LA Mort de l’ AFANG

Armanel - conteur


Dès que les Gallois sont arrivés de Cornouailles dans leur nouveau pays, ils ont commencé à couper les arbres, à construire des villes et à cultiver des champs et des jardins.

Ils ont cultivé la vigne et ont fait pousser des fleurs. Les jeunes hommes ont domestiqué les petits des animaux sauvages. Les vieillards ont tressé des joncs et des roseaux pour en faire des cages dans lesquelles ils gardaient des oiseaux chanteurs.

Pendant qu'ils asséchaient les marais et les tourbières, ils chassaient les monstres qui avaient fait leur repaire dans ces endroits humides : De terribles créatures aimaient empoisonner les gens avec leur mauvaise haleine et dévoraient même les tout petits garçons et les toutes petites filles qui s'éloignaient de chez eux.

L'ensemble du territoire des Gallois, qui s'étendait alors des collines Grampian du nord jusqu'à la Cornouailles, et de la mer d'Irlande, au-delà de leur grand fort, appelé plus tard Londres, jusqu'au bord de l'océan allemand, devint un endroit agréable à vivre.

Les plaines et les rivières, où la marée montait et descendait tous les jours, étaient particulièrement attrayantes grâce aux nombreuses fleurs de couleurs vives qui y poussaient, et les ajoncs jaunes et les bruyères roses rendaient les collines aussi belles que le visage d'une jeune fille. De plus les jeunes filles galloises étaient les plus belles de toutes, et les garçons étaient tous courageux. Et tous et toutes savaient bien chanter.

Mais il y avait un grand monstre appelé l'Afang, qui vivait dans un grand marais, caché à l'intérieur d'une forêt sombre dans les hautes collines.

Cette créature hideuse avait un dos recouvert de fer et une longue queue qui pouvait s'enrouler autour d'une montagne. Elle avait quatre pattes avant, avec de gros genoux qui étaient pliés comme ceux d'une sauterelle, mais étaient couverts d'écailles comme une armure. Celles-ci étaient aussi dures que l'acier et bombées au niveau des cuisses. Le long de son dos, il y avait une crête de cornes, comme des épines. Les javelots et les flèches des chasseurs ne pouvaient rien contre une peau aussi dure.


Sur la tête de ce monstre, il y avait de grandes oreilles, à mi-chemin entre celles d'un âne et celles d'un éléphant. Ses yeux étaient verts comme des poireaux, et gros comme des citrouilles.

Le visage de l'Afang ressemblait beaucoup à celui d'un singe ou d'un gorille, avec de longs poils gris épars autour de ses joues comme ceux d'un morse. Il bavait beaucoup, de sorte qu'aucune gentille fée n'aimait se trouver près du monstre.

Quand l'Afang grognait, les buissons tremblaient et les feuilles de chêne tremblaient sur les branches, comme si un vent fort soufflait.

Mais après son dîner, quand il avait avalé un homme, ou deux veaux, ou quatre moutons, ou une génisse grasse, ou trois chèvres, son corps se gonflait comme un ballon. Ensuite, il se roulait habituellement sur lui-même, s'étendait sur le sol ou dans la boue molle et somnolait pendant un long moment.

Tout autour de son repaire, gisaient des tas d'ossements de créatures, de filles, de femmes, d'hommes, de garçons, de vaches qu'il avait dévorés.


Mais quand l'Afang était affamé et ne pouvait pas se procurer ces proies et que les jeunes filles et les jeunes garçons insouciants se faisaient rares, il se nourrissait d'oiseaux, de petites bêtes et de poissons. Et bien qu'il préférait de beaucoup manger les vaches , il lui arrivait parfois de se rabattre sur les moutons. Mais la laine de ces animaux se coinçait dans ses grandes dents, et son mauvais caractère empirait.

Alors, dans ses crises de colère, il imitait les castors et il coupait un arbre, l'aiguisait en pointe puis se curait les dents jusqu'à ce que sa bouche soit propre. Mais quand sa mâchoire était bien propre il redoublait de faim et était avide de nouvelles victimes humaines, en particulier de jeunes filles pulpeuses, tout comme les enfants préfèrent les gâteaux moelleux au pain sec.


Cela n’étonnait pas les Gallois pas, car ils savaient que les filles étaient très gentilles et qu'ils adoraient leurs femmes : Ils ont donc appris à protéger leurs filles et leurs épouses Car ils avaient compris que manger des êtres humains était dans la nature de la bête.

Mais ce qui les rendait fous au-delà de toute mesure, c'était le tour que le monstre leur jouait régulièrement en brisant les berges des rivières et les digues qu'ils avaient construites à grand peine pour protéger leurs récoltes. Car alors les eaux inondaient toutes leurs fermes, ruinaient leurs jardins, détruisaient leurs étables et noyaient leurs troupeaux.

Car ce genre de méfaits était souvent réalisé par l’Afang à l'époque où les récoltes d'avoine et d'orge étaient mûres et prêtes à être récoltées pour faire des gâteaux et du flummery (gelée d'avoine aigre) ou de la bouillie d’avoine. Et donc, il arrivait souvent que les enfants soient privés de biscuits et de porridge pendant l'hiver. Parfois, les inondations montaient si haut qu'elles emportaient les maisons et faisaient flotter les berceaux, même ceux qui avaient de petits bébés à l'intérieur, et étaient souvent vus en train de flotter sur les eaux déchaînées et envoyés danser sur les vagues le long de la rivière, jusqu'à la mer.


Même les animaux domestiques n’étaient pas épargnés et de temps en temps, on voyait une chatte et tous ses chatons miauler pour demander de l'aide, ou une chienne hurler pitoyablement car il arrivait souvent que chiots et chatons se noient.

Aussi, que ce soit pour le sort des hommes ou des mères, des chattes ou des chiots, les hommes du Pays de Galles ont déclaré que le temps était venu de mettre fin aux méfaits de ce monstre. C'était déjà terrible que les gens soient dévorés, mais voir toutes leurs récoltes ruinées et leurs animaux noyés, de sorte qu'ils devaient souffrir de la faim tout l'hiver, avec seulement un peu de poisson frit et presque pas de navets, c'était trop pour la patience humaine. Il y avait trop de mères en pleurs et de pères tristes, d’enfants qui braillaient tenaillés par la faim et d'animaux qui gémissaient pour avoir quelque chose à manger.

De plus si toute l'avoine était emportée, comment leurs femmes pouvaient-elles faire de la farine, afin de nourrir les Gallois ? Et où trouver des semences pour l’année suivante ? Et s'il n'y avait pas de vaches, comment les bébés ou les chatons pourraient-ils survivre, ou comment les adultes pourraient-ils obtenir du beurre et du fromage ?

Alors, me direz-vous pourquoi un homme courageux n'a-t-il pas tiré sur l'Afang avec une flèche empoisonnée, ou enfoncé une lance dans ses aisselles, là où la chair était tendre, ou ne lui a-t-il pas coupé la tête avec une épée tranchante ?



Eh bien, je vais vous l’expliquer: Le problème était que s'il y avait beaucoup d’hommes assez braves prêts à combattre le monstre, aucune pointe de fer ne pouvait percer sa peau qui était comme une armure, et que l’Afang crachait toujours du feu ou un souffle empoisonné sur la route quand un homme arrivait, et cela bien avant que le brave gars ait pu l'approcher.

Et malgré cela, il fallait pouvoir monter dans son repaire et l'en faire sortir.

Mais quel homme ou quelle compagnie d'hommes était capable de faire cela, car croyez-moi même une douzaine de géants avec des cordes aussi épaisses que des aussières de navire, n’arriverait à accomplir la tâche ?


La situation peut donc vous paraître perdue. Mais sachez qu’il y avait une solution à cette situation périlleuse. Si l’Afang était sans pitié contre un homme quel qu’il soit, il était sans défense devant une femme décidée et intrépide. Une jolie jeune fille pouvait réussir ce que ni un homme ni un géant ne pouvaient faire. Il est vrai qu'elle devait être courageuse, car comment pouvait-elle savoir si l'Afang, affamé, ne la mangerait pas ?

Un jour, une vaillante demoiselle, d'une grande beauté, qui aimait les parfums et les beaux vêtements s’est levée et a déclaré :

_ « Je n'ai pas peur. »

Son bien-aimé s'appelait Gadern, et c'était un jeune et brillant chasseur. Il discuta avec elle et ils mirent au point un plan de bataille pour agir ensemble.

Gadern parcourut tout le pays, demandant aux fermiers de rassembler leurs attelages de bœufs et aux bûcherons d’apporter les chaînes qui leur servaient à charrier le bois. Puis il mit les forgerons au travail, leur demandant de forger de nouvelles et particulièrement lourdes chaînes, faites du meilleur fer du pays de Galles, provenant des mines pour lesquelles le Pays de Galles est toujours célèbre de nos jours.


Pendant ce temps, la belle jeune fille se parait de ses plus beaux vêtements, coiffait ses cheveux de la façon la plus séduisante, accrochait une fleur blanche à chacune de ses oreilles, et une autre à son cou.

Après avoir parfumé ses vêtements, elle est sortie et est allée vers le lac où se cachait le monstre.

Alors que la jeune fille était encore assez loin, le terrible Afang, sentant sa visiteuse de loin, sortit précipitamment de son repaire. Lorsqu'il fut tout près, il leva la tête bien haut dans les airs avant de se jeter sur elle, avec ses griffes gainées de fer et faire son petit déjeuner de la jeune fille.

Mais l’odeur de son parfum était si douce qu'il en oublia ce qu'il voulait faire. De plus, lorsqu'il la regarda, il fut si surpris par sa beauté qu'il se laissa tomber sur ses pattes de devant. Puis il se comporta exactement comme s’il était tombé amoureux de la jeune fille.

Alors l'Afang a commencé à se pavaner.

La fille n'avait pas du tout peur, elle aa caressé le dos du monstre, a joué avec ses grosses moustaches et lui a chatouillé le cou jusqu'à ce que l'Afang se mette à ronronner comme un chat heureux. Il était si heureux qu’il a éclaté de rire et son rire était si sonore que les gens de la vallée ont cru que c'était un roulement de tonnerre.

Puis la jeune fille l’a bercé en lui chantant une berceuse que sa mère lui avait apprise. Et le monstre s'est endormi profondément et s’est mis à ronfler.


A ce moment, Gadern et ses hommes sont sortis en rampant silencieusement de leurs cachettes dans les buissons. Arrivés près du redoutable Afang, ils ont marché sur la pointe des pieds. Ils avaient enveloppé les chaînes et les jougs des bœufs dans des chiffons, de sorte qu'aucun cliquetis ne se faisait entendre. Lentement mais sûrement, ils ont ligoté solidement les pattes avant et arrière de la bête.

Et le monstre dormait profondément car la fille continuait à chanter sa berceuse.

Puis Gadern et ses hommes ont attelé les quarante paires de bœufs et ont fait claquer tous leurs fouets à la fois et toute l'équipe a commencé à tirer ensemble.

Alors l'Afang s’est réveillé en sursaut et a poussé un mugissement terrifiant. Il roulé sur lui-même et a enfoncé ses quatre paires d'orteils aussi grosses qu'un soc de charrue dans le sol et a essayé de ramper jusqu'à sa tanière ou de se glisser dans le lac.

Puis l'Afang a essayé d’enrouler sa queue autour d’ un gros arbre. Mais tous ses efforts n’ont servi à rien car les conducteurs de bétail faisaient claquer leurs fouets et les bœufs continuaient à avancer. La queue de l’Afang a touché le dernier bœuf qui a perdu un œil. Cela a formé une mare, qu'on appelle encore aujourd'hui la mare de l'œil du bœuf. Elle ne s'assèche jamais ni ne déborde jamais, bien que l'eau y monte et y descende aussi régulièrement que les marées.

Les bœufs ont traîné le monstre sur des kilomètres à travers les montagnes. Ils sont passé sur un col qui est encore appelé le col de la pente des bœufs. En descendant la colline, le travail de traînage de l'Afang était plus facile.

Puis Gadern et ses hommes ont jeté la carcasse de l’Afang dans un trou profond et aussitôt un petit lac se forma. Ce lac est désormais appelé "le lac du puits vert". Il est dangereux pour les hommes ou les animaux de s'en approcher trop près et lorsque les moutons tombent dedans, ils coulent immédiatement au fond. Même les oiseaux évitent de voler au-dessus.

Les os de l'Afang reposent toujours au fond du lac du puits vert et ils se sont enfoncés profondément dans la vase.

Les fermiers ne se soucient plus de la créature, et ils ne pensent presque jamais à la vieille histoire, sauf quand un mouton est perdu près du lac.

Quant à Gadern et à sa brave et charmante chérie, ils se sont mariés et ont vécu longtemps et heureux. Leurs descendants, à la trente-septième génération, sont fiers du grand exploit de leurs ancêtres, tandis que tous les fermiers honorent leur mémoire et bénissent le nom de la belle fille qui a endormi le monstre.


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