LA FEMME DE LA FORÊT VERTE
Powys
Armanel - conteur
Il y a deux ou trois choses que je pense que vous ne savez pas, aussi laissez-moi vous les apprendre :
1 _ Plusieurs palais se trouvent sous les vagues qui baignent le pays de Cymric, car la mer a englouti plus d'un village et même des villes.
2 _ Lorsque les fées galloises cèdent à leurs amants mortels et consentent à devenir leurs épouses, c'est toujours à une condition ou une promesse.
3_ Parfois, il y en a plusieurs, que les fées obligent leurs amants mortels à leur promettre avant qu'elles acceptent de devenir leurs épouses. En fait, les fées du pays de Cymric sont parmi les plus exigeantes de toutes.
Un prince, de la région de Powys, nommé Benlli l'a découvert à ses dépends, lui qui avait imaginé qu'on pouvait avoir des épouses simplement en leur faisant la demande. Pour Benlli, tout ce qu'un homme avait à faire c’était dire à la fille pour laquelle il s'était pris d'affection:
_"Viens avec moi et sois ma fiancée"
Et elle répondrait :
_ "Oui, me voici",
Et les deux partiraient ensemble.
Voilà ce que pensait Benlli.
Ce Benlli était un méchant vieux bonhomme déjà marié depuis longtemps et si les rides s’étaient accumulées sur son visage et celui de sa femme, Benlli ne voyait que celles qui ornaient le visage de sa femme. Il disait qu’elle avait l'air fanée, délavée, et que ses cheveux blanchissaient. Il disait aussi qu’elle ne serait plus jamais jeune, et qu’il en avait assez d'elle ; il voulait une compagne aux joues roses et fraîches, aux cheveux longs et épais. Il était prêt à tomber amoureux d'une telle jeune fille, dès que ses yeux se poseraient sur elle.
Un jour, le vieux Benlli est allé chasser dans la forêt verte. Alors qu'il attendait qu'un sanglier sorte d’un fourré, il a vu passer devant lui une jeune femme d'une beauté éblouissante. Il en est tombé immédiatement amoureux.
Le lendemain, alors qu'il était retourné à cheval, dans la même clairière de la forêt verte, la même jeune fille a réapparu ; mais juste l’espace d’un moment, puis elle a disparu.
Le troisième jour, le vieux Benlli est retourné à l'endroit prévu, et de nouveau la même jeune fille a réapparu . Benlli s'est approché d'elle et lui a demandé de venir vivre avec lui dans son palais.
_ « Je viendrai avec toi et je serai ton épouse, mais à trois conditions :
1 Tu devras renvoyer la femme qui vit avec toi actuellement.
2 Tu devras me permettre de te quitter, une nuit sur sept, sans me suivre ni m'espionner.
3 Tu ne devras pas me demander où je vais ni ce que je fais.
Jures-moi que tu feras ces trois choses car si tu tiens tes promesses sans les rompre, ma beauté ne changera jamais, du moins jusqu’à ce que les hauts roseaux et les longs joncs verts poussent dans ton château. »
Le vieux Benlli a prêté serment serment et il a promis solennellement d'observer les trois conditions. La jeune femme de la Forêt Verte est donc allée vivre avec lui.
_ « Mais que va-t-il dire à sa vieille femme ? » vous demandez-vous.
Eh Ben ! Rien ! Il n’a eu aucun problème de ce côté-là, car lorsque les nouveaux mariés sont arrivés au château, elle avait déjà disparu.
Les longues journées que le vieux Benlli et sa nouvelle épouse ont passé ensemble, soit au château, soit en plein air, à cheval, soit à la chasse au cerf furent heureuses. Chaque jour, la beauté de la jeune femme lui semblait plus divine, et elle lui paraissait plus belle. Il lui a donné beaucoup de cadeaux, entre autres un diadème de béryl et de saphir. Puis il lui a mis au doigt une bague de diamant valant une somme très importante suffisante à payer la rançon d’un roi. (Au Moyen Âge, les monarques comme les nobles étaient faits prisonniers au combat et il fallait payer de grosses sommes d’argent pour les récupérer. C’est donc une rançon royale que Benlli paya pour la bague de diamant de sa femme). Il l’aimait si tendrement qu’il ne soupçonna pas un seul instant qu’il n’arriverait pas à tenir ses trois promesses.
Mais la vie n'a pas de piquant sans variété, et la monotonie fatigue l'âme. Au bout de neuf ans, comme sa femme s'absentait tous les vendredis soir, le vieux Benlli commençait à se demander pourquoi il en était ainsi. Sa curiosité sur la raison de son absence était telle qu'il en est devenu malheureux et irritable. Tout le monde dans le château avait remarqué le changement chez le vieux Benlli et s'en désolait.
Un soir, le vieux Benlli a invité un moine érudit du monastère blanc, non loin de là, à venir dîner avec lui. La table de la grande salle de banquet était couverte des mets les plus délicieux, les lumières étaient magnifiques et la musique joyeuse.
Mais Wyland, le moine, était un homme de magie et pouvait voir à travers les choses. Il a remarqué qu'un chagrin secret rongeait l'esprit du vieux Benlli . Il a compris que, au milieu de toute cette splendeur, lui, Benlli, le seigneur du château, était la personne la plus triste du monde à l’intérieur de ses murs. Wyland est donc rentré chez lui, résolu à découvrir quel était le problème.
Lorsqu'ils se sont rencontrés quelques jours plus tard, Wyland lui a demandé :
_ « Quel chagrin secret assombrit ton front, Benlli ? Pourquoi es-tu si triste ?"
Benlli lui a aussitôt raconté sa rencontre avec la jeune femme de la Forêt Verte, et la façon dont elle est devenue sa femme en lui imposant ses trois conditions.
_ "Le plus dur ", a dit Benlli en gémissant à haute voix. "C’est que quand les hiboux crient, et que ma femme quitte mon lit jusqu'à ce que l'étoile du jour apparaisse, je reste seul, déchiré par la curiosité, de savoir où elle est et ce qu'elle fait. Je retombe dans un profond sommeil, et ne me réveille qu'au lever du soleil, où je la retrouve à nouveau à mes côtés. Tout cela est un tel mystère, que le secret pèse sur mon âme. Malgré toute ma richesse, et mon château fort, avec ses festins et sa musique la nuit et ses chasses le jour, je suis l'homme le plus triste du pays cymrique (( Pays de Galles). Je crois qu’aucun homme, même un mendiant, n'est plus malheureux que moi."
Wyland, le moine, écoutait et ses yeux brillaient. Il s’est dit que l’occasion d'enrichir le monastère était trop belle : Il pourrait gagner de l'argent en résolvant le secret d'une âme en difficulté.
_ « Prince Benlli, si vous voulez bien donner aux moines de la Cathédrale Blanche un dixième de tous les troupeaux qui paissent dans votre domaine et un dixième de tout ce qui coule sous les voûtes de votre palais, et me remettre la jeune femme de la Forêt Verte, je vous garantis que votre âme sera en paix et que vos ennuis cesseront. »
Le vieux Benlli a accepté tout cela. Alors le moine Wyland a pris son gros livre, relié de cuir et fermé par des fermoirs métalliques, et s’est caché dans la fente d'un rocher près de la grotte du Géant, d'où l'on pouvait accéder au Pays des Fées.
Il n'a pas attendu longtemps car bientôt,, une dame, vêtue royalement, avec une couronne sur la tête, est apparue au clair de lune pour entrer dans la grotte sombre. C’était la jeune femme de la Forêt Verte.
Alors une bataille de magie et de sorts a commencé entre le moine et la jeune femme de la Forêt Verte. Le moine Wyland s’est avancé vers l'entrée de la grotte. Puis, convoquant les esprits de l'air et de la grotte, il les a informé du vœu du vieux Benlli d'enrichir le monastère et de lui livrer la jeune femme de la Forêt Verte. Puis, appelant à haute voix, il a dit :
_ "Qu'elle demeure à jamais telle qu'elle apparaît maintenant, et ne me quitte jamais. Amenez-la femme du vieux Benlli à la croix près de la ville de la Cathédrale Blanche avant le lever du jour, et je l'épouserai."
Puis, par le pouvoir de sa magie, il a rendu impossible à toute puissance d'entraver l'opération de ces mots.
Quand il a quitté l'entrée de la grotte, afin d'être à la croix, avant que le jour ne se lève, le moine Wyland a rencontré une ogresse hideuse, qui bavait et roulait ses yeux rouges et brouillés vers lui. Sur la tête de l’ogresse, il y avait quelque chose qui ressemblait plus à de la mousse qu'à des cheveux. Elle a tendu un long doigt osseux vers lui. Sur ce doigt brillait le magnifique diamant que Benlli avait offert à sa fiancée, la belle Demoiselle de la Forêt Verte.
_ « Epouse-moi, moine Wyland », a-t-elle hurlé en riant et en montrant les chicots noirs de sa bouche. « Je suis l'épouse du vieux Benlli et que tu as juré d'épouser. Il y a trente ans, j'étais la jeune épouse de Benlli. Quand ma beauté m'a quittée, son amour s'est envolé par la fenêtre. Maintenant, je suis une ogresse immonde, mais la magie me rend jeune toutes les sept nuits. J'ai promis que ma beauté durerait jusqu'à ce que les hauts roseaux et les longs joncs verts poussent dans son château. »
Étonné par son histoire, Wyland retenait son souffle.
_ "Viens donc et prends-moi pour épouse, car voila ta récompense."
C’est ainsi que le moine Wyland qui jouait aux prestidigitateurs a été pris dans son propre complot sombre et sordide et est devenu la victime de son propre stratagème.
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