La femme qui ne mangeait rien 

Asturies  _ Espinilla

Traduit de l'espagnol par Armanel


Il était une fois, un ménage qui vivait près de la Torre de los Rios, à Espinilla sur l’Arroyo de los Coterucos.

Gonzalo, le mari était berger et propriétaire d’un troupeau de quarante chèvres. Le brave homme se rendait tous les lundis matins dans la Sierra de Hijar et ne rentrait chez lui que le samedi tard dans la soirée. Gonzalo, marchait toute la semaine derrière ses chèvres et ne mangeait que le peu qu’il apportait avec lui dans sa besace, ce qui faisait qu’il était mince ! mince ! Mais mince comme un roseau. Et par contre sa femme, Jana, était grosse ! grosse !Mais grosse comme un vieux chêne.

Le dimanche, quand Gonzalo, son mari, était là, Jana ne mangeait presque rien ; elle se plaignait de douleurs d’estomac et disait qu’elle n’avait pas faim, qu’elle ne voulait pas se forcer car rien ne passerait, et que si quelque chose passait, elle ne parviendrait pas à le garder. Gonzalo s’étonnait, et disait à ses voisins :

_ Ma femme ne mange rien ; et pourtant elle est fort grosse ; je trouve cela bizarre.


Un jour, dans la Sierra de Hijar il rencontra un autre berger à qui il raconta l’affaire. Le berger l’écouta attentivement, puis il lui dit :

_ Lundi, au lieu de grimper dans la montagne, cache-toi dans ta maison et tu verras bien si ta femme mange ou si elle ne mange pas.


Le samedi suivant, comme tous les samedis, tard dans la soirée, Gonzalo arriva chez lui et se mit à table. Jana lui dit qu’il mangerait seul car elle n’avait pas faim, qu’elle ne voulait pas se forcer car rien ne passerait, et que si quelque chose passait, elle ne parviendrait pas à le garder.
Arriva le lundi ; Gonzalo jeta son sac sur son épaule et dit à sa femme :

_A samedi ! Soigne-toi bien ! Ne te rends pas malade à ne rien manger. Essaye d’avaler quelque chose.


Jana lui répondit :

_ Mais mon pauvre mari, je n’ai pas faim ! Rien que l’idée de manger me tord de vomissements, pouah ! Cela me désole d’être si grosse alors que je n’avale rien ; C’est dans ma nature d’être grosse !


Gonzalo partit en direction de la montagne, mais à mi-chemin il confia ses chèvres à l’autre berger et fit demi-tour. Sans se montrer à sa femme, il se glissa chez lui et se cacha dans l’arrière-cuisine.

De ce poste d’observation, Gonzalo vit Jana se beurrer une tranche de pain épaisse comme son bras grassouillet, puis à midi manger une poule au riz. Gonzalo ne bougea pas et ne dit rien. Il resta muet et immobile afin de continuer à observer sa femme.
Dans l’après-midi, Jana se fit cuire une omelette au saucisson.
À la nuit tombée, Gonzalo sortit de sa cachette, entra dans la cuisine et dit à la gourmande :

_ Bonjour ma chérie, comment te portes-tu ? !

_ Mais, pourquoi es-tu revenu ? lui demanda Jana.


_ Il y avait tellement de brouillard dans la montagne que j’ai eu peur de me perdre. De plus, il pleuvait et il tombait de gros grêlons, et les chèvres prenaient peur et devenaient nerveuses. Répondit Gonzalo.


Jana lui dit alors :

_ Pose ton sac et assieds-toi, je vais te servir à dîner.

Elle plaça sur la table une écuelle de lait et une bouillie de maïs. Gonzalo lui dit :

_ Tu ne dînes pas, ma femme ?

_ Comment ! Dans l’état où je suis ! Tu en as de la chance d’avoir faim ! Pouah ! Mais mon pauvre mari, je n’ai pas faim ! Rien que l’idée de manger me tord de vomissements, pouah !

_ Mais dis-moi : comment se fait-il que tu ne sois pas mouillé s’il pleuvait et grêlait tant que ça dans la montagne ?

_ Je vais te le dire ! C’est tout simple et tout bête. Si je ne suis pas mouillé c’est parce que j’ai pu m’abriter sous une pierre aussi grande que le pain que tu as entamé. Et grâce à ce chapeau improvisé presque aussi grand que l’omelette dont tu t’es régalée à quatre heures, je n’ai pas été touché par les grêlons aussi épais que le riz que tu as mangé pour accompagner la poule que tu t’étais préparée.