La fille de la sirène
Bude

Collectage et traduction :  Armanel_ Conteur

En ces temps là, vivait sur la côte, pas très loin de First Cove dans la baie de Bude, un vieux couple dans une petite cabane adossée à la falaise. Une nuit, l'homme qui s'appelait Blejan et qui était pêcheur parmi d'autres métiers, car la pêche ne lui suffisait pas pour vivre sa famille à cause des serpents de mer géants qui descendaient de la Severn Sea et qui s'accrochaient à ses lignes, descendit vers la plage. Malheureusement pour lui, la marée n'était pas arrivée à son bon niveau pour permettre de rejoindre ses coins de pêche et il dut donc s'occuper à autre chose en attendant.

C'était par une nuit calme, sans vent ni tempête, sans pluie ni grêle, qu'il pût entendre distinctement quelqu'un chanter au delà des vagues qui s'écrasaient doucement sur le rivage. C'était le plus beau chant que Blejan avait jamais entendu de toute sa vie et très intrigué et émerveillé par ce chant mélodieux il voulut en savoir plus sur la personne capable de le faire s'émouvoir à ce point. Il posa précautionneusement son matériel de pêche à l'abri dans un creux de rochers et s'avança prudemment vers l'endroit d'où semblaient provenir les sons. Le temps qu'il arrive en place pour observer, un groupe de sirènes était sorti de l'au et se prélassait langoureusement sur un lit de goémons au dessous d'une cascade qui tombait de la falaise. Blejan, caché entre deux rochers, pût les observer à loisir les sirènes qui s'occupaient sous la cascade. Certaines s'amusaient à plonger dans les flaques d'eau restées prisonnières des rochers à marée basse, d'autres se lissaient les cheveux avec des grands peignes taillées dans des coquilles Saint Jacques, d'autres s'amusaient à mettre des étoiles de mer dans leurs cheveux, et toutes fredonnaient cet air envoutant qui le laissait pantelant.
Blejan était si ému par ce chant surnaturel qu'il resta les écouter encore et encore, sans avoir notion du temps qui passait ni se rendre compte que son corps était en train de se transformer en pierre sous l'effet du vent froid qui venait de se lever. A un moment, Blejan qui sentait qu'une crampe était en train de monter dans sa jambe droite essaya de changer de position sans se faire remarquer, mais malgré toutes ses précautions, les sirènes le virent et découvrirent qu'un être humain les surveillait. C'était la première fois que les sirènes avaient été si près d'un être humain sur la terre ferme et ces dernières prirent peur. elles se jetèrent rapidement dans les vagues, toutes ensemble, sans regarder derrière elles et disparurent en un instant.

Mais dans leur précipitation à fuir la présence humaine et dans la bousculade qui s'ensuivit, les sirènes oublièrent un de leurs enfants derrière elles au creux d'une petite flaque un peu éloignée des autres et qui leur servait de pataugeoire. Le bébé était si petit que sa queue de sirène n'avait pas encore commencé à pousser et qu'il ressemblait en tout points à un bébé humain. Quand la jeune sirène se retrouva seule, elle prit peur et commença à pleurer , ce qui permit à Blejan qui ne l'avait pas encore aperçue de se diriger vers elle. Dès que la jeune sirène vit Blejan se diriger vers elle et se pencher sur elle, elle remua ses bras et ses petits poings tout en poussant des petits cris de joie, comme si elle voulait que Blejan la prît dans ses bras.

En la voyant si petite et si confiante envers lui, Blejan ne pût s'empêcher de penser à son pauvre bébé qui était né quelques mois plus tôt et venait de mourir avant même de savoir marcher. Il pensa aussi à la grande tristesse d' Aisleen, sa femme, qui n'arrêtait pas de pleurer son pauvre bébé et qui se laissait mourir de faim et de chagrin. Aussi, il prit le petit bébé dans ses bras et se dirigea vers sa pauvre maison pour le montrer à Aisleen. Aisleen et Blejan décidèrent de garder la petite sirène et de l'éduquer comme si elle était leur vraie petite fille.


Quand les voisins, curieux, leur demandaient d'où venait cette petite fille qui pleurait et chantait dans leur maison alors que leur bébé venait de mourir, Aileen et Blejan ne répondaient pas. ils changeaient rapidement de discussion, puis ils chassaient les curieux. Tout le monde sembla accepter ce mystère et les commérages s'arrêtèrent. Mais les langues ne sont pas restées silencieuses longtemps, un peu à cause de Aisleen et Blejan, il faut le dire. En effet, même si les gens ne posaient plus de questions sur la naissance de cette petite fille, ils furent très étonnés quand les parents décidèrent de l'appeler Morgan. Car à l'époque le nom Morgan voulait dire sirène et le fait d'appeler un enfant Sirène quand on habitait au bord de la mer portait malheur à tout le village.

Les commères du village jasaient:

_ "Ils auraient quand même pu choisir un prénom chrétien et pas un de ces noms venu d'on ne sait où", disaient elles. "Ce ne sont pas les prénoms chrétiens qui manquent" et plein de choses comme ça.

Et Morgan grandit, naturellement comme tous les enfants et fit tout pareil que les autres: courir, sauter par dessus les murs, chiper des pommes dans les vergers, tirer la langue aux personnes âgées quand elle croyait qu'on ne la voyait pas. Bref, tout comme tous les autres enfants du village. Comme eux, elle faisait les mêmes bêtises, et, comme eux, elle était grondée. Tout pareil, sauf qu'en plus, elle aimait sauter dans les flaques d'eau et plonger dans les rivières et qu'elle n'avait jamais froid. Quand le vent soufflait en tempête ou qu'il se mettait à grêler ou à neiger, elle ne prenait jamais de manteau et n'attrapait jamais de rhume. C'était plus fort qu'elle, dès qu'elle voyait une flaque ou un ruisseau elle sautait dedans à pieds joints et éclaboussait tous ses camarades sous des geysers d'eau froide. Si elle passait devant un mur, et qu'il y avait une petite flaque pour abreuver les oiseaux, elle passait le doigt dedans et le mettait à sa bouche comme si elle goûtait l'eau.
Morgan ne se rendait jamais compte quand ses habits étaient trempés par la pluie et continuait à jouer dehors alors que tous les autres enfants étaient rentrés chez eux depuis longtemps. Même sa mère adoptive s'inquiétait du fait que ses cheveux n'étaient jamais secs et qu'elle risquait d'attraper une angine.
Mais quand Morgan se mettait à chanter, tout le monde dans la maison, ou dans le village, s'arrêtait et écoutait sa voix cristalline. Et alors tout le monde oubliait ses bêtises et tout le monde s'arrêtait de travailler pour écouter ce chant qui s'échappait de ses lèvres et s'envolait dans les airs comme le parfum sucré des fleurs de chèvrefeuille.

Sa voix était si belle que très vite on lui demanda de faire partie de la chorale de l'église, et Morgan ne disait jamais franchement "NON", mais à chaque fois qu'elle entrait dans l'église pour répéter les psaumes, elle trouvait rapidement une excuse pour s'échapper et se cacher dans les champs au bord de la rivière ou d'une mare. Partout où il y avait de l'eau elle était chez elle. Partout sauf au bord de la mer où ses parents lui avaient fait jurer de ne jamais s'approcher.
Mais un jour, pendant les fêtes de Pâques, alors que tout le village était à l'église, elle s'échappa de la Chorale et se précipita dans une mare boueuse où elle chanta à tue tête en se recouvrant de boue. Cette fois-là ce fut la fois de trop et les voisins se rapprochèrent des parents et les encerclèrent afin de bien leur faire comprendre qu'il serait un peu temps de dresser cette sauvageonne avant qu'il n'arrive un malheur dans le village.
_ "C'est une honte, qu'une jolie fille comme elle et douée pour le chant en plus se conduise comme ça en se roulant par terre et en chantant à tue tête des chansons grossières alors que si elle était plus gentille elle aurait toute sa place pour chanter le dimanche à l'église!"
Et plein de choses du même genre.

Blejan et Aisleen parvinrent à fendre la foule et à se réfugier dans leur cottage où ils s'enfermèrent à double tour tandis que les villageois essayaient de démolir la porte pour attraper Morgan et la jeter dehors.

A ce moment on entendit une voix sur la plage qui chantait un air mélodieux, encore plus merveilleux que ceux de Morgan. Et la voix belle et puissante remplissait tout l'espace, s'envolait sur la mer, rebondissait sur les vagues, ricochait sur les rochers, courait sur la plage et gravissait la colline jusqu'à remplir toute la maison de Blejan et Aisleen.
Et Morgan s'écria:
_ "Quel est ce chant? Quelle est cette voix? Qui chante cet air si mélodieux?"
Et elle commença à se débattre en criant de plus en plus fort:
_ "Je connais cette voix! laissez moi, laissez moi partir." 
Blejan, aussi, avait reconnu la voix, mais il faisait celui qui n'entendait rien. Et tout le monde pouvait entendre cette voix qui montait vers eux, mais personne ne parla ni ne bougea. Tout le monde prétendait ne rien entendre. Alors Morgan s'écria:
_ "Elles m'appellent, elles m'appellent ici, maintenant, tout de suite, laissez moi partir où il va ya avoir un grand orage cette nuit qui vous punira pour votre méchanceté"
Comme personne ne bougeait pour la laisser passer, elle fila entre les jambes de son père et courut jusqu'à la plage et personne ne put l'arrêter. Et pendant que tout le monde la regardait plonger dans l'eau glaciale et nager avec sa mère, ses tantes et ses cousines, l'orage éclata.
Ce fut un orage au delà de tout ce que vous pouvez imaginer. Les toits de toutes les maisons du village s'envolèrent. Tous les arbres furent déracinés. Tous les habitants durent se cacher, frissonnants, dans des grottes sur la falaise.
Le lendemain matin, l'orage s'arrêta subitement et la vie reprit son cours à First Cove et personne ne revit jamais plus Morgan.

Mais quand le vent souffle en tempête dans la baie de Bude: Tendez bien l'oreille, vous entendrez peut être dans le vent la voix mélodieuse de Morgan.

Collectage & traduction : Armanel.