La fille de l’ardoisier
Bretagne - Motreff
Armanel -conteur
En ces temps-là, la vie à Motreff était dure. Les terres agricoles ne sont pas des plus fertiles et bien des hommes se décidaient à devenir ardoisiers. Ce métier, s’il apportait un peu d’argent dans les ménages, était épuisant.
Denez faisait partie de ces ardoisiers. Il trimait dur à remonter les ardoises taillées au fond de la carrière et ne ramenait qu’une maigre pitance à la maison. Pourtant des sous, il lui en fallait ; Laïg, sa femme, lui avait donné douze enfants et était en train de lui mettre au monde le treizième. Mais l’accouchement se passa mal et si l’enfant, une belle fillette, était pleine de vie, la mère ne survécut pas.
Denez dut donc faire face à deux célébrations : l’enterrement de Laïg et le baptême de Jacquette la dernière née de la nichée. Mais pour baptiser l’enfant, il fallait trouver un parrain et une marraine et, avec tous ses enfants, Denez avait déjà fait le tour de sa famille et de ses amis proches. Pour trouver la marraine, ce ne fut pas très difficile. Mais pour le parrain ! Il eut beau frapper à toutes les portes, on lui disait gentiment de voir ailleurs. Un matin, en désespoir de cause et quelque peu terrorisé de la hardiesse de sa démarche, il alla frapper à la porte du manoir de Brunolo. La servante lui ouvrit :
_ « Tiens, bonjour Denez, qu’est ce qui t’amènes ici de si bonne heure ? »
_ « Bien le bonjour Seza » répondit Denez, « je viens voir si M Le Comte ne pourrait pas être le parrain de ma dernière née ? »
_ « Voila une drôle de demande » répondit Seza « Pourquoi M le Comte voudrait-il être le parrain d’une petite paysanne ? »
_ « En fait, je n’ai trouvé nulle part dans la paroisse quelqu’un qui voudrait être le parrain, et la petite Jacquette doit être baptisée » argumenta Denez.
_ « Je vais prévenir M le Comte » répondit Seza « Mais je serai étonnée qu’il accepte ta demande ! »
Le comte fut rapidement mis au courant de la demande de Denez par Seza. Il se dirigea donc vers le quémandeur et n’eut pas à cœur de refuser d’être le parrain de Jacquette. Il avait bien quatre garçons, mais pas de fille, et, connaissant les difficultés financières et familiales de Denez, il alla même à demander qu’on lui laisse le nouveau-né au château et qu’il se chargerait de son éducation comme si elle était sa propre fille. Denez, notre ardoisier, ne s’attendait pas à une telle proposition, et, après une toute petite seconde d’hésitation due à la surprise, il accepta de bon cœur l’offre du seigneur.
La jeune Jacquette a donc grandi au château de Brunolo, ignorante de sa condition sociale véritable, avec les quatre fils du châtelain qui avaient été mis en dehors de l’accord secret et la considéraient comme leur vraie petite sœur. Elle courait par monts et par vaux en compagnie de Jehan, Hervé, Sébastien et René, parcourant les landes et escaladant les quelques Roc’h du voisinage. Les quatre garçons admiraient celle qu’ils croyaient leur sœur à cause de sa témérité dans leurs escapades mais aussi de sa beauté. Beauté d’ailleurs reconnue par tous les habitants du coin et ce jusqu’à dix lieues à la ronde. Non seulement, ils l’admiraient, mais ils étaient tous les quatre un peu amoureux d’elle.
Les années passèrent et tout cela aurait pu durer « Ad Vitam Aeternam » si un jour, bien des années plus tard, Job, le vieux jardinier du Comte ne s’était laissé aller à quelques confidences avec une jeune servante, nouvellement embauchée. Job expliquait à cette jeune fille tous les secrets du château et lui transmettait tous les renseignements nécessaires pour ne pas gaffer lors de son service sans se douter que ce jour-là quatre paires d’oreilles indiscrètes épiaient sa conversation. Or ce dont Job parlait, ce jour-là, était la naissance et l’adoption de la jeune Jacquette.
Lorsque
les quatre frères apprirent la vérité sur la naissance de leur
« sœur », ils coururent auprès de leur père et le
sommèrent de tout leur raconter. Ce dernier leur expliqua donc dans
quelles conditions il avait « adopté » Jacquette.
A
peine le récit terminé, Jehan, l’aîné des quatre fils du comte
déclara :
-« Mais alors, si je comprends bien, Jacquette n’est pas ma sœur. Et si Jacquette n’est pas ma sœur rien ne m’empêche de l’épouser et qu’elle devienne ma femme. »
-« Ou la mienne » s’exclama Hervé, lui aussi amoureux de Jacquette.
- « Ou la mienne » ajouta René, soucieux de ne pas laisser Jacquette partir au bras d’un autre que lui.
- « Ou la mienne » renchérit Sébastien, pour ne pas être en reste.
-« Fort bien » répondit le comte « Je m’étais bien rendu compte que vous étiez tous un peu amoureux de Jacquette, et j’avais prévu que ce qui vient d’arriver risquait fort de se produire tôt ou tard. Alors voici ce que j’ai imaginé pour parer à cette éventualité : Celui qui apportera le plus beau cadeau à Jacquette obtiendra sa main. »
-« Mais quel genre de cadeau ? » demandèrent les quatre frères.
-« Ecoutez-moi bien, les garçons » reprit le comte « je vais vous donner à chacun un bon cheval et une bourse remplie de cent écus. Partez de par le monde, fouillez, cherchez et quand vous aurez trouvé votre cadeau revenez au château. Là nous comparerons vos présents et nous choisirons celui qui deviendra le mari de Jacquette. »
Les quatre frères reçurent donc leurs bourses de cent écus de la main de leur père et se dirigèrent vers les écuries pour choisir leur monture. Jehan jeta son dévolu sur un fier coursier noir comme le charbon. Hervé, lui, choisit un cheval blanc comme le marbre. René sella un cheval gris pommelé et Sébastien se contenta d’un vieux cheval bai qui se tenait à l’écart dans la stalle du fond. Puis les quatre frères s’éloignèrent ensemble du château. Arrivés à la croix des mille vents, ils se séparèrent, Hervé se dirigea vers le Nord, René, lui, choisit de se diriger vers le Sud, René s’en alla vers l’Est et Sébastien laissa son cheval prendre la direction qu’il voulait. Au bout de trois mois d’errance les quatre frères se retrouvèrent à Paris, mais aucun n’avait déjà trouvé un cadeau digne d’être ramené au château afin de mériter la main de Jacquette. Pendant ces trois mois, l’argent avait commencé à fondre dans leurs mains, aussi décidèrent-ils de faire chambre commune dans une auberge bon marché.
Dès le lendemain matin, de bonne heure, les quatre frères partirent chacun de son côté afin de visiter Paris et de faire l’acquisition d’un cadeau merveilleux.
Jehan partit le premier et se dirigea vers le quartier des orfèvres. Après avoir visité la boutique de nombreux maîtres orfèvres il s’arrêta devant un joli sifflet en argent. Le maître orfèvre déclara que ce sifflet qui avait été fabriqué avec de la nacre la plus pure qui venait de la mer d’Andaman, très loin d’ici en Asie, possédait un pouvoir magique : Lorsque l’on soufflait dans le sifflet, ce dernier émettait un son qui avait le pouvoir de convoquer sur le champ la ou les personnes que l’on désirait voir.
René lui partit vers le quartier des artisans verriers et tomba en admiration devant une boule de cristal translucide qui jetait mille feux de lumière dès qu’elle était éclairée par un rayon de soleil. Le vendeur lui dit qu’il fallait absolument qu’il achète cette boule de cristal car c’était le cadeau idéal, celui qu’il recherchait. Comme René hésitait, le vendeur ajouta :
-« Sachez
que cette boule de cristal qui a été créée sur l’île de Murano
à Venise, possède des vertus magiques : Lorsque vous regardez
à l’intérieur et que vous fixez bien le centre de la boule, vous
pouvez apercevoir les personnes que vous aimez, et ce quelle que soit
la distance qui vous sépare ».
Comme René se
languissait de ne plus voir Jacquette depuis leur départ, trois mois
plus tôt, il décida d’échanger la boule de cristal contre ses
écus.
Hervé alla traîner ses guêtres du coté des haras et ne vit pas le temps passer tant les chevaux qu’il voyait étaient magnifiques et bien soignés. Il y avait là toutes les races de chevaux et plusieurs qu’il ne connaissait pas et dont il n’avait même jamais entendu parler. Alors qu’il s’extasiait devant une magnifique cavale noire, un maquignon s’approcha de lui :
-« Belle bête que vous voyez-là ! » dit le maquignon pour engager la conversation. « Elle vient d’un pays lointain au-delà des mers. Elle est de la race des Jiangchang, chevaux originaires du Sichuan »
- « Il est vrai qu’elle a belle allure » répondit Hervé. » Mais si elle est splendide, elle me semble tout de même un peu petite et fragile. »
-« Fragile ma cavale, vous voulez sûrement rire ! » Rétorqua le maquignon « Sachez, mon bon Monsieur, que la magnifique bête qui se trouve là devant vous est si forte qu’elle est capable de transporter quatre personnes su son dos et sans se fatiguer. »
-« Ce que vous me dîtes est vraiment impressionnant » répondit Hervé
-« Et ce n’est pas tout » renchérit le maquignon « si vous ne m’aviez pas coupé la parole, je vous aurais appris que non contente de porter quatre personnes, elle est capable de les transporter jusqu’au bout de la terre en moins de temps qu’il vous faudrait pour boire un verre. »
Faisant confiance au maquignon, Hervé se laissa tenter par cette magnifique cavale noire.
Sébastien, lui, avait beau arpenter toutes les rues de la ville et voir des choses plus merveilleuses les unes que les autres, il ne vit rien qui pouvait lui plaire. Il refusa, tour à tour des bâtons capables de trouver de l’eau même dans les déserts, des oiseaux multicolores qui pondaient des pierres précieuses, des moutons recouverts de laine d’or, des épées capables de trancher la tête des dragons. Tout cela, bien sûr lui plaisait, mais ne lui semblait pas vraiment extraordinaire. Découragé, Sébastien s’assit sur la margelle d’un puits et se mit à sangloter, quand une petite main tapota son épaule. Sébastien se retourna et vit une toute petite fille qui tenait une pomme dans sa main gauche.
-« Bonjour Monseigneur » dit-elle « pourquoi pleurez-vous donc ? »
-« je ne pleure pas vraiment, je suis juste découragé. » répondit Sébastien « je cherche un cadeau qui soit le plus beau cadeau du monde pour le donner à la femme que j’aime, et je ne trouve rien qui me satisfasse. »
-« Mon prince, prenez cette pomme que je vous offre de tout mon cœur. Cela semble un cadeau insignifiant, mais sachez qu’elle a le pouvoir de guérir toute personne qui mordra dedans et ce quelque soit sa maladie ».
Etonné des pouvoirs de la pomme et intéressé par le fait que la petite fille lui faisait un cadeau, il accepta immédiatement à condition que la petite fille accepte, elle aussi, un cadeau de sa part. Et il lui offrit tout l’argent qui lui restait.
Après avoir acheté sa boule de cristal, René rentra à l’auberge pour attendre ses frères. Comme il ne savait pas comment passer le temps il fixa le centre de la boule de cristal, et il aperçut son père et Jacquette qui étaient couchés dans leurs lits ; Il trouva cela bizarre car nous étions en plein milieu de l’après –midi, et ce n’était pas leur genre de traîner au lit. Sauf si ! Sauf si ils étaient couchés terrassés par la maladie. Pour René, il n’y avait aucun doute ; ils étaient malades et même gravement malades. Bouleversé par cette nouvelle, René sortit dans la rue pour aller à la recherche de ses frères. Comme il arpentait les rues parisiennes il rencontra Jehan et son sifflet magique.
René raconta à Jehan ce qu’il avait vu dans la boule de cristal et s’écria :
-« Nous devons rentrer immédiatement à Brunolo ».
Alors Jehan sortit son sifflet de sa poche, souffla dedans en pensant à ses deux autres frères et Hervé et Sébastien arrivèrent presque immédiatement.
Une fois que les quatre frères furent réunis, René raconta une nouvelle fois ce qu’il avait vu dans la boule de cristal. Alors Hervé déclara à ses trois frères :
- « J’ai acheté un cheval qui peut nous ramener tous les quatre à Brunolo en un instant »
Aussitôt les quatre frères enfourchèrent la cavale noire et une minute plus tard les voici dans la cour du château de Brunolo.
A peine descendus du cheval, ils virent arriver vers eux un valet qui venait les avertir que leur père et Jacquette étaient à l’article de la mort. Les quatre frères pénétrèrent dans le château, grimpèrent l’escalier quatre à quatre, et quand ils furent arrivés dans la chambre ou on avait déposé les deux malades, Sébastien coupa sa poire en deux et la fit manger aux deux mourants. A peine les deux malades, qui étaient sur le point de passer de vie à trépas, eurent-ils mordu dans le fruit qu’ils se sentirent beaucoup mieux. Quelques jours plus tard ils étaient sur pied et les quatre frères recommencèrent à parler mariage et à se disputer à savoir qui aurait l’honneur d’épouser Jacquette.
- « Vous devez tous reconnaître » dit René » « que sans ma boule de cristal, personne n’aurait jamais su que vous étiez malades et qu’il fallait que nous revenions au château au plus vite afin de vous soigner. »
-« Voyons les choses calmement » répondit Jehan « Vous devez tous admettre que si je n’avais pas sifflé vous seriez toujours en train de vous promener dans les rues parisiennes, sans savoir le grand malheur qui frappait Brunolo. »
-« Vous semblez tous oublier quelque chose » renchérit Hervé « ne vous rappelez-vous pas que c’est grâce à ma cavale que nous nous sommes tous les quatre transportés en un instant de Paris à Brunolo et que nous sommes arrivés à temps pour sauver le père et Jacquette ? »
Seul, Sébastien ne disait rien. Il restait impassible dans son coin et ne paraissait pas s’intéresser à la discussion et la dispute qui s’étaient engagés entre ses frères. Son père, le comte de Brunolo, avait écouté les arguments de ses trois garçons et il observait aussi Sébastien à l’écart dans la pièce. Il finit par prendre la parole :
-« Mes chers enfants je vous ai tous écouté et voici le fruit de mes réflexions. Aucun de vous n’a failli à sa mission. Vous êtes tous allés à l’aventure afin de trouver un cadeau merveilleux et vous en avez tous trouvé un. Tous vos présents sont exceptionnels par les pouvoirs qu’ils renferment et vous avez su les utiliser intelligemment afin de nous sauver la vie à Jacquette et à moi. Et sachez que nous vous en sommes reconnaissants. Mais si vous avez tous utilisé les pouvoirs de vos trouvailles, un seul a accepté de perdre son cadeau en le distribuant. Sans Sébastien qui n’a pas hésité à se séparer de sa pomme en la coupant en deux et à nous la faire manger nous ne serions plus en vie. Je crois donc être juste en donnant la main de Jacquette à Sébastien. Quand à vous autres, Jehan, Hervé et René nul doute qu’avec les présents que vous avez rapportés vous trouverez sans mal une belle demoiselle qui acceptera de vous épouser. Battez la campagne et revenez me voir quand vous aurez trouvé femme. »
Les trois frères partirent donc visiter les châteaux environnants et montrèrent les merveilles qu’ils avaient ramenées dans leurs bagages. Leur père ne s’était pas trompé et ils revinrent tous très vite au château avec des fiancées. Et c’est ainsi qu’un mois plus tard il y eut, au château, non pas un, mais quatre mariages.
Le Manoir de Brunolo _ Motreff
La commune de Motreff est située en plein milieu de ce qui était, autrefois, le pays ardoisier du Finistère.
Brunolo, un des manoirs de Motreff, qui appartenait à la famille De Bothon, sieurs du Stangier, fut mis à sac au cours de la ligue, et Louis de Bothon, fait prisonnier, dut payer une rançon de 1200 écus.