La maison des korrigans
Riantec
Armanel - conteur
Il y avait autrefois, à Riantec, une veuve et son fils Gildas. Ils étaient très pauvre, et tiraient la charrue à tour de rôle parce qu'ils n'avaient pas assez d'argent pour acheter une paire de bœufs, et encore moins un cheval. Cependant, la veuve faisait tout ce qu'elle pouvait pour que sa cabane soit tenue très proprement. On ne tarissait pas d'éloges sur elle dans le pays. Tous les villageois auraient bien voulu qu'elle et son fils se tirent d'affaire. Malheureusement, les temps étaient dur à l’époque, et leurs voisins ne pouvaient les aider qu'en leur donnant de temps en temps du pain ou des galettes de blé noir. Cela n'empêchait pas Gildes d'être un brave garçon courageux au travail.
Une nuit de pleine lune, la veuve se mit à transpirer dans son lit et elle eut un songe bizarre: elle se tenait dans une grande forêt et voyait passer devant elle un attelage tiré par deux bœufs blancs et noirs. Elle se mit à les poursuivre et elle finit enfin par rattraper l'attelage qu’elle ramena à chez elle.
Très impressionnée par son rêve, elle ne dit rien à son fils, le lendemain matin, mais lui commanda d’aller à la foire d'Hennebont pour acheter une paire de bœufs.
_ « Mais, ma mère », répondit Gildas, « nous n'avons même pas une pièce d’argent ! »
_ « Peu importe », répondit la veuve, « l’argent se trouve partout, si on sait bien chercher ».
Ils se rendirent à la foire d'Hennebont en marchant d'un pas rapide car la journée avait déjà bien commencé. Arrivés au carrefour des trois chemins, ils virent un petit homme sortir de terre et se diriger vers eux.
_ « Où allez-vous de ce pas rapide ? » demanda le petit homme.
_ « À la foire d’Hennebont », répondit Gildas, « car nous voulons acheter une paire de bœufs, même si nous n'avons pas d'argent pour la payer. »
_ « Si vous acceptez de descendre avec moi dans le trou d’où je suis sorti, et si vous faîtes ce qu’on vous demandera, je vous garantis que vous aurez tout l’argent que vous désirez. » dit le petit homme.
La veuve et son fils suivirent le petit homme et descendirent dans le trou qui était caché au milieu d'un buisson. Le trou paraissait bien trop petit pour des humains, mais quand ils commencèrent à descendre, ils ne furent pas à l’étroit et ne sentirent aucune gêne. Ils arrivèrent dans une grotte et furent saisis d'étonnement. Au milieu de la grotte il y avait une grande maison remplie d'enfants. Les enfants étaient à peine plus grands qu'un sabot de bois. C'étaient tous des enfants de korrigans. Celui qui semblait être l’aîné leur dit :
_ « Notre père était très malade et sur le point de mourir, mais si vous arrivez à le guérir, vous serez largement récompensés. »
La veuve réfléchit un moment puis elle demanda que quelqu’un aille avec Gildas pour cueillir des herbes connues d’eux seuls. Des korrigans sortirent avec Gildas et revinrent peu après, en apportant les herbes que la veuve avait demandées. Elle demanda qu’on fasse un feu et elle fit chauffer des tisanes qu’on fit boire au malade. Celui-ci commença bientôt à se sentir mieux. La mère des korrigans leur dit :
_ « Si vous sauvez mon mari, vous ne manquerez jamais plus de rien. »
Alors la veuve et son fils restèrent là trois jours et trois nuits à soigner le père des korrigans. Mais ils ne trouvèrent pas le temps long et croyaient être là seulement depuis trois heures. Au bout des trois jours et des trois nuits, le père des korrigans fut guéri. Il dit à la veuve et à son fils :
_ « Venez avec moi et mon épouse. Suivez-nous car nous allons vous donner une maison et tout ce qu'il faut pour vivre heureux. »
La petite troupe arriva dans un grand bois difficile d’accès car des ronces couraient partout sur le sol. Le père des korrigans se dirigea vers une grosse pierre et, malgré sa petite taille, il souleva sans difficulté. Sous la pierre, il y avait l’entrée d’un souterrain, très profond, mais très étroit, aussi étroit que celui la veuve et son fils avaient emprunté pour aller chez les korrigans. Le korrigan leur dit
_ « Descendez et n’ayez pas peur, je vais vous montrer le chemin ».
La veuve et son fils descendirent et furent bien étonnés de ce qu'ils trouvèrent au fond du souterrain : il y avait une grande maison avec de beaux meubles, de la vaisselle en argent et de bons lits avec des couvertures épaisses. Par la fenêtre de la maison, on voyait une prairie verte et bien grasse, avec des vaches et des bœufs qui broutaient.
_ « Voila, tout cela est à vous, dit le père des korrigans. Vous l’avez amplement mérité car vous m'avez sauvé la vie. Mais je dois ne sais pas si vous pourrez garder tout cela très longtemps. Car c’est mon père qui est le gardien de cette maison. Il est actuellement en voyage dans les monts d’Arrée, mais dans une semaine, il reviendra ici. Mon père est vieux et, s’il n’est pas très méchant, il déteste les humains. Je suis certain que quand il reviendra ici, il va tout faire pour vous effrayer et tenter de vous chasser. Si vous refusez de partir, il menacera de vous tuer après avoir prononcé contre vous toutes sortes de malédictions. »
La veuve et son fils commençaient à regretter le cadeau du Korrigan et voulaient s’en aller. Le korrigan leur dit de ne pas s’effrayer, qu’il allait leur expliquer comment lutter contre son père :
_ « Quand vous l'entendrez arriver, il faudra que la mère se place au pied du lit et que le fils se cache dessous. Mon père aura un énorme couteau de boucher et son revolver à sept coups. Quand il tirera sur la mère, elle devra se jeter par terre et il ne pourra pas l’atteindre. Il essaiera alors de vous tuer avec son couteau et c'est alors que votre fils sortira de dessous le lit, lui saisira le couteau et lui coupera la tête . Mais, attention, s'il vous attrape, il vous tuera. »
La veuve et son fils restèrent dans la maison au fond de la grotte. La huitième nuit, la mère et le fils entendirent un grand bruit et se mirent à trembler. Ils virent le vieux korrigan qui tempêtait et jurait. Le vieux korrigan entra en criant et en jurant :
_ « Ah, je sens de la chair humaine, si je vous attrape, vous êtes à moi ! »
Il se mit à les poursuivre. La mère se plaça au pied du lit tandis que le fils se cachait dessous. Le vieux korrigan tira sept coups de revolver, mais la veuve s'était jetée par terre et elle ne fut pas touchée. Alors, le vieux korrigan sortit son couteau, qui était presque aussi grand que lui-même, et se précipita vers la pauvre femme. Mais le fils sortit de dessous le lit, bondit sur le korrigan, lui arracha son couteau et lui coupa la tête.
A ce moment, des korrigans arrivèrent en grand nombre en riant et en dansant de joie. Ils disaient :
_ « Le cruel korrigan qui nous tyrannisait est mort! Faisons la fête. Nous danserons toute la nuit nous planterons un arbre en signe de notre liberté. »
Et les korrigans firent la fête toute la nuit en manifestant bruyamment leur joie. La veuve et son fils vécurent tranquillement dans la maison que leur avaient donnée les korrigans, et ils ne manquèrent jamais de rien.