée et bien des gens, y compris le seigneur, avaient mis de barreaux de fer aux fenêtres. Surpris et quelque peu inquiet, mais rassuré par les protections mises en place, le seigneur se leva pour aller ouvrir la fenêtre.
Il faisait nuit noire, et si personne ne put voir qui se tenait debout dans l’obscurité, tout le monde reconnut la voix qui venait de l’extérieur : C’était à n’en pas douter la voix de Marijan. Une vois triste et lasse qui demandait la charité d’un peu de pain et de lard.
Cette requête aurait pu être banale, à cette époque en Basse Bretagne, car les mendiants étaient nombreux et connaissaient les maisonnées de bons chrétiens ou ils étaient certains d’avoir quelque chose à manger et u abri pour la nuit, ne serait-ce que dans une grange. Mais cette voix glaça la maisonnée, et pendant que le maître de maison se dirigeait vers la table pour prendre ce qui lui était demandé, le silence se fit dans la pièce. Revenant vers la fenêtre, il tendit le pain fendu et farci de lard. Une main sortit de l’ombre, s’en saisit et disparut immédiatement, ainsi que la silhouette qu’on pouvait à peine deviner, et tout cela dans un silence total. Il fallut un long moment pour que quelqu’un osât rompre le silence qui s’était installé depuis le retour du seigneur à la table. Les discussions reprirent timidement et se centrèrent rapidement sur l’évènement, et tout le monde reconnut rapidement que c’était la voix de Marijan qui avait été entendue. Mais comme Marijan avait été déclarée morte et que personne ne l’avait jamais revue, on en conclut, en bon chrétien, que c’était son âme – ou son fantôme – qui avait une pénitence à accomplir sur terre, sur les lieux de son forfait, avant d’être délivrée de son forfait. On s’en remit donc à la grâce divine et toute l’assemblée se leva afin de prier pour le salut de cette âme errante.
Mais il faut croire que la peine était sévère ou que les prières ne furent pas assez ferventes car la même scène se reproduisit le lendemain soir : On frappa à la fenêtre, le seigneur alla ouvrit, apporta l’aumône requise, et comme la veille personne n’entrevit rien.
Cela dura pendant deux années. Tous les soirs on frappait à la fenêtre, tous les soirs le seigneur se levait pour donner l’aumône, tous les soirs cette « cérémonie » se passait dans le plus grand silence. Vous pensez bien que ce rituel qui s’était installé avait fin i par plomber l’atmosphère au manoir de Les Konvel. On se décida donc à faire dire des messes pour le salut de l’âme en peine, et quand, deux ans plus tard, les apparitions cessèrent, on conclut, avec un grand soulagement, que la pénitence était terminée.